Gex le 12/12/2000

Cher Monsieur Viagex

Dans l'innocence de ma jeunesse, je m'étais fait embarquer dans une aventure extraordinaire appelée Karaoké.

N'étant pas un chanteur de talent et n'ayant jamais pratiqué de vocalises, je suivais donc mes amis dans un lieu proposant cette activité.

Après nous être garés dans une ruelle étroite et sombre nous parcourions, heureux d'être ensemble les quelque trois cents mètres qui nous séparaient de l'endroit. Un homme à la mine patibulaire gardait l'entrée. Il nous regarda d'un air suspicieux, mais voyant la jolie frimousse de Sophie qui éclairait la pénombre, il nous laissa passer en précisant.

-Pas de grabuge ou vous aurez à faire à moi.

Vue la taille de ses poings fermés, il était évident que le calme et la sérénité seraient de mise dans notre petit groupe.

Le local était exigu et mal éclairé. Dans un coin quelques femmes de mauvaises vies nous observaient d'un air maussade comprenant qu'étant donné notre charmante compagnie, leurs services ne nous seraient d'aucune utilité. Quelques couples particulièrement éméchés restaient avachis sur leurs tables. Au beau milieu de la salle se trouvait un large écran encadré par deux hauts-parleur qui diffusaient ce que l'un de mes potes qualifia de musique mais que moi même accommodé aux mélodies de notre cher Jean Sébastien Bach qualifiait de bruit immonde.

L'ambiance de la salle n'était pas très chaude, nous décidions donc de siroter quelques alcools en attendant que l'un de nos compères consommateurs veuille bien engager les festivités.

Deux heures plus tard, malgré l'arrivée de quelques malabars qui avaient comblé la salle, personne n'était venu pousser quelques mélodies.

Notre table aidée par l'attente et les nombreuses consommations absorbées avaient établi un record de taux d'alcoolémie. Nos états de relaxation à leurs combles, Jean, l'un des nôtres se décida, pour pousser ce qu'il appelait si gracieusement une gueulante. Il se dirigea d'un pas vasouillard vers le disque-jockey, homme crasseux au torse recouvert de tatouages et lui demanda dans l'oreille une certaine mélodie.

Le gaillard éclata de rire et s'en alla dans une petite pièce qui devait lui servir pour le stockage. Il en ressortit dix minutes plus tard arborant un disque poussiéreux qu'il présenta bras levé au ciel à la joyeuse assemblée.

-Petit papa Noël de Tino Rossi! s'écria-t-il.

De grands bravos éclatèrent et soudain quatre personnages surgirent du petit entrepôt d'où provenait la découverte préhistorique. Chacun d'eux avaient le visage garni de nombreuses cicatrices et l'on pouvait apercevoir accroché à leurs ceintures des pistolets au manche chromé.

La musique enclenchée, mon ami chanta d'une voix superbement langoureuse l'ode à cet homme à la barbe blanche. L'œuvre fut écoutée dans une ambiance religieuse, je crus même apercevoir couler une larme de tendresse de l'œil d'un des forts à bras.

Revenant à notre table mon copain me tira de ma chaise en disant.

-Allez Pierre c'est à ton tour!

Je ne connaissais pas grand chose à la musique Yéyé et la seule chanson qui me vint à l'esprit ne semblait pas vraiment m'être destinée. N'ayant rien d'autre en tête je demandais donc "Ah, si j'étais un homme" de Diane Tell.

Le responsable des effets musicaux secoua gentiment sa main en me disant d'une voix nasillarde.

-Ok ma poule tout de suite!

Et me voila parti dans mes élucubrations vocales. Quelques quolibets fusèrent de l'auditoire.

-Alors chochotte, tu les bouges tes fesses! Ou encore

-Ma p'tite tantouse t'es trop mignon!

C'est à cet instant tout en m'égosillant de mon mieux, que je remarquais un dur à cuir bardé de chaînes qui, s'étant rapproché de moi, me regardait l'air avide et le regard lubrique. Ma rengaine terminée, je me hâtais vers la jolie Sophie et l'embrassait tendrement sur la joue. Ceci calma instantanément les ardeurs de mon admirateur qui s'éloigna soudainement l'air déçu.

Ma douce amie comprit que son tour était venu de contribuer à l'ambiance de l'endroit.

Elle se retrouva, seule, au beau milieu de la pièce et demanda au maître de ces lieux un petit air qui, je le compris par la suite fut l'erreur de sa vie.

Pour vous expliquez le problème, imaginez cette jolie jeune fille de vingt-cinq ans, un mètre soixante quinze. Blonde à la bouche pulpeuse, la taille fine et la poitrine avenante, choisir devinez quelle chanson?

"Déshabillez-moi" qui avait dans le passé reçu la magistrale interprétation de Juliette Gréco.

La foule déjà très émêchée se mit à siffler, des obscénités volaient en direction de notre tendre et innocente compagne, qui chaloupant des hanches commençait à fredonner le refrain.

-A poil!!!

La surchauffe amorcée, un grand type empoigna notre pauvre Sophie et essaya promptement de lui enlever ses vêtements.

Faisant bloc, nous nous ruions sur ce malotru dans le but de lui casser la figure.

Les événements qui suivirent furent désastreux pour l'endroit. La bagarre générale qui par la suite éclata n'y laissa qu'un champ de ruines. Profitant d'une accalmie, nous nous évadions de ce champ de bataille.

Les vêtements déchirés et nos frimousses couvertes d'escarres nous courûmes jusqu'à notre voiture, heureux de nous en être tirés à si bon compte.

Mais là, la dernière mauvaise surprise nous attendait. Notre pauvre automobile avait reçu la visite de vandales, qui nous avaient laissé en guise de souvenir, une épave inutilisable.

Quelle triste histoire!

Depuis ce temps, je peux vous l'assurer, j'ai rangé toutes mes ambitions de chanteur au placard.

Meilleures salutations cher monsieur Viagex.

Votre dévoué.

Pierre

 

www.viagex.com