La
chaleur était soudainement arrivée. Elle avait écrasé par sa brusquerie, la
petite ville de Gex qui aurait préféré opter pour une température plus clémente.
C’était un samedi matin, vers onze heures trente.
Assis sur un banc de la minuscule place des trois ormeaux, quatre personnages,
trois hommes et une femme, tous âgés d’une trentaine d’année papotaient
avec un plaisir évident.
Trois énormes platanes leurs offraient la fraîcheur de leurs ombrages.
Quelques moineaux virevoltaient dans leurs feuilles, gazouillant à souhait,
s’ébrouant dans une volupté communicative. Plus bas, un petit groupe de
personnes attendaient sagement devant la salle des mariages l’arrivée
incertaine de futurs conjoints.
Deux employés municipaux, le visage couvert d’une sueur scintillante, munis
chacun d’une lourde boîte à outils pénétraient dans la salle des fêtes.
Plus bas, la rumeur du marché hebdomadaire apportait un brouhaha bien
sympathique, un léger zéphire transbahutait quelques odeurs de poulets grillés,
elles même joliment accompagnées de parfums campagnards.
Longeant la rue du commerce, de jolies bâtisses anciennes se laissaient dorer,
offrant au Dieu soleil leurs plus jolis profils.
Nos
quatre acolytes bercés par l’écoulement de leur conversation laissaient traîner
leurs regards sur le trottoir d’en face. Rien de bien passionnant à voir dans
cette ruelle un peu trop tranquille. Essentiellement quelques personnes sur qui
suspendre son regard.
Pourtant à cet instant précis, alors que tout semblait platement ordinaire, un
événement tragique allait survenir…
A cet instant, disais-je.
Une jeune femme, le bras accroché à un panier à roulettes escaladait avec
facilité l’inclinaison abrupte de la rue du commerce. Elle croisa un austère
quidam qui habillé d’un costume sombre semblait cacher son visage sous un
large couvre chef d’une noirceur mortuaire. Suivant de près la donzelle, un
deuxième homme à l’accoutrement tropical allongeait ses pas d’un rythme
singulièrement rapide. Les yeux rivés sur le sol, celui ci ne daigna même pas
un regard au sévère individu qu’il rencontra à son tour.
Plus
haut, au-dessus de leurs têtes, un magnifique pot de géranium venait juste
d’amorcer sa chute.
Une
voiture de grosse cylindrée, dans un vrombissement désagréable arriva, animée
d’une vitesse déraisonnable.
Puis, il y eut ce coup de frein brutal, ce crissement aigu de la gomme qui
glisse sur l’asphalte, ce bruit sourd d’un corps éjecté, propulsé par un
choc violent. Ensuite, des cris, des appels, des pas de gens qui accouraient,
qui commentaient l’abomination…
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Edmond
Dantisse lentement enfila sa veste. Il faisait vraiment très chaud. Mais malgré
cette touffeur désagréable, il s’était engoncé dans ce costume trop étroit,
trop triste. Veuf depuis maintenant trois ans, l’age de la retraite passé, il
vivait seul dans ce petit appartement qui côtoyait l’église. Comme tous les
samedis, en fin de matinée il se préparait pour accomplir quelques emplettes
au marché. Son appartement était tristement décoré, de vieux meubles trop
sombres, une tapisserie jaunie par la lumière, un lampadaire en cristal
suspendu à une tige de fer rouillé. Une vieille photo, reflet d’un lointain
passé heureux, attendait seul sur la commode que quelqu’un daigne bien lui
sourire. Dans un coin un fauteuil recouvert d’un drap couleur bleu sombre
faisait face à une petite télévision qui pour le moment diffusait quelques
images d’une couleur peu naturelle.
Edmond ne se souciait plus guère de son intérieur. Le seul ajout qu’il avait
fait à la décoration du lieu était un poster bien singulier. Un poster de
Jean-marie Lepen qui ventait les bienfaits du Front National.
Et bien oui ! C’était un adhérent convaincu de ce parti xénophobe,
ceci pour la cohérente raison qu’il détestait les étrangers. Surtout ceux
d’une race différente de la notre. Ces envahisseurs, se disait-il, qui
viennent occuper notre pays et ne font que profiter de notre labeur.
Edmond avait d’ailleurs engendré quelques altercations racistes. La dernière
en date, particulièrement violente, s’était déroulée dans un bar de la rue
des Terreaux et l’avait confronté à un brésilien basané qu’il avait
traité de toutes sortes de noms d’oiseaux alors que le pauvre homme n’avait
eu de tord que sa présence. Le
pire avait été évité par l’intervention autoritaire d’un gendarme qui
s’était justement interposé calmant ainsi les esprits qui commençaient à
s’échauffer.
La vieille horloge quelque peu en avance, sonna un coup signifiant la
demi-heure. Edmond se couvrit de son large chapeau noir et se retrouva sur le
palier de son appartement. Il verrouilla sa porte à double tours et calmement
descendit la route de la fontaine. Sa démarche était volontaire, rythmée par
le balancement de ses deux bras. Sa main gauche tenait le
sac plastique qui lui servirait à recevoir ses emplettes, l’autre dans
son inutilité restait les doigts largement écartés voulant retenir le courant
d’air qu’elle provoquait. Les yeux cachés sous la pénombre de la bordure
de son couvre-chef ne lancèrent qu’un rapide regard à la jolie demoiselle
qu’il croisa par contre ils se pausèrent hargneusement sur l’acolyte qui la
suivait. Ses lèvres marmonnèrent quelques insultes
pendant les brèves secondes qui les firent se croiser.
Puis, tout s’enchaîna trop vite.
Il
y eut ce bruit de terre cuite qui se fracasse, de freins qui essayent d’éviter
l’inévitable, de ce choc violent qui le broya. Et ce mal foudroyant qui mit
un terme à sa vie…
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Madame
Pichonneau Habitait au troisième étage de cette vieille bâtisse plus que
bicentenaire. Elle adorait cet endroit privilégié qui lui permettait d’avoir
un œil attentif sur la salle des mariages. Cette bonne dame était la commère
attitrée du village. Elle adorait connaître et répéter tous les potins
locaux.
Son logis était spacieux, elle l’habitait depuis sa plus jeune enfance et ne
l’aurait quitté pour rien au monde. C’est donc tout naturellement qu’à
la mort de ses parents avec lesquels elle avait toujours vécu, elle avait décidé
de terminer sa vie entre ces murs malgré la taille démesurée de l’endroit.
Elle n’avait d’ailleurs rien changé à sa décoration. Tout était là, à
son immuable place, briqué, rangé, aligné au millimètre. Aucune place pour
la plus banale originalité, au moindre moderniste. Sur la table de sa salle à
manger qui n’avait plus servi depuis des années, elle entreposait
l’ensemble des souvenirs de sa longue vie. Une tour Eiffel en plastique lui
rappelant son voyage à Paris, une petite statue de la vierge pour son pèlerinage
à Lourdes, deux assiettes ornées d’une gravure du Mont Saint-Michel et aussi
de quelques objets hétéroclites d’origines incertaines.
Elle revenait tout juste du marché. Deux heures trente de bonheur complet où
elle rencontrait ses copines et papotait à souhait sur tous les derniers évènements
urbains. Elle connaissait vraiment tout sur tout le monde et s’appliquait à
argumenter des commentaires sur les Gessiens qui passaient à porté de sa vue.
Aujourd’hui, elle avait déversé plus particulièrement son venin sur une
jolie demoiselle d’une vingtaine d’année. Elle ne savait pas grand chose
sur elle, mais l’estimait trop belle, trop coquette, trop aguicheuse.
« Une jolie fille comme ça qui vit seule, moi je trouve ça pas normal !
Elle habite à quelques pâtés de maisons de chez moi depuis plus d’une année
et je ne l’ai jamais vue avec un homme. J’crois qu’elle aime que les
femmes ! Plusieurs fois, je l’ai aperçue avec deux blondasses de son
genre qui pénétraient chez elles pour y passer la nuit.
Ces copines eurent toutes une expression de dégoût. Puis elles se mirent
toutes à ricaner quand la pin-up passa devant elles. Leurs rires n’étaient
pas dus à sa qualité supposée de lesbienne mais par le fait qu’à son
passage tous les hommes la suivaient du regard avec cet air qu’elles
supposaient lubrique.
-Messieurs !
Vous n’avez aucune chance ! Murmura madame Pichonneau.
Mais,
il était temps pour elle de rentrer. Aujourd’hui à onze heures trente devait
se dérouler le mariage de la petite Sophie avec son bien-aimé Claude Routin.
-Oui !
Vous savez, le fils du directeur de cette compagnie de bijouterie de luxe
genevoise. Celle là, elle a su faire ! Ses parents ne sont qu’employés
de mairie. Paraît que les parents du jeune homme sont furieux, mais n’ont
rien pu faire pour casser ce mariage avec une « roturière. « J’ai
entendu que la cérémonie se déroulera en toute simplicité avec la seule présence
de la famille de Sophie. Je ne peux manquer ça pour rien au monde ! »
Elle
était donc dans son appartement plus tôt que prévu, s’affairant à quelques
tâches ménagères avant de se poster à sa fenêtre, l’heure fatidique
venue.
Elle
jeta un coup d’œil à son horloge, il lui restait encore un bon quart
d’heure d’attente avant l’événement. Rejoignant son fauteuil armée de
son journal, elle l’ouvrit sur la page des faits divers et se plongea dans sa
lecture favorite. Quand plus tard elle émergea des délices que lui apportaient
ces histoires insipides, elle s’aperçut que le moment tant attendu était
passé de deux bonnes minutes. Elles se leva avec une prestance surprenante,
puis traîna sa carcasse jusqu’à la fenêtre et d’une main résolue écarta
un pot de géranium qui lui empêchait la vue.
Cette action trop brutale et complètement inconsidérée entraîna la chute de
celui-ci…
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Habité
dans un pays que l’on ne connaît et qui déploie des coutumes à mille lieux
des vôtres.
Ceci est vraiment très difficile !
Particulièrement quand on atterrit là, par hasard.
Enfin, pas vraiment par hasard !
Car, la famille paternelle de Sylvio vivait à Gex.
Ce jeune homme venait d’avoir dix sept ans, bel enfant à la couleur basané,
à l’intelligence intuitive marquée par la vie aventureuse dans laquelle ses
parents l’avaient entraîné.
Son père, un Gessien et sa mère, une Guadeloupéenne avaient depuis sa plus
tendre enfance parcouru le monde visitant chaque recoin de la planète. Ses cinq
dernières années, ils les avaient passées au Brésil, dans la forêt
amazonienne, vivant une vie simple
de rencontres avec des tribus indigènes.
Puis, il y eut ce triste jour, le jour de l’accident.
Ses parents avaient décidé de revenir au pays.
Il fallait donner une éducation sérieuse au petit ! S’étaient-ils dit.
Lui permettre de vivre la vie de son choix et non du leur, et puis, peut-être
ils en avaient mare de cette vie sans attache, loin d’une famille qu’ils
affectionnaient et qui commençait à leur manquer.
Ils avaient donc réintégré le pays de Gex, leurs facilités à parler de
nombreuses langues étrangères et une solide éducation, leur avaient permis de
trouver aisément un travail dans un organisme international de Genève.
Malheureusement quelques mois à peine suivant leur arrivée, tous deux succombèrent
à la suite d’un grave accident de la route.
Sylvio fut recueilli par sa tante et vivait depuis seul avec elle.
Il s’intégrait avec difficultés à ce nouveau pays, les gens lui
paraissaient si froids, si distants, bien loin de l’amitié sincère et sans
équivoque de ses amis indigènes.
Sa nature solitaire ne l’inclinait d’ailleurs guère à se faire de nouveaux
amis. Il préférait la solitude des promenades en forêt. Pourtant dernièrement
il ne sortait guère.
Récemment,
il avait été victime d’une altercation raciste. D’un sal bonhomme qui
l’avait violemment agressé de propos hargneux et où seule l’intervention
inopinée d’un gendarme lui avait sauvé la mise.
Depuis, il préférait passer de longues heures enfermé dans sa chambre, allongé,
les yeux dans le vague à la recherche de son bonheur passé et poursuivant
inlassablement ses chimères idylliques.
Sa chambre était décorée de nombreux objets qu’il avait collectés durant
son long séjour passé dans la jungle amazonienne. Arcs, flèches, instruments
aux allures primaires décoraient son antre.
Sa
tante avait tout de même grommelé quand il avait ramené ce bric-à-brac chez
elle.
Elle avait confié à madame Pichonneau que parmi ce fourbi il y avait des flèches
empoisonnées !
Qu’avait-elle fait là !
La
nouvelle s’était répandue tel
un trait de poudre pour arriver déformée jusqu’aux oreilles des gendarmes.
Ceux ci firent même une petite enquête de voisinage pour apprécier le danger
que pouvait faire craindre ce nouveau venu.
Heureusement, tous les gens étaient du même avis.
-Il est très gentil ce jeune homme, très discret, très polis, mais vraiment
peu bavard !
Et
c’était la vérité, jamais on ne lui avait prêté un mot plus haut que
l’autre. Qualité qu’il tenait certainement de l’exemplarité de ses
parents.
Le samedi de l’accident, vers onze heures trente du matin, il s’était
retrouvé derrière une charmante jeune femme, la suivant dans cette rude montée
de la rue du commerce. Il la trouvait vraiment superbe, d’une élégance
provocante. Elle, habillée d’un tailleur couleur de printemps et d’une jupe
fendue sur la cuisse droite. Lui, accoutré d’une ample cape, d’un pantalon
très large et de deux savates tressées.
La jolie personne ne semblait pourtant pas susciter en lui un quelconque
bonheur, au contraire son visage était livide, sa respiration rapide. Il
faillit presque télescoper un homme qu’il évita au dernier moment de
justesse.
Puis,
en quelques enjambées, il rattrapa la jolie demoiselle et la dépassa
curieusement sans lui accorder le moindre regard.
Le vacarme inattendu qui à cet instant déboula ne le fit même pas réagir.
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Munie
d’une application intransigeante, sa main déposait sur ses lèvres pulpeuses
une fine couche d’un rose à lèvre sophistiqué. Elle se savait très belle
et prenait, chaque matin, un soin méticuleux pour parfaire
les courbes de son visage. Ce bleuté sur ses paupières qui accentuait
la profondeur de ses yeux couleur de ciel, ce fond de teint harmonieusement
distribué, ce nez délicat qui soulignait la symétrie parfaite de ses
pommettes, ce front dénué de toutes rides indélicates. Seul un petit bouton
incongru était apparu à l’orée de la naissance de ses cheveux. Cela l’agaçait
au plus au point, pourquoi avait-elle mangé ce carré de chocolat hier soir,
elle se savait pourtant allergique à cette gâterie. Elle cacha avec l’aide
d’une mèche de ses cheveux dorés ce détestable ornement. Puis, une vapeur
laquée aida à tenir l’édifice en place.
Elle se regarda encore une dernière fois dans son miroir et satisfaite du résultat
décida qu’il était temps d’aller s’approvisionner au marché. En
sortant, elle envoya un baiser à une photo accrochée sur le mur. Celle de son
fiancé qu’elle aimait tendrement. Il lui manquait beaucoup. Casque bleu à
l’O.N.U. il était parti en mission depuis presque huit mois dans un pays à
risque du sud-est asiatique. Leurs seules relations ne tenaient qu’à ce
paquet de lettres entouré d’un cordon de soie qu’elle tenait soigneusement
rangé dans le tiroir de sa table de chevet et de ses coups de téléphone
chaque samedi à midi précise. Il lui restait donc aujourd’hui une bonne
heure pour faire ses emplettes et
revenir pour ce rendez-vous téléphonique tant attendu. La solitude lui pesait
un peu, travaillant sur Genève, elle ne connaissait guère les habitants de Gex
et n’était pas encline à fréquenter les activités locales sans la présence
de son homme. Seules, ses sœurs qui habitaient Lyon, venaient de temps en temps
passer quelques jours avec elle.
Le
marché de Gex était un endroit qu’elle aimait particulièrement, elle s’y
sentait heureuse. Peut-être parce qu’il représentait les quelques instants
qui la séparait de la conversation avec son amoureux et qu’à cet horizon
tout lui semblait enchanteur.
Son petit panier à roulette traînait derrière elle.
Elle fît comme à l’habitude le tour des commerçants qu’elle appréciait
le plus.
« Alors
ma p’tite dame, j’vous ai réservé mes plus belles tomates ! »
Sa beauté étincelante lui apportait
la bienveillance de tous les hommes et le ressentiment de toutes les femmes
qu’elle croisait. Il y avait cette commère, une vieille chouette comme elle
s’amusait à la comparer et qui, à son passage, susurra quelques propos
certainement indélicats à son égard qui provoquèrent l’hilarité de ses
copines.
Elle fît un petit signe de la main à un homme qu’elle connaissait un peu et
qu’elle trouvait tout à fait sympathique. Elle aurait bien voulu échanger
avec lui quelques mots, mais pour l’instant il discutait avec un couple
d’une cinquantaine d’années habillé d’une façon très distinguée.
Elle continua ses courses pour bientôt se rendre compte qu’il était temps
pour elle de rentrer chez elle. Il était presque onze heures trente quand elle
s’engagea dans la montée de la rue du commerce.
C’est à cet instant qu’elle se rendit compte que quelqu’un la suivait. Un
jeune homme habillé d’une façon plutôt originale. Elle lui lança un bref
et discret regard aidé par le reflet d’une vitrine.
Le teint brunâtre de l’individu lui fît peur.
Elle activa son pas.
Que lui voulait-il ?
Heureusement pour elle la rue n’était pas déserte et il ne lui restait
qu’une centaine de mètres pour rejoindre son immeuble placé non loin de la
fontaine bicentenaire.
Elle
croisa un dernier homme à l’allure bien austère qui ne la remarqua même
pas.
Puis, soudainement son poursuivant la rattrapa. Un frisson de terreur parcourut
son échine…
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Impossible,
de la trouver cette salle des mariages. Il était pourtant passé devant la
mairie, puis s’était engagé dans la rue Charles Hareng, était passé devant
la sous préfecture pour arriver place Pertemps. Il n’était, il est vrai, pas
vraiment en avance et en plus son téléphone portable était à cours de
batterie. Dans ce cas de stress extrême, on ne réfléchit pas correctement aux
instructions données, on ignore le plan sommaire qui nous a été confié et on
a la sordide impression de s’enfoncer encore un peu plus dans son retard. Les
deux cents cinquante chevaux de sa voiture de sport vrombissaient, inutile à résoudre
son dilemme.
Aujourd’hui, c’était pour lui le grand jour, celui où il dirait « Oui ! »
à sa dulcinée, à la seule femme qu’il avait aimée. Seule ombre au tableau,
l’absence de ses proches. Bien sûre, sa future épouse ne provenait pas de la
même condition sociale que lui, elle n’était peut-être pas la pus belle ni
la plus intelligente, mais est ce que l’amour se discute, se décide ? Il
l’avait rencontrée au cours d’une soirée théâtrale. Celle ci s’était
déroulée à la comédie de Ferney en partenariat avec le théâtre de Carouge.
C’était l’un de ses bons copains qui l’y avait convié. Au cours du
cocktail qui s’en suivit, il avait maladroitement renversé son verre sur une
charmante jeune fille. Sa future épouse. Ils avaient lié connaissance, et,
rapidement il s’était rendu compte qu’ils possédaient une quantité de
points communs. Ce goût pour le théâtre, pour la musique lyrique, pour une
vie au grand air. C’est ainsi qu’ils avaient décidé de se revoir. Il s’était
bien gardé de lui dévoiler sa condition de fils d’une famille très riche.
Il voulait être certain d’être aimé pour lui-même et non pour le confort
qu’il représentait. Pendant des mois, pour la revoir, il conduisit une
voiture d’une banalité prolétaire. C’est bien plus tard dans leur relation
qu’il lui révéla la fortune que lui-même et sa famille possédaient. Elle
en fut très gênée. Il crut même qu’elle allait donner un terme à leur
relation. Puis après de longues semaines d’une cassure douloureuse, il réussit
à la convaincre que seul leur amour comptait, qu’elle apprendrait à évoluer
dans son monde, qu’elle n’était pas une passade sans importance. Puis ce fût
la demande en mariage, décision trop rapide au regard de ses parents. Ils
avaient tout essayé pour l’en dissuader. Mais que pouvait-il faire contre
cette passion aveuglante.
»Fais ce que tu veux ! » Avait finalement affirmé son père.
Mais ne nous impose jamais cette greluche. Puis il avait conclu méchamment :
« Ne
compte pas sur notre présence à ton mariage ! »
Il
en était très triste car il adorait ses parents.
Il jeta un bref coup d’œil sur sa montre.
« Onze
heures vingt-cinq ! » Grommela t’il.
Il
fallait qu’il demande son chemin.
« C’est très simple avait répondu un passant. Faites demi-tour
traversez cette route. Montra t’il du doigt, descendez la rue de la fontaine
puis bifurquez sur votre gauche quand vous arriverez à la hauteur d’une
petite place avec trois énormes platanes. La salle des mariages sera juste là.
Et Joyeuses noces ! » Ajouta t’il avec un grand sourire.
Après
quelques manœuvres imprudentes, le jeune homme s’engagea à vive allure dans
la rue étroite et en sens unique qui l’emmenait auprès de sa dulcinée. Il
ralentit légèrement en passant devant l’église puis s’engagea dans le
tournant, sa vitesse excessive ne lui permis de ne voir que trop tard la petite
place décrite, les yeux tournées en direction de la petite foule où il venait
d’apercevoir sa fiancée il bondit sur les freins pour stopper son véhicule.
Un choc sourd lui fît prendre conscience de son irréflexion.
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« Votre
nom s’il vous plaît !
-Lucien
Lafillex.
-Vous
avez été témoin de l’accident, n’est ce pas ?
Un
sympathique gendarme, tapotait quelques informations sur son ordinateur.
-Oui,
répondit Lucien. Comme chaque samedi, je fais mon petit tour dans Gex. Pas au
marché, j’ai horreur de ça. Je vais d’abord à la bibliothèque, puis à
la poste prendre mon courrier à ma boîte postale, ensuite un petit tour pour
voir les programmes du cinéma et juste avant de rentrer, j’achète mon pain.
Je suis remonté par la rue du commerce et au niveau de la place j’ai rencontré
trois amis d’enfance.
C’est drôle on habite la même ville et on ne se voit pratiquement jamais !
Alors, comme on se trouvait prêt d’un banc, on a décidé de bavarder
un peu, question de raconter ce qu’on devenait. Moi, j’étais un peu pressé
car il était presque midi, j’aime bien manger à l’heure. Mais bon, pour
une fois je me suis décidé à déroger à la règle. Je suis célibataire et
donc, c’est vrai, personne ne m’attend et je peux faire comme je veux.
Le
gendarme arrêta sa retranscription et regarda Lucien droit dans les yeux.
-Hum !
Vous êtes certain qu’il était presque midi.
-Oui,
je peux vous l’affirmer, j’ai regardé ma montre, je m’en souviens, il était
exactement midi moins cinq.
-Etrange !
Répliqua le préposé.
-J’étais
assis à côté de Lucie, on était en primaire ensemble. Comme le temps passe
vite ! On a discuté de choses et d’autres. En vérité, c’est elle qui
discutait, elle a toujours été très bavarde, une vraie pipelette. Au bout
d’un moment je ne l’écoutais même plus, il y avait une superbe jeune femme
qui passait sur le trottoir d’en face avec une espèce d’hurluberlu qui la
suivait de près. Puis ils ont croisé l’homme qui s’est fait écraser. Je
ne sais pas exactement pourquoi mais il a traversé au moment même de l’arrivée
de la porche. J’ai vu le conducteur freiné brutalement, mais trop tard, il a
percuté le pauvre homme. Ils sont fous ces jeunes, vont trop vite, pas étonnant
qu’il y ait tant d’accident ! »
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« Lucie
Genttai ! Avec deux t et a, i, à la fin.
Le gendarme la regarda avec un petit sourire.
- Je me suis levée vers neuf heure, j’ai pris mon petit déjeuner, j’ai préparé
celui des enfants, j’ai fais un peu de ménage, puis j’ai ordonné à mon
homme de faire un peu de bricolage. Ca fait trois mois qu’on a la chasse
d’eau qui fuit, mais celui là ! Pour le décider à faire quoi que ce
soit c’est synonyme d’exploit, alors ce matin il avait l’air de bonne
humeur, je lui ai donc mis les outils dans…
-Venons en aux faits, s’il vous plaît madame ?
-Ah oui, alors je suis allé faire les courses, y’avait un de ses mondes ce
samedi, j’ai fait la queue au moins une heure devant le charcutier, vous savez
celui qui se tient habituellement devant la place de la visitation !
C’est vraiment le meilleur du coin, c’est sûrement pour ça qu’il a tant
de succès. Il me fallait un kilo de jambon et deux de ses saucissons. Sa spécialité,
il les fait lui-même et c’est un délice, mon mari me dit toujours n’oublie
pas les saucissons, il adore ça mon Janot. Puis ce fut le tour du marchand de légume,
je vais toujours vers le même, c’est le beau gosse du coin, et puis si
gentil, chaque fois, il me donne une botte de persil. Puis il me dit « Bonjour
ma petite dame ! » Avec son air charmeur « qu’est ce qui peut vous
faire plaisir aujourd’hui ! Je le lui dirai bien moi, ce que j’aimerai,
mais dommage je suis mariée.
Le gendarme ne répondit pas au sourire coquin qu’elle lui envoya.
Un peu agacé de ses babillages il réitéra
sa demande d’en venir au moment de l’accident.
-L’accident ? Ah oui ! J’ai rencontré des copains d’enfance,
trois garçons avec qui j’étais très liée, on se voit que rarement, mais
cette fois on s’était tous retrouvés vers la place des trois ormeaux, alors
on s’est tous assis sur un banc pour papoter un peu. Moi j’ai trouvé
qu’ils avaient tous un peu grossi, dire que de nous quatre, seulement deux
d’entre nous sommes mariés, c’est marrant de voir comme on change peu avec
le temps. Bien entendu notre apparence physique s’effrite
légèrement mais on reste profondément les mêmes avec les mêmes
manies, les mêmes défauts et qualités. En discutant je me suis rendu compte
que j’avais oublié d’acheter des pommes. J’avais promis à mon Janot de
lui faire une bonne tarte.
-Madame, s’il vous plaît, venez-en aux faits qui m’intéressent !
Ordonna le gendarme excédé, d’un ton sévère.
Lucie, surprise par cette injonction, sembla enfin comprendre le but réel de sa
déposition.
Elle eut un petit raclement de gorge et s’engagea dans l’épisode
qui lui était demandé.
-J’allais me lever quand j’ai vu un vieil homme qui passait sur le trottoir
d’en face et qui m’a semblé prendre un malaise, il a titubé un instant
avant de s’effondrer sur la route, pas de chance une voiture qui arrivait à
cet instant lui est passée dessus.
-Est-ce que le véhicule vous semblait aller trop vite ?
-Non, pas vraiment, à mon avis il a dû également voir l’homme prendre un malaise car il me semble avoir freiné
avant que celui tombe sur la chaussée. Je dois ajouter que c’est un beau
jeune homme qui conduisait, il était habillé d’un costume impeccable et puis
il avait une voiture superbe, je suis certaine que mon Janot aimerait bien avoir
la même. Mon Janot me dit toujours que quand on deviendra… »
Le gendarme coupa brutalement court à son monologue.
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La
future mariée semblait particulièrement embarrassée par le retard de son
futur époux. Il n’avait même pas répondu aux messages qu’elle lui avait
laissés sur son téléphone portable. Lui qui était toujours ponctuel, exigent
dans la tenue de ses rendez-vous. Puis elle imagina le pire. Non, pas celui
auquel chacun d’entre nous aurait pensés. En fait, il s’agissait d’autre
chose. De ce qui composait sa véritable nature, la seule raison pour laquelle
elle allait l’épouser. Elle se souvint de leur première rencontre, pas aussi
fortuite qu’il avait paru. Elle recherchait un homme riche pour lui assurer
une vie de luxe. Par le plus heureux des hasards, au cours d’une représentation
théâtrale elle fit connaissance avec un richissime jeune homme, fils de
famille d’un célèbre joaillier. Son charme et son intelligence avaient fait
le reste.
»Les hommes sont si naïfs ! » Pensait-elle. Tellement certain
de leur charme.
Pourtant, dès leur premier rendez-vous elle s’était aperçue d’une
certaine méfiance à son égard mais compris qu’il ressentait une véritable
attirance pour elle.
Il était pour elle parfaitement clair, qu’un homme qui occulte ses origines
bourgeoises à sa nouvelle conquête, le fait essentiellement pour tester la véracité
de cette nouvelle relation.
Elle avait, dès le premier jour, avouée ses racines prolétaires.
Lui, ne lui avait par contre donné aucune précision sur sa famille et avait
soigneusement caché les moyens financiers considérables qui étaient les
siens. Elle avait donc patiemment joué le rôle de la femme amoureuse et
soumise, acquiesçant chacun de ses choix, lui faisant croire à son
approbation, à leur conformité idéale. En vérité, elle aimait un autre
homme. Louis, avec qui elle avait grandi et pour qui elle éprouvait un véritable
amour.
Il travaillait au service la maintenance de la commune de Gex.
Malgré cela, pour elle, le choix ne fut que très banal.
Et bien oui ! Pour elle il n’y avait par l’ombre d’un soupçon entre
choisir une vie facile dans l’opulence et celle de la médiocrité d’une
existence tranquille à côté de son Louis. Au bout de quelques semaines,
presque assurée par ce qu’elle considérait comme le triomphe de sa vie, elle
rompait avec le pauvre garçon.
Puis il y eut la rencontre avec la famille de son riche amant.
Celle-ci fût difficile.
La modestie de sa condition ne leur plue nullement. Elle comprit par leurs
regards condescendants et quelques-unes de leurs réflexions désagréables
qu’il lui serait très difficile de se faire accepter.
Le doute se posa dans son esprit.
Comment allait réagir leur fils ?
Par
chance tout se passa excellemment et d’une manière très rapide.
Ce fut un soir de début de printemps, une demande en mariage, si romantique.
Ils étaient tous deux assis à une bonne table du restaurant Le Vesennex
Maupassant. L’ambiance agréable, le menu délicieux leurs offraient un cadre
particulièrement poétique. C’est au moment du dessert qu’il sortit une
petite boîte de sa poche. S’approchant d’elle, il mit un genou à terre et
les larmes aux yeux, la voix comblée d’émotion, lui demanda sa main…
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« Tout
c’est passé très vite. J’étais assis avec trois amis. On profitait de
l’ombre des trois platanes. Il faisait vraiment très chaud. Sur le trottoir
d’en face, j’ai remarqué l’homme qui fut victime de l’accident. En vérité
ce n’était pas lui qui en premier m’intéressa, mais plutôt la jolie jeune
fille qu’il venait de croiser. Je n’ai jamais vu une fille aussi splendide.
Mieux que dans les magazines ! Ajouta t’il d’un ton plus soutenu. Elle
montait devant nous avec une grâce, une élégance féline. J’en suis encore
tout retourné. Puis j’aperçus soudain un pot de fleurs qui chancelait sur le
bord d’une fenêtre. Pourquoi ai-je regardé cet endroit à ce moment précis,
je ne le sais pas vraiment peut-être parce que la jolie dame jeta de brefs
regards en arrière… Je ne sais pas. Mais d’où j’étais, je pus remarquer
le pot de fleur qui tombait et que sa trajectoire meurtrière allait...
Meurtrière !
Demanda le gendarme.
-
Oui, l’homme « en noir » était malheureusement exactement
au-dessous de sa chute. Je me souviens m’être soudainement levé, je voulais
crier un « attention ! » Mais ce fut trop tard, l’homme eut
un mouvement avec le bras pour se protéger mais l’impacte ne fut pas évité,
il tituba l’espace d’une seconde puis s’affala sur la chaussée au moment
même où une voiture arrivait.
-Descendait-elle à vive allure ?
-Je ne pense pas, tout ce que je sais, c’est que le conducteur réagit
rapidement. La voiture fît une embardée puis percuta le pauvre bougre. Sacré
concours de circonstances !
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« Ernest
Puppa ! Répondit-il en souriant.
Le gendarme connaissait parfaitement l’identité de ce dernier témoin. Le célèbre
inspecteur Ernest Puppa, l’homme qui avait l’habilité de résoudre
n’importe qu’elle énigme criminelle avec une facilité exaspérante. Celui
qui tuait d’une simple remarque, toutes enquêtes annoncées difficiles.
-Alors inspecteur, vous étiez sur les lieux de l’accident !
Pourriez-vous me le décrire ?
Ernest
aimait bien ce gendarme, les deux hommes s’appréciaient mutuellement, et,
quand Puppa commença à parler, une lueur se mit à briller dans ses yeux.
Dans
la voix de l’inspecteur il venait de reconnaître exactement le ton que
celui-ci employait quand il allait dévoiler la parfaite évidence.
Juste
avant de commencer sa déposition, Ernest sortit de sa poche une feuille de
papier quadrillée où l’on pouvait apercevoir l’ébauche d’un plan à
l’allure sommaire. Il pointa de son stylo chaque petit détail qui y
apparaissait en commentant leurs attributions.
-Ce
rectangle c’est la fenêtre de madame Pichonneau.
Puis
en dessous un petit rond agrémenté d’une esquisse enfantine représentant
une marguerite faisait office de pot de fleurs. Encore plus bas décalé sur la
droite un personnage était symbolisé par deux ronds suspendus à quatre
traits.
-C’est
le défunt.
Puis
deux autres personnages, dont l’un d’eux arborait ce que l’on pouvait
deviner être une longue chevelure continuaient sur la même ligne.
-Et
ça, c’est quoi ! Interrogea le gendarme.
Puppa
sembla vexé.
-Et
bien une voiture !
Il
aurait dû s’en douter. Un long rectangle reposant sur deux petits cercles ne
pouvait signifier qu’un véhicule, néanmoins il y ajouta quelques détails
peu convaincants qui n’ajoutèrent
rien à la ressemblance.
Maintenant
le célèbre inspecteur était prêt à entamer ses explications.
-C’était
donc samedi vers onze heures trente du matin. Je passe en générale une heure
trente à faire mon marché mon marché et j’étais justement entrain de
rentrer chez moi lorsque j’ai rencontré quelques connaissances de ma
lointaine scolarité. Ce qui est particulièrement amusant c’est que l’on
s’est tous retrouvés place des trois ormeaux. Alors on a décidé de
s’asseoir et de papoter quelques instants. Même Lucien a accepté de rester
pour quelques minutes avec nous. Sacré Lucien, toujours stressé par le temps.
Je me souviens qu’il avançait toujours sa montre de vingt cinq minutes,
question de ne jamais être en retard. Il y avait également Lucie, la bavarde
de la classe, un véritable moulin à paroles, qui nous a immédiatement rabattu
les oreilles avec les histoires de son Janot. Janot par-ci ! Janot par là.
Il
y avait pas mal de monde autour de nous. Un petit groupe de personnes attendait
patiemment devant la salle des mariages, avec cette jeune fille vêtue d’une
magnifique robe blanche et qui semblait particulièrement inquiète.
Deux hommes en bleus de travail pénétraient dans la salle des fêtes. Ce qui
me fît les remarquer c’est que l’un deux s’arrêta quelques instants, se
tourna en direction de la future marié et serra l’un de ses poings d’une façon
peu sympathique. L’autre s’en aperçut et le tira par la manche en lui
disant une chose comme « laisse tomber. »
Nous arrivons maintenant à l’accident. Pour vous dire la vérité, au bout de
quelques secondes je n’écoutais déjà plus Lucie et mon attention se tourna
sur le trottoir d’en face. Ce qui si passait, était nettement plus intéressant.
Une jolie demoiselle qui suscitait depuis quelques temps mon inclination montait
justement la rue du commerce. Je l’avais précédemment aperçue au marché.
Il
pointa son stylo sur l’un des figurines de son plan.
Nous
nous connaissons un peu et aimons échanger quelques propos ordinaires lors de
nos rencontres. Malheureusement ce ne fut pas le cas aujourd’hui, je l’avais
bien aperçu, mais nous ne nous étions qu’adressé un joli sourire. Ce n’était
pas parce que nous étions particulièrement pressés, mais au moment où nous
nous sommes aperçus, j’étais en train de prodiguer quelques explications à
des gens qui venaient assister au mariage. Tu sais celui auquel j’ai fait
allusion tout à l’heure. Ils m’ont dit être les parents du futur marié,
qu’ils ne pensaient pas pouvoir être là aujourd’hui. Mais avaient pu se
libérer au dernier moment et que pris de cours, ils recherchaient un fleuriste
pour ne pas arriver les mains vides. Je fus d’ailleurs très amusé par leurs
explications et ressentis leurs explications, un peu comme une excuse, pour se
justifier d’une faute qu’ils voulaient absoudre.
Puppa
s’arrêta quelques instants et regarda le gendarme en souriant. Celui-ci ne
prenait plus vraiment de note mais écoutait avec application les propos
d’Ernest. Il se rendit compte à cet instant, que les détails qu’il
imposait à son collègue étaient sans aucune
importance. Il fît donc une petite pause, se racla la gorge et reprit.
-Hum, j’en reviens au moment qui nous importe !
Il traça une petite flèche partant sur la droite de sa première figurine.
-La jolie jeune fille montait la rue du commerce d’un pas alerte, derrière
elle son caddy laissait échappé un sifflement à chaque tour de roue.
Elle était habillée, maquillée
impeccablement, elle semblait malgré tout être contrariée par un petit défaut
qu’elle essayait de cacher avec une mèche de cheveux. Ce qui me fait dire
cela c’est qu’à plusieurs reprises elle sembla s’inquiéter de ce problème
et remit en place la mèche rebelle à l’endroit exact de son front où son
doigt se posait pour révéler sur ses lèvres un imperceptible rictus de
douleur. J’en conclus qu’elle devait à cette position précise avoir une
petite bosse ou un bouton indélicat. C’est ce détail qui me fît remarquer
l’état d’inquiétude dans laquelle elle se trouvait. Car pour éviter tous
aléas dans le mouvement de ses cheveux, il lui aurait suffi de garder la tête
immobile. Mais, au contraire elle la pivotait légèrement vers l’arrière
dans un mouvement répété. Etait-il occasionné par le personnage qui la
suivait. Je le pense car ce comportement s’accentua immédiatement après sa
rencontre avec l’homme qui fût assassiné.
-Assassiné ! S’exclama le gendarme.
Puppa fit mine de ne pas avoir entendu l’exclamation et continua.
-Edmond Dantisse, je le connaissais bien pour ses écarts racistes. Je crois
qu’il en était de même pour toi ! Ajouta t’il en regardant son
interlocuteur qui amusé se remémora l’altercation qu’il avait sue si
brillamment calmer.
-Ah
oui, je m’en souviens particulièrement bien !
-Lui descendait la rue imperturbable et je ne pense pas qu’il avait remarqué
le personnage qui inquiétait la jolie blonde. Pourtant il aurait dû, car
justement c’était l’autre protagoniste de la fameuse incartade que tu avais
calmée. Lors de leur croisement, J’ai bien failli manquer le détail qui
m’imposa l’idée d’un meurtre, car, mon collègue assis à ma gauche se
leva brusquement montrant du doigt la fenêtre de madame Pichonneau. D’un bref
coup d’œil j’aperçus cette brave dame penchée à sa fenêtre. Sa main écrasée
sur sa bouche semblait vouloir ainsi cacher sa maladresse. Je ne réagis
nullement à cet événement car estimant la trajectoire de l’impact, je
compris sur-le-champ qu’il était sans danger. Par contre mon attention se
retourna sur monsieur Dantisse. Il venait juste de croiser son jeune ennemi et
il s’arrêta soudain, porta sa main à ses lèvres, puis, tituba avant de s’écrouler
comme une masse sur la chaussée. Le reste tu le connais, l’arrivée de la
voiture au mauvais moment et le choc et l’arrestation du conducteur imprudent !
Puppa s’interrompit une seconde. Il regarda le gendarme droit dans les yeux.
-Et
bien, c’est là que vous vous trompez tous !
Une
chaise grinça dans un coin de la pièce. L’inspecteur Purbon, qui était
chargé de cette enquête, était resté là, silencieux, écoutant
soigneusement la déposition de chaque témoin et prenant hâtivement quelques
notes sur son petit calepin. Pour lui, l’affaire était déjà réglée, un
chauffard de plus qui méritait mille fois un retrait de permis définitif et
puis cette madame Pichonneau qu’il avait bien secouée pour lui reprocher sa
maladresse.
Vous comprenez donc sa surprise quand il entendit la conclusion de son célèbre
collègue. Il sortit soudain de son mutisme.
-Qu’est
ce que c’est encore que ces histoires ?
Puppa
se retourna en souriant.
-Oui,
j’ai vu quelque chose qui ma semblé suspect ! Le jeune. Sylvio. C’est
son nom je crois !
Le
gendarme hocha de la tête.
-Ce
jeune homme, avait quelque chose dans la main. Une minuscule petite aiguille
qu’il laissa tomber sur le trottoir avant de dépasser la jolie jeune fille.
Je la vis tomber car elle refléta un bref instant l’éclat du soleil. Pendant
l’émotion qui suivit l’impact entre l’homme et la voiture, au lieu de me
précipiter comme tout le monde vers l’accidenté, je suis allé rechercher ce
petit bout de métal qui traînait sur le sol.
Puppa
glissa une main dans sa poche, et en sortit un petit sac en plastique qui
contenait l’épingle en question. Purbon se rapprocha pour observer de plus prêt
l’indice. Le balançant sous les deux paires yeux intrigués, Puppa commenta.
Vous voyez la petite tâche rouge sur la partie pointue, c’est le sang de
Dantisse et si vous approchez votre nez de la pointe vous sentirez l’odeur
caractéristique du curare.
Purbon,
ne sembla pas réagir pas à l’explication.
-Le
curare est un poison violent fabriqué à base de plantes d’Amérique du sud
et les Indiens s’en servent pour chasser. Ils en enduisent leurs flèches et
peuvent ainsi neutraliser immanquablement leurs proies à distance.
Puppa
tendit la pièce à conviction au gendarme. En lui suggérant quelques vérifications.
-Fais
analyser le sang de la victime et que l’on compare les résultats avec ceux
qui seront détectés sur cette pointe. Puis allez faire un tour chez le jeune
Sylvio, vous trouverez certainement les preuves de sa culpabilité.
-Mais
pourquoi, ne l’as-tu pas arrêté sur les lieux.
-Tout
d’abord, parce qu’il a rapidement disparu après son forfait et que je
n’avais pas immédiatement compris qu’il avait piqué Dantisse à la main
lors de leur rapide croisement. Et puis il y a eu… »
Puppa
ne continua pas ses explications.
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Deux
jours plus tard l’affaire était réglée. Toutes les affirmations de Puppa
furent vérifiées et la perquisition surprise chez Sylvio, qui croyait avoir
accompli le crime parfait, confirma sa culpabilité.
Ernest
était un peu dans la lune depuis cette affaire. Non pas parce qu’elle
l’avait particulièrement marquée, mais, revenons au moment où il ramassa
l’aiguille sur le sol. En se relevant, il se trouva nez à nez avec la jolie
blonde demoiselle. Elle semblait horrifiée par l’accident qui venait
d’arriver et tremblait de tout son corps, envahit par une émotion bien compréhensible.
Puppa comprit qu’il était là, au bon moment. Il lui dit qu’elle avait
besoin d’un remontant et se proposa de lui offrir à boire. Assis l’un en
face de l’autre, attablé devant un verre de muscat sirupeux, ils firent plus
ample connaissance.
Une
idylle venait-elle de naître ?
« Alors
Monsieur qu’a pas l’œil dans sa poche. Tu ne m’as pas encore donné de
morale à cette triste histoire.
Puppa
sortit de sa rêverie. Regarda Purbon et affirma.
-
Ceci est une démonstration antithétique du
Syllogisme ! »
Puis
il tourna le dos à son collègue et quitta le commissariat.
Purbon resta bouche bée. Réfléchit quelques instants, puis, se précipita
dans son bureau et se mit à fouiller dans ses affaires.
Mais, où avait-il bien pu ranger son dictionnaire ?
Note
de l’auteur : Vous devez-vous demander chers lecteurs ce qu’il est
advenu des futurs mariés. Et bien si vous disposez suffisamment de patience
vous l’apprendrez dans l’une de mes prochaines histoires.
M'sieur Viagex
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