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Chroniques du body combat 31

Gambettes

Une fois de plus c’était de la faute à Manu.
Aucun tact, aucune retenue.
A cause de lui….

 
Dans un joli petit appartement de Genève sobrement décoré.
Dans la salle de séjour, trône dans un coin un tabernacle Bouddhiste où une multitude de bougies allumées diffusent une odeur sacrée et envoutante.
Sur une petite table une tasse de thé au jasmin laisse échapper des volutes fantomatiques qui virevoltent au-dessus d’un bol de riz gluant.
Au beau milieu de la pièce trône un large tonneau en bois de chêne.
Sur un mur, un immense miroir fait face à l’unique fenêtre, à côté de lui, oh surprise, le poster de Mao Zedong a été remplacé par cette fameuse photo de Marlène Dietrich où on l’a voit assise en tenue aguicheuse, portant des bas résilles au beau milieu d’une troupe de cabaret.
Soudain, une main alerte passe l’entrebâillement de la porte, un doigt éteint la lumière, tandis qu’aussitôt un autre allume un spot à la lumière rougeâtre qui donne à l’endroit un  air mystérieux.
La voix rauque de Marlène se met à entonner une chanson tirée de « L’ange bleu »…

Chaque soir Ya Ko Line procède à la même routine.
Elle entre dans la pièce habillée d’un juste au corps noir, les jambes galbées dans des bas-résilles rehaussées par des chaussures aux talons exagérés. Sur sa tête, elle porte un chapeau haut de forme et son maquillage parfaitement marqué, vampirise son teint Asiatique.
Sa démarche onduleuse la mène jusqu’à ce siège improvisé ou elle s’assoit. Puis elle lève sa jambe droite partiellement repliée, la retient de l’une de ses mains et lance un regard sulfureux en direction du reflet de son miroir.
« Tchintchon cékikécanon ! », dit-elle dans un dialecte de la Chine du Sud-est. Cette expression peut littéralement se traduire par « Qui est la plus belle ! ».

Puis elle oscille ses gambettes en alternance, offrant ainsi leurs galbes parfaits à l’acceptation de leurs évidences.

 
 

Sur les hauteurs de Ferney. Dans cette maison au jardin à l’herbe haute.
Un silence total entoure la demeure et même les hiboux, particulièrement volubiles en cette saison, préfèrent se taire.
Tout monde a peur.
Il est vrai que trois belligérant Congolais de la région ont récemment disparu et que ce lieu étrange n’y est pas tout à fait étranger.
Dans la cuisine éclairée par une torche fumante, autour d’un grand feu allumé en plein milieu de l’endroit, Meskerem habillée d’un body-suit moulant, discute avec le sorcier de sa tribu.
« Jeveukelegransiflèaimeméjambe ! ». Dit-elle dans son langage si compliqué.
Le grand Manitou hoche de la tête, et plonge des morceaux de trois quartiers de viande d’origine facilement décelable dans la grande marmite en fonte ou surnagent déjà trois cervelles fraichement découpées.
Puis, il se met à danser autour du bouillon fumant en blasphémant une cantine païenne.
Meskerem ingurgite une tasse d’un breuvage aux couleurs olive.
Ses yeux se révulsent.
Elle se jette à terre et commence à se convulser dans des soubresauts ensorcelés.

Son calme revenu, couverte d’une sueur poisseuse, elle se repose enfin immobile et totalement détendue.
Son acolyte, sans ressentir la moindre souffrance, trempe l’une de ses mains dans la soupe frémissante pour en ressortir une pate brunâtre qu’il se met à enduire sur les jambes de sa patiente.
« sadevrètétaniségransiflè ». Dit-il confiant.

 

 

Au quartier des Pâquis.
Un jour de semaine, dans un club très particulier et peu fréquenté en cette heure tardive.
Mademoiselle Linette, dans le plus simple appareil, attend avec impatience son moment favori.
Autour d’elle, un groupe d’hommes en position d’excitation non contestable attendent le début des festivités.
La salle est plutôt calme, sereine, tranquille.
Seul, le bruit de verres que l’on range émane du bar où un préposé s’affaire à de derniers rangements.
Soudain !
Mademoiselle Linette se met à vociférer :
-Quoi ! Trop courtes, trop grosses. Mais vous n’avez rien d’autres de plus intelligent à répondre à ma question ?
Les étalons baissent la tête, honteux, et leur virilité perd la totalité de leur énergie.
L’un d’entre eux grommèle :
-J’vous avais dit qu’il fallait lui mentir. Fallait lui dire qu’elles sont longues, élancées, fuselées !
Mademoiselle Linette, promptement empoigne les habits qu’elle avait enlevé à la hâte, se rhabille et part en claquant la porte.
-Bein voilà les gars, continue le même personnage, à cause de vos remarques désobligeantes, maintenant, on reste entre hommes. Il ne nous reste plus qu’à aller faire la chaine du bonheur sous les douches…

 

 

La larme à l’œil, elle se penche une fois de plus sur une jolie feuille de papier gaufré, bordée d’une avenante corole de lys.
Sa main fébrile trempe sa plume dans une encre bleu ciel et, lentement, elle se met à écrire.

Mon Amour
Que de temps écoulé sans aucune de tes nouvelles, sans aucune de tes réponses.
Mon cœur, chagrin de mon âme brisée, martèle chacun de ses coups pour supplier ta délicatesse. Chaque jour une fleur aux pétales écarlates se fane dans l’attente de ton sourire.
Combien de saisons faudra-t-il ?
Languissantes.
Pour retrouver le printemps de ta bienveillance, l’aura d’un bonheur perdu qui me taraude si fort, éternel douleur de chacun de mes souffles, calvaire d’afflictions qui marque mon visage, misère de ma lointaine pétulance où mon énergie s’exprimait à tes côtés.
Je crie, je m’époumone de ma pensé chancelante qui vacille, frêle esquif d’un désert de souffrance, altération de ce qui pour moi est une évidence.
Notre bonheur.
Ensemble.
L’un contre l’autre.
Perception unique de l’éternelle béatitude, où l’euphorie et la félicité nous baigneraient enfin de son aura jouissif.
Oui.
Crois-moi.
Je te le jure.
Mon J.B., tu es mien autant que je suis tienne et n’ai aucun doute. Notre existence n’a qu’un seul but, une seule vocation.
La symbiose évidente et éternelle de nos êtres…

Ps : Pourrais-tu répondre à cette question qui depuis quelques temps me taraude. Trouves-tu que j’ai de jolies jambes ?

Signée : Anne ta bienaimée.

 
Revenons quinze jours en arrière.
Un mardi comme on les aime.
Une partie de notre groupe de body combat s’était retrouvée à la Gioconda.
Il y avait les  cinq  filles, Manu et moi-même.  
Tout allait bien jusqu’à ce que Manu sorte une remarque :
-Stan, tu as des jambes magnifiques.
La remarque n’était pas fausse, Stan savait d’ailleurs les mettre en valeur. Elle portait invariablement des tenues extrêmement courtes et des chaussures à haut talons embellissaient le galbe de ses mollets en cambrant à l’excès la stature de ses pieds.
L’espace d’un instant, Stan sembla gênée, puis elle éclata de rire en se moquant de cette remarque tandis que nos autres comparses, au contraire, restaient muettes et pinçaient leurs lèvres de jalousie.
Je réagissais en houspillant Manu sur la bonne façon de se comporter devant des dames et lui expliquait avec véhémence son manque de tact et de pudeur.

 

On était mardi soir.
Il y avait une sorte d’euphorie admirative devant la salle de body combat.
Tous les hommes étaient là, à siffler et manifester leurs admirations.

Nos cinq amies étaient arrivées dans des tenues particulièrement séduisantes, qui mettaient leurs jambes en valeur, de façon évidemment ostentatoire.
Il y avait d’abord Ya Ko Line en bas résille.
Meskerem avec ses gambettes recouvertes d’une crème brunâtre.
Mademoiselle Linette  qui les avaient serrées dans des collant certainement beaucoup trop étroits et Anne au grand sourire, nous tendait une missive provenant de Jean-Baptiste, écrite sur un morceau de « post-it », qui donnait une réponse positive à sa question.
Et puis Stan était là, bien entendu, dans son évidence habituelle.

Manu, à côté d’elles, ne sachant où poser son regard, les yeux révulsés de bonheur ne savait que dire.
Son manque de salive, certainement dû à l’émotion, lui interdisait de donner une réponse immédiate à la question que toutes, lui avaient posée.
Puis, elle sortit soudain, gage de bon sens, de sagesse et de conciliation :
-Oui ! Dit-il. Vous avez toutes… Il fit durer le suspense l’espace d’un instant. De superbes et magnifiques jambes !

 

Vive le body combat.

 



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