Voyage à Florence
C’était la troisième fois qu’elle se rendait à Florence, unique moyen pour elle de se rapprocher de son amour. Comme à son habitude, après avoir pris une multitude de photos, elle allait s’asseoir dans un coin de la Place de la Seigneurie. Un petit peu en hauteur, pour avoir une vue parfaite sur le rêve de ses pensées et elle restait là, sans rien dire, les yeux baignés d’une brume de langueur, son âme se mettait lentement à divaguer vers cette jouissante présence, touchant un instant l’ultime bonheur… On était mardi soir, et oui, vous le savez maintenant, c’est le soir du Body combat. Un moment magique, une véritable communion pour notre petit groupe de sportif. Anne était là, en tenue, avec ce petit calepin photographique vert, qu’elle caressait tendrement. Elle ne disait rien, écoutait d’une oreille peu attentive les explications de Stan qui lui démontrait les bienfaits de son nouveau vernis à ongle. Au fait je ne vous ai jamais présenté Anne. Je la connais depuis quelques années, elle suivait de temps en temps les cours de notre ancien coach Dominique, et puis plus tard, avec grande assiduité ceux du beau, du sublime Jean Baptiste et subitement, elle avait disparu, comme la plupart des filles d’ailleurs, lors de l’arrivée de Fanny qui était notre coach actuel et qui avait remplacé le beau, très beau Jean-Baptiste. Depuis le début de cette période, elle n’apparaissait que sporadiquement, attendait l’air presque joyeux le début du cours et s’en allait en pleurs lorsque Fanny arrivait. Etait-elle dérangée par les adjonctions bizarres de notre entraineur ? Par Manu qui invariablement tonitruait son engagement d’une façon démesurée ? Par Mousse qui baladait ses biceps surdéveloppés ou Ya Ko Line qui brandissait son petit bouquin rouge moralisateur. Je ne sais pas. Ce qui m’intriguait le plus, c’était ce petit album de photos souvenirs qu’elle agrippait amoureusement lové sur son cœur. Quels souvenirs pouvait-il bien contenir ? Alors ce soir j’avais décidé d’en savoir un peu plus sur ce mystère : -Bonjour Anne, tout va bien ? Elle me regarda avec des yeux qui déroulaient une tristesse infinie, me fit ressentir un émoi qui me transperça, me glaça d’inconstances et me fit frissonner d’inquiétude. -Oui ! Répondit-elle de cette petite voix qui voulait me rassurer, mais qui portait en elle, toute la misère du monde. Fallait-il que j’insiste, que j’aille toucher cette douleur immense qui semblait la submerger. Je décidais de m’engager directement sur ce détail qui m’intriguait plus particulièrement : -« Il est joli. ».Par incertitude je fis languir la fin de ma question. Puis continuai. « Ce petit livre que tu portes » Un réflexe fit qu’elle l’écrasa encore un plus fort contre sa poitrine. Comme si elle avait peur que je le dérobe. Puis, elle jeta une multitude de regards qui oscillèrent entre sa possession et mes yeux. Et. D’un petit ton fragile elle m’avoua : -J’ai, la dedans toute ma vie, tous mes espoirs. Vert c’est la couleur de l’espérance ! M’explique-t-elle. Je voulais continuer cette conversation, pour en savoir un peu plus quand j’entendis Fanny qui nous disait : -Allez les Body combattants, c’est l’heure du café au lait ! Elle éclata en sanglots et comme à son habitude, Anne prit ses jambes à son cou pour disparaître de notre vue. Les hasards de la vie sont bien étranges. Un soir, j’avais dit à Manu de me retrouver à « La Gioconda » pour boire une bière. En arrivant dans ce troquet, j’aperçu Anne qui tout en regardant sa montre, s’en allait en vitesse en appelant un taxi qui passait dans la rue. Je m’assis à une table pour y trouver, à ma grande surprise, ce petit calepin vert qui y avait été oublié. Oui, vous l’avez compris c’était bien celui de notre amie. Je regardais autour de moi avec cette expression de gêne que l’on jette quand on s’apprête à réaliser une action immorale. Puis, ne me voyant pas observé, je pris le petit livre en mains. Il avait une couverture faite de cuir en peau de serpent, semblait luxueux avec ses dorures sur le côté. Une succession de petits cœurs y étaient dessinés. Lentement, je l’ouvris à la première page qui indiquait « Voyage à Florence à la rencontre du bonheur ». Je m’attendais à voir des photos du pont Vecchio, du palais des Medicis, de la galerie des offices. Il n’en était rien, il n’y avait que des détails d’une statue d’un homme. De son torse, de ses bras, de ses jambes, de son… Je ne reconnue pas tout de suite de quelle œuvre il s’agissait. C’est en feuilletant les pages, que le mystère s’éclaircit soudain quand, un poème apparut devant mes yeux ébahis. « A Jean-Baptiste. Tu baignes mes pensées d’un avenir de roses. Quand, sur toi, tendrement, mon regard se pose. Cette statue de marbre, reflet de ta beauté fatidique. Evoque en moi, l’absolutisme de ton aura magique. Je me rapproche ainsi de notre amour égaré. Qui, pour toujours, restera mon unique pensée. L’espoir qu’enfin le destin décide de nous réunir. Vers l’infinie symbiose d’un fatidique plaisir. » La page était souillée de perles de larmes, qui avaient par leur abondance déformées le papier. Après avoir tourné cet ultime feuillet d’un doigt tremblant de l’émotion que ce magnifique pamphlet m’avait octroyé, je compris la finalité de cette émouvante histoire. En son beau milieu y trônait une magnifique photo. Celle du David de Michel-Ange… Vive le body combat |