Sois sage !
Hélène !
Elle s’appelle Hélène, elle est mon amoureuse depuis maintenant six mois.
Notre rencontre est particulière ou peut-être banale. Nous étions amis de
longue date, partagions quelques confidences par téléphone, nous retrouvions parfois
au restaurant et vivions chacun de notre côté nos frasques amoureuses. Jusqu’au
jour où elle m’a envoyé ce mail :
« Aurélien ! Mon récepteur satellite est brusquement tombé en panne,
pourrais-tu venir voir si tu peux le réparer ? »
Hélène connaissait mon don de bricoleur et l’habilité toute particulière que
j’avais pour réparer bon nombre de machines.
Armer de quelques outils indispensables, je me retrouvais le soir
même, chez
elle, à maugréer devant une vis récalcitrante qui
m’empêchait d’accéder au cœur
du système incriminé. Déjouant avec brio toutes
les difficultés, j’accomplis
avec aisance ma tâche et le sourire aux lèvres murmurais
à ma douce amie que le
petit miracle de la réparation était accompli.
Hélène m’avait entretemps
préparée une petite collation qui remplit d’aise
mes papilles gustatives. Puis
une longue discussion s’engagea entre nous. Assis l’un en
face de l’autre, sur
nos canapés respectifs, nous voulions refaire le monde,
détourner le cours des
choses qui ne nous plaisaient guère. Elle me dit soudain
qu’elle voulait me
faire écouter l’un des derniers albums d’un artiste
qui m’était alors inconnu.
Pour cela elle se leva, s’assit à mes côtés
pour atteindre la radio qui se
trouvait près de moi. Puis, tout se passa très vite : ma
main effleura la
sienne, nos lèvres se retrouvèrent, nos corps
s’enlacèrent dans une union
charnelle qui depuis a scellé notre flamme.
Six mois, six mois de partage sans détour, d’amour fou où nos seuls êtres
comptaient, où la coupure de nos activités journalières n’avaient qu’un seul
but, une seule ambition, se revoir…
Il y a une semaine de ça, Hélène avait dû s’absenter pendant quatre
jours, pour des raisons professionnelles.
Je me revois encore l’accompagner à
l’aéroport, la mine attristée à
l’idée de cette
séparation. Au moment de me quitter, elle s’est
retournée une dernière fois
vers moi, m’a regardé profondément dans les yeux et
m’a dit :
« À bientôt. Sois sage ! »
Je fronçais légèrement des sourcils et esquissais un léger sourire. Nos regards
s’abandonnèrent et sa silhouette se fondit dans l’entrelacs de la foule.
Soudain, une considération bien naturelle submergea mon esprit attristé. Quelle
était la réelle signification de cette interjection jetée soudainement par ma
mie à mon encontre : « Sois sage ! »
Faisait-elle allusion à mes activités amoureuses passées ? Aux fredaines que
j’avais perpétrées avant de la connaître ?
Je ne savais pas…
Cette première journée sans elle, se passa plutôt bien. Ayant beaucoup de temps
libre, j’en profitais pour me rendre à mon club de fitness où j’entrepris un
entraînement digne d’un athlète de haut niveau. Pendant plus de deux heures je
poussais mon corps à la limite de ses possibilités et épuisé rentrais dans mes
pénates, heureux du bien être que vous procure l’activité sportive.
Après deux bonnes heures de repos et une pause dinatoire réconfortante, je me
postais devant ma télévision. Celle-ci diffusait des programmes qui me
semblèrent rapidement ineptes et sans intérêt.
Jouant de l’index avec mon téléphone portable, ce que je redoutais le plus,
arriva. Une envie, un besoin, un désir envahit mon esprit que je croyais,
apaisé. Mon doigt agile virevolta sur les touches de mon téléphone pour arriver
sur mon carnet d’adresse. Une succession de prénoms féminins défila devant mes
yeux qui se mirent soudainement à briller : Claudine, Sophie, Charline,
Thérèse…
Mon cœur se mit à battre la chamade, quelques gouttes de sueur perlèrent sur
mon front, ma gorge se serra de cette angoisse que l’on ressent devant un désir
intime. Je choisi un nom, un peu au hasard, comme dans le passé, une sorte de
roulette russe avec comme aboutissement une récompense plus agréable.
Sonya, fut celle hasardée.
Son numéro tinta, puis une voix douce, sucrée retentit :
« Allo ! Aurélien ? C’est toi ? »
Je m’apprêtai à rapprocher le combiné, mais mon bras refusa d’obéir. Il
semblait me dire :
« Non ! Ne faits pas ça ! »
Puis cette petite phrase pirouetta, lancinante, dans l’ensemble de mon être :
« Sois sage ! »
Ma main s’ouvrit, le téléphone tomba.
En fait ! Tout ceci n’était que la conséquence des multiples courbatures qui
venaient de me tétaniser. La soirée se termina avec mes nouvelles amies
appelées : Aspirine, pommade, Arnica…
Deuxième jour :
Je me retrouvais en tête à tête avec Aurélie, une jolie petite blonde de vingt-huit
ans avec des yeux d’un vert profond, des lèvres charnues, un sourire
intimiste. Par un drôle de hasard, elle m’avait envoyé un mail d’invitation,
puis, un coup de fil :
« Aurélien est ce que tu serais ok pour ce soir, j’ai entendu dire que tu étais
libre ! »
Et je n’avais pas su dire non.
Cette jolie personne m’avait toujours poursuivie de ses assiduités et j’avais
d’ailleurs toujours refusé ses avances, mes attirances physiques et
sensorielles ne concordant pas avec les siennes. Le repas se développa
dans une conversation tout à fait sympathique. Le temps sembla passer très
vite, le restaurant s’était vidait et une ambiance intimiste s’était mise à
flotter autour de nous.
L’inexorable arriva.
Nos deux mains se rejoignirent, nos yeux se fouillèrent mutuellement, essayant
de deviner nos envies. Et je réalisais que j’allais craquer lorsque cette voix
se mit vibrer dans mes oreilles :
« Sois sage ! Sois sage ! »
Mes bras eurent une impulsion de retrait et la magie était brisée. Aurélie
arbora immédiatement une moue de dépit, elle qui croyait enfin atteindre son
but, elle voyait subitement tous ses espoirs s’envoler. C’est alors qu’elle
tenta cette dernière démarche. Celle qui à coup sûr amène tout homme normalement
constitué à franchir le pas. De ses lèvres mielleuses, tout en me lançant un
regard de biche elle me demanda :
« Aurélien ! Mon décodeur satellite est en panne, pourrais-tu venir chez moi
pour y jeter un coup d’œil ? »
Alors là s’en était trop. Je le connaissais moi ce truc ! Marmonnant quelques
propos inintelligibles, je me levais brusquement, payais l’addition et lui dit
qu’il se faisait tard et que demain, une rude journée m’attendait…
Troisième jour :
Lydia. Elle est belle comme le jour. De longs cheveux blonds croulant sur une
taille élancée, des jambes de gazelles et un joli minois de princesse
Autrichienne. Elle était étendue à côté de moi. Sa poitrine dénudée semblant me
demander des caresses. Son corps arc-bouté offert à mon regard. J’avais de la
peine à respirer.
Puis, un ballon tomba à mon coté, un avertissement enfla :
« Mais Paul fais attention aux gens, tu vois bien que tu les embêtes ! »
Effectivement on était sur la plage, l’une de celles qui bordent le lac
Léman. Il faisait beau et chaud mais l’eau était glaciale.
Un peu par hasard, j’y avais rencontré cette ancienne amante que j’avais, dans
le passé, eu beaucoup de mal à oublier. On s’était regardé, d’abord comme des
étrangers, puis ensuite comme des amis, jusqu’à ce qu’une flamme pourtant
depuis bien longtemps éteinte se rallume entre nos individualités étonnées.
Allongés l’un près de l’autre, nous nous remémorions ces bons souvenirs perdus,
insinuant ses étreintes soudaines et cet amour, qui nous l’avions cru, auraient
dû sceller une union éternelle. Puis dans un silence mutuellement sollicité
nous acceptions nos retrouvailles. J’humais la saveur de son corps. Cette
fragrance qui m’avait envoûtée remontait dans mes entrailles. Je savais déjà
qu’il ne me serait pas possible de résister. De refuser l’évidence que l’on se
plaisait toujours, qu’elle appartenait à mon histoire, que mon appétence d’elle
n’avait pas diminuée d’un seul pouce. Ma main se posa sur la sienne, mon regard
flirta sur ses courbes, ma salive trop abondante reflua dans ma gorge. Il
fallait que je m’assure de la similarité de notre convoitise. Alors je me
penchais à son oreille pour bientôt lui murmurer :
« Est-ce que je peux te demander quelque chose ? »
Elle me répondit :
« Oui ! »
De ce oui intimiste qui connaît déjà la question, qui est déjà disposé à
répondre à mon désir, à acquiescer sa réponse.
J’allais lui proposer mon dessein concupiscent quand mon regard croisa la
familière silhouette d’une personne que je connaissais très bien. Clothilde, la
meilleure amie de ma moitié se trouvait à moins de cent mètres de moi et se
dirigeait droit dans ma direction. Heureusement, elle ne m’avait pas encore vu.
Je murmurais à Lydia que j’allais me baigner, couru la tête basse en direction
de l’onde froide, et y plongeais sans attendre.
« Y’a au moins un courageux ici ! » S’exclama un plagiste.
L’eau froide m’octroya un choc thermique salutaire. Réfrigéré de la tête au
pied, toute mon anatomie avait soudainement prise un gabarit rabougri. Seul le
sommet de ma tête et mes yeux restèrent hors de l’eau regardant le danger
s’éloigner de l’endroit où se trouvait ma serviette. Tout risque écarté, je
sorti de l’eau en rampant devant Lydia qui se demanda qu’elle folie m’avait
soudainement submergée. La regardant à peine, je me rhabillais en toute hâte,
lui promis de lui téléphoner prochainement et je décampais sans demander
mon reste.
Quatrième jour :
Elle était de retour.
Très amoureux je l’ai prise dans mes bras, lui accordant un nombre de bisous un
peu suspect.
Elle me regarda de ses yeux tendres.
« J’ai été très sage ! » lui dis-je d’un ton convaincu.
Elle réfléchit quelques instants puis, l’air navré, me dit :
« Et bien pas moi mon chéri ! Il faut que je te raconte, je suis tombé nez à
nez avec mon ancien petit ami, on a passé trois jours de folie. Je suis
toujours terriblement amoureuse de lui ! On doit se quitter ! »
Depuis cette fameuse minute, je n’ai plus vraiment confiance dans les
femmes ! Mon téléphone portable est passé à la poubelle, je ne répare plus les
appareils défaillants de mes connaissances et j’évite soigneusement les lieux
publics…