Chronique du body combat 49
Le Marabout
C’était un
mardi soir en rentrant de
« l’after »
de notre cours de body combat.
Manu à côté de moi sur la route qui
nous conduisait à Gex, avait l’air songeur.
Il restait les yeux dans le vague, avait rangé son
téléphone dans sa poche, ce
même téléphone qu’il avait
l’habitude de ne pas quitter des yeux.
-Quelque chose qui ne va pas
Manu ?
-Eh bien oui ! Je pense que je suis la seule personne normale
de notre
groupe !
Je souris du coin des lèvres car
l’originalité de Manu était
spéciale et
légendaire.
-Pierre ! Continua-t-il. Toi, par exemple, malgré
ton grand âge, tu as un
comportement de gamin, tu fais des blagues complètement
nulles, tu fais
honte !
Je pinçais mes lèvres en pensant aux
bêtises que je faisais et disais et je me
mis à penser qu’il n’avait
peut-être pas tort.
Puis, Manu continua en décrivant les problèmes de
chacun d’entre nous.
Je fus étonné par ses propos, car en fait je
n’avais rien remarqué d’anormal
chez mes camarades sportifs voyant en eux une personnalité
exemplaire et
idéale…
On était mardi
soir !
Après
l’allégresse du cours donné avec brio
par notre
sublime naïade Aïda, nous étions sur le
chemin de la Gioconda.
Arrivés tous en même temps au parking, je
profitais de ce regroupement pour observer
chacun, avec plus d’attention et voir si les propos de Manu
étaient vraiment
justifiés.
Je me mis donc en arrière les laissant vaquer quelques pas
devant moi.
Stan avançait en sautillant sur son pied gauche, tandis
qu’elle appliquait du
vernis, d’une main alerte sur les orteils de son pied droit
qu’elle avait par
d’habiles contorsions , réussi
à positionner juste au bon endroit, à moins
de trente centimètres de sa figure.
Mademoiselle Lapinou marchait lentement en portant un lourd objet que
je ne
reconnus pas tout de suite.
Bahram qui se tenait à ses côtés tout
en embrassant sa batterie bien aimé, lui
demanda :
-But Missize Lapinou, wat titiz that your porté in your hand ?
Férue de langue étrangère, elle
comprit la question et lui répondit tout de
go :
-C’est une tétine géante, je dois
m’entrainer, car vendredi soir c’est la
soirée Rocco !
Meskerem en pleine
régression tribale gambadait à quatre
pattes, reniflant chaque fourré. Pour bientôt
trouver une carcasse de chat
qu’elle se dépêcha de
dévorer :
-Sapalegoudecongolaimècébonkanmême !
Murmura-t-elle.
Pamela mimait la brasse
coulée, son pull rouge déformé par
deux ballons gonflés à
l’hélium.
Accroché derrière elle, un long flotteur
déambulait sur l’asphalte.
« Mich, mich ! Se mit elle à
crier.
Sa sœur La précédait la tête
penchée en avant. Elle avait autour du cou, un
collier de cuire clouté qui retenait une énorme
cloche aux dissonances
agressives. Sa sœur nous avait expliqué, que
c’était sa dernière coquetterie
depuis leur rencontre campagnarde avec une transhumance.
Yakoline avait les jambes et
bras emmaillotés par des
montres Rolex fabriquées par son oncle Chong. Pour elle,
chaque mardi soir à la
Gioconda signifiait jour de vente, elle avait l’habitude de
se balader entre
les tables, l’air de rien et réussissait sans coup
férir à se débarrasser de la
plupart de ses ornements.
Aïda, comme
à son habitude, le goulot en l’air, se
délectait
de sa bouteille de gros rouge, essuyant sa bouche du revers de son
bras, après
chacune de ses goulées.
Anne
débarrassée de sa rivale la grande sauterelle qui
manifestement avait trouvé plus beau que Jean-Baptiste, tout
en regardant la
photo de son idylle et reniflant la paire de chaussettes sales
qu’elle lui
avait volé, murmurait des incantations qui,
paraît-il étaient d’un meilleur
effet qu’un filtre d’amour.
La grande Sauterelle, quant
à elle, tout sourire parlait à
ses trois téléphones en même temps et
gazouillait à chacun des notes de
musique :
-Fa sol, La do, si ré, mi do, ré mi…
Seul Manu, avait la
démarche élégante, le costume
impeccable
et fermait majestueusement la marche.
Dans le restaurant, tous assis
autour d’une grande table, je
pensais aux remarques que m’avaient faites Manu et me dis
qu’il avait vu juste,
que nos comportements n’avaient rien à faire avec
la normalité et qu’il était
le seul à se targuer d’un comportement
adéquat.
D’ailleurs Manu me
semblait aujourd’hui particulièrement
heureux, posé, serein. Il se tenait bien droit sur sa
chaise, sirotait
délicatement sa bière. Ne disait rien,
écoutant avec un large sourire les
babillages féminins.
Quand soudain.
Profitant d’un rare moment de silence il se mit à
compter, l’air fier, en
s’accompagnant de deux de ses doigts qui tapotaient la
table :
-Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze,
douze…
Devant nos yeux
ébahis il déroula son savoir, animé
d’une
quiétude époustouflante...
Plus tard dans la voiture il
m’avoua qu’il avait un secret
qui lui avait permis cet exploit et qu’il le partagerait avec
nous tous pour
qu’enfin nous puissions devenir normaux.
Ce mardi soir nous
étions tous devant la salle de body
combat à attendre que le précédent
cours se termine, quand Manu arriva
accompagné d’un gros homme noir, à la
robe chamarrée, au petit bonnet parfaitement
ajusté sur la tête.
Un instant j’eus peur, jetai un regard vers Meskerem, qui me
rassura
immédiatement :
-Cenèpazunbongrocongolaissacésur !
Manu nous le
présenta :
-Mes amis, voici Monsieur Oungoudopou Traoré, grand marabout
de la tribu des
Koushcougas de centre Afrique. Il vient d’arriver dans notre
pays, ne parle pas
encore très bien le Français et a
réussi en un rien de temps à me guérir
de mon
terrible problème.
-Comment a-t ’il fait ça demanda Stan,
ça fait dix ans que j’essaye sans le
moindre succès !
-Il m’a donné un grand coup derrière la
tête, j’ai senti mon cerveau osciller, puis,
un bruit de ferraille et voilà, j’avais les
idées claires.
L’Africain se mit à rigoler de sa grosse voix de
baryton, ce qui fit remuer son
énorme ventre qui émit des gargouillis suivis
d’effroyables pétulances :
-Moi y’en a guérrirrrrr homme blanc dit-il, toi
regardé prospectus, tout
marqué, lis, toi ! Dit-il en tendant le papier
à Braham qui en fit
une traduction instantanée :
- I am e gran marabout. Very good for beaucoup tings. I soigne the
cœur for
love to revient quick, stop thi alcool, change manging bad food, cure
sexual
bad habitude, teach how to nage, teach les langues, calm girl qui jump
avec
rouge the lips, and read the petite red book !
On était tous
très impressionnés, ses propositions
correspondaient exactement à nos petits soucis alors, vite
nous primes chacun
un rendez-vous. Monsieur Oungoudopou se frotta les mains remercia Manu,
puis
s’en alla nous laissant à notre entrainement qui
se déroula à merveille, ce
soir-là.
On était mardi soir.
Bonheur, jubilation, extase, allégresse, exultation.
J’arrivais au cours
de body combat en me demandant si le
grand Marabout avait réussi à soigner mes
acolytes.
Ils étaient déjà tous là
à attendre.
Celle qui me surpris le plus
était mademoiselle Lapidou.
Elle était habillée d’une grande robe
noire, sa tête recouverte d’un long fichu
blanc, portait un chapelet entouré autour de ses mains
qu’elle égrenait avec
deux de ses doigts habiles.
Les lèvres pincées, elle récitait une
série de « Je vous salue
Marie ».
Stan.
Calme, placide, presque endormie était assise parterre les
jambes étalées
devant elle. Son visage semblait éteint, amorphe et sans le
moindre maquillage.
Ses bras se levèrent lentement et oscillèrent
nonchalamment au-dessus de sa
tête, naviguant au ralenti, mémoire certaine de
ses teufs passées.
Aïda en jupette
courte, portant des chaussettes blanches
montantes, une chemisette rose, se versait un grand verre
d’eau qu’elle se mit
à déguster, le petit doigt en l’air,
avec délectation.
Barham lisait
l’Herald tribune en parlant en alternance, dans
un parfait Anglais, avec un groupe d’Américain
très intéressé par sa batterie
nouvelle génération.
Ya Ko Line avait
troqué le livre de son Thimonnier par celui
de Marx et n’avait rien à vendre.
Anne avait effacé
son tatouage J.B. et semblait radieuse et souriante,
jusqu’à l’instant où son
regard se porta sur Aïda.
Elle eut alors un petit rictus d’envi, son œil
droit papillonna d’un désir
inassouvi.
Elle dessina un cœur sur un bout de papier
accompagné de son numéro de
téléphone et le tendit à notre coach
bien aimée avec un soupir de convoitise.
Meskerem m’affirma
qu’elle était maintenant
végétarienne et
ouvrant largement la bouche me fit admirer sa nouvelle bouche en
m’expliquant
qu’elle s’était fait arracher toutes ses
molaires et canines pour ne garder que
ses incisives.
Puis, elle allia le geste à la parole en grignotant, avec
avidité, une jolie
carotte.
Pamela portait une robe du
dix-neuvième siècle, tenait une
serpette à la main et parlait de bientôt acheter
une petite maison dans la
prairie. Par contre sa sœur n’avait pas
changée, elle portait deux fers à
cheval autour des poignets et tenait une enclume en
équilibre sur sa tête.
Mon front était
humide, ma gorge sèche.
Mais où avais-je mis mes bouchons d’oreilles.
Fallait-il que je le supporte encore longtemps.
Manu se trouvait à mes côtés hurlant
ses chiffres à perdre haleine :
-Pierre, tu vois je sais compter jusqu’à quarante
millions, jusqu’à quarante et
un million, jusqu’à quarante-deux
millions…
Puis, j’ouvris grand
les yeux.
Mon réveil c’était lui qui par sa
sonnerie retentissante, venait de me sauver,
de m’extirper de ce terrible et avilissant cauchemar.
Je réalisai soudain que toute cette histoire
n’était, en fait, qu’un mauvais
rêve, une chimère atroce de mes pensées.
Alors, je me mis à
rire, à m’étourdir d’une
béatitude de
contentement.
A exulter enfin de ce bonheur évident.
Qui est celui.
De tous.
Vous apprécier et vous connaitre…
Vive le body combat.