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13/07/2013

Chez le libraire

Je me retrouvai ce petit matin de septembre, seul, tremblant de honte, dans la petite librairie de Gex. Un de mes amis, écrivain de grand talent, m'avait le jour précédent indiqué qu'un article élogieux à son sujet venait d'être publié dans la presse nationale. Jusque-là tout semblerait normal, mais quelle ne fut pas ma surprise empreinte d'indignation, quand il me révéla le titre du magazine où avait paru le texte qui vantait ses ouvrages.
Je tendis donc, tant bien que mal cette revue au libraire qui, me toisant d'un regard empli de dégoût m'envoya d'un ton sec.
-Trois Euros!
Une petite grand-mère qui se tenait à côté de moi chuchota quelques mots à l'oreille de sa voisine.
-Y'en a qui manquent pas de toupet! Vraiment écœurant!!!
Je ne demandai pas mon reste et l'objet de mon délit à la main je me précipitai ventre à terre dans la petite rue discrète qui m'emmenait directement à mon logis. Je cachai le périodique dans un recoin de mon ample imperméable noir, enfonçai mon grand chapeau de toile jusqu'aux oreilles et n'espérai qu'une seule chose, ne pas être reconnu...
Quelques cheminots, le béret accroché au sommet de leur tête m'envoyèrent des regards que j'oserais qualifier de "Prolétaire", deux femmes de mauvaise-vie qui traînaient encore, abritées par la pénombre qui régnait en cette heure matinale, m'invectivèrent de leurs sarcasmes.
-Alors mon gars, pour t'amuser, faudrait mieux qu'tu viennes nous voir!
Enfin j'arrivai à mon appartement, épuisé et couvert d'une transpiration que l'angoisse m'avait dispensée.
Sans un bruit, de peur d'éveiller ma compagne, je me dirigeai dans ce petit local qui me servait de bureau. Même enfermé à double tours, je ne me sentis pas totalement en sécurité.
Une lampe de poche à la main, je me rapprochai du coin le plus sombre de la pièce.
Autour de moi, les nombreuses photos de Lénine, Fidel Castro et Mao Tse Tung semblaient me regarder avec réprobation. Je m'astreignis donc à retourner tous les portraits de ces grands hommes. Quelque peu soulagé mais toujours frissonnant de scrupules, je regardai la couverture de ce  journal abominable. Moi communiste convaincu, qui toute ma vie avait chanté l'Internationale, le poing levé, défilant contre ce patronat qui exploitait l'ensemble de la classe laborieuse. Amer que j'étais d'avoir vu la chute du mur de Berlin et la soumission aux lois capitalistes du pays de mes rêves. Moi qui n'avais jamais accepté que nos employeurs sans  scrupules, abusent sans vergogne de la sueur de leurs ouvriers.
Eh bien moi!

Je tenais maintenant dans ma main un numéro de CAPITAL!!!
Après avoir lu et découpé l'article qui m'intéressait. Je fis rejoindre ce livre de la honte, au bûcher, que j'allumai promptement dans ma cheminée malgré la forte chaleur environnante.
-A mort! Sorcier du mal! M’écriai-je, en voyant s'envoler en fumée l'objet de ma souffrance...