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 Mon amour Léonette

 
Chapitre 5 :

Dans la grande salle de réception du château, la fête battait son plein.
L'ensemble des hôtes étaient attablés, faisant ripaille des succulents mets qui défilaient sans discontinuer devant leurs bobines ébahies. Pâtés de volailles, de poissons, d'abats et de  légumes avec une cohortes de serviteurs qui déversaient dans les verres tendus des boissons enivrantes aux arômes délicats telles que cervoise, hypocras et vin rouge.
Le brouhaha des conversations résonnait sous les lumières d'une multitude de flambeaux qui déversaient leurs lumières jaunâtres et vacillantes.
Dans la cheminée, d'énormes rondins de bois crépitaient une chaleur qui tempérait les froideurs de la nuit.
Sur les murs ont avait tendu, spécialement pour l'occasion, des tapisseries en provenance de Flandre qui représentaient des scènes de guerre où de fiers chevaliers en armure trucidaient avec fierté et courage des  Maures hirsutes et échevelés.

Dans la cuisine, contiguë à la salle de réception, une toute autre frénésie agitait la cohorte agitée des marmitons.
 Hugues le gourmand, en maître incontesté du lieu dispensait la multitude de ses ordres :
-Ajoutez plus de cannelle ici, moins de poivre là. Attisez le feu! Prenez garde à la cuisson des civets.         
Dans sa on pouvait apercevoir le fameux parchemin du "viander", livre de cuisine exceptionnel, véritable bible de la bonne façon de préparer les mets les plus délicats. Il aimait le garder près de  lui dans ces grandes occasions, se rassurant ainsi des défaillances probables de sa mémoire. Il  jetait de fréquents coups d'œil à l'ouvrage qui avait été dans un lointain passé l'unique raison qui l'avait incité à apprendre à lire. C'était d’ailleurs aidé par le curé du village, homme dodu et gourmet manifeste, qu'il avait réussi ce qui était pour lui un véritable tour de force.
Déchiffré l'ensemble des caractères pour être en mesure d’accéder aux secrets culinaires contenus dans l'ouvrage.
Il regardait à présent avec anxiété les cinq cochonnets grillés qui quittaient la cuisine, portés par dix valets à la démarche rapide et assurée.
C'est lui-même qui avait fourrés les bestiaux d'une préparation de ragoût, assaisonné de condiments venant  d'Afrique et de poivre long d'Insulinde qu’il avait liés avec un amalgame de mie de pain...
Les porcins firent l'effet escompté.
En voyant l’arrivée de ces victuailles qui reluisaient de leur cuisson parfaite, les convives arrêtèrent brusquement leurs conversations, regardant avec des yeux envieux les plats qui furent posés aux points stratégiques de la table.
Tous les regards se tournèrent vers les hôtes d'honneur.
Par politesse déférente on attendit qu'ils se servent.
Et, c'est Simon de Joinville qui lança les hostilités en empoignant d'une main avide et sans la moindre délicatesse une cuisse qui dégoulina du jus dans laquelle est baignait.
C'est alors que chacun pris sa part et l'enfourna dans sa bouche grande ouverte et leurs grognements de satisfaction emplient de ravissements  les oreilles du cuisinier qui avait pointé sa bobine curieuse dans l'entrebâillement d'une porte. Puis, un  silence feutré se mit à planer sur la noble assemblée avec ce seul bruit de mastication peu discrète mais appréciative des convives.
« Succulent ! Dit l'un.
-Délicieux ! » Ajouta un autre.
Assis seul dans un coin sombre de la pièce, Norbert le preux, qui se devait de suivre son vœu de frugalité, quant à lui, grignotait un austère quignon de pain, se signant discrètement et à de multiples reprises à la vue des invités aux comportements gargantuesques.
Par contre notre bon curé de Gex remplissait abondamment sa panse tout en se félicitant intérieurement des cours de lecture qu'il avait dispensés à son ami le cuisinier. Ses joues, gonflées par un excès de nourriture rougeoyaient tel des lampions soulignant sa bonhomie et jovialité.
Au milieu de la salle des jongleurs et acrobates commencèrent à démontrer leur habilité en faisant virevolter au-dessus de leurs têtes des quilles aux couleurs variées.
Léonette superbe dans sa robe d'apparat, répondait discrètement aux tendres regards que lui adressait Simon tout en laissant son oreille attentive écouter avec intérêt le récit de pèlerinage qui avait emmené Adrien le saint jusqu'à Saint Jacques de Compostelle.
Le visage du pieux pèlerin resplendissait d'un bonheur béat  et semblait auréolé d'une lumière de béatitude :
« Partant du Puy, j'ai traversé le massif de l'Aubrac et les gorges du Dourdou pour arriver à Conques où j'ai prié devant les reliques de Sainte Foy, puis j'ai continué mon chemin en direction de Rocamadour, Cahors, Moissac, Orthez pour enfin arriver à Ostabat ! »
La consonance de ses noms évoquait une plénitude de mystères et d'aventures, des lieux sacrés où chacun aurait voulu se bercer à la recherche d’une foi divine.
Puis le bienheureux continua son histoire en la pimentant d'anecdotes fantastiques:
« Dieu m'a suivi, tout au long de mon périple ! Dit-il. Grâce à son aide ! continua-t-il, en  s'accompagnant d'un déférent signe de croix. J’ai échappé à un groupe de brigands, à l'attaque d'un ours féroce et déjoué les multiples pièges que le démon avait parsemé le long de mon chemin ! »
Ses histoires passionnaient les convives qui avaient la chance de se tenir près de lui et qui s’étaient arrêtés de manger, captivés par les détails de ses histoires les plus poignantes.
À l'unisson, les  oreilles des auditeurs  se tendaient voulant s'abjurer du vacarme ambiant et les expressions  de leurs visages oscillaient entre une admiration non contenue et celles de l'effroi, de l'étonnement...
L'attention de Léonette malgré le grand intérêt qu'elle portait à ce récit, se détourna soudain de cette fantasmagorie pour  porter son regard  sur la venue de Guillaume de Lorande.
Le jeune troubadour, seul, debout au beau milieu de l'assemblée indifférente venait de commencer  à chanter son répertoire. Il avait une voix douce et une posture élégante. Aidé  par les notes que diffusait sa Guiterne, il s'engagea dans l'une de ses mélopées les plus romantiques :
« Ma douce mie
Pour toujours je voudrai t'aimer
Mon cœur, mon soupir
Tout espoir est dès maintenant écourté. »
Les yeux de Guillaume, embués de tristesse, retenaient avec difficultés leurs larmes.
Son amour allait définitivement lui échapper, le laissant dans l'adversité d'une vie qui ne lui convenait plus.
Tout en chantant, il tourna sur lui-même et fit face à Léonette.
Leurs regards se rencontrèrent et elle comprit que la mélodie ne s'adressait qu'à sa seule et unique personne.
Son visage s'empourpra et une émotion évidente la submergea soudain.

Simon de Joinville qui l’observait du coin de l'œil fronça des sourcils en comprenant l'évidence de cette situation.
« Jean, vous ne m'écoutez plus ! Proféra Pierre, l'air vexé.
- Excusez-moi mon prince, un simple moment de distraction, pouvez-vous reformuler votre question s'il vous plait !
-Je disais. Que pensez-vous de vos futurs vassaux ? »
Il dut faire un énorme effort de concentration pour s'intéresser à cette question qui se trouvait à mille lieux du centre profond de sa pensée...
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Le silence de la nuit avait envahi la majesté du château. Les cinq tours arc-boutées sur leurs solides fondations veillaient sur la communauté maintenant endormie. Seul, le boulanger s'affairait activement à la préparation de sa pâte à pain. Ses mains plongées dans la farine, il la mélangeait activement avec  de la levure pendant que son assistant ajoutait à ses ordres la quantité d'eau qui lui semblait nécessaire. ..
Quelqu'un d'autre, également, ne dormait pas dans cette grande bâtisse.
 Une silhouette, qui avançait furtivement dans la pénombre, marchant avec précaution, guidée par l'une de ses mains qui glissait sur la froideur des murs. Elle s'arrêta soudain devant la frêle silhouette d'un homme endormi à même le sol.
Sans le moindre ménagement, elle le réveilla d'un coup de pied hargneux. Le pauvre valet qui épuisé s'était assoupi là, sur un maigre duvet de paille, sursauta brusquement et maintenant debout ses deux mains plaquées sur ses reins, les yeux gonflés de sommeil, décrocha ses mâchoire d'un bâillement exagéré.
Puis, sortant de sa rêverie, il regarda le personnage qui l'avait si brusquement éveillé.
Éberlué, il reconnut celui qui lui faisait face :
« Sir de Joinville ! Que puis-je faire pour vous ?
-Vas me chercher Norbert le preux sur-le-champ et amène-le ici ! » Murmura-t-il sèchement.
Le serviteur ne posa aucune question et disparut prestement dans l'encadrement d'une porte dérobée.
Moins de dix  minutes plus tard, éclairé par une faible chandelle, Norbert l'air inquiet dévisageait Simon qui sans une seule parole lui tendit le parchemin que lui avait confié l'abbé de Chésery.
Il le parcourût rapidement, puis demanda :
« Que puis-je faire pour vous mon seigneur ?
Le prince se pencha vers lui, et, dans l'oreille, lui confia une tâche secrète.
 Le moine d'un signe de tête marqua son allégeance et prit congé en ajoutant.
-Vos désirs sont des ordres ! »
Un rictus disgracieux se dessina sur les lèvres du Sir de Joinville qui tranquillement  retourna en direction de ses appartements.
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Jean le boiteux dormait profondément, recroquevillé sur sa paillasse. Les émotions et le travail de la journée avaient éprouvé notre homme. Son esprit avait enfin retrouvé la paix. Le loup tué, il se sentait ainsi vengé de ses souffrances et des injustices qui avaient jusqu'à présent jalonné son existence. 
Rien ne pouvait plus troubler son sommeil. Le sommeil d'un juste, pourfendeur du mal absolu.
Pourtant, le silence de la nuit fut soudainement troublé par de sinistres grognements.
Une gueule béante aux crocs acérés  venait de s'infiltrer dans son gîte.
L'oreille coupée de l'animal ne permettait aucune confusion quant à son identité. La bête se trainait avec lenteur en direction de sa couche, l'une de ses pattes paralysée traînait lamentablement derrière lui, balayant le sol de terre battue.
Ses yeux injectés de sangs fixèrent la gorge de sa victime et sa mâchoire et d'un seul claquement se referma soudain pour l'égorgement fatal. 
Jean n'eut qu'un dernier soubresaut  quand les canines meurtrières empoignèrent violemment son cou.
L'ange de la mort l'envahit inexorablement quand il réussit à ouvrir les yeux.

Il haletait, suant abondement de grosses gouttes qui perlaient abondance sur son  front.
Il lui fallut plusieurs minutes pour reprendre son souffle.
« Ce n'est qu'un cauchemar ! » Réussit-il à susurrer.

Assis sur son lit, il resta immobile, les yeux fixés sur la faible lueur qui émanait  de son brasier encore fumant. C'est à cet instant qu'il réalisa que quelque chose d'anormal était en passe d'arriver.
Une prémonition ou peut-être l'intervention du divin venait par ce réveille brutal, lui sauver la vie.
Car.
Il discerna dans le silence un bruit dont l'incongruité éveilla rapidement sa méfiance.
Quelqu'un semblait rôder autour de sa cabane !
« Le loup ! Pensa-t-il. Il m'a retrouvé, il est là pour se venger! »
D'un pas mal assuré, sans émettre le moindre bruit, il entreprit de saisir la fourche qui, à quatre pas de lui, reposait appuyée sur un mur. Solidement campé sur ses jambes, les pics de son arme de fortune pointant vers le sol, il regarda éberlué sa porte qui lentement s'entrebâilla avec un grincement sinistre.
Une odeur forte de bête sauvage arriva à ses narines.
Son ennemi juré venait de pénétrer dans la pièce.
Elle ne remarqua pas tout de suite la présence de Jean, habillement caché dans la pénombre.
Elle avança lentement traînant derrière elle son arrière train paralysé. Une bave épaisse s'écoulait de ses babines et un souffle roque exhalait de sa gueule béante.
« C'est un démon ! » Songea-t-il,  jamais je ne parviendrai à en venir à bout.
Le loup semblant discerner la pensée de sa future victime, tourna la tête dans sa direction. 
Jean n'eut pas la réaction escomptée.
Au lieu de planter immédiatement son arme dans le flanc du canidé, il la laissa tomber et recula en tremblant, terrifié devant les crocs menaçants.
Le loup qui ne pouvait se mouvoir qu'avec la plus grande peine, pivota avec difficulté dans sa direction et avança salivant une bave de gourmandise.
 Jean prisonnier dans un coin de sa minuscule cahute sentit sa mort proche, ses jambes se dérobèrent sous son corps et lentement, sans force, il  se laissa glisser sur le sol avec comme seule défense l'énoncer d'une prière.
Joignant les mains dans une dernière supplique il s'adressa au divin :
« Dieu, aidez-moi ! » Puis, d'un geste de la main, se signa d'une croix.
Les yeux fermés, certain de sa mort il s'abandonna à sa rédemption prochaine et pensa au curé qui l'avait assuré qu’une meilleure vie l'attendait dans l'au-delà.

La bête eut un dernier grognement.
Puis sa masse se laissa tomber sur le pauvre bougre.
Et soudain, ce fut le silence...

Par une bénédiction divine, La bête venait de mourir là, couchée sur lui, épuisée par ses derniers efforts.
Elle avait rendu l'âme avant même d'avoir pu planter ses crocs dans la chair qui lui était siu facilempent offerte.

Jean ouvrit les yeux, réalisant le miracle qui venait de le sauver. Il poussa le cadavre d'une main apeurée, grelotta de sa peur encore vive et vérifia d'un doigt circonspect l'état cadavérique de l'animal.
Aucun doute ! Il n’aurait plus rien à craindre de lui.

Il leva les bras au ciel et remercia le seigneur pour sa bonté sans limite.