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Chtonique du body combat 10

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Je n’avais pas pu aller au cours de body combat ce mardi.
Alors j’étais allé au cours de TRX du vendredi, je savais y retrouver Manu.
Il était là dans le vestiaire, assis sur un banc, la tête entre les mains et semblait sangloter.
-Que se passe-t-il Manu ? Lui demandais-je d’une voix particulièrement inquiète.
-Et bien, mardi, au body combat, tu n’étais pas là. Sa voix hoquetait de sanglots.
J’attendais la suite avec impatience.
-Et alors ?
-Et bien tout le monde m’a disputé en me disant que je criais trop fort mes onomatopées d’encouragements !
C’était vrai, chaque fois que Manu voulait se motiver, il hurlait. UN. DEUX. TROIS. QUATRE. CINQ. SIX  SEPT. HUIT…
Ces vociférations, je dois le dire étaient plus désagréables que motivantes et, à la fin du cours on avait tous les oreilles qui sifflaient et les plus sensibles des demoiselles, terrorisées, chougnaient d’angoisse.
Il continua. Les filles se sont énervées. Stan avait même son ricile qui coulait, Ya Ko Line m’a fait la morale, le petit livre rouge brandit d’une main elle m’a expliqué. « Le camarade Mao a dit que le silence est source de volupté ! ».
Fanny m’a expliqué « Manu à force crier il fera jour demain ! ».
Je n’ai pas compris la signification de son affirmation mais le ton avec lequel elle me l’a envoyée n’avait rien de sympathique.
Mousse a baladé son biceps juste sous mon nez et Barahm m’a presque expédié sa batterie sacrée dans la tronche.  
Il finit son explication par des pleurs et j’en eu le cœur retourné.
Pauvre être !
Un homme si grand et si fragile.
Je me laissai tombé sur un genou, puis j’enroulai mon bras autour de ses épaules et le serrai fortement sur mon torse en appliquant des petits mouvements de va et vient qui je l’espérai, le calmeraient.
-Tu sais Manu…
J’essayais de trouver des mots de réconforts pour adoucir son tourment.
-Peut-être… Tu peux essayer de crier moins fort.
Il répondit :
-Et bien, quand je manque de motivation, il faut que j’hurle mon désir de continuer, c’est plus fort que moi ! Et puis…
Il y eu un silence, un peu trop long peut-être. Comme s’il voulait me faire comprendre quelque chose, un secret profondément caché, un tourment qui évidemment le taraudait.

-Qui y-a-t-il mon ami ? Lui dis-je d’un ton paternaliste.
Il se mit à pleurer à chaudes larmes, inondant de son flot liquide le sol verdâtre du vestiaire.
-Mais Manu. Continuais-je, tu peux tout me dire, je peux comprendre et je sais garder le silence.
Alors il m’avoua ce secret caché, cette angoisse mortifiante.
-Donc… Il hésita encore. Tu sais, j’ai toujours eu du mal avec les chiffres et ce n’est que très récemment que j’ai appris à compter jusqu’à Huit, alors, j’en suis tellement heureux que je me sens obliger de le faire savoir de vive voix.
J’eu un haussement des sourcils, un maigre sourire allongea mes lèvres et je me mis à penser, « on n’est pas sorti de l’auberge ! ».
Heureusement, cette petite case qui s’ouvre de temps en temps dans mon cerveau, me fit part d’une idée particulièrement judicieuse qui solutionnerait, j’en étais certain, ce méchant problème, avec la plus grande simplicité…

Le samedi matin, je me précipitais à la pharmacie.
-Bonjour, je veux ça s’il vous plaît, je pointai du doigt l’article miracle. Une grosse boite si possible !

On était mardi soir. Vous savez ce soir du bonheur, de l’extase sportif, de la complétion admirable, conjecture de nos efforts.
Manu était déjà dans la salle s’adonnant au cours d’abdos-fessiers.
C’était parfait, je pouvais préparer en toute tranquillité la manigance qui nous permettrait d’avoir enfin la paix. Je sortis de mon sac la grosse boite que j’avais apportée avec moi.
C’était une boite…
De bouchons d’oreilles !
Ceux de la meilleure qualité !
J’expliquais à tous la meilleure façon de les utiliser et la finalité secrète de cette ruse.
L’heure du cours arriva enfin. Fanny nous invita par un :
-On y va les body combattants comme on dit à un sèche-cheveux. ????
Manu était au milieu de la salle, évidement penaud de nous voir entrer. Il le savait déjà, sur le feu de l’action, il ne pourrait pas s’empêcher ses beuglements dévastateurs.
Et le cours commença.
Vous savez, quand on a les oreilles bouchées on se sent particulièrement bien, reposé, baigné d’une certaine douceur, d’un contentement presque divin, à l’abri de toutes agressions. Alors notre gestuelle se fait moins agressive, plus fluide, presque élégante. A mille lieux d’un véritable entrainement de body combattant.
Fanny semblait flottée dans des évolutions gestuelles muettes, calmes et reposantes, et nous tous, élèves béats de sollicitudes nous nagions dans une parfaite harmonie. L’ambiance était psychédélique, proche du Nirvana !
Pour Manu, rien n’allait plus, le rythme était trop lent, peu motivant, soporifique. Il entreprit de nous motiver de la meilleure façon.
Avec ses hurlements !
Il nous en envoya un particulièrement magistral, qui, bien entendu, ne nous fit pas réagir.
Alors il entreprit d’y aller encore plus fort, et plus fort, et plus fort…
Aucun de ses beuglements n’eut un quelconque effet, au contraire Fanny se mit à sourire en nous entrainant avec mollesse dans une chorégraphie hallucinogène.
Manu n’en pouvait plus de nos agissements. Ses cris se firent constant et sans retenues.
Jusqu’à.
Jusqu’à cet instant où sa voix perdit de son intensité pour s’éteindre soudainement.

A la fin du cours les boules Quies enlevées, tout le monde se félicita de cet entrainement si particulier, sans le stress et les apparitions d’acouphènes héritées de la voix de notre cher Manu.
-Alors Manu tout va bien ?
J’essayai cette question pour observer la finitude de ma ruse.
Il me répondit, mais je n’entendis rien.
-Quoi ? Que dis-tu ? Continuais-je avec un sourire malicieux.
Il réussit à m’affirmer, en utilisant un simple filet de voix.
-Je n’ai plus de voix, je dois être enroué...

Quelques jours plus tard un SMS de sa part me confirma la réussite de ma ruse.
« Pierre, rien de grave, le médecin vient de me dire que je dois reposer mes cordes vocales en restant muet pendant ses trois prochains mois !


On était mardi soir. Un soir de bonheur, d’exultation. Ce n’était pas essentiellement à cause du cours de body combat qui allait commencer, mais, également par le fait que Manu serait, par obligation, totalement muet.
Toutes les filles avaient le sourire aux lèvres. Les hommes plus détendus et Fanny n’eut même pas un commentaire à ajouter.
Et le cours commença.
Mais, au fait, Manu n’était pas là !
Avait-il renoncé à un cours où il ne pouvait plus s’auto-motiver ?
Soudain, il entra en poussant bruyamment la porte de la salle, son survêtement de skieur de fond parfaitement ajusté, ses cheveux hirsutes avec un large sourire sur les lèvres.
Il portait sur son dos un appareillage que je ne reconnus pas tout de suite.
Puis, immédiatement, il amena un petit micro au-devant de ses lèvres.
Et.
L’infernal recommença à travers cette énorme Mégaphone sanglé sur ses épaules dont il avait tourné le volume à fond !

Vive le body combat !


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