Cartes
de visite
Belle !
Divine déesse !
Beauté sublime !
On était mardi soir et notre groupe de sportifs
était au
complet.
Prêt à une soirée festive à
la Gioconda.
On était dans l’endroit.
Les filles devant et les
hommes derrières.
Elles nous devancèrent rapidement en direction de notre
table favorite car nous
étions restés scotchés sur le devant
de la porte. Tétanisés par la superbe
créature qui
évoluait dans la salle,
versant un verre, présentant un menu. Son corps de
rêve était moulé dans une
petite robe noire qui activait pleinement
l’exégèse de nos imaginations.
Son regard de braise, ses cheveux blonds ondulaient derrière
elle, tel un voile
de soie diffusant une frivolité magique, envoutante,
ensorcelante.
Un corps de rêve.
Certainement le dernier digne exemplaire, cause du
péché originel.
Les filles allaient
s’asseoir, quand nous hurlèrent:
« Non pas ici ! »
Il nous fallait la table haute, celle à laquelle des chaises
de bars sont
accolées et qui nous permettent de dominer d’un
bon mètre la totalité des
convives.
La raison en était simple, certainement très
masculine. Cette position nous
permettrait avec certitude, une vue plongeante sur le
décolleté affriolant de
la jolie serveuse.
Et elle arriva.
Je fus le premier auquel elle s’adressa :
-Que désirez-vous boire ?
Cette voix de miel, ces yeux
limpides qui plongèrent dans
les miens. Il me fallut une volonté farouche pour soutenir
son regard et
désobéir à mon cerveau qui
m’invectivait de regarder plus bas, au-dessous de
son menton où son intérêt particulier
présentait une intéressante perspective.
Quand ce fut le tour de Manu, je crus que notre pauvre ami allait
s’effondrer
dans une crise délirante. Sa tête se mit
à osciller de droite à gauche et son
murmure commença à compter
« Un, deux, un,
deux… ».
Bahram, peut-être, le plus pervers d’entre nous,
rougit, laissa tomber sa
batterie pour que la belle puisse la ramasser et suivit son mouvement
d’un œil
lubrique et explorateur.
Pour Mousse s’était un peu différent,
Stan se trouvant à ses côtés, il ne
pouvait qu’ignorer les formes avantageuses. Alors il feint
d’être bourru,
grogna sa colère ce qui provoqua un mouvement de panique
parmi le groupe de
hockeyeurs qui se trouvait derrière nous et qui avait eu,
dans le passé, une
mauvaise expérience avec ces accès de fureur.
Il gronda sur la belle :
-Mon set de table est à l’envers. La fourchette et
le couteau mal centré, le
service est trop lent !
Quand elle fut partie,
nous…
Par nous je veux bien entendu dire les mâles. Nous avions le
souffle court, le
front humide d’une moiteur concupiscente et nos voix
étaient devenues plus
rauques.
Bahram ne put alors
s’empêcher de se gloser d’une
vantardise :
-Dans ma petite résidence de Marbela, je suis voisin de
Paméla Anderson,
souvent je suis invité à des petites
journées piscine et je peux vous assurer
qu’elle aussi a des arguments particulièrement
plantureux !
Alors Manu, Mousse et
moi-même nous lui fîmes discrètement
le signe de se taire. Il ne fallait pas qu’il attire
l’attention des femmes sur
l’émoi que cette jolie demoiselle, en nous, avait
provoqué. Ceci pour éviter
tout effet de jalousie et épargner leurs egos.
Heureusement elles
n’avaient rien remarqué.
Stan ne disait rien, vernissant
ses ongles.
Anne soupirait en pensant à sa perfection, celui qui
était gravé dans son cœur,
dans ses entrailles, imprimé sur ce tatouage
qu’elle arborait sur son bras
droit et qui était surmonté par ces deux
initiales « J.B. »
Ya Ko Line compulsait dans son
petit livre rouge, le menu
qu’elle pouvait avaler. Aujourd’hui
c’était essentiellement un bol de riz avec
un crouton de pain.
Mademoiselle Linette, passait langoureusement sa langue sur ses
lèvres en
pensant à sa dernière nuit sulfureuse.
Meskerem, la bouche auréolée du sang,
mâchait un steak saignant qu’elle avait
sorti de son sac.
Ouf, la paix resterait seule
maitresse de la soirée avec ses
conversations diverses et intéressantes.
Il y avait pourtant une certaine angoisse qui
m’étreignait encore. C’était
l’attente du service de nos commandes. Elle allait se
retrouver à côté de nous,
nous ensorceler de son charme, de son odeur, de cet aura absolu et
tétanisant.
Cette pensée semblait commune
à nous les
hommes, nous étions étourdis, faisant
répéter plusieurs fois Stan qui nous
entretenait du dernier défilé Channel et de cette
jolie petite robe à moins de
deux mille Euros qu’elle s’était
dégotée. Une superbe affaire nous disait-elle.
Ceci n’entraina qu’un
« OH ! »
d’admiration de nos bobines
perdues dans notre chimère charnelle.
Puis elle arriva.
Respiration courte.
Sang qui embrase nos tempes
Réaction de tension dans nos bats ventres.
Poils hérissés de nos bras.
Apoplexie de nos visages.
Elle me sourit et je crus
défaillir.
« La salade est bien pour
vous ? »
Rien, rien ne sortait de ma bouche, même pas un entrefilet de
voix.
Je lui répondis d’un hochement de tête
affirmatif accompagné de mon plus beau
sourire béat, certainement un peu bête,
dévoilant mon admiration, avec mes yeux
qui divaguaient en tournoyant, dévorant ainsi
l’ensemble de ses formes.
Manu pour calmer son envi
frappa plusieurs fois son front
sur la table. « Un, deux, trois, quatre, cinq, six,
sept
huit ! »
Bahram resta le dos droit rigide, ses deux mains appuyées
bien à plat sur la
table, ses yeux globuleux restèrent fixes et ses
lèvres distendues sur les
côtés laissaient dépassée
une petite pointe de sa langue.
Mousse, arracha le coin de
table qu’il avait subitement
empoigné.
Et pourtant, à mon
grand étonnement.
Les filles semblèrent ne rien avoir remarqué
à nos attitudes suspectes.
Meskerem se lança
alors dans une longue description de son
pays l’Ethiopie. Nous informant sur ses paysages uniques, ses
populations
éclectiques, sur la pratique de l’Orthodoxie. Puis
elle termina sur un :
-Je suis contente que vous vous intéressiez à ma
lointaine contrée !
Nous
n’avions rien
écouté bien entendu et nous
répondîmes par un « oui,
oui ! »
sans consistance. Ma pensée profonde forçait mon
imagination a trouvé un moyen
discret d’obtenir un rencart avec la jolie tourterelle.
Comment faire ?
M’éloigner un instant ?
Lui donner discrètement mon numéro de
téléphone ?
A mon grand étonnement ce fut Manu qui eut la solution
ultime :
-Eh les gars, j’y pense, nous ne nous sommes jamais
échangés nos cartes de
visites.
Quatre clignements de l’œil montrèrent
notre compréhension mutuelle.
Nos coordonnées furent sorties de nos portefeuilles et
posées discrètement sur
la table puis recouvertes de nos paluches, tandis que Ya Ko Line nous
parlait de
son sac Vuitton récemment fabriqué par son cousin
Chinchong de Hongkong.
Puis il fut temps pour nous de
retourner à nos pénates.
Nous laissèrent bien entendu nos cartes de visite sur la
table, nous demandant,
qui d’entre nous allait être l’heureux
élu.
Au moment d’ouvrir la porte de sortie. Stan fit rebrousse
chemin en nous disant
qu’elle avait oublié son tube de rouge
à lèvre sur la table. Qu’elle nous
rejoindrait dans une minute.
Dehors, nous attendions son
retour.
J’entendis les
chuchotements des filles qui s’étaient mises
à l’écart.
-Des mamelles comme ça, c’est
réservées aux vaches !
-Vulgarité totale ! Trop de silicone et cette robe
moulante, quelle
horreur !
-Oncle Mao l’aurait vite envoyée en camp de
rééducation !
-La véritable beauté moi je sais ce que
c’est vraiment, J.B. où es-tu ?
A travers la devanture,
j’aperçu Stan qui revenait. Elle
tenait son tube de rouge à lèvre dans sa main
droite et dans sa main gauche,
orientée vers le sol, j’aperçu
quatre
petits feuillets qu’elle laissa discrètement
tombé dans une poubelle.
Eh oui !
Malheureusement pour nous les hommes, la
perfidie féminine arrive habillement
à déjouer
nos plus vils instincts !
….
Hier soir nous
étions, Manu et moi-même les seuls du groupe
présent au cours de body combat.
A la fin du cours Manu me
dit :
-Pierre je t’offre un verre !
-Non Manu, j’ai eu une journée difficile et je
suis particulièrement
fatigué !
-Dommage, j’aime bien aller à la Gioconda,
j’y suis allé vingt fois depuis la
semaine dernière.
Dans la voiture, pendant le
retour vers Gex, Manu était
silencieux, peut-être même un peu triste. Il
lançait de temps en temps le vague
de son regard sur les champs de colza qui éclairaient la
pénombre. Soudain,
d’une main déterminée il empoigna son
téléphone :
-Allo, c’est Manu, j’aimerai vous commander une
boite de cinq cents cartes de
visite !
J’entendis le murmure de la réponse.
-Mais Monsieur je vous en ai déjà
livré cinq cents la semaine dernière !
-Oui, je sais mais elles sont déjà toutes
parties, alors cette fois je les veux
quatre fois plus grandes !
Je souris à cette
allégation, car, pendant le trajet, mon
téléphone avait vibré plus de dix fois
dans ma poche.
Après avoir
laissé Manu sur le pas de sa porte, je jetai un
bref coup d’œil à mes messages, ils
étaient tous signés de la même personne
et
succédaient à une bonne centaine de la
même provenance.
Alors je me suis dit, en fait je ne suis pas si fatigué que
ça et, je suis
redescendu à Genève pour boire un coup
à la Gioconda.
Ah oui, je ne vous l’avais pas dit, la semaine
dernière par mesure de prudence
j’avais également laissé une carte de
visite supplémentaire posée sur ma
chaise J
Vive le body combat.