Mourir de la peine
|
Que dire de cette belle journée d'été ? Pour l'instant il longeait le rue de Genève en direction du bureau de
tabac où il voulait s'acheter quelques revues qui lui permettraient de combler
la morosité de la journée à venir. « Bonjour Ernest ! » Le buraliste toisait notre ami d'un regard sévère. Installé depuis peu
dans la région, il avait vite fait de connaître tous ses clients qu'il désignait
déjà nominativement. Homme à l'apparence sèche et sévère, il régnait en
maître sur son petit commerce qu'il tenait aménagé d’une façon irréprochable. « J'ai justement reçu un recueil de nouvelles policières qui, j'en
suis certain, t'intéressera ! Joignant le geste à la parole il lui tendit un
petit livre de poche dont le titre évocateur confondit son attention,
"Mourir pour la peine", le bouquin était signé par les seules
initiales de son auteur, M.V… ------------------------------------------------- Le bureau du commissariat était désert. La chaleur matinale lui annonçait
encore l’une de ces journées mornes et sans intérêt. Il commença à dépouiller son maigre courrier. Quelques circulaires
administratives, quelques publicités et une carte postales de son collègue
Purbon qui le narguait, lui montrant une plage de rêve entourée de palmiers et
cocotiers. Comment allait-il meubler cette journée qui s’annonçait sans intérêt ? Regardant autour de lui, il se souvint de ce fameux petit livre qu'il avait
acheté le jour précédent. « Voilà comment ma matinée sera occupée ! Pensa t'il en ouvrant
l'ouvrage... Une heure plus tard, les yeux dans le vague, Puppa était envahi d'une
effrayante inquiétude, une incertitude angoissante qui le fit frissonner. Combien d’erreurs avait-il jusqu’à présent commises ? Combien de vies avaient-elles été brisées par sa faute, par ses
conclusions trop hâtives ? Le soir venu. Son sommeil ne fut qu’un seul cauchemar. La terrifiante
histoire contée dans ce petit bouquin ne le quitta pas de la nuit… -------------------------------------------------
John et Gilbert adoraient se balader dans la campagne avoisinant la petite
ville d'Amarillo dans l'état du Texas. Ces deux gamins de 13 ans s'entendaient
parfaitement bien. Leur promenade se terminait invariablement sous ce mur de
pierre à moitié effondré où un banc en chêne vermoulu terminait ses
vieux jours. Assis l'un à côté de l'autre, ils discutaient de la prochaine exécution
par électrocution qui allait bientôt se produire dans la prison de haute sécurité
qui se trouvait à quelques kilomètres de leur résidence. « John, t'en penses quoi de la peine de mort ? Après quelques secondes de réflexion, la réponse arriva. -Mon père, il dit, qu'c'est bien fait pour leurs gueules, qu'un assassin,
çà mérite la mort ! Un cours silence puis. -Moi, mes parents, ils disent la même chose que ton père. Ils pensent même
qu'ils vaudraient, en plus, les faire agoniser. Qu'ils comprendraient ainsi la
souffrance qu'ils ont fait endurer à la famille des victimes ! -De toutes façons, ces racailles, ils ne méritent pas de vivre ! »
Enchaîna le second. Ils parlèrent des histoires de meurtre vues à la télé, de ces assassins
qui sans remord enlevaient la vie à d'autres humains. Cette conversation, bien
insolite dans la bouche de deux enfants, se termina aussi rapidement qu'elle
avait commencé. Gilbert remarqua sur le sol, une grosse pierre qui semblait être tombée de
la maison qui se trouvait derrière eux. Il la ramassa, et regarda le mur avec
attention recherchant l'emplacement exact d'où ce plot soigneusement taillé
pouvait provenir. C'est au-dessus de sa tête que se trouvait la solution. Au
plus haut de ce qui restait de la cloison se trouvait une découpe qui
ressemblait parfaitement à la forme q'il tenait dans ses mains. « Je vais la remettre à sa place. Aide-moi à la replacer là haut ! »
Ajouta t-il en montrant du doigt un point qui se trouvait à deux mètres de
hauteur juste au-dessus du banc. Il grimpa sur les épaules de son ami, et, avec de grandes difficultés, déposa
son fardeau à l'endroit prévu. Le caillou chancela plusieurs fois, et
miraculeusement resta sur son perchoir dans un équilibre que l'on pourrait
qualifier de très instable. Content de leur exploit, nos deux compères prirent le chemin du bercail. ----------------------------------------------------- Vingt ans plus tard Des hurlements émanaient de la chambre d'exécution. Assis, poings et pieds
liés sur la chaise électrique, Gilbert s'égosillait en clamant son innocence.
Ces huit ans qu'il avait passé dans le couloir de la mort arrivaient à un
terme. Dans quelques instants il serait occis, supprimé du monde des vivants. Dehors, la famille de sa femme chantait de joie. Enfin, le tueur qui avait
froidement et sauvagement éliminé sa compagne, allait retrouver le diable. Parmi la foule ainsi assemblée, se tenait John, silencieux, les yeux dans le
vague. La voix de son père se joignait aux vociférations de l'assemblée. Lui, il ne disait rien, pourtant il connaissait la vérité. Son papa, se pencha vers lui. « Ton ami d'enfance ! Celui qui a tué ta sœur ! On va être vengé ! » Aucune expression ne se dessina sur son visage. John, suite à un grave
accident de voiture, était devenu une sorte de légume. Ne pouvant plus
communiquer avec l'extérieur, il se laissait traîner dans une chaise roulante.
Pourtant son esprit criait lui aussi. Mais ses protestations silencieuses
allaient à l'encontre de l'opinion environnante : « Ne le tuez pas, ce n'est pas lui ! » Mais qui pouvait l'entendre, le comprendre ? ---------------------------------------------- On administra une forte dose de calmant au condamné. Ses muscles se détendirent,
il cessa ses vociférations. Sa rage s'était, sous l'emprise de la drogue,
transformée en une abnégation de toutes choses. Ces yeux se posèrent sur les
témoins qui se trouvaient de l'autre côté de la vitre. Son avocat, seul présence
familière avait les larmes aux yeux. Il était persuadé de l'innocence de son
client et ami. Il essaya un pâle sourire d'encouragement, un peu comme un au
revoir à cette personne qu'il avait suivie pendant ces neuf longues années. Le bourreau jeta un rapide coup d'œil à l'horloge qui accrochée devant lui
décomptait les minutes. Le coup de fil salvateur n'arriva pas. Un hochement de la tête et la machine de mort commença sa triste besogne. Les muscles de l'infortuné se crispèrent, le courant électrique contracta
ses muscles, la douleur était atroce. De la bave suinta de sa bouche. « Vite je veux mourir ! » Supplia t-il. Puis il ne sentit plus rien, le trépas l'envahit peu à peu... ------------------------------------------------------------ « Eliane Maloff, voulez vous prendre pour époux monsieur Gilbert
Sanpeur ici présent ? -Oui ! S'exclama t-elle. Je le veux ! » Les deux amoureux s'embrassèrent tendrement. Dans l'église, tout le
monde se mit à applaudir. John ravit de voir son meilleur ami prendre sa sœur
jumelle comme épouse, riait à cœur joie. Ce fut le début de cette triste histoire ! Tous deux avaient vingt trois ans. Gilbert avait côtoyé sa douce moitié
depuis sa plus tendre enfance, sœur de son meilleur ami; Il avait su apprécier
sa présence, admirer sa sagacité, affectionner sa douceur. Puis cette amitié,
doucement, s'était transformer en amour, en passion. John était particulièrement
heureux de ce dénouement. Son ami Gilbert deviendrait ainsi membre de sa
famille. Les premières années de leur vie de couple se passèrent
admirablement bien. Sans le moindre nuage, la moindre inquiétude. Seule ombre
à leur union, l'absence d'un enfant souhaité dont les médecins avaient
confirmé l'improbabilité. Pourtant, un jour, Gilbert fauta. Une amourette de passage, sans importance,
une seule nuit qui sembla tout briser. Comment Eliane en fut avisée, personne
ne le sut jamais. Mais ceci brisa la magie du ménage. Une histoire si bien
commencée, détruite en un instant, sans aucun espoir de réconciliation. Tout
fut étalé au grand jour un soir de thanksgiving : « Ce salop, m'a trompée ! » S'exclama Eliane au beau milieu
du repas de famille. Un silence de mort, noya la conversation animée qui égaillait la salle à
manger. John regarda son ami d'un air réprobateur... Les mois qui suivirent ne furent que disputes, pleurs. La trahie, se réfugiait
souvent dans la maison de son enfance. Son père, veuf depuis la naissance de
ses deux enfants, écoutait attristé les complaintes de sa fille. La terrible
conclusion du divorce semblait rester la seule solution au problème. Pourtant, John voulait essayer de raccommoder les choses. De réconcilier les
deux personnes qu’il aimait le plus au monde. « Eliane, tu dois essayer de te retrouver avec ton mari. Faites une
escapade en amoureux ! » Finalement, nos deux anciens amoureux décidèrent de tenter leur dernière
chance. Habitant maintenant à une centaine de kilomètres d'Amarillo. Ils décidèrent
de se retrouver dans cet endroit de leur enfance. Etait ce le fait de revenir
sur les lieux où la naissance de leurs sentiments amoureux étaient nés, le
couple sembla retrouver cette flamme de passion si malencontreusement éteinte. Main dans la main ils marchèrent dans cette campagne qui avait abrité leurs
premiers émois. La petite maison au mur partiellement effondré semblait les attendre comme
immuablement posée à l'abandon dans ce coin secret et si tranquille. Le banc
en chêne vermoulu leur offrit des instants de ce bonheur enfin retrouvé.
Tendrement enlacés, ils échangèrent un baiser passionné, vibrèrent sous le
charme lointain de leur jeunesse. Pourtant un terrible ennemi se trouvait à leur côté... ------------------------------------------- Puppa se réveilla soudain haletant, couvert de sueur. « Non ! » Venait-il de s'écrier… Assis devant sa petite table de cuisine, il sirota un verre de lait. « Paraît-il que ça redonne le sommeil ! » Espéra t'il. Il réintégra la douceur de son lit, puis, il lui fallut une bonne heure
pour retrouver l'apaisement espéré. ------------------------------------------- Au-dessus de nos amoureux, une grosse pierre vacilla inexorablement. Ce
parpaing, déposé là il y a de cela si longtemps, était prêt à dégringoler
vers le sol. Il glissa sans bruit, parcouru sa courte chute et frappa la tempe
d'Eliane. Elle décéda sur le coup, sans même un seul mot, une seule plainte. John
ne comprit pas tout de suite la gravité terminale de la situation. Mais affolé,
il se précipita sur sa compagne, l'a pris par les épaules. « Ma chérie, revient à toi ! » Comme unique réponse, un filet de sang s'écoula sournoisement de la
commissure de ses lèvres. Il la serra très fort dans ses bras. .. Combien de temps était-il resté ainsi, agenouillé devant la dépouille
de son amour. Il ne le savait pas. Puis, soudain, son regard se posa sur la
pierre meurtrière. Fou de rage et de douleur, il la ramassa et l'envoya de
toutes ses forces rejoindre les fourrés. Puis, il se précipita en direction de
sa voiture, il devait trouver de l'aide, il fallait la sauver ! Dans sa course, il trébucha plusieurs fois, perdit l'une de ses chaussures,
mais, que cela ne tienne, il allait trouver de l'aide, il en était certain.
Essoufflé, au bord de l'évanouissement, il se tenait maintenant dans son véhicule. « Mes clefs ! Hurla t'il, où sont mes clefs ! » Il éclata en sanglots... Son téléphone portable à la main, il appela la seule personne qui pourrait
lui donner de l'aide. « Gilbert ! C'est moi John ! Bredouilla t'il. Eliane, Eliane, elle
est morte! Un accident... » Gilbert ne comprit pas l’ensemble des propos que son ami formula dans un
illogisme affolé. Mais, il discerna précisément la gravité et l'ambiguïté
de la situation. Un seul mot sortit de sa bouche. « J'arrive ! » Pied au plancher, il entreprit de rejoindre le lieu du drame. L’endroit était
situé à une bonne heure de route de son domicile. Pourtant, il n'arriva jamais
à destination. Un virage en épingle, une vitesse trop excessive, toutes ces
images de son enfance qui se bousculaient dans sa mémoire. Puis le trou noir, béant.
Des voix qui s'agitaient autour de lui. La sonorité répétitive d'un moniteur
cardiaque et le réveil dans sa lugubre vie végétative. L'enquête sur la mort d'Eliane ne posa aucun problème aux inspecteurs de la
criminelle. Tout accusait John, Le sang de sa victime qui souillait sa chemise,
les empreintes sur le caillou retrouvé à quelques trente mètres du lieu du
crime. Sa chaussure perdue dans sa fuite insensée. Des promeneurs qui l'avaient
formellement reconnu. ------------------------------------------- Durant de nombreuses semaines qui suivirent la lecture de cette horrible
histoire, Puppa vécut avec un profond malaise. Toutes ses enquêtes qu'il pensait avoir si brillamment résolues, ne
cachaient-elles pas un quiproquo abominable. Une tragique erreur judiciaire ? Il songea même à abdiquer devant son admirable carrière dans la police
scientifique. Heureusement, chers lecteurs, ne vous inquiétez pas ! Il n’en sera rien !
M'sieur Viagex
|