Gambettes
Une fois de plus
c’était de la faute à Manu.
Aucun tact, aucune retenue.
A cause de lui….
Dans un joli petit appartement de Genève sobrement
décoré.
Dans la salle de séjour, trône dans un coin un
tabernacle Bouddhiste où une
multitude de bougies allumées diffusent une odeur
sacrée et envoutante.
Sur une petite table une tasse de thé au jasmin laisse
échapper des volutes
fantomatiques qui virevoltent au-dessus d’un bol de riz
gluant.
Au beau milieu de la pièce trône un large tonneau
en bois de chêne.
Sur un mur, un immense miroir fait face à l’unique
fenêtre, à côté de lui, oh
surprise, le poster de Mao Zedong a été
remplacé par cette fameuse photo de
Marlène Dietrich où on l’a voit assise
en tenue aguicheuse, portant des bas
résilles au beau milieu d’une troupe de cabaret.
Soudain, une main alerte passe l’entrebâillement de
la porte, un doigt éteint
la lumière, tandis qu’aussitôt un autre
allume un spot à la lumière rougeâtre
qui donne à l’endroit un
air mystérieux.
La voix rauque de Marlène se met à entonner une
chanson tirée de « L’ange
bleu »…
Chaque soir Ya Ko Line procède à la
même routine.
Elle entre dans la pièce habillée d’un
juste au corps noir, les jambes galbées
dans des bas-résilles rehaussées par des
chaussures aux talons exagérés. Sur sa
tête, elle porte un chapeau haut de forme et son maquillage
parfaitement
marqué, vampirise son teint Asiatique.
Sa démarche onduleuse la mène
jusqu’à ce siège improvisé
ou elle s’assoit. Puis
elle lève sa jambe droite partiellement repliée,
la retient de l’une de ses
mains et lance un regard sulfureux en direction du reflet de son miroir.
« Tchintchon
cékikécanon ! »,
dit-elle dans un dialecte de la
Chine du Sud-est. Cette expression peut littéralement se
traduire par
« Qui est la plus
belle ! ».
Puis elle oscille ses gambettes
en alternance, offrant ainsi
leurs galbes parfaits à l’acceptation de leurs
évidences.
Sur les hauteurs de Ferney.
Dans cette maison au jardin à
l’herbe haute.
Un silence total entoure la demeure et même les hiboux,
particulièrement
volubiles en cette saison, préfèrent se taire.
Tout monde a peur.
Il est vrai que trois belligérant Congolais de la
région ont récemment disparu
et que ce lieu étrange n’y est pas tout
à fait étranger.
Dans la cuisine éclairée par une torche fumante,
autour d’un grand feu allumé
en plein milieu de l’endroit, Meskerem habillée
d’un body-suit moulant, discute
avec le sorcier de sa tribu.
« Jeveukelegransiflèaimeméjambe ! ».
Dit-elle dans son langage
si compliqué.
Le grand Manitou hoche de la tête, et plonge des morceaux de
trois quartiers de
viande d’origine facilement décelable dans la
grande marmite en fonte ou
surnagent déjà trois cervelles fraichement
découpées.
Puis, il se met à danser autour du bouillon fumant en
blasphémant une cantine
païenne.
Meskerem ingurgite une tasse d’un breuvage aux couleurs olive.
Ses yeux se révulsent.
Elle se jette à terre et commence à se convulser
dans des soubresauts
ensorcelés.
Son calme revenu, couverte
d’une sueur poisseuse, elle se repose
enfin immobile et totalement détendue.
Son acolyte, sans ressentir la moindre souffrance, trempe
l’une de ses mains
dans la soupe frémissante pour en ressortir une pate
brunâtre qu’il se met à
enduire sur les jambes de sa patiente.
« sadevrètétaniségransiflè ».
Dit-il confiant.
Au quartier des
Pâquis.
Un jour de semaine, dans un club très particulier et peu
fréquenté en cette
heure tardive.
Mademoiselle Linette, dans le plus simple appareil, attend avec
impatience son
moment favori.
Autour d’elle, un groupe d’hommes en position
d’excitation non contestable
attendent le début des festivités.
La salle est plutôt calme, sereine, tranquille.
Seul, le bruit de verres que l’on range émane du
bar où un préposé s’affaire
à
de derniers rangements.
Soudain !
Mademoiselle Linette se met à vociférer :
-Quoi ! Trop courtes, trop grosses. Mais vous n’avez
rien d’autres de plus
intelligent à répondre à ma
question ?
Les étalons baissent la tête, honteux, et leur
virilité perd la totalité de
leur énergie.
L’un d’entre eux grommèle :
-J’vous avais dit qu’il fallait lui mentir. Fallait
lui dire qu’elles sont
longues, élancées, fuselées !
Mademoiselle Linette, promptement empoigne les habits qu’elle
avait enlevé à la
hâte, se rhabille et part en claquant la porte.
-Bein voilà les gars, continue le même personnage,
à cause de vos remarques
désobligeantes, maintenant, on reste entre hommes. Il ne
nous reste plus qu’à aller
faire la chaine du bonheur sous les douches…
La larme à
l’œil, elle se penche une fois de plus sur une
jolie
feuille de papier gaufré, bordée d’une
avenante corole de lys.
Sa main fébrile trempe sa plume dans une encre bleu ciel et,
lentement, elle se
met à écrire.
Mon Amour
Que de temps écoulé sans aucune de tes nouvelles,
sans aucune de tes réponses.
Mon cœur, chagrin de mon âme brisée,
martèle chacun de ses coups pour supplier
ta délicatesse. Chaque jour une fleur aux pétales
écarlates se fane dans l’attente
de ton sourire.
Combien de saisons faudra-t-il ?
Languissantes.
Pour retrouver le printemps de ta bienveillance, l’aura
d’un bonheur perdu qui
me taraude si fort, éternel douleur de chacun de mes
souffles, calvaire
d’afflictions qui marque mon visage, misère de ma
lointaine pétulance où mon
énergie s’exprimait à tes
côtés.
Je crie, je m’époumone de ma pensé
chancelante qui vacille, frêle esquif d’un
désert de souffrance, altération de ce qui pour
moi est une évidence.
Notre bonheur.
Ensemble.
L’un contre l’autre.
Perception unique de l’éternelle
béatitude, où l’euphorie et la
félicité nous
baigneraient enfin de son aura jouissif.
Oui.
Crois-moi.
Je te le jure.
Mon J.B., tu es mien autant que je suis tienne et n’ai aucun
doute. Notre
existence n’a qu’un seul but, une seule vocation.
La symbiose évidente et éternelle de nos
êtres…
Ps : Pourrais-tu
répondre à cette question qui depuis
quelques temps me taraude. Trouves-tu que j’ai de jolies
jambes ?
Signée :
Anne ta bienaimée.
Revenons quinze jours en arrière.
Un mardi comme on les aime.
Une partie de notre groupe de body combat s’était
retrouvée à la Gioconda.
Il y avait les cinq filles, Manu et
moi-même.
Tout allait bien jusqu’à ce que Manu sorte une
remarque :
-Stan, tu as des jambes magnifiques.
La remarque n’était pas fausse, Stan savait
d’ailleurs les mettre en valeur.
Elle portait invariablement des tenues extrêmement courtes et
des chaussures à
haut talons embellissaient le galbe de ses mollets en cambrant
à l’excès la
stature de ses pieds.
L’espace d’un instant, Stan sembla
gênée, puis elle éclata de rire en se
moquant
de cette remarque tandis que nos autres comparses, au contraire,
restaient
muettes et pinçaient leurs lèvres de jalousie.
Je réagissais en houspillant Manu sur la bonne
façon de se comporter devant des
dames et lui expliquait avec véhémence son manque
de tact et de pudeur.
On était mardi soir.
Il y avait une sorte d’euphorie admirative devant la salle de
body combat.
Tous les hommes étaient là, à siffler
et manifester leurs admirations.
Nos cinq amies
étaient arrivées dans des tenues
particulièrement
séduisantes, qui mettaient leurs jambes en valeur, de
façon évidemment ostentatoire.
Il y avait d’abord Ya Ko Line en bas résille.
Meskerem avec ses gambettes recouvertes d’une
crème brunâtre.
Mademoiselle Linette qui
les avaient
serrées dans des collant certainement beaucoup trop
étroits et Anne au grand
sourire, nous tendait une missive provenant de Jean-Baptiste,
écrite sur un
morceau de « post-it », qui
donnait une réponse positive à sa
question.
Et puis Stan était là, bien entendu, dans son
évidence habituelle.
Manu, à
côté d’elles, ne sachant où
poser son regard, les
yeux révulsés de bonheur ne savait que dire.
Son manque de salive, certainement dû à
l’émotion, lui interdisait de donner
une réponse immédiate à la question
que toutes, lui avaient posée.
Puis, elle sortit soudain, gage de bon sens, de sagesse et de
conciliation :
-Oui ! Dit-il. Vous avez toutes… Il fit durer le
suspense l’espace d’un
instant. De superbes et magnifiques jambes !
Vive le body combat.