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  Deux vies pour l'amour d'une même femme

 

Deux vies pour l’amour d’une même femme


Première partie

Je la suivais du regard.
C’était étrange.
Son pas était moins assuré, presque chancelant.
Soudain elle se laissa glisser sur l’asphalte, masse inerte qui s’écroule sur elle-même.
Elle se retrouva sur le dos les bras en croix, le visage tourné vers le ciel.
Je me levai prestement, hurlai « Mylène ! ».
Son visage était livide, ses yeux fixes avec un regard vide, sans vie. Une larme perla et se déroula en direction de son oreille, une larme de regret, d’étonnement, d’incompréhension de sa vie qui venait de la quitter.
Alors, je posai la paume de mes mains sur sa poitrine, employant avec force et désespoir cette routine apprise il y a bien longtemps et que j’avais espéré ne jamais avoir à employer. Ma bouche essaya de lui insuffler ma parcelle de vie. Je pleurai, déversant mon désespoir, abjurant l’inutilité de mon secours.
Une main se posa sur mon épaule, puis, cette voix qui me dit : « Monsieur je suis médecin laissez- moi prendre le relais ! ».
A genoux je reculai de quelques mètres. Assis sur mes talons, mon expression décomposée regarda, observa cette scène surréaliste, incroyable, abjecte.

Des mots inondèrent mes oreilles.
« Venez vite, une femme, ça à l’air très grave ! »
« Oh la pauvre, si jeune ! »
« Venez les enfants, il ne faut pas regarder ça »
« Elle est morte la dame, maman ? »
L’ambulance arriva rapidement. Les électro choques n’eurent aucun effet.
Le secouriste s’adressa à moi :
- Monsieur, il n’y a plus rien à faire, votre femme est…

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Je me souviens de la première fois où nous nous sommes rencontrés.
Il y a bien longtemps de ça.
Eh oui.
C’était le temps des toutes petites classes. J’étais en maternelle trois, celle des grands, comme on aimait le dire. J’étais un enfant un peu turbulent, ou du moins très actif. Chaque récréation était un moment de défoulement où j’hurlai mon énergie, courant après un ballon, bousculant mes copains, rigolant à en perdre haleine. Usant les genoux de mes pantalons que ma mère, par précaution avait protégé d’un grand rond de cuire.
Mais, ce jour-là, j’étais plus calme, je m’étais assis sur le petit mur qui clôturait l’endroit, à moins de cinq mètres de cette jolie petite fille qui m’avait étrangement charmé.
C’était une élève de la deuxième section je crois. Je ne l’avais jamais remarquée jusqu’à cet instant. Elle était blonde, les cheveux mi- long, portait une petite robe printanière qui accompagnait parfaitement la montée des beaux jours, son sourire était particulier, vraiment différent de ceux que je connaissais. L’impression qu’il me donnait était une sorte de complétion magique, un archange féérique, certainement un troublant accès au bonheur.
Ce qui m’avait également si soudainement attiré, c’était le fait qu’elle jouait seule avec un gros camion rouge, un camion de pompier, qu’elle poussait de la main en imitant son avance.
« Broum, broum… » faisait-elle de sa petite voix.
De temps en temps elle l’arrêtait et avec deux doigts de ses mains imitait des personnages.et se mettait à parler. « Il est beau votre camion Monsieur ! », « Merci Madame, venez, je vous emmène faire un tour ». Puis elle mimait leur chemin et redémarrait le véhicule avec la même assurance.
Je m’étais dit, qu’il me fallait absolument faire la connaissance de cette jolie personne. Je descendais de mon perchoir, me dirigeait timidement vers elle, quand soudain l’une de ses copines arriva.
« Mylène ! Tu fais quoi avec ce jeu de garçon, viens avec nous, nous avons une nouvelle poupée ! ». Alors elle laissa tomber son jouet sur le sol et courut à la suite de sa conseillère pour arriver vers un petit groupe qui entourait un bébé de cellulose. De sa petite voix elle leur demanda de lui passer le poupon, qu’elle avait un petit frère, qu’elle allait leur montrer comment il fallait s’en occuper.
Puis elle le berça dans ses bras, posa son nez sur le sien en secouant sa tête et rigola. « C’est comme ça que ma maman fait pour le faire rire ! ».

Avant la courte période qui nous séparait de l’été  et des grandes vacances, j’eus de nombreuses occasions d’apercevoir cette petite fille, mais aucune qui me permit de l’aborder. Elle était invariablement entourée de ses amies ou moi de mes copains.
Puis la vie suivit son cours, m’emmenant loin d’elle, à poursuivre ma scolarité dans une école publique, alors que son chemin continua dans cette même école catholique.

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J’étais assis sur un banc longeant ce chemin de promenade. Il était bordé d’énormes platanes ombrageux et s’étirait dans le lointain, en ligne droite, dans la campagne verdoyante.
C’était, une belle journée de weekend, au beau milieu de l’été. La touffeur de cette fin de journée m’avait rappelé à cet endroit confortable où de temps en temps, j’aimais aller rêvasser. Les hirondelles piaillaient volant haut dans le ciel et j’étais heureux de cet instant, heureux de ma vie qui me semblait douce, parfaitement accomplie.
Les yeux fermés, je concentrai mon attention sur les bruits qui m’entourait.
Le bruissement du vent dans les feuilles légères enchantait ma perception, m’affirmant cette chance que j’avais d’être en vie.
Les promeneurs qui croisaient mon repos, parlaient à voix feutrée comme s’ils voulaient absolument respecter la quiétude de cet endroit. Même les chiens évitaient leurs aboiements, mais je pouvais discerner leurs agitations devant une odeur intéressante, un bruit inconnu.
Je me mis à penser au temps qui passe, à mon chemin parcouru. Accomplissant un retour en arrière qui m’emmena dans le lointain de ma jeunesse.
Le résultat me sembla extrêmement positif et heureux.
Et le temps passa ainsi, me berçant dans mes souvenirs, dans mon assoupissement enchanté.

J’eus soudain cette étrange impression qu’il me fallait rouvrir les yeux, que quelque chose ou plutôt quelqu’un d’importance venait dans ma direction. Pourtant, il n’y avait à l’instant, personne autour de moi. Je me mis alors à scruter en direction du lointain de cette allée de campagne et à l’endroit même où les fuites de perspective se rejoignent, j’aperçu un petit point mobile qui avançait dans ma direction. Un petit ectoplasme qui tremblait dans l’humidité ambiante. Et, j’eus cette impression que cette simple minuscule forme m’était familière. Qu’elle m’appelait de sa voix silencieuse. Un groupe de cervidé traversa mon champ de vision, dérangeant subitement mon attention.

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La deuxième chance que j’eus de la rencontrer se situe au temps de mes années lycée. J’étais alors en terminale, c’était vers la fin de l’année et je préparai mon bac scientifique. Je faisais partie des bons élèves, de ceux sans problèmes qui arrivent sereinement vers  ce rendez-vous fatidique d’extrême importance. C’est à la bibliothèque que je l’aperçu. Elle portait une robe bleue claire, était en classe de première. Je devais certainement l’avoir déjà aperçu, mais je ne l’avais jamais vraiment remarquée, mais cette fois ci, une sorte de déclic avait interloqué mon raisonnement me soufflant que cette belle jeune fille était en fait, celle de ma tendre enfance, celle avec ce sourire troublant qui m’avait alors intéressé. Je me mis à la scruter avec attention.
Oui !
C’était bien elle.
Cette robe des beaux jours avait dû me mettre la puce à l’oreille, déclenchant en moi se souvenir furtif d’un passé depuis longtemps révolu.
Elle était assise entre deux garçons qui en alternance la regardaient en souriant, de ce sourire bienveillant, certainement admirateur. Ils lui chuchotaient de petites phrases, montrant la page sur laquelle ils griffonnaient. Après avoir jeté un bref coup d’œil sur le document présenté, elle leur répondait avec un semblant de sureté, une certaine évidence.
L’ami qui se trouvait à côté de moi remarqua l’insistance de mon regard. Il m’expliqua que ses parents connaissaient sa famille, que cette jolie personne avait rejoint notre école au beau milieu d’année.
Elle venait de quitter cette fameuse école, celle où j’avais accompli mes années de maternelle et qui aurait dû l’emmener jusqu’à la terminale.
Elle était surdouée, brillante dans toutes les matières.
Et, bien qu’elle puisse suivre sans le moindre problème des cours universitaires, elle préférait rester dans la classe de son âge, voulant ainsi éviter de côtoyer une maturité qu’elle voulait prendre le temps de savourer à son rythme.
Depuis la révélation de sa présence, j’eus l’impression de la voir chaque jour.
Je la croisai dans les couloirs, dans le hall, à la cafétéria.
Elle était immanquablement accompagnée de ceux qui me semblaient être ses prétendants, un assortiment d’admirateurs qui la choyaient de leurs prévenances.
Nos regards se croisèrent quelques fois, mais j’eus l’impression qu’elle ne me remarquait pas, qu’elle était trop occupée par l’ambiance d’euphorie admiratrice qui la côtoyait constamment.
Mon désir de la rencontrer invectivait ma conscience, il me fallait absolument faire sa connaissance, tenter cette chance que je ne pouvais pas ignorer. Mais les circonstances ne s’y apprêtaient pas vraiment, ou, peut-être ma timidité maladive m’empêchait ce saut vers l’inconnu, vers cette inconnue.
J’eus pourtant cette occasion rêvée, celle évidente, immanquable.
J’attendais mon père qui devait venir me chercher à la fin de mes cours. Il était en retard.
La rue était devenue relativement déserte et je piaffais d’impatience, regardant avec insistance le tournant qui me dévoilerait son arrivée. Un parfum délicat, un bruit furtif me fit me retourner. Elle était là assise sur un banc, à quelques mètres de moi. Seule.
Elle avait son regard fixé sur un énorme livre qui reposait sur ses genoux.
J’eus un retour de salive, mon visage s’empourpra, mes jambes semblèrent vaciller. Il me fut impossible de garder mon visage dans sa direction et c’est le dos tourné que je me mis à imaginer notre première rencontre.
Le vouvoiement devait être de rigueur.
La distinction une évidence.
« Mademoiselle, je vous admire depuis si longtemps, votre attirance m’est évidente ! ».
Son visage se tourna dans ma direction, son regard s’entrelaça avec le mien. Elle me souriait une acceptation étonnante.
« Je vous ai rencontré si souvent ce dernier mois, mais je n’ai jamais eu l’opportunité, ou.
Peut-être, le courage de vous aborder.
Il me semble que…
Que votre présence, notre amitié…
M’est indispensable ! Nécessaire ! »
Ses lèvres murmurèrent des paroles bienveillantes, ses joues s’auréolèrent de l’émotion qui devait certainement également l’envahir.
« Puis-je m’asseoir à côté de vous ? »
Et mes propos l’envahir de ma tendresse, de ma sagesse, de mon engouement pour elle. Jaugeant avec attention l’image qu’il me fallait lui communiquer. Essayant à tous prix de lui plaire.
Quand j’eus terminé mon monologue amoureux, je compris qu’il me fallait marquer une pause, lui laisser le temps de me répondre, de m’enchanter de son acceptation ou peut-être m’éconduire soudainement, détruisant ainsi toutes chances de la séduire.
Elle rougit sous l’insistance de mon regard, le sien se reposa sur son livre pour aussi rapidement retourner dans le profond de mon observation.
Elle me laissa mijoter ma gêne, ma nervosité qui me faisait entrecroiser mes doigts.
Puis.
Elle ouvrit ses lèvres…
L’appel de mon père m’extirpa de la conclusion de cette chimère.
« Alors tu rêves, allons-y, je suis pressé ! ».


L’image s’était faite plus claire, était passée de l’état d’ectoplasme à celui d’une forme plus nette.
C’était une femme, étant donné sa tenue évidente et son balancement de hanches.
Elle s’était arrêtée au près d’un couple qu’elle venait de croiser.
Je tendis l’oreille pour percevoir leur conversation, mais l’éloignement était encore trop important pour me permettre de distinguer la moindre parole. J’aurais aimé avoir une paire de jumelles pour pouvoir m’assurer du sentiment qui maintenant me taraudait.
C’était bizarre, je m’étais mis dans l’idée que c’était elle, celle que j’avais croisée sans jamais oser la connaitre.
Et.
Il me semblait.
En fait j’en avais la certitude. Que la croisée de nos destin respectif, que notre rencontre tant attendue allait se faire aujourd’hui, dans quelques instants, quelques courtes minutes.
Des enfants passèrent à côté de moi, hurlant, courant l’un après l’autre autour du banc sur lequel j’étais assis.
Ma colère ne se fit pas attendre.
Moi qui étais d’habitude d’un calme légendaire, je les fis fuir par mes invectives sévères et des mouvements de mains imagés.

Elle n’était plus là, sa silhouette avait disparue. Je me levai brusquement pointant mon regard dans sa direction, protégeant mes yeux de ma paume pour écarter la lumière trop vive du soleil. Forçant d’un clignement la netteté du lointain. Le couple était pourtant bien là dans leurs tenues sombres, avaient repris leur éloignement, main dans la main, le visage tourné l’un vers l’autre.

Je maudis ses gamins, qui avaient dérangé ma vigilance et qui continuaient leurs chahuts un peu plus loin.
Je pris de la hauteur, m’élevant sur la pointe de mes pieds.
Non, elle n’était plus là, disparue, envolée.
Peut-être avais-je rêvé ?
Cet à l’instant où je retournai à mon siège qu’elle réapparut. Elle tenait un bouquet de fougères dans ses mains, des fougères qu’elle venait simplement de ramasser dans le sous-bois.
Je ressenti un profond soulagement et son avance reprit dans ma direction.

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C’est à cette conférence à laquelle j’avais assisté que j’eus cette troisième opportunité de la connaitre. C’était dans l’amphithéâtre de l’université.
Un petit article dans un journal avait attiré mon attention sur ce colloque, car le sujet traité, la découverte de nouvelles planètes potentiellement habitables, m’était d’un intérêt tout particulier.
La salle était immense certainement démesurée en vue des deux cents personnes de l’assistance.
Nous attendions dans un brouhaha feutré l’arrivée du conférencier, quand, elle arriva.
Elle remplaçait la personne initialement prévue.
Elle se présenta.
J’étais au troisième rang, essoufflé de sa présence, écoutant, me délectant de sa voix si charmante, de sa présence si évidente.
Elle travaillait avec l’éminent professeur et était coauteur de l’imposant ouvrage  explicatif de toutes leurs découvertes.
La lumière se fit plus faible, un immense écran s’alluma et sa voix se mit à commenter les images projetées.
Mon attention n’était pas pour ses explications, mais uniquement intéressée par la courbe de ses formes, par le profil de son visage qui se détachait dans la pénombre. Ma proximité me permettait de la détailler sans peine, et la semi-obscurité enlevait toutes inhibitions à mon regard scrutateur.
J’avais l’impression d’être celui qui partageait sa vie, que son monologue m’était uniquement destiné. Je me sentais si proche d’elle, complice unique avec qui elle enseignait son savoir.
Et je me mis à rêver.
Elle.
Notre destin commun.
Notre amour indéfectible.
Mon Dieu ce que tu es belle, délicieuse, désirable. Souffle de ma vie qui m’entoure de ses bras magiques, transcendant tout ce qui est beau en moi.
Raison de chaque respiration qui m’emmènera sans difficulté à notre but ultime.
Mon amour, je t’aime.

La lumière réapparue soudain et troubla ma dérive amoureuse.

Son livre à la main, je suivis la ligne qui conduisait à sa dédicace. Quand mon tour arriva, elle me jeta un simple regard.
M’avait-elle reconnu ?

Elle m’envoya un petit sourire timide, la blancheur de ses dents, cette mèche blonde qui barra son visage, son nez délicat, ses lèvres oscillèrent sous ses quelques mots :
-A qui dois-je dédicacer le livre ?
Je balbutiai ma réponse, d’une voix chargée de mon émotion amoureuse. J’avais envie de lui crier que je l’aimais, qu’elle était celle qu’il me fallait, fibration infinie de nos êtres, clairvoyance de mon sentiment, de l’unique.
Bleu, blanc, couleur de l’azure, nous deux pour l’éternité.
Elle me rendit mon livre, évita mon regard et se projeta vers la personne qui me suivait.

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Je la voyais maintenant clairement, chaloupant sur le chemin.
C’était bien elle, j’en étais certain.
C’est appel était bien une injonction profonde, une façon de me dire. Elle arrive, saisit cette chance, ose ce pas en avant, ce pas du bonheur.
Un merle se mit à chanter ;
-Alors, tu vas être timide encore une fois de plus, tu vas te perdre dans ton questionnement et la laisser passer sans mot dire !
Elle s’arrêta, elle devait se tenir à moins de cent mètres de moi.  Elle se hissa sur le sommet de la pointe de ses pieds et essaya de saisir une hampe fleurie qui descendait d’un arbre. Elle finit par l’attraper, la tira vers son visage et l’huma avec un plaisir non dissimulé.
Qu’elle était belle, nymphe flottante dans cette rode d’été
Frémissante de cette légèreté merveilleuse.
Brise de joliesse, d’attendrissement d’une délectation immuable.
De ma délectation admirative.
Elle restait là immobile. Puis elle se mit à tourner sur elle-même écartant les bras, regardant le bleu du ciel, s’enivrant d’un souffle de bonheur.
Et j’étais immobile, tétanisé par cette créature de rêve qui batifolait, perdue dans une joie profonde.
Elle ne continua pas son chemin, mais décida de s’asseoir sur une souche plantée sur le bord du chemin. De son sac, elle sortit un livre qu’elle feuilleta pour arriver à la page qu’elle avait dû abandonner. Sa tête s’inclina un petit peu, son corps oscilla pour trouver la posture idéale, celle qui lui permettrait une lecture confortable. Puis, elle resta totalement immobile, avec de temps en temps ce seul mouvement de la main qui lui permettait de s’adonner à la suite de l’ouvrage.
Et moi j’étais là, à la regarder, les yeux fixes, la dévorant du regard, chavirant sur ses moindres détails que la courte distance me permettait de voir.
Le temps passa ainsi dans mon admiration, dans mon attente. Une sorte de repos pour ma personnalité explosive, un bien être m’avait envahi, je me sentais proche d’elle, complice de sa lecture, accroché à ses lèvres, à son visage, à l’aura certaine qui d’elle émanait.
Une bonne heure avait dû s’écouler, une sorte d’arrêt sur l’image où le temps n’avait plus aucune importance quand elle posa sa main dans l’herbe pour se relever et après avoir mis de l’ordre dans ses atours, elle continua son chemin dans ma direction toute proche.
Mon cœur s’emballa, oui s’était décidé, j’allais l’aborder.

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Etrange ce hasard qui nous interpelle.
Cette quatrième fois.
Ce moment une fois de plus manqué, évité, édulcoré par ma bêtise, par ma timidité.
J’étais au marché, pour ce moment incontournable, celui qui me permettait de rencontrer des amis et de m’approvisionner en victuailles qui me semblaient plus naturelles et saines.
Mon attente devant un étal fut distraite par une voix qui me sembla familière.
C’était elle.
Elle se trouvait à mes côtés et avait interpellé le marchand sur son désir.
Mon regard se tourna dans sa direction, accrocha la langueur de ses yeux, mon souffle en fut presque coupé avec cet envi de l’embrasser de lui avouer mon désir :
-Oh ! Excusez-moi, c’est votre tour.
Je devais avoir l’air bête, tétanisé dans mon angoisse avec comme seule réponse un hochement positif de la tête.

Elle me sourit, m’avait-elle reconnu, remarqué.
Pendant la fraction de seconde où mes yeux s’attachèrent aux siens je crus reconnaitre une acceptation de souvenir, un besoin ou plutôt une envie de m’interroger sur ma personne :
-On se connait. Il me semble ?
Il n’en fut rien et je passai ma commande en mots bredouillant, emplis d’émotions, avec cette idée qui tournait dans ma tête de profiter de l’occasion, qu’elle ne se présenterait peut-être plus, qu’il était temps de m’affranchir de cette adversité en faisant le premier pas.
Je pris une énorme bouffée de respiration et me tournait de nouveau vers elle :
-Madame, on se c…
Elle s’était envolée.

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Elle marchait sereinement, se trouvait à quelques dizaines de mètres de moi.
Ma gorge était sèche, une certaine rougeur avait rejoint mes pommettes. Mon regard volait furtivement entre sa démarche divine et la vision de mes mains nerveuses ou mes doigts s’entrecroisaient de nervosité recherchant la composition qui m’autoriserait cet impossible interjection de rencontre.
Ma tête se tourna vers elle, elle avançait lentement, sembla remarquer ma présence, mon insistance qui la dévisageait.
Elle baissa ses paupières, du bout de ses dents, elle pinça le coin de ses lèvres, remis en place l’une de ses mèches rebelles. Une mèche blonde qui retrouva l’endroit idéal de son vouloir. La perfection de son visage me sembla idéal, splendide, d’une remarquable beauté, un idéal que j’admirais depuis si longtemps.
Elle passa devant moi, s’éloigna de quelques pas.
J’allais l’appeler. De ce prénom que je connaissais, qui chantait à mes oreilles.
-M…
Elle s’effondra sur elle-même.
Tout se passa si vite…
L’ambulance arriva rapidement. Les électro choques n’eurent aucun effet.
Le secouriste s’adressa à moi :
- Monsieur, il n’y a plus rien à faire, votre femme est…
-Elle n’est pas ma femme… Je ne la connais pas… Je…


Cette nuit-là, seul dans mon lit, je me mis à pleurer mon âme.
Regretter amèrement mon indécision, ma bêtise qui m’avait empêché une vie de rêve avec elle.
Avec Mylène !
Avec mon amour !
Avec notre destiné commune !
Avec cette extase de partage, de bonheur inégalé qui aurait été notre fait.
Notre avenir !

Regrets, pleurs, tristesse, affliction, mélancolie d’un destin à jamais perdu.
Neurasthénie de cette vie gâchée.
De notre vie gâchée…

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Deuxième partie

Je la suivais du regard.
C’était étrange.
Son pas me sembla moins assuré, presque chancelant.
Je ne l’aimais pas vraiment.
Enfin !
Je pense que je ne l’aimais plus.
Que cette ancienne flamme qui nous avait réunis.
Avait disparu.
C’était dissoute parmi les années qui s’étaient écoulées, ne nous laissant qu’un lambeau de servitude obligatoire, une sorte d’amitié ou plutôt l’acceptation d’un devoir de rester ensemble, pour l’importance des bons moments partagés, par sens d’un devoir commun, une obligation certaine de veiller l’un sur l’autre, de continuer une vie sans la saveur d’un émoi partagé. Notre séparation semblait inévitable, un envi commun, obligatoire.
Elle s’affala brusquement, puis le dos aplatit sur le sol, elle respira profondément, comme si elle voulait goûter à la vie une dernière fois.
Je me levai prestement, hurlai « Mylène ! ».

Elle était livide, une transpiration abondante inondait son visage avec ses yeux qui regardaient fixement le ciel.
Alors, je m’essayai à cette technique oubliée depuis longtemps, ces premiers gestes qui peuvent sauver une vie, sauver sa vie.
Ma bouche souffla dans la sienne, m’affligeant de l’évidence qu’il m’était impossible de la réanimer.
Une main se posa sur mon épaule, puis, une voix me dit : « Monsieur je suis médecin laissez- moi prendre le relais ! ».
Je restai là, à regarder ce combat pour la ressusciter, lui faire rejoindre cette deuxième chance, pour une vie non terminée à la destinée incertaine, mais à l’espoir heureux.

Des mots inondèrent mes oreilles.
« Venez vite, une femme, ça à l’air très grave ! »
« Oh la pauvre, si jeune ! »
« Venez les enfants, il ne faut pas regarder ça »
« Elle est morte la dame, maman ? »
Une ambulance arriva rapidement. Les électro choques n’eurent aucun effet.
Le secouriste s’adressa à moi :
- Monsieur, il n’y a plus rien à faire, votre femme…

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Je me souviens de la première fois où nous nous sommes rencontrés.
Ah ! Ma petite enfance. Heureuse épanouie.

Dans cette école maternelle où, j’usais mes fonds de culottes, où s’enchainaient mes jeux entre copains, celle qui m’apportait la joie d’être celui qui a la vie devant lui pour tout apprendre.
Ce fameux jour, je n’étais pas en train de m’activer avec mes copains. J’étais simplement assis sur un mur à les regarder courir dans tous les sens quand tout à coup une petite fille attira mon attention.

Elle jouait avec un camion de couleur rouge, il me semble. Je la trouvai belle, mignonne, dégageant une fraîcheur inconnue, peut-être divine.
Elle portait une robe printanière, gazouillait son histoire, son imagination, en poussant son véhicule d’une main malhabile.
-Tu t’appelles comment ?
-Mylène me répondit-elle, de cette petite voix fluette et chantante.
Je lui souris et elle répondit de la même façon ;
-Tu veux jouer avec moi ?
-Oui, je veux bien !
-Tu veux conduire le camion ?
-Comme tu veux.
-Alors tiens !
Elle me tendit le véhicule
Notre jeu prit son essor, mélangeant nos façons de penser, notre entrain commun. De temps en temps je m’arrêtais pour simplement la regarder et j’étais heureux de cette nouvelle connaissance.  Une petite fille.
Etonnant.
Car j’étais à l’âge où les garçons n’aimaient pas vraiment se mélanger avec le sexe différent, celui que l’on trouvait trop fragile, un peu bête, certainement sans intérêt. Mais Mylène semblait tellement différente de ses copines, plus volontaire, plus intéressante. Notre amusement fut assez brutalement stoppé par l’invective de mes potes :
-Tu fais quoi ? Viens jouer au foot avec nous.
C’est Mylène qui partit la première :
-Au revoir petit garçon, j’ai bien aimé jouer avec toi.
Je la regardai courir vers son petit groupe d’amies qui jouaient à la poupée. Sa course était légère, comment pourrais-je dire, elle me sembla vaporeuse, un peu irréelle. « Je l’aime bien ! ». Je l’inviterai pour mon anniversaire.
Mylène avait retrouvé ses habitudes.
Elle semblait diriger la bande.
Etre écoutée par ses copines :
-Laissez-moi faire ! J’ai un petit frère, je sais m’occuper des bébés.
Elle le prit dans ses bras, gazouilla son nez contre le sien :
-C’est comme ça que ma maman fait pour le faire sourire.
La fin de l’année scolaire était proche. Comme Mylène était dans la maternelle des petits et moi dans celle des grands, nos rencontres n’étaient pas quotidiennes, mais, chaque fois que nous nous rencontrions on aimait échanger quelques mots, quelques mots d’enfants, charmants, évidents.
Elle ne lui fut pas possible d’assister à mon anniversaire, mais j’eu une pensée pour elle et mis une tranche de gâteau de côté.
La plus belle, celle qui portait le poids de plusieurs cerises et d’un petit cœur de sucre.
Ce fut un plaisir de la lui offrir et de l’admirer en pleine dégustation avec ses petites joues gonflées de sucrerie et son regard étincelant de plaisir.
La fin de l’année scolaire sonna notre séparation que je crus définitive.
Elle resta dans cette même école, alors que moi je partis à la conquête des classes difficiles.

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C’était une belle journée, il fallait prendre l’air, alors nous nous sommes rendu dans cet endroit tranquille, dans ce chemin de promenade qui s’étirait dans la campagne avec en bordure de majestueux platanes.
J’avais pris un livre, celui que je voulais finir ? Un ouvrage particulièrement ardu, par son contenu, par sa forme littéraire. Je l’avais commencé une année plus tôt, puis je l’avais abandonné sur ma table de chevet en me disant. « Plus tard, quand j’aurai plus de temps, quand mon esprit sera plus reposé ».
Ma femme Mylène était prête pour son jogging quotidien.

Le matin même nous avions eu une conversation difficile. Elle m’avait dit qu’elle voulait que l’on se sépare. Que notre vie commune de bonne entente, ne lui convenait plus. Qu’il lui restait de belles années devant elle et qu’elle voulait en profiter pour, peut-être, trouver un nouvel homme qui réanimerait sa flamme, lui réapprendrait l’amour celui-là même qui nous avait uni dans un lointain passé, mais qui s’était éteint, faute de volonté peut-être, d’enfant certainement.

Et je fus d’accord de terminer cette relation platonique, asthénique, qui ne présentait plus vraiment d’intérêt et nous qui nous ferait certainement apparaitre un jour comme un vieux couple qui s’ennuie qui se morfond d’une décision qui aurait dû être réglée dans nos jeunes années.
Pourquoi en étions-nous arrivés là. 
Je ne le sais pas vraiment.
La vie quotidienne, un amour trop fou, trop fusionnel. Et puis le temps qui efface la magie, l’étincelle qui avait fait battre nos cœurs à l’unisson.

Insidieusement, un mur s’était dressé entre nous, nous interdisant nos confidences, notre complicité. Bien entendu on avait essayé de le briser de revenir à « autrefois ». Mais même ses petits voyages romantiques de retrouvailles décidées de façon impromptue, n’avaient pas pu inverser la tendance.
Quelque chose s’était cassée, la magie de notre union s’était envolée, nous laissant séparés dans nos rêves, nos exigences, nos certitudes…
Nous nous étions rendus vers ce lieu de promenades, habituel, pour la dernière fois, ensemble, nous avions fait le chemin dans le silence de nos mots qui ne venaient plus, que nous ne voulions plus prononcer par gêne, par peur de divulguer une émotion dans notre voix, quelque chose qui nous indiquerait que tout n’était peut-être pas fini.


Je pris place sur un banc, bien ombragé, confortable.
 J’avais ouvert mon bouquin at l’avais posé sur mes genoux.
Elle rompit le silence et je ne pus m’empêcher un sursaut :
-Je pars faire ma boucle habituelle, je te retrouve ici dans une heure.
Je lui souris, et mon regard suivit sa foulée, qui s’éloigna dans la rectitude du chemin.

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Notre deuxième rencontre.
Ah oui, bonheur inégalable !
C’était durant mes année lycée, pendant mon adolescence.
J’étais à la bibliothèque de l’école. Je recherchai un livre scientifique qui m’avait été conseillé et qui me permettrait de comblée une lacune quand, soudain je la vis.
Belle comme le jour, douce comme la lumière d’un clair de lune, radieuse comme mille soleils.
Je me mis à la regarder avec insistance, ressassant mes souvenirs. C’était bien elle, la petite fille si mignonne, Mylène qui m’avait enchanté de sa différence.
Elle était entourée de nombreux garçons, à mon sens des prétendants qui semblaient particulièrement prévenant à son égard. Je reconnaissais son attitude de chef, de celle qui est écoutée et qui a l’habitude d’imposer ses ordres.
-C’est la surdouée des classes de première. Elle vient de rejoindre notre lycée et survole toutes les matières avec une facilité déconcertante. Mes parents connaissent ses parents, me précisa mon copain. Ils leur ont dit qu’elle voulait suivre une scolarité normale avec des gens de son âges et qu’elle voulait prendre son temps pour grandir.
Elle a tout pour elle cette fille, beauté et intelligence.
Les jours suivant, j’eus l’impression de l’apercevoir continuellement, à la cafétéria, dans les couloirs, dans la rue. Mais elle était constamment entourée de son « harem » de beaux garçons qui étaient tous aux petits soins pour elle, m’empêchant ainsi de faire ou du moins refaire sa connaissance.
Puis il y eut ce jour, devant le lycée, où j’attendais mon père qui tardait à venir.
Je grommelai mon impatience quand une sorte d’impression happa mon attention. Je me retournai pour la voir, seule.
Enfin seule.
Assise tranquillement à quelques pas de moi avec un énorme bouquin entre les mains.
Depuis combien de temps était-elle là, je ne le savais pas et je regrettai déjà ces instants perdus de ne pas l’avoir regardée.
Une boule de nervosité m’étranglait, mais faisant fi de cet handicap, les jambes légèrement chancelantes je m’approchait d’elle :
-Mylène, c’est bien toi Mylène.
Son regard abandonna sa lecture pour se poser sur moi. Elle eut un froncement imperceptible de ses sourcils, une sorte de doute s’inscrivit dans ses yeux, un effort de mémoire qu’elle essaya de faire :
-Oui ! Dit-elle doucement, semblant s’intéressé à ma personne. On se connait, j’en suis certaine, mais… Elle hésita un instant. Je ne me souviens plus  vraiment à quelle occasion ?
-La maternelle, j’étais le petit garçon qui avait joué au camion avec toi, celui qui t’avait apporté une tranche de mon gâteau d’anniversaire.
Elle éclata de rire :
-Oui c’est ça, je suis si contente !
Elle se leva, laissa tomber sa lecture à terre et se hâta vers moi pour me prendre les mains et m’embrasser sur les joues.
Oui, elle me reconnaissait maintenant.
Oui, elle s’était demandée ce qui était advenu de moi.

Oubliant la venue de mon père nous sommes partis boire un café dans un bistro voisin. Deux longues heures s’écoulèrent avec la description de nos chemins parcourus. Et je l’admirais, je la buvais du regard, m’abreuvant du mouvement de ses lèvres, affectionnant la beauté de son visage, m’identifiant à sa fraicheur que je voulais mienne.
Car, mon cœur s’était mis à battre pour elle, premier émoi amoureux et possible, car j’en avais la certitude, le même sentiment l’animait, une impression que je lisais en elle, de la même façon qu’elle devait la lire en moi. Une attirance aussi bien physique, qu’intellectuelle.
Elle était brillante, d’une intelligence et d’une perspicacité étonnante qui me laissa pantois, impressionné, envouté par cet être délicieux, divin.
Nous nous sommes quittés avec difficulté, il le fallait, il était tard.
J’aurais voulu la prendre dans mes bras, la serrée très fort.
Peut-être le voulait-elle.
Mais par inexpérience, indécision, je décidais de reporter ce type emportement pour une date ultérieure.
Nous nous revîmes très souvent, mais malgré notre rapprochement évident nous sommes restés seulement amis, elle n’était pas prête, m’avait-elle dit, de s’engager plus sérieusement avec un garçon, qu’un simple baisé sur les lèvres resterait pour le moment la seule marque qui me montrerait son affection plus qu’amicale.
J’en fus heureux.
Un flirt avec une fille aussi délicieuse me convenait tout à fait, je me sentais bien, comblé par la perspective évidente d’avoir rencontré celle qui pourrait un jour partager ma vie.
L’année scolaire se termina et mon BAC en poche me permit d’intégrer une scolarité aux Etats-Unis.
Mylène en classe de première continua sa scolarité dans le même lycée.
Mon départ sépara notre amitié amoureuse avec nos promesses de rester en contact, de nous retrouver bientôt.
Ce fut le cas au début, puis le temps et l’éloignement effaça notre mutuelle attirance, gomma certains de nos souvenirs.
Loin des yeux, loin du cœur…

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J’étais assis sur ce banc, immobile, plongé dans mes pensées.
Ma relation avec Mylène n’était plus au beau fixe depuis trois ans déjà.
Elle avait d’ailleurs acheté un petit appartement à une cinquantaine de kilomètres de notre village et allait souvent s’y réfugier pendant plusieurs semaines, sans me donner la moindre nouvelle.
Nos souvenirs communs avaient disparu de l’environnement de notre foyer et nos absences nous semblaient maintenant naturelles, presque évidentes.
Maintenant que j’y pense, il y a un début aux changements d’attitudes de l’un envers l’autre.
 Le travail de Mylène lui imposait des déplacements fréquents, elle partait souvent pour quelques jours, rarement plus d’une semaine et revenait, me revenait avec ce fort sentiment amoureux qui nous unissait.
Il y eut cette fameuse fois, où, je sentis que quelque chose en elle, avait changé. 
J’ai toujours eu cette facilité d’analyser le comportement des gens qui m’entourent, un mot, un regard, une phrase, même si elle ne m’est pas adressée me semble lourde de révélations, de conséquences et l’expérience m’a très souvent donnée raison.
Nous n’étions pas vraiment un couple à la fidélité exemplaire, il se pouvait que de temps en temps nos ébats amoureux ne soient pas lié à notre simple monogamie. Mais cela n’avait aucune importance, c’était simplement pour le « fun » le plaisir charnel car de toutes façons on revenait l’un vers l’autre unis de nos retrouvailles idylliques, nos affirmations que l’amour, notre amour était indéfectible, absolu.
Nous nous racontions nos incartades sans ressentir la moindre gêne, la moindre jalousie.
Et la vie, notre vie continuait, souffle de félicité absolue.
Mais comme je vous le disais, il y eut cette fois où je perçu un changement, une gêne étrange. Elle se trouvait devant moi, après un court voyage et me racontait ses activités, le succès de sa conférence, mais ses yeux me semblaient différents, légèrement fuyant, comme si une lueur pouvait trahir un sentiment caché, un essoufflement de notre amour.
Depuis ce jour, quelque chose avait changé entre nous.
Je ne sus jamais si elle aimait quelqu’un d’autre, je ne le pense pas, mais plutôt que nos sentiments l’un pour l’autre qui étaient jusqu’alors uniques, ne l’étaient plus vraiment, qu’elle s’était rendu compte qu’il lui était possible de ressentir la même chose pour un autre homme.
Que notre rencontre, notre relation pouvait sans le moindre problème être renouvelé, sans moi, fusionnement plus ou moins éphémère,
 
Tiens, bizarre ! Je regardais ma montre, elle aurait déjà dû accomplir son circuit.
Je lançai mon regard au fond de ce long chemin et je l’aperçu dans le lointain. Elle s’était arrêtée, était cassée en deux, tenant ses mains sur ses genoux.
On commence à se faire vieux ! Me mis-je à penser.

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Cette troisième fois fut la bonne, je m’en souviens comme si c’était hier.
J’étais allé à une conférence sur les exoplanètes.
Ma motivation principale était sa présence, j’avais lu son nom dans un journal, alors je m’étais précipité dans ce grand amphithéâtre démesuré par rapport à la fréquentation de ce jour.
Et oui, elle était là, maître de conférences, coauteur de ce gros bouquin scientifique. Alors je m’étais assis au premier rang, juste en face d’elle.
Avant de commencer ses explications, son regard se posa sur moi. Elle sembla perplexe, étonnée et soudain, elle me sourit, elle m’avait reconnu. Sa posture, l’expression de son visage me fit comprendre qu’elle en était heureuse.
Dans la pénombre dans laquelle avait été plongé la salle Je n’écoutai pas son monologue, mais l’admirait, mon esprit plongé dans mes souvenirs d’elle de notre relation d’adolescent, de cette envie que l’on partageait mais que nous n’avions jamais assouvi.
Bien entendu je lui fis dédicacer son livre en lui demandant si elle avait du temps après, ce soir, pour un verre.
Elle me répondit qu’elle allait aux restaurants avec des collègues et qu’elle serait heureuse de ma présence.
On était assis à la même table, avec une personne entre nous. Je m’intéressai à son travail, à ses activités et elle me répondit à travers le brouhaha, regrettant de ne pas être à ses côtés pour que notre conversation soit plus aisée.
Le repas se déroula ainsi dans une ambiance joyeuse, festive, ses amis étant réellement sympathiques et enjouées.
Nous nous recherchions du regard, coups d’œil furtif, curieux, qui voulaient absolument se rencontrer, mais qui fuyaient au premier contact, par timidité peut-être ou pas peur que l’autre remarque notre intérêt, nos intérêts réciproques, notre indiscrétion partagée.

Puis la soirée se termina, ses amis nous quittèrent et je fus seul devant elle.
Nous restions là à nous regarder en silence, subjugués l’un par l’autre, comblés d’être ensemble, enfin, finalement.
Simplement heureux de cette retrouvaille, de ce trouble qui nous captivait.
-Mylène, je suis si heureux, un rêve, tu es là devant moi et…
-Oui, c’est incroyable, mon cœur bat à mille à l’heure, comme dans ce passé révolu.
-Moi aussi ! Je rougis. Mon ventre se crispa de ce désir incontrôlé. Je me sentis essoufflé.  Mylène ! Seul, son nom arriva à mes lèvres et mon habitude d’homme loquace, plutôt certain de lui s’effaça devant son image.
C’est elle qui arriva à engager notre conversation, sur des banalités au début, puis elle me questionna sur mon statut marital, me dit qu’elle aussi était libre.

Je ressentis ardemment qu’elle voulait dire libre pour toi, maintenant, tout de suite, cette nuit…
C’est une chambre d’hôtel qui abrita notre fusion corporel, mélange de nos corps inassouvis, de nos pulsions incontrôlées, il semblait que nous voulions rattraper le temps perdu, ressentir la moindre parcelle de l’autre, nous aimer.

Toujours !
Mariage, engagement définitif, construction d’un vie commune avec un plaisir absolu baigné d’euphorie.

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Elle avait repris sa course, planant d’une foulée parfaitement contrôlée au-dessus du chemin caillouteux. Au bout d’à peine une simple petite minute, elle s’arrêta, porta ses mains à ses hanches pour continuer en marchant d’un pas tranquille.
Je la voyais clairement.
Elle était toujours aussi belle, le poids des années ayant, à mon avis bonifié ses formes, accentué son côté féminin, sa légèreté naturelle.
Je me mis à penser à notre séparation. Qu’allions nous devenir dans nos chemins divergeant. Allait-elle refaire sa vie avec un autre que moi, avoir cet enfant qui lui semblait important.
La vie est forcément sinueuse, imprévisible.
De mon côté, j’étais assez décidé de refaire ma vie, une vie avec une autre, plus douce, plus belle, une qui saurait m’émerveiller, m’intéresser, me permettrait de revivre ce bonheur qui focaliserait mon esprit sur sa personne, où ma pensée s’accrocherait à son image m’entrainant dans un émoi de chaque jour où son absence serait souffrance et sa présence un délice.
Elle devait exister, quelque part, mon double cette nouvelle destinée.
Mon regard se tourna de nouveau vers mon ancienne compagne.
Quelle terrible sentiment de la nommer ainsi.
Nous qui nous aimions tellement fort, apnée d’une relation idyllique, volupté étrangère de l’éphémère, où, nous le croyions, le mot toujours resterait indéfectible jusqu’à notre dernier souffle. Mais non, mon âme, nos âmes avaient versé dans la désolation où même notre amitié semblait s’être envolée. Indifférence de nos êtres.
Elle se trouvait maintenant près de moi, respirant avec difficulté. Je m’enquis de son état.
« Laisses-moi ! ». Dit-elle
Son ton était agressif, son regard rageur. Elle avait les poings fermés, son visage crispé de douleur ou de haine.
Elle passa derrière moi continua quelques pas et s’affala sur le sol.
Tout se passa si vite…
L’ambulance arriva rapidement. Les électro choques n’eurent aucun effet.
Le secouriste s’adressa à moi :
- Monsieur, il n’y a plus rien à faire, votre femme est morte.
Je restais là immobile , agenouillé auprès d’elle, mon visage s’était refermé, pas une larme, pas un cri.
Ma main rejoignit la sienne, elle était froide…

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Cette nuit-là, seul dans mon lit, j’avais les yeux grands ouverts
Aucun regret, aucune tristesse liés à sa perte.
A la perte de Mylène !
Une pensé pour elle, bien entendu, mais comme celle que l’on doit à quelqu’un que l’on connait, à un être que l’on voit disparaître.
Les souvenirs défilaient dans mon esprit, mais me semblaient bien irréels, un petit peu comme si je les avais observés et non vécus.
Une étrange impression d’indifférence.

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Alors qu’elles sont tes conclusions ? ».
Une voix tonitruante venait de m’interpeller.
Pourtant, j’étais seul.
Alors, je me mis à pivoter sur moi-même pour voir d’où venait cette question.
Personne n’était là.
Essentiellement la brise du soir, le chant des oiseaux qui accompagnaient ma ballade nocturne.

« Qui êtes-vous, que me voulez-vous ! »
Un énorme rire retentit et me glaça le dos.
« Ne cherche pas autour de toi, je suis en toi, je suis l’ombre et la lumière, le profond, l’indicible, celui qui restera alors que ton corps ne sera plus que poussière.
Alors je te le redemande, à toi l’homme aux deux vies et à l’unique femme.
Qu’elle est celle que tu préfères ? »
Je haussais des épaules, je devais divaguer.
A de nombreuses reprises je m’étais pris à m’éloigner de la réalité pour me perdre dans mon être profond, dans ces tréfonds de mon esprit, dans cet amalgame intellectuel qui faisait partie de moi et qui me permettait une sorte de deuxième vie, irréelle certes, du moins dans le sens cartésien des choses, mais pourtant, si véridique et essentielle.
Mais c’était la première fois que ce « moi » intérieur s’adressait à ma personne de cette étrange façon.
Et, je n’arrivais plus à me souvenir laquelle de ces deux histoires était celle véridique, celle vécue, celle désirée.
Ce soir-là.
J’étais allongé sur mon lit, la tête pointée vers le plafond, je me sentais bien, heureux peut-être, et je me mis à penser à ces deux chemins de vie, en me demandant lequel me conviendrait le mieux.

Un amour utopique, rêvé n’est pas si insipide.

Penser à une femme que l’on aime sans jamais pouvoir l’atteindre n’est pas totalement dénué de charme ou de romantisme.
Bien entendu, on ressent la frustration d’une genèse inaccomplie.
Mais est-ce important ?
Admettre que l’on a manqué une occasion, mais qu’une autre certainement se présentera.
Vivre dans un émoi perpétuel où notre cœur, notre âme est près, à deux doigts de l’être désiré.
De l’idéaliser dans un flot de pensées continues, mon amour, mon âme, mon bien être, je te vois, je te ressens comme un souffle qui me caresse, me berce d’un émoi enfantin.
Qui es-tu, blottie dans la pénombre de mon inconscient ?
Perfection.
Être achevé.
Appelles-moi…
Et puis, il y a cet amour fusionnel.
Ce coup de foudre mutuel, immédiat, absolu, irréfléchi.
Mais est-ce toi que je recherche, que je veux vraiment, exactitude de mes sentiments, tranquillité de mon esprit, douceur du parallélisme de deux entités qui se croient identiques.
Alors la vie s’accélère, se fond dans une identité commune, respirant d’une même exaltation, un bonheur sans partage.
Divinité de l’aube, entité immuable.
Croire en cette perfection sans nuage.
Ce tout.
Cet absolu.
Sans coup férir, l’écrasante force du temps qui passe, alourdira la légèreté d’une concorde absolue, unique. Forçant à croire que l’axiome n’est pas celui que l’on présumait, mais un simple caprice d’une vie qui demandait à s’étendre, à comprendre le pourquoi de sa maturité à venir.

J’ouvre les yeux.
Ma respiration est devenue rapide.
Et, je me met à chuchoter, à transcrire la déraison de mon intellect trop étrange, voulant par des mots solutionner ma folie éphémère.
Dieu ! Être divin laisse-moi. 
Efface cette complexité qui me submerge, je ne suis qu’un spectre sans lumière.
Je désire une vie simple.
Je veux brûler mon désespoir. Répudier cette démesure qui me pèse !

-Petit être de chair !  Reprit la voix excessive. Calme-toi. Endors-toi. Ne recherche pas le néant, tu es cet entité de douceur.
L’amour que tu cherches est près de toi, tendrement endormi.
Elle est ta solution ultime, le véritable cœur que toi, tu adores.
Homme aux deux vies et à l’unique femme ne crois plus en tes rêves.
Apaises toi !
Sois heureux…






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