Les Polars Gessiens    www.viagex.com

le raisonnement d'Aristote

 

La chaleur était soudainement arrivée. Elle avait écrasé par sa brusquerie, la petite ville de Gex qui aurait préféré opter pour une température plus clémente.
C’était un samedi matin, vers onze heures trente.
Assis sur un banc de la minuscule place des trois ormeaux, quatre personnages, trois hommes et une femme, tous âgés d’une trentaine d’année papotaient avec un plaisir évident.
Trois énormes platanes leurs offraient la fraîcheur de leurs ombrages. Quelques moineaux virevoltaient dans leurs feuilles, gazouillant à souhait, s’ébrouant dans une volupté communicative. Plus bas, un petit groupe de personnes attendaient sagement devant la salle des mariages l’arrivée incertaine de futurs conjoints.
Deux employés municipaux, le visage couvert d’une sueur scintillante, munis chacun d’une lourde boîte à outils pénétraient dans la salle des fêtes.
Plus bas, la rumeur du marché hebdomadaire apportait un brouhaha bien sympathique, un léger zéphire transbahutait quelques odeurs de poulets grillés, elles même joliment accompagnées de parfums campagnards.
Longeant la rue du commerce, de jolies bâtisses anciennes se laissaient dorer, offrant au Dieu soleil leurs plus jolis profils.

Nos quatre acolytes bercés par l’écoulement de leur conversation laissaient traîner leurs regards sur le trottoir d’en face. Rien de bien passionnant à voir dans cette ruelle un peu trop tranquille. Essentiellement quelques personnes sur qui suspendre son regard.
Pourtant à cet instant précis, alors que tout semblait platement ordinaire, un événement tragique allait survenir…
A cet instant, disais-je.
Une jeune femme, le bras accroché à un panier à roulettes escaladait avec facilité l’inclinaison abrupte de la rue du commerce. Elle croisa un austère quidam qui habillé d’un costume sombre semblait cacher son visage sous un large couvre chef d’une noirceur mortuaire. Suivant de près la donzelle, un deuxième homme à l’accoutrement tropical allongeait ses pas d’un rythme singulièrement rapide. Les yeux rivés sur le sol, celui ci ne daigna même pas un regard au sévère individu qu’il rencontra à son tour.

Plus haut, au-dessus de leurs têtes, un magnifique pot de géranium venait juste d’amorcer sa chute.

Une voiture de grosse cylindrée, dans un vrombissement désagréable arriva, animée d’une vitesse déraisonnable.
Puis, il y eut ce coup de frein brutal, ce crissement aigu de la gomme qui glisse sur l’asphalte, ce bruit sourd d’un corps éjecté, propulsé par un choc violent. Ensuite, des cris, des appels, des pas de gens qui accouraient, qui commentaient l’abomination…

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Edmond Dantisse lentement enfila sa veste. Il faisait vraiment très chaud. Mais malgré cette touffeur désagréable, il s’était engoncé dans ce costume trop étroit, trop triste. Veuf depuis maintenant trois ans, l’age de la retraite passé, il vivait seul dans ce petit appartement qui côtoyait l’église. Comme tous les samedis, en fin de matinée il se préparait pour accomplir quelques emplettes au marché. Son appartement était tristement décoré, de vieux meubles trop sombres, une tapisserie jaunie par la lumière, un lampadaire en cristal suspendu à une tige de fer rouillé. Une vieille photo, reflet d’un lointain passé heureux, attendait seul sur la commode que quelqu’un daigne bien lui sourire. Dans un coin un fauteuil recouvert d’un drap couleur bleu sombre faisait face à une petite télévision qui pour le moment diffusait quelques images d’une couleur peu naturelle.
Edmond ne se souciait plus guère de son intérieur. Le seul ajout qu’il avait fait à la décoration du lieu était un poster bien singulier. Un poster de Jean-marie Lepen qui ventait les bienfaits du Front National.
Et bien oui ! C’était un adhérent convaincu de ce parti xénophobe, ceci pour la cohérente raison qu’il détestait les étrangers. Surtout ceux d’une race différente de la notre. Ces envahisseurs, se disait-il, qui viennent occuper notre pays et ne font que profiter de notre labeur.
Edmond avait d’ailleurs engendré quelques altercations racistes. La dernière en date, particulièrement violente, s’était déroulée dans un bar de la rue des Terreaux et l’avait confronté à un brésilien basané qu’il avait traité de toutes sortes de noms d’oiseaux alors que le pauvre homme n’avait eu de tord que  sa présence. Le pire avait été évité par l’intervention autoritaire d’un gendarme qui s’était justement interposé calmant ainsi les esprits qui commençaient à s’échauffer.
La vieille horloge quelque peu en avance, sonna un coup signifiant la demi-heure. Edmond se couvrit de son large chapeau noir et se retrouva sur le palier de son appartement. Il verrouilla sa porte à double tours et calmement descendit la route de la fontaine. Sa démarche était volontaire, rythmée par le balancement de ses deux bras. Sa main gauche tenait le  sac plastique qui lui servirait à recevoir ses emplettes, l’autre dans son inutilité restait les doigts largement écartés voulant retenir le courant d’air qu’elle provoquait. Les yeux cachés sous la pénombre de la bordure de son couvre-chef ne lancèrent qu’un rapide regard à la jolie demoiselle qu’il croisa par contre ils se pausèrent hargneusement sur l’acolyte qui la suivait. Ses lèvres marmonnèrent quelques insultes  pendant les brèves secondes qui les firent se croiser.
Puis, tout s’enchaîna trop vite.

Il y eut ce bruit de terre cuite qui se fracasse, de freins qui essayent d’éviter l’inévitable, de ce choc violent qui le broya. Et ce mal foudroyant qui mit un terme à sa vie…

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Madame Pichonneau Habitait au troisième étage de cette vieille bâtisse plus que bicentenaire. Elle adorait cet endroit privilégié qui lui permettait d’avoir un œil attentif sur la salle des mariages. Cette bonne dame était la commère attitrée du village. Elle adorait connaître et répéter tous les potins locaux.
Son logis était spacieux, elle l’habitait depuis sa plus jeune enfance et ne l’aurait quitté pour rien au monde. C’est donc tout naturellement qu’à la mort de ses parents avec lesquels elle avait toujours vécu, elle avait décidé de terminer sa vie entre ces murs malgré la taille démesurée de l’endroit. Elle n’avait d’ailleurs rien changé à sa décoration. Tout était là, à son immuable place, briqué, rangé, aligné au millimètre. Aucune place pour la plus banale originalité, au moindre moderniste. Sur la table de sa salle à manger qui n’avait plus servi depuis des années, elle entreposait l’ensemble des souvenirs de sa longue vie. Une tour Eiffel en plastique lui rappelant son voyage à Paris, une petite statue de la vierge pour son pèlerinage à Lourdes, deux assiettes ornées d’une gravure du Mont Saint-Michel et aussi de quelques objets hétéroclites d’origines incertaines.
Elle revenait tout juste du marché. Deux heures trente de bonheur complet où elle rencontrait ses copines et papotait à souhait sur tous les derniers évènements urbains. Elle connaissait vraiment tout sur tout le monde et s’appliquait à argumenter des commentaires sur les Gessiens qui passaient à porté de sa vue. Aujourd’hui, elle avait déversé plus particulièrement son venin sur une jolie demoiselle d’une vingtaine d’année. Elle ne savait pas grand chose sur elle, mais l’estimait trop belle, trop coquette, trop aguicheuse.
 « Une jolie fille comme ça qui vit seule, moi je trouve ça pas normal ! Elle habite à quelques pâtés de maisons de chez moi depuis plus d’une année et je ne l’ai jamais vue avec un homme. J’crois qu’elle aime que les femmes ! Plusieurs fois, je l’ai aperçue avec deux blondasses de son genre qui pénétraient chez elles pour y passer la nuit.
Ces copines eurent toutes une expression de dégoût. Puis elles se mirent toutes à ricaner quand la pin-up passa devant elles. Leurs rires n’étaient pas dus à sa qualité supposée de lesbienne mais par le fait qu’à son passage tous les hommes la suivaient du regard avec cet air qu’elles supposaient lubrique.

-Messieurs ! Vous n’avez aucune chance ! Murmura madame Pichonneau.

Mais, il était temps pour elle de rentrer. Aujourd’hui à onze heures trente devait se dérouler le mariage de la petite Sophie avec son bien-aimé Claude Routin.

-Oui ! Vous savez, le fils du directeur de cette compagnie de bijouterie de luxe genevoise. Celle là, elle a su faire ! Ses parents ne sont qu’employés de mairie. Paraît que les parents du jeune homme sont furieux, mais n’ont rien pu faire pour casser ce mariage avec une « roturière. « J’ai entendu que la cérémonie se déroulera en toute simplicité avec la seule présence de la famille de Sophie. Je ne peux manquer ça pour rien au monde ! »

Elle était donc dans son appartement plus tôt que prévu, s’affairant à quelques tâches ménagères avant de se poster à sa fenêtre, l’heure fatidique venue.

Elle jeta un coup d’œil à son horloge, il lui restait encore un bon quart d’heure d’attente avant l’événement. Rejoignant son fauteuil armée de son journal, elle l’ouvrit sur la page des faits divers et se plongea dans sa lecture favorite. Quand plus tard elle émergea des délices que lui apportaient ces histoires insipides, elle s’aperçut que le moment tant attendu était passé de deux bonnes minutes. Elles se leva avec une prestance surprenante, puis traîna sa carcasse jusqu’à la fenêtre et d’une main résolue écarta un pot de géranium qui lui empêchait la vue.
Cette action trop brutale et complètement inconsidérée entraîna la chute de celui-ci…

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Habité dans un pays que l’on ne connaît et qui déploie des coutumes à mille lieux des vôtres.
Ceci est vraiment très difficile !
Particulièrement quand on atterrit là, par hasard.
Enfin, pas vraiment par hasard !
Car, la famille paternelle de Sylvio vivait à Gex.
Ce jeune homme venait d’avoir dix sept ans, bel enfant à la couleur basané, à l’intelligence intuitive marquée par la vie aventureuse dans laquelle ses parents l’avaient entraîné.
Son père, un Gessien et sa mère, une Guadeloupéenne avaient depuis sa plus tendre enfance parcouru le monde visitant chaque recoin de la planète. Ses cinq dernières années, ils les avaient passées au Brésil, dans la forêt amazonienne,  vivant une vie simple de rencontres avec des tribus indigènes.
Puis, il y eut ce triste jour, le jour de l’accident.
Ses parents avaient décidé de revenir au pays.
Il fallait donner une éducation sérieuse au petit ! S’étaient-ils dit. Lui permettre de vivre la vie de son choix et non du leur, et puis, peut-être ils en avaient mare de cette vie sans attache, loin d’une famille qu’ils affectionnaient et qui commençait à leur manquer.
Ils avaient donc réintégré le pays de Gex, leurs facilités à parler de nombreuses langues étrangères et une solide éducation, leur avaient permis de trouver aisément un travail dans un organisme international de Genève.
Malheureusement quelques mois à peine suivant leur arrivée, tous deux succombèrent à la suite d’un grave accident de la route.
Sylvio fut recueilli par sa tante et vivait depuis seul avec elle.
Il s’intégrait avec difficultés à ce nouveau pays, les gens lui paraissaient si froids, si distants, bien loin de l’amitié sincère et sans équivoque de ses amis indigènes.
Sa nature solitaire ne l’inclinait d’ailleurs guère à se faire de nouveaux amis. Il préférait la solitude des promenades en forêt. Pourtant dernièrement il ne sortait guère.

Récemment, il avait été victime d’une altercation raciste. D’un sal bonhomme qui l’avait violemment agressé de propos hargneux et où seule l’intervention inopinée d’un gendarme lui avait sauvé la mise.
Depuis, il préférait passer de longues heures enfermé dans sa chambre, allongé, les yeux dans le vague à la recherche de son bonheur passé et poursuivant inlassablement ses chimères idylliques.

Sa chambre était décorée de nombreux objets qu’il avait collectés durant son long séjour passé dans la jungle amazonienne. Arcs, flèches, instruments aux allures primaires décoraient son antre.

Sa tante avait tout de même grommelé quand il avait ramené ce bric-à-brac chez elle.
Elle avait confié à madame Pichonneau que parmi ce fourbi il y avait des flèches empoisonnées !
Qu’avait-elle fait là !

La nouvelle  s’était répandue tel un trait de poudre pour arriver déformée jusqu’aux oreilles des gendarmes. Ceux ci firent même une petite enquête de voisinage pour apprécier le danger que pouvait faire craindre ce nouveau venu.
Heureusement, tous les gens étaient du même avis.
-Il est très gentil ce jeune homme, très discret, très polis, mais vraiment peu bavard !

Et c’était la vérité, jamais on ne lui avait prêté un mot plus haut que l’autre. Qualité qu’il tenait certainement de l’exemplarité de ses parents.

Le samedi de l’accident, vers onze heures trente du matin, il s’était retrouvé derrière une charmante jeune femme, la suivant dans cette rude montée de la rue du commerce. Il la trouvait vraiment superbe, d’une élégance provocante. Elle, habillée d’un tailleur couleur de printemps et d’une jupe fendue sur la cuisse droite. Lui, accoutré d’une ample cape, d’un pantalon très large et de deux savates tressées.
La jolie personne ne semblait pourtant pas susciter en lui un quelconque bonheur, au contraire son visage était livide, sa respiration rapide. Il faillit presque télescoper un homme qu’il évita au dernier moment de justesse.

Puis, en quelques enjambées, il rattrapa la jolie demoiselle et la dépassa curieusement sans lui accorder le moindre regard.
Le vacarme inattendu qui à cet instant déboula ne le fit même pas réagir.

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Munie d’une application intransigeante, sa main déposait sur ses lèvres pulpeuses une fine couche d’un rose à lèvre sophistiqué. Elle se savait très belle et prenait, chaque matin, un soin méticuleux pour parfaire  les courbes de son visage. Ce bleuté sur ses paupières qui accentuait la profondeur de ses yeux couleur de ciel, ce fond de teint harmonieusement distribué, ce nez délicat qui soulignait la symétrie parfaite de ses pommettes, ce front dénué de toutes rides indélicates. Seul un petit bouton incongru était apparu à l’orée de la naissance de ses cheveux. Cela l’agaçait au plus au point, pourquoi avait-elle mangé ce carré de chocolat hier soir, elle se savait pourtant allergique à cette gâterie. Elle cacha avec l’aide d’une mèche de ses cheveux dorés ce détestable ornement. Puis, une vapeur laquée aida à tenir l’édifice en place.
Elle se regarda encore une dernière fois dans son miroir et satisfaite du résultat décida qu’il était temps d’aller s’approvisionner au marché. En sortant, elle envoya un baiser à une photo accrochée sur le mur. Celle de son fiancé qu’elle aimait tendrement. Il lui manquait beaucoup. Casque bleu à l’O.N.U. il était parti en mission depuis presque huit mois dans un pays à risque du sud-est asiatique. Leurs seules relations ne tenaient qu’à ce paquet de lettres entouré d’un cordon de soie qu’elle tenait soigneusement rangé dans le tiroir de sa table de chevet et de ses coups de téléphone chaque samedi à midi précise. Il lui restait donc aujourd’hui une bonne heure  pour faire ses emplettes et revenir pour ce rendez-vous téléphonique tant attendu. La solitude lui pesait un peu, travaillant sur Genève, elle ne connaissait guère les habitants de Gex et n’était pas encline à fréquenter les activités locales sans la présence de son homme. Seules, ses sœurs qui habitaient Lyon, venaient de temps en temps passer quelques jours avec elle.

Le marché de Gex était un endroit qu’elle aimait particulièrement, elle s’y sentait heureuse. Peut-être parce qu’il représentait les quelques instants qui la séparait de la conversation avec son amoureux et qu’à cet horizon tout lui semblait enchanteur.
Son petit panier à roulette traînait derrière elle.
Elle fît comme à l’habitude le tour des commerçants qu’elle appréciait le plus.

« Alors ma p’tite dame, j’vous ai réservé mes plus belles tomates ! »
Sa beauté étincelante lui  apportait la bienveillance de tous les hommes et le ressentiment de toutes les femmes qu’elle croisait. Il y avait cette commère, une vieille chouette comme elle s’amusait à la comparer et qui, à son passage, susurra quelques propos certainement indélicats à son égard qui provoquèrent l’hilarité de ses copines.
Elle fît un petit signe de la main à un homme qu’elle connaissait un peu et qu’elle trouvait tout à fait sympathique. Elle aurait bien voulu échanger avec lui quelques mots, mais pour l’instant il discutait avec un couple d’une cinquantaine d’années habillé d’une façon très distinguée.
Elle continua ses courses pour bientôt se rendre compte qu’il était temps pour elle de rentrer chez elle. Il était presque onze heures trente quand elle s’engagea dans la montée de la rue du commerce.
C’est à cet instant qu’elle se rendit compte que quelqu’un la suivait. Un jeune homme habillé d’une façon plutôt originale. Elle lui lança un bref et discret regard aidé par le reflet d’une vitrine.
Le teint brunâtre de l’individu lui fît peur.
Elle activa son pas.
Que lui voulait-il ?
Heureusement pour elle la rue n’était pas déserte et il ne lui restait qu’une centaine de mètres pour rejoindre son immeuble placé non loin de la fontaine bicentenaire.

Elle croisa un dernier homme à l’allure bien austère qui ne la remarqua même pas.
Puis, soudainement son poursuivant la rattrapa. Un frisson de terreur parcourut son échine…

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Impossible, de la trouver cette salle des mariages. Il était pourtant passé devant la mairie, puis s’était engagé dans la rue Charles Hareng, était passé devant la sous préfecture pour arriver place Pertemps. Il n’était, il est vrai, pas vraiment en avance et en plus son téléphone portable était à cours de batterie. Dans ce cas de stress extrême, on ne réfléchit pas correctement aux instructions données, on ignore le plan sommaire qui nous a été confié et on a la sordide impression de s’enfoncer encore un peu plus dans son retard. Les deux cents cinquante chevaux de sa voiture de sport vrombissaient, inutile à résoudre son dilemme.
Aujourd’hui, c’était pour lui le grand jour, celui où il dirait « Oui ! » à sa dulcinée, à la seule femme qu’il avait aimée. Seule ombre au tableau, l’absence de ses proches. Bien sûre, sa future épouse ne provenait pas de la même condition sociale que lui, elle n’était peut-être pas la pus belle ni la plus intelligente, mais est ce que l’amour se discute, se décide ? Il l’avait rencontrée au cours d’une soirée théâtrale. Celle ci s’était déroulée à la comédie de Ferney en partenariat avec le théâtre de Carouge. C’était l’un de ses bons copains qui l’y avait convié. Au cours du cocktail qui s’en suivit, il avait maladroitement renversé son verre sur une charmante jeune fille. Sa future épouse. Ils avaient lié connaissance, et, rapidement il s’était rendu compte qu’ils possédaient une quantité de points communs. Ce goût pour le théâtre, pour la musique lyrique, pour une vie au grand air. C’est ainsi qu’ils avaient décidé de se revoir. Il s’était bien gardé de lui dévoiler sa condition de fils d’une famille très riche. Il voulait être certain d’être aimé pour lui-même et non pour le confort qu’il représentait. Pendant des mois, pour la revoir, il conduisit une voiture d’une banalité prolétaire. C’est bien plus tard dans leur relation qu’il lui révéla la fortune que lui-même et sa famille possédaient. Elle en fut très gênée. Il crut même qu’elle allait donner un terme à leur relation. Puis après de longues semaines d’une cassure douloureuse, il réussit à la convaincre que seul leur amour comptait, qu’elle apprendrait à évoluer dans son monde, qu’elle n’était pas une passade sans importance. Puis ce fût la demande en mariage, décision trop rapide au regard de ses parents. Ils avaient tout essayé pour l’en dissuader. Mais que pouvait-il faire contre cette passion aveuglante.
 »Fais ce que tu veux ! » Avait finalement affirmé son père. Mais ne nous impose jamais cette greluche. Puis il avait conclu méchamment :

« Ne compte pas sur notre présence à ton mariage ! »

Il en était très triste car il adorait ses parents.
Il jeta un bref coup d’œil sur sa montre.

« Onze heures vingt-cinq ! » Grommela t’il.

Il fallait qu’il demande son chemin.


 « C’est très simple avait répondu un passant. Faites demi-tour traversez cette route. Montra t’il du doigt, descendez la rue de la fontaine puis bifurquez sur votre gauche quand vous arriverez à la hauteur d’une petite place avec trois énormes platanes. La salle des mariages sera juste là. Et Joyeuses noces ! » Ajouta t’il avec un grand sourire.

Après quelques manœuvres imprudentes, le jeune homme s’engagea à vive allure dans la rue étroite et en sens unique qui l’emmenait auprès de sa dulcinée. Il ralentit légèrement en passant devant l’église puis s’engagea dans le tournant, sa vitesse excessive ne lui permis de ne voir que trop tard la petite place décrite, les yeux tournées en direction de la petite foule où il venait d’apercevoir sa fiancée il bondit sur les freins pour stopper son véhicule. Un choc sourd lui fît prendre conscience de son irréflexion.

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« Votre nom s’il vous plaît !

-Lucien Lafillex.

-Vous avez été témoin de l’accident, n’est ce pas ?

Un sympathique gendarme, tapotait quelques informations sur son ordinateur.

-Oui, répondit Lucien. Comme chaque samedi, je fais mon petit tour dans Gex. Pas au marché, j’ai horreur de ça. Je vais d’abord à la bibliothèque, puis à la poste prendre mon courrier à ma boîte postale, ensuite un petit tour pour voir les programmes du cinéma et juste avant de rentrer, j’achète mon pain. Je suis remonté par la rue du commerce et au niveau de la place j’ai rencontré trois amis d’enfance.
C’est drôle on habite la même ville et on ne se voit pratiquement jamais !  Alors, comme on se trouvait prêt d’un banc, on a décidé de bavarder un peu, question de raconter ce qu’on devenait. Moi, j’étais un peu pressé car il était presque midi, j’aime bien manger à l’heure. Mais bon, pour une fois je me suis décidé à déroger à la règle. Je suis célibataire et donc, c’est vrai, personne ne m’attend et je peux faire comme je veux.

Le gendarme arrêta sa retranscription et regarda Lucien droit dans les yeux.

-Hum ! Vous êtes certain qu’il était presque midi.

-Oui, je peux vous l’affirmer, j’ai regardé ma montre, je m’en souviens, il était exactement midi moins cinq.

-Etrange ! Répliqua le préposé.

-J’étais assis à côté de Lucie, on était en primaire ensemble. Comme le temps passe vite ! On a discuté de choses et d’autres. En vérité, c’est elle qui discutait, elle a toujours été très bavarde, une vraie pipelette. Au bout d’un moment je ne l’écoutais même plus, il y avait une superbe jeune femme qui passait sur le trottoir d’en face avec une espèce d’hurluberlu qui la suivait de près. Puis ils ont croisé l’homme qui s’est fait écraser. Je ne sais pas exactement pourquoi mais il a traversé au moment même de l’arrivée de la porche. J’ai vu le conducteur freiné brutalement, mais trop tard, il a percuté le pauvre homme. Ils sont fous ces jeunes, vont trop vite, pas étonnant qu’il y ait tant d’accident ! »

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« Lucie Genttai ! Avec deux t et a, i, à la fin. 
Le gendarme la regarda avec un petit sourire.
- Je me suis levée vers neuf heure, j’ai pris mon petit déjeuner, j’ai préparé celui des enfants, j’ai fais un peu de ménage, puis j’ai ordonné à mon homme de faire un peu de bricolage. Ca fait trois mois qu’on a la chasse d’eau qui fuit, mais celui là ! Pour le décider à faire quoi que ce soit c’est synonyme d’exploit, alors ce matin il avait l’air de bonne humeur, je lui ai donc mis les outils dans…
-Venons en aux faits, s’il vous plaît madame ?
-Ah oui, alors je suis allé faire les courses, y’avait un de ses mondes ce samedi, j’ai fait la queue au moins une heure devant le charcutier, vous savez celui qui se tient habituellement devant la place de la visitation ! C’est vraiment le meilleur du coin, c’est sûrement pour ça qu’il a tant de succès. Il me fallait un kilo de jambon et deux de ses saucissons. Sa spécialité, il les fait lui-même et c’est un délice, mon mari me dit toujours n’oublie pas les saucissons, il adore ça mon Janot. Puis ce fut le tour du marchand de légume, je vais toujours vers le même, c’est le beau gosse du coin, et puis si gentil, chaque fois, il me donne une botte de persil. Puis il me dit « Bonjour ma petite dame ! » Avec son air charmeur « qu’est ce qui peut vous faire plaisir aujourd’hui ! Je le lui dirai bien moi, ce que j’aimerai, mais dommage je suis mariée.
Le gendarme ne répondit pas au sourire coquin qu’elle lui envoya.
Un peu agacé de ses babillages il  réitéra sa demande d’en venir au moment de l’accident.
-L’accident ? Ah oui ! J’ai rencontré des copains d’enfance, trois garçons avec qui j’étais très liée, on se voit que rarement, mais cette fois on s’était tous retrouvés vers la place des trois ormeaux, alors on s’est tous assis sur un banc pour papoter un peu. Moi j’ai trouvé qu’ils avaient tous un peu grossi, dire que de nous quatre, seulement deux d’entre nous sommes mariés, c’est marrant de voir comme on change peu avec le temps. Bien entendu notre apparence physique s’effrite  légèrement mais on reste profondément les mêmes avec les mêmes manies, les mêmes défauts et qualités. En discutant je me suis rendu compte que j’avais oublié d’acheter des pommes. J’avais promis à mon Janot de lui faire une bonne tarte.
-Madame, s’il vous plaît, venez-en aux faits qui m’intéressent ! Ordonna le gendarme excédé, d’un ton sévère.
Lucie, surprise par cette injonction, sembla enfin comprendre le but réel de sa déposition.

Elle eut un petit raclement de gorge et s’engagea dans l’épisode qui lui était demandé.
-J’allais me lever quand j’ai vu un vieil homme qui passait sur le trottoir d’en face et qui m’a semblé prendre un malaise, il a titubé un instant avant de s’effondrer sur la route, pas de chance une voiture qui arrivait à cet instant lui est passée dessus.
-Est-ce que le véhicule vous semblait aller trop vite ?
-Non, pas vraiment, à mon avis il a dû également voir  l’homme prendre un malaise car il me semble avoir freiné avant que celui tombe sur la chaussée. Je dois ajouter que c’est un beau jeune homme qui conduisait, il était habillé d’un costume impeccable et puis il avait une voiture superbe, je suis certaine que mon Janot aimerait bien avoir la même. Mon Janot me dit toujours que quand on deviendra… »
Le gendarme coupa brutalement court à son monologue.

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La future mariée semblait particulièrement embarrassée par le retard de son futur époux. Il n’avait même pas répondu aux messages qu’elle lui avait laissés sur son téléphone portable. Lui qui était toujours ponctuel, exigent dans la tenue de ses rendez-vous. Puis elle imagina le pire. Non, pas celui auquel chacun d’entre nous aurait pensés. En fait, il s’agissait d’autre chose. De ce qui composait sa véritable nature, la seule raison pour laquelle elle allait l’épouser. Elle se souvint de leur première rencontre, pas aussi fortuite qu’il avait paru. Elle recherchait un homme riche pour lui assurer une vie de luxe. Par le plus heureux des hasards, au cours d’une représentation théâtrale elle fit connaissance avec un richissime jeune homme, fils de famille d’un célèbre joaillier. Son charme et son intelligence avaient fait le reste.
 »Les hommes sont si naïfs ! » Pensait-elle. Tellement certain de leur charme.
Pourtant, dès leur premier rendez-vous elle s’était aperçue d’une certaine méfiance à son égard mais compris qu’il ressentait une véritable attirance pour elle.
Il était pour elle parfaitement clair, qu’un homme qui occulte ses origines bourgeoises à sa nouvelle conquête, le fait essentiellement pour tester la véracité de cette nouvelle relation.
Elle avait, dès le premier jour, avouée ses racines prolétaires.
Lui, ne lui avait par contre donné aucune précision sur sa famille et avait soigneusement caché les moyens financiers considérables qui étaient les siens. Elle avait donc patiemment joué le rôle de la femme amoureuse et soumise, acquiesçant chacun de ses choix, lui faisant croire à son approbation, à leur conformité idéale. En vérité, elle aimait un autre homme. Louis, avec qui elle avait grandi et pour qui elle éprouvait un véritable amour.
Il travaillait au service la maintenance de la commune de Gex.
Malgré cela, pour elle, le choix ne fut que très banal.
Et bien oui ! Pour elle il n’y avait par l’ombre d’un soupçon entre choisir une vie facile dans l’opulence et celle de la médiocrité d’une existence tranquille à côté de son Louis. Au bout de quelques semaines, presque assurée par ce qu’elle considérait comme le triomphe de sa vie, elle rompait avec le pauvre garçon.
Puis il y eut la rencontre avec la famille de son riche amant.
Celle-ci fût difficile.
La modestie de sa condition ne leur plue nullement. Elle comprit par leurs regards condescendants et quelques-unes de leurs réflexions désagréables qu’il lui serait très difficile de se faire accepter.
Le doute se posa dans son esprit.
Comment allait réagir leur fils ?

Par chance tout se passa excellemment et d’une manière très rapide.
Ce fut un soir de début de printemps, une demande en mariage, si romantique. Ils étaient tous deux assis à une bonne table du restaurant Le Vesennex Maupassant. L’ambiance agréable, le menu délicieux leurs offraient un cadre particulièrement poétique. C’est au moment du dessert qu’il sortit une petite boîte de sa poche. S’approchant d’elle, il mit un genou à terre et les larmes aux yeux, la voix comblée d’émotion, lui demanda sa main…

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« Tout c’est passé très vite. J’étais assis avec trois amis. On profitait de l’ombre des trois platanes. Il faisait vraiment très chaud. Sur le trottoir d’en face, j’ai remarqué l’homme qui fut victime de l’accident. En vérité ce n’était pas lui qui en premier m’intéressa, mais plutôt la jolie jeune fille qu’il venait de croiser. Je n’ai jamais vu une fille aussi splendide. Mieux que dans les magazines ! Ajouta t’il d’un ton plus soutenu. Elle montait devant nous avec une grâce, une élégance féline. J’en suis encore tout retourné. Puis j’aperçus soudain un pot de fleurs qui chancelait sur le bord d’une fenêtre. Pourquoi ai-je regardé cet endroit à ce moment précis, je ne le sais pas vraiment peut-être parce que la jolie dame jeta de brefs regards en arrière… Je ne sais pas. Mais d’où j’étais, je pus remarquer le pot de fleur qui tombait et que sa trajectoire meurtrière allait...

Meurtrière ! Demanda le gendarme.

- Oui, l’homme « en noir » était malheureusement exactement au-dessous de sa chute. Je me souviens m’être soudainement levé, je voulais crier un « attention ! » Mais ce fut trop tard, l’homme eut un mouvement avec le bras pour se protéger mais l’impacte ne fut pas évité, il tituba l’espace d’une seconde puis s’affala sur la chaussée au moment même où une voiture arrivait.
-Descendait-elle à vive allure ?
-Je ne pense pas, tout ce que je sais, c’est que le conducteur réagit rapidement. La voiture fît une embardée puis percuta le pauvre bougre. Sacré concours de circonstances !

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« Ernest Puppa ! Répondit-il en souriant.
Le gendarme connaissait parfaitement l’identité de ce dernier témoin. Le célèbre inspecteur Ernest Puppa, l’homme qui avait l’habilité de résoudre n’importe qu’elle énigme criminelle avec une facilité exaspérante. Celui qui tuait d’une simple remarque, toutes enquêtes annoncées difficiles.
-Alors inspecteur, vous étiez sur les lieux de l’accident ! Pourriez-vous me le décrire ?

 Ernest aimait bien ce gendarme, les deux hommes s’appréciaient mutuellement, et, quand Puppa commença à parler, une lueur se mit à briller dans ses yeux.

Dans la voix de l’inspecteur il venait de reconnaître exactement le ton que celui-ci employait quand il allait dévoiler la parfaite évidence.

Juste avant de commencer sa déposition, Ernest sortit de sa poche une feuille de papier quadrillée où l’on pouvait apercevoir l’ébauche d’un plan à l’allure sommaire. Il pointa de son stylo chaque petit détail qui y apparaissait en commentant leurs attributions.

-Ce rectangle c’est la fenêtre de madame Pichonneau.

Puis en dessous un petit rond agrémenté d’une esquisse enfantine représentant une marguerite faisait office de pot de fleurs. Encore plus bas décalé sur la droite un personnage était symbolisé par deux ronds suspendus à quatre traits.

-C’est le défunt.

Puis deux autres personnages, dont l’un d’eux arborait ce que l’on pouvait deviner être une longue chevelure continuaient sur la même ligne.

-Et ça, c’est quoi ! Interrogea le gendarme.

Puppa sembla vexé.

-Et bien une voiture !

Il aurait dû s’en douter. Un long rectangle reposant sur deux petits cercles ne pouvait signifier qu’un véhicule, néanmoins il y ajouta quelques détails peu convaincants  qui n’ajoutèrent rien à la ressemblance.

Maintenant le célèbre inspecteur était prêt à entamer ses explications.

 -C’était donc samedi vers onze heures trente du matin. Je passe en générale une heure trente à faire mon marché mon marché et j’étais justement entrain de rentrer chez moi lorsque j’ai rencontré quelques connaissances de ma lointaine scolarité. Ce qui est particulièrement amusant c’est que l’on s’est tous retrouvés place des trois ormeaux. Alors on a décidé de s’asseoir et de papoter quelques instants. Même Lucien a accepté de rester pour quelques minutes avec nous. Sacré Lucien, toujours stressé par le temps. Je me souviens qu’il avançait toujours sa montre de vingt cinq minutes, question de ne jamais être en retard. Il y avait également Lucie, la bavarde de la classe, un véritable moulin à paroles, qui nous a immédiatement rabattu les oreilles avec les histoires de son Janot. Janot par-ci ! Janot par là.

Il y avait pas mal de monde autour de nous. Un petit groupe de personnes attendait patiemment devant la salle des mariages, avec cette jeune fille vêtue d’une magnifique robe blanche et qui semblait particulièrement inquiète.
Deux hommes en bleus de travail pénétraient dans la salle des fêtes. Ce qui me fît les remarquer c’est que l’un deux s’arrêta quelques instants, se tourna en direction de la future marié et serra l’un de ses poings d’une façon peu sympathique. L’autre s’en aperçut et le tira par la manche en lui disant une chose comme « laisse tomber. »
Nous arrivons maintenant à l’accident. Pour vous dire la vérité, au bout de quelques secondes je n’écoutais déjà plus Lucie et mon attention se tourna sur le trottoir d’en face. Ce qui si passait, était nettement plus intéressant. Une jolie demoiselle qui suscitait depuis quelques temps mon inclination montait justement la rue du commerce. Je l’avais précédemment aperçue au marché.

Il pointa son stylo sur l’un des figurines de son plan.

Nous nous connaissons un peu et aimons échanger quelques propos ordinaires lors de nos rencontres. Malheureusement ce ne fut pas le cas aujourd’hui, je l’avais bien aperçu, mais nous ne nous étions qu’adressé un joli sourire. Ce n’était pas parce que nous étions particulièrement pressés, mais au moment où nous nous sommes aperçus, j’étais en train de prodiguer quelques explications à des gens qui venaient assister au mariage. Tu sais celui auquel j’ai fait allusion tout à l’heure. Ils m’ont dit être les parents du futur marié, qu’ils ne pensaient pas pouvoir être là aujourd’hui. Mais avaient pu se libérer au dernier moment et que pris de cours, ils recherchaient un fleuriste pour ne pas arriver les mains vides. Je fus d’ailleurs très amusé par leurs explications et ressentis leurs explications, un peu comme une excuse, pour se justifier d’une faute qu’ils voulaient absoudre.

Puppa s’arrêta quelques instants et regarda le gendarme en souriant. Celui-ci ne prenait plus vraiment de note mais écoutait avec application les propos d’Ernest. Il se rendit compte à cet instant, que les détails qu’il imposait à son collègue étaient sans  aucune importance. Il fît donc une petite pause, se racla la gorge et reprit.
-Hum, j’en reviens au moment qui nous importe !
Il traça une petite flèche partant sur la droite de sa première figurine.
-La jolie jeune fille montait la rue du commerce d’un pas alerte, derrière elle son caddy laissait échappé un sifflement à chaque tour de roue.
 Elle était habillée, maquillée impeccablement, elle semblait malgré tout être contrariée par un petit défaut qu’elle essayait de cacher avec une mèche de cheveux. Ce qui me fait dire cela c’est qu’à plusieurs reprises elle sembla s’inquiéter de ce problème et remit en place la mèche rebelle à l’endroit exact de son front où son doigt se posait pour révéler sur ses lèvres un imperceptible rictus de douleur. J’en conclus qu’elle devait à cette position précise avoir une petite bosse ou un bouton indélicat. C’est ce détail qui me fît remarquer l’état d’inquiétude dans laquelle elle se trouvait. Car pour éviter tous aléas dans le mouvement de ses cheveux, il lui aurait suffi de garder la tête immobile. Mais, au contraire elle la pivotait légèrement vers l’arrière dans un mouvement répété. Etait-il occasionné par le personnage qui la suivait. Je le pense car ce comportement s’accentua immédiatement après sa rencontre avec l’homme qui fût assassiné.
-Assassiné ! S’exclama le gendarme.
Puppa fit mine de ne pas avoir entendu l’exclamation et continua.
-Edmond Dantisse, je le connaissais bien pour ses écarts racistes. Je crois qu’il en était de même pour toi ! Ajouta t’il en regardant son interlocuteur qui amusé se remémora l’altercation qu’il avait sue si brillamment calmer.

-Ah oui, je m’en souviens particulièrement bien !
-Lui descendait la rue imperturbable et je ne pense pas qu’il avait remarqué le personnage qui inquiétait la jolie blonde. Pourtant il aurait dû, car justement c’était l’autre protagoniste de la fameuse incartade que tu avais calmée. Lors de leur croisement, J’ai bien failli manquer le détail qui m’imposa l’idée d’un meurtre, car, mon collègue assis à ma gauche se leva brusquement montrant du doigt la fenêtre de madame Pichonneau. D’un bref coup d’œil j’aperçus cette brave dame penchée à sa fenêtre. Sa main écrasée sur sa bouche semblait vouloir ainsi cacher sa maladresse. Je ne réagis nullement à cet événement car estimant la trajectoire de l’impact, je compris sur-le-champ qu’il était sans danger. Par contre mon attention se retourna sur monsieur Dantisse. Il venait juste de croiser son jeune ennemi et il s’arrêta soudain, porta sa main à ses lèvres, puis, tituba avant de s’écrouler comme une masse sur la chaussée. Le reste tu le connais, l’arrivée de la voiture au mauvais moment et le choc et l’arrestation du conducteur imprudent !
Puppa s’interrompit une seconde. Il regarda le gendarme droit dans les yeux.

-Et bien, c’est là que vous vous trompez tous !

Une chaise grinça dans un coin de la pièce. L’inspecteur Purbon, qui était chargé de cette enquête, était resté là, silencieux, écoutant soigneusement la déposition de chaque témoin et prenant hâtivement quelques notes sur son petit calepin. Pour lui, l’affaire était déjà réglée, un chauffard de plus qui méritait mille fois un retrait de permis définitif et puis cette madame Pichonneau qu’il avait bien secouée pour lui reprocher sa maladresse.
Vous comprenez donc sa surprise quand il entendit la conclusion de son célèbre collègue. Il sortit soudain de son mutisme.

-Qu’est ce que c’est encore que ces histoires ?

Puppa se retourna en souriant.

-Oui, j’ai vu quelque chose qui ma semblé suspect ! Le jeune. Sylvio. C’est son nom je crois !

Le gendarme hocha de la tête.

-Ce jeune homme, avait quelque chose dans la main. Une minuscule petite aiguille qu’il laissa tomber sur le trottoir avant de dépasser la jolie jeune fille. Je la vis tomber car elle refléta un bref instant l’éclat du soleil. Pendant l’émotion qui suivit l’impact entre l’homme et la voiture, au lieu de me précipiter comme tout le monde vers l’accidenté, je suis allé rechercher ce petit bout de métal qui traînait sur le sol.

Puppa glissa une main dans sa poche, et en sortit un petit sac en plastique qui contenait l’épingle en question. Purbon se rapprocha pour observer de plus prêt l’indice. Le balançant sous les deux paires yeux intrigués, Puppa commenta. Vous voyez la petite tâche rouge sur la partie pointue, c’est le sang de Dantisse et si vous approchez votre nez de la pointe vous sentirez l’odeur caractéristique du curare.

Purbon, ne sembla pas réagir pas à l’explication.

-Le curare est un poison violent fabriqué à base de plantes d’Amérique du sud et les Indiens s’en servent pour chasser. Ils en enduisent leurs flèches et peuvent ainsi neutraliser immanquablement leurs proies à distance.

Puppa tendit la pièce à conviction au gendarme. En lui suggérant quelques vérifications.

-Fais analyser le sang de la victime et que l’on compare les résultats avec ceux qui seront détectés sur cette pointe. Puis allez faire un tour chez le jeune Sylvio, vous trouverez certainement les preuves de sa culpabilité.

-Mais pourquoi, ne l’as-tu pas arrêté sur les lieux.

-Tout d’abord, parce qu’il a rapidement disparu après son forfait et que je n’avais pas immédiatement compris qu’il avait piqué Dantisse à la main lors de leur rapide croisement. Et puis il y a eu… »

Puppa ne continua pas ses explications.

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Deux jours plus tard l’affaire était réglée. Toutes les affirmations de Puppa furent vérifiées et la perquisition surprise chez Sylvio, qui croyait avoir accompli le crime parfait, confirma sa culpabilité.

Ernest était un peu dans la lune depuis cette affaire. Non pas parce qu’elle l’avait particulièrement marquée, mais, revenons au moment où il ramassa l’aiguille sur le sol. En se relevant, il se trouva nez à nez avec la jolie blonde demoiselle. Elle semblait horrifiée par l’accident qui venait d’arriver et tremblait de tout son corps, envahit par une émotion bien compréhensible. Puppa comprit qu’il était là, au bon moment. Il lui dit qu’elle avait besoin d’un remontant et se proposa de lui offrir à boire. Assis l’un en face de l’autre, attablé devant un verre de muscat sirupeux, ils firent plus ample connaissance.

Une idylle venait-elle de naître ?

« Alors Monsieur qu’a pas l’œil dans sa poche. Tu ne m’as pas encore donné de morale à cette triste histoire.

Puppa sortit de sa rêverie. Regarda Purbon et affirma.

- Ceci est une démonstration antithétique du Syllogisme ! »

Puis il tourna le dos à son collègue et quitta le commissariat.
Purbon resta bouche bée. Réfléchit quelques instants, puis, se précipita dans son bureau et se mit à fouiller dans ses affaires.
Mais, où avait-il bien pu ranger son dictionnaire ?

   

Note de l’auteur : Vous devez-vous demander chers lecteurs ce qu’il est advenu des futurs mariés. Et bien si vous disposez suffisamment de patience vous l’apprendrez dans l’une de mes prochaines histoires.

 M'sieur  Viagex