Le congrès des horlogers indépendants
-Allo ! Salut Amarildo comment vas-tu. -Bien, Pierre… C’était un copain, fabricant de montres, que j’appréciais fort bien et que je retrouvais de temps en temps autour d’une bonne table. Après les politesses habituelles, il me demanda : -Est-ce que tu vas toujours à ton fitness de l’ICC le mardi soir ? -Oui bien sûr ! -Alors si tu veux, après ton cours, tu peux passer voir l’expo que j’organise avec les meilleurs horlogers indépendants de Genève. C’est au Casino de l’ICC. - Merci, super idée, est ce que je peux venir avec mes amis sportifs ? -Oui pas de problèmes, Je me ferai un plaisir de tous vous inviter pour le buffet ! C’est bien « WhatsApp » en quelques secondes on peut joindre l’ensemble de mon groupe de body combat pour leur faire une proposition : « Les amis ce mardi je vous propose après le cours d’aller voir l’expo de montres qui prendra place au casino à l’étage inférieur de notre club ! ». Contrairement à l’habitude, aucune réponse n’arriva immédiatement. C’est une bonne heure après que le premier message fit son apparition. -Pierre je suis navré je ne serai pas là mardi ! Puis un autre -Tu sais moi les montres… Et encore -J’ai déjà une autre chose prévue… En fait toutes les réponses furent négatives. Alors je lançais ma dernière cartouche. « On peut boire Gratos ! » Alors mon téléphone se mit immédiatement à teinter : -En fait je pourrai me libérer ! -J’suis pas aussi pressé que ça ! -J’ai entendu que c’était de belles montres alors cool, je viens… Et voilà, après à peine trois minutes, le groupe entier avait donné son accord. On était mardi soir. Ah quel bonheur. Ivresse de nos corps qui chavirent dans une apothéose paradisiaque, un véritable orgasme des muscles qui hurlent leur bonheur. Malgré le cours sublime que nous enseignait Fanny, on était tous pressé de terminer pour aller à cette fameuse convention des horlogers indépendants. Une heure plus tard nous étions tous rassemblés dans le hall d’entrée de notre club pour le ralliement générale. On s’était mis sur notre trente et un, les hommes portaient leur plus beau costume, les femmes de magnifiques robes de soirée et Ya Ko Line s’état parée du « Hanfu » costume traditionnel de la dynastie des Hans, confectionné avec du fil de soie, à son poignet on pouvait apercevoir une magnifique montre : -C’est une Rolex précisa-t-elle, elle a été confectionnée spécialement pour cette occasion par mon oncle Choung de Péking ! On avait d’ailleurs tous accroché à nos poignets, de magnifiques montres de marques prestigieuses. Moi-même j’étais splendide, en pantalon du dimanche, arborant cette jolie veste qui datait du temps lointain de mon mariage et dont les manches maintenant trop courtes laissaient apercevoir ma montre cardio que j’avais gardé pour faire bonne figure. La traversée du casino se fit avec le sourire. Nous étions enchantés par le bruit des machines à sous qui crépitaient leur bonheur. Amarildo nous reçut à bras ouvert : -Pierre, tu as pu venir, c’est gentil de ta part. D’un geste d’une déférence évocatrice je répondis : -J’ai également amené tous mes amis du fitness. -C’est bien, parfait, bienvenue les amis, je vais vous guider pour une petite visite. Barham qui, pour une fois, était venu sans sa batterie, les yeux hagards et la bouche frémissante demanda où se trouvait le bar. La réponse venue et il nous quitta en précisant qu’il nous rejoindrait plus tard, puis il cria en direction du barman : -Une vodka orange, un verre de champagne et une bière « Mort subite » s’il vous plaît ! Et la visite s’engagea. Amarildo nous fit parcourir l’intégralité des stands, nous présentant les joailliers qui nous firent une description très intéressante de leur travail. Puis Amarildo nous arrêta devant une petite salle où des vitrines exposaient des montres que seul Cresus aurait pu s’offrir. Et où allait bientôt se dérouler une conférence sur les différentes techniques de mouvements horlogers. Et, où une foule à la distinction guindée un verre de champagne à la main échangeait son admiration. Le conférencier, Monsieur Muchenbauman, un esthète du temps qui passe, après s’être brièvement présenté se lança dans ses explications. Et, je dois vous le dire, j’étais fier de mon petit groupe. J’avais eu peur un instant de leurs réactions et comportements, que je trouvais certaines fois particulièrement déjantés et farfelues. Mais non ! Ils restaient tous pantois, immobiles, silencieux devant ce personnage aux explications merveilleusement détaillées. Meskerem avait cessé de ronger son os de gigot d’agneau qu’elle laissait pendre au bout de sa main gauche, les babines rougeoyantes de sang et les yeux largement ouverts. Fanny se maintenait dans une stricte immobilité. Anne les yeux rougies de chagrin avait cessé de renifler sa tristesse et Stan en oubliait même de se repoudrer le nez. Quand à Manu et Mousse ils semblaient subjugués par le sujet Puis la conférence se termina. Un silence complet régna pendant au moins une bonne minute, le sujet avait été traité avec un tel brio que toutes manifestations de véhémences restaient comme suspendues dans les airs. Seul, au loin, on entendait Barahm chanter à vive voix, son ébriété et son bonheur. Puis ce fut un déchainement d’applaudissement où chacun démontra bruyamment sa reconnaissance. Monsieur Muchenbauman, le sourire aux lèvres nous fit un petit signe d’acceptation en nous indiquant qu’il voulait encore ajouter quelque chose : -Merci, je suis heureux d’avoir su vous intéresser sur ce sujet ardu. Auriez-vous, par hasard, des questions à me poser ? Un petit peu, comme dans une salle de classe une foultitude de mains se leva, empressées de quémander un détail supplémentaire. C’est alors que je remarquais Ya Ko Line qui armée de son appareil photo figeait chaque modèle de montre avec précision. Monsieur Muchenbauman, un peu agacé par ce comportement inapproprié lui fit une remarque. -Mais, répondit notre petite Chinoise, c’est pour les envoyer à mon oncle Choung de Péking, il m’a dit qu’il voulait étoffer son catalogue de fabrication. Furieux Muchenbauman, arracha l’appareil des mains de Ya Ko Line, le jeta à terre pour le piétiner de frappes sûres. J’entendis Mousse grogner à mes côtés. Je tapotais son flanc de ma main pour le calmer et lui glissait dans l’oreille que notre hôte n’avait peut-être pas tout à fait tort. Heureusement Manu lança sa question qui nous fit bien rire et dérida l’atmosphère qui soudainement était devenue pesante: -Est-ce qu’il existe des montres en hexadécimal ? Puis Stan, dans un battement de sourcils, ajouta qu’elle aimait particulièrement les montres fabriquées par Joël Brugman. -Oh vraiment, répondit Muchenbauman, troublé par les œillades, moi aussi j’aime les fabrications de J.B. Oh non pas ça me dis-je. Anne qui avait eu jusqu’à présent, presque le sourire, dans la surprise générale, fondit en larmes en hurlant sa détresse. Elle s’écroula sur ses genoux, et ses deux poings fermés martelèrent le sol à l’instant même où Muchenbauman nous faisait admirer une montre à la forme de fleur qui à son tour fit réagir Fanny qui partit dans sa cavalcade de démonstration. Manu immédiatement entreprit son comptage bruyant et la foule apeurée déguerpie en désordre. Les videurs pensant être en présence d’un braquage arrivèrent en courant, trois musclors de presque deux mètres qui firent saliver Mousse qui s’engagea, les poings serrés, à leur montrer de quel bois il se chauffait. Meskerem les dents en avant s’accrocha au tibia d’un des costauds qu’elle mordit avec conviction. Barahm titubant, arriva avec deux bouteilles perchées haut dans le ciel pour mater cette vindicte. Peu courageux, je me cachai sous une table où j’eu la surprise de retrouver Stan qui peaufinait son vernis à ongle… Un mois plus tard… C’était l’un de ces jours heureux où j’avais très envie de partager ma joie Alors je pris mon téléphone à la main et entrepris de contacter quelques amis : -Allo Amarildo ? -Oui, bonjour, c’est bien moi Je souris, sa voix semblait également heureuse, détendue, il m’avait certainement pardonné cette petite rixe insignifiante causée par mon groupe. -Quel plaisir de t’entendre, c’est moi Pierre. Tut tut tut tut….. Vive le body combat. |