Gex le 22/10/2001

Cher Monsieur Viagex

J'ai depuis toujours adoré la musique classique. Dans le but d'approfondir mes connaissances en cette matière, j'avais suivi avec deux de mes meilleurs copains un cours du soir qui nous permit de comprendre les secrets de l'acoustique. Notre illustre professeur nous confia à la fin de son enseignement qu'il était chef d'orchestre et nous gratifia de trois tickets pour venir assister à son prochain concert.

Le grand jour venu, nous nous retrouvions, notre trio habillé dans son trente et un, devant l'auditorium où devait se produire notre enseignant.

Je n'avais pas eu le temps de m'accorder une pause chez le coiffeur et mes cheveux pendaient lamentablement recouvrant mes oreilles. Plus tard je ne pus que me féliciter de cet état.
 Raymond, baillait à se décrocher la mâchoire, une nuit blanche et trop arrosée semblait avoir une emprise complète sur sa volonté. 
Jean, par contre en pleine forme exultait, songeant au ravissement que cette invitation lui apporterait.

La foule attendait déjà nombreuse, installée dans cette grande salle de spectacle. Assis derrière un groupe de personnes dont la distinction ne faisait aucun doute. Nous nous délections à l'idée d'octroyer à nos esgourdes des mélodies enchanteresses. Ne connaissant pas exactement le programme qui nous serait alloué. D'un doigt impatient j'alignais l'une après l'autre devant mes yeux avides, les feuillets qui composaient "le planning" de la soirée. Les noms de Bach, Mozart, Haendel que j'espérai voir au rendez-vous, n'apparurent point à mon regard étonné. Au contraire le barbarisme de noms qui m'étaient jusqu'alors inconnus résonnèrent à mon oreille. En fait, ces noms étaient épelés avec délectation par les personnes qui trônaient devant notre petit groupe. 

-Stockhausen, Xenakis, Boulez, Maderna! 

-Quel bonheur! S'exclama une donzelle au collier serti de diamant qui croulait dans son décolleté des plus avenant. Écouter la musique de ces fantastiques compositeurs me met dans un état d'excitation paroxysmique paranormale! Ajouta t'elle..

L'homme qui se tenait à côté d'elle et qui semblait être son chevalier servant. Lui jeta un rapide coup d'œil, semblant particulièrement heureux de l'initiative qu'il avait eu d'emmener cette charmante personne à ce singulier spectacle.  

Mon copain, me donnant un violent coup de coude, s'amusa de la séance musicale qui nous attendait.

-C'est une musique de dingue! Me dit-il.

D'un seul et même mouvement la gent qui nous précédait se retourna et nous décocha un regard des plus malveillant, semblant dire.

-Quels sont ces ostrogotes ! Certainement des béotiens qui débarquent de leur campagne!

Rouge de honte je n'arrivais qu'avec peine à tenir ma composition et infligeais un violent coup de pied à mon voisin dont la bouche proféra immédiatement certains propos injurieux des plus vulgaires que je ne pourrai en aucun cas vous répéter.  

Le calme envahit soudainement l'endroit. Une vingtaine de musiciens venaient de pénétrer sur la scène et rejoignaient avec application la chaise qui leur était réservée. Notre hôte et ami se présenta bientôt devant l'ensemble de sa formation. Les spectateurs debout applaudissaient à tout rompre. Le maître courba l'échine en signe de remerciement. Puis nous constatèrent l'arrivée de deux hommes habillés de robes chamarrées et portant sur leur tête un énorme Tam-tam. La couleur de leur peau nous apporta clairement la certitude qu'ils n'appartenaient pas à notre continent.

Le concert allait bientôt commencer!
D'abord tout commença par ce que j'appellerai des grincements de violons, bientôt suivis par des crissements de violoncelles, puis des couinements de clarinettes. Les Tam-tam enchaînèrent dans un raffut monumental. Après quelques minutes de ce boucan, ma perception auditive des plus délicate ne pouvait déjà plus assumer son labeur et m'invectivait de déguerpir de ces lieux assourdissant.
C'est à ce moment que ma longue tignasse accomplit sa besogne. Effectivement, partageant depuis des années ma vie avec une épouse très bavarde, je ne me séparai jamais d'une splendide paire de Bouchons d'oreilles qui par ses bons offices, me permettaient fréquemment de me protéger des élocutions incessantes de ma mie. Et voilà le travail! Discrètement mais d'une main alerte, j'appliquai le geste salvateur qui me permis de retrouver la quiétude sonore tant désirée.
Mon esprit songea à mes pauvres amis qui eux, étaient dans l'obligation de soutenir cette infâme épreuve. Je tournai donc ma tête en direction de Raymond. A ma grande surprise, je le retrouvai, le menton écrasé sur sa poitrine, se complaisant dans un profond sommeil. Je compris que ses propos sur sa bringue mémorable de la nuit dernière n'avaient en aucun cas été exagérés.
Rassuré sur son cas je m'inquiétai alors de l'état de santé de Jean.
Le pauvre arborait un visage livide, un ruisseau de sueur s'écoulait à profusion sur ses tempes gonflées. Sa bouche largement ouverte semblait recherchée une bouffée d'air bienfaisante. Ses yeux exorbités roulaient d'un mouvement chaotique. Ses deux mains accrochées au fauteuil paraissaient vouloir extirper un morceau improbable d'accalmie.
La pitié soudain m'envahit, il fallait que je réagisse pour arracher mon copain à cette infâme torture. Une idée salvatrice garnit subitement mon esprit. Deux mouchoirs en papier qui se trouvaient lovés au fond d'une de mes poches firent l'affaire.
Effectivement, logés dans ses ouies le visage de mon compagnon retrouva lentement sa composition habituelle. Le sourire aux lèvres, il me remercia d'un regard obligé. Je le mirai en rigolant car ces ouates sortaient de ses esgourdes d'une façon des plus comiques.
C'est au moment où tout le monde se leva que je compris que la fin du spectacle venait enfin d'arriver. Je me joignais aux applaudissements et stimulais mon ami endormi à nous rejoindre.
Le moment était maintenant arrivé d'aller remercier notre hôte pour son magnifique cadeau.
Arrivés dans sa loge, nous nous retrouvâmes mélangés aux nombreux admirateurs qui leur programme tendu, imploraient le maître de bien vouloir les honorer de son autographe.
Reconnaissant nos minois, le chef d'orchestre ignora ses groupies et s'adressa à notre petit groupe.

-Alors, les gars, vos avez aimé?

-C'était divin! Réussis-je à murmurer.

Mes deux compères, miraient le plancher essayant ainsi de maintenir leur sérieux envers mon affirmation mensongère.

-Divinement reposant! Pouffa Raymond.

Mais malgré tous mes efforts je ne pus retenir de rigoler quand la regard de notre bienfaiteur se posa sur les deux morceaux de papier que Jean avait omis d'ôter de ses canaux auditifs.

Prenant nos jambes à notre cou, nous déguerpîmes hilares et confus devant les visages ébahis de l'assistance qui ne comprenaient manifestement pas la cause de notre jubilation. Honteux de notre prestation, nous décidâmes quelques mois plus tard, de ne pas assister à la deuxième session des cours qu'allaient dispenser notre ami musicien.

Sur ce, croyez cher monsieur Viagex, en ma meilleure considération.

Votre fervent admirateur.

 Ignace