Gex le 15/02/2001

Monsieur Viagex

Depuis toujours je rêvais de conduire. Décidé à apprendre, j'empoignais d'une main résolue le combiné de téléphone avec la ferme attention de prendre mon premier rendez-vous pour une leçon de conduite. Je connaissais quatre petites entreprises locales qui toutes en dispensaient. Le visage pâle, la gorge sèche et les larmes aux yeux, après ma quatrième tentative, je comprenais que cette profession évoluait dans une sphère en pleine expansion et que je devrai attendre quelques mois pour enfin connaître les joies et les griseries du pilotage automobile. Pourtant mon regard qui consultait les pages jaunes fut interpellé par une petite ligne en bas de page. "Toupendu Auto-école du pays de Gex". Ce nom, je ne le connaissais ni d'Eve, ni d'Adam, et je tentais ce que je considérais être ma dernière chance :

« Allô! Auto école Toupendu ?.

-Oui c'est pourquoi ? Me répondit une petite voix féminine aigrelette et peu aimable.

-J'aimerai, si c'est possible, ajoutai-je timidement, prendre des leçons de conduite.

-Pour quand ? Maugréa t’elle.

-Si c'est possible d'ici la fin du mois !

-Ce sera difficile, je vais voir. Puis quelques instants plus tard. Soyez là dans cinq minutes ! »

Surpris par ce rendez-vous si précipité et inespéré. Je remerciai mon interlocutrice de sa gentillesse, la flattant de ma gratitude sans réserve. Soudain je réalisais que le combiné avait été raccroché aussi abruptement que la réponse m'avait été donnée.

Dévalant les escaliers quatre à quatre, après un sprint digne d'un Atlante de haut niveau que je n'étais pas. J'arrivais devant la petite échoppe où une enseigne affichait le nom bienfaiteur. Je poussais la petite porte qui grinça sous l'effort. Je me trouvais dans une petite pièce sombre. Mon entrée enthousiaste semblait avoir soulevé un épais nuage de poussière qui soulignait les quelques rayons de soleil qui m'avaient suivi dans l'entrebâillement de l'entrée. Un homme les pieds reposés sur un petit bureau crasseux lisait attentivement un journal. Il était complètement chauve et son cuivre chevelu arborait une multitude de coupures et bleus divers. Sur le mur je reconnaissais une photo du gars surmonté du titre suivant "Le cirque KNIE présente un contorsionniste incroyable."

« Bonjour monsieur, je viens pour la leçon de conduite !

Le quidam ne broncha pas d'une des deux semelles que je pouvais facilement admirer.

-C'est pour la leçon ! Osais-je une seconde fois. Ne voyant aucune réaction émanée de l'individu, j'élevais la voix.

Cette fois-ci l'homme sursauta.

-Oh excusez-moi ! Dit-il. Je suis un peu dur d'oreille madame !

-Monsieur, pas madame, monsieur ! Hurlais-je quelque peu agacé.

Le bonhomme tendit son long bras et saisit une paire de lunette aux verres d'une épaisseur centimétrique qui bientôt s'ajouta aux binocles qui étaient déjà juchées sur ses narines.

-Monsieur, hum ! Que puis-je faire pour vous ?

-Je viens de téléphoner, c'est pour conduire !

-Vous voulez dire prendre une leçon ? Demanda t’il étonné.

-Ben oui ! On m'a dit de venir tout de suite !

Le personnage sembla réalisé le thème de mes propos et la surprise passée, se leva de sa chaise en ajoutant.

-Et bien si faut y aller, faut y aller !

Déplié, l'individu devait bien atteindre les deux mètres vingt. Il me toisait de toute sa hauteur et me convia de le suivre. Un bruit sourd accompagna le franchissement de sa porte.

-Saloperie ! Dit-il, peuvent pas les faire plus hautes !

Nous nous trouvions à présent devant une petite voiture, vous savez celle construite par une entreprise allemande en collaboration avec un fabricant de montres. Je ne me souviens plus du nom. Mais un de mes copains lui avait donné le sobriquet de "Boîte à sardine". Tout en comparant la taille du véhicule à celle de mon moniteur, je poussais un "OUF" de soulagement, en me rappelant l'image que j'avais vu postée sur le mur de son bureau.

Le cours allait commencer !

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« En premier, cher élève. Il est important pour vous de comprendre les bruits du moteur. Il se mit donc à babiller, imitant d'une manière grotesque mais qu'il croyait très crédible, les vrombissements que produirait l'engin. Quelques giclés de postillons propulsés de sa bouche contrefactrice inondèrent rapidement le pare brise qui se trouva recouvert de l'intérieure par une moiteur répugnante.

-Tiens, il pleut ! Remarqua-t’il, nettoyant du revers de la manche ses lunettes qui avaient, elles-mêmes reçues leurs doses de gouttes de salive. Bon, Il est temps de démarrer !

Les quelques pauvres notions de la pratique automobile et mon profond sens de l'observation des actions d'autrui m'avaient appris les quelques mouvements de base permettant de faire avancer une voiture. Je m'acharnais donc, utilisant pour le mieux mes pieds et mes mains, pour activer les leviers et pédales qui se tenaient à la portée de mes membres. Malgré tous mes efforts je ne pus tirer aucune réaction de l'automobile. En nage, mon front affichant un filet de sueur tumultueux qui rapidement cascadait de mon appendice nasal. Je me tournais en direction de mon instructeur le regard emplit d'une ignorance caverneuse et l'apostrophais en ces termes.

-J'fais quoi de faux ?

Le bougre s'était endormi. Il avait profité de mes dix minutes de combats jonchés d'insuccès pour se jeter dans les bras de Morphée. Furieux je braillais à son encontre l'objet de mon ressentiment. Il se réveilla et tranquillement me suggéra de tourner le contact qui permettrait de mettre mon engin dans sa forme active. Soulager, j'entendis enfin le vrombissement caractéristique d'un moteur en état de marche.

Et nous voilà enfin partis, secoués pour quelques raisons étranges de l'avant vers l'arrière. Le doux bourdonnement de la mécanique se transformant rapidement en un hoquet disgracieux

-Passez la seconde ! Me suggéra t’il.

J'obtempérai sans délai, ceci fut accompagné d'un craquement sinistre d'origine inconnue.

La voie était droite, large et peu encombrée. J'accomplissais donc le premier kilomètre avec une fluidité de conduite que je qualifierai moi-même d'exceptionnelle. Tout à coup devant moi, un croisement. Malin que j'étais et sans même attendre l'instruction de mon maître, je marquais l'arrêt devant un panneau où le label STOP Flamboyait entouré d'une couleur rouge vive. Projeté vers l'avant mon instructeur qui une fois de plus s'était endormi, tout en se frottant vigoureusement le crane me demanda de conduire avec plus de légèreté.

-Dans quelle direction dois-je continuer ? Lui demandais-je d'une voix forte.

Clignant des ocelles, sa forte myopie ne lui permettant pas de voir clairement le chemin à parcourir, il m'indiqua d'un doigt indécis, la route qui se trouvait sur ma gauche. Je m'engageais donc sur cette chaussée où je pus apercevoir sur le bas côté une pancarte cerclée de rouge et barrée d'un long trait blanc. Quelques piétons perchés sur le trottoir m'inondèrent de conseils incompréhensibles.

-T'es en sens interdit connard ! Tu vas t'faire tuer imbécile !

Je demandais à mon instructeur, la signification de ses propos un tantinet vulgaire.

-Hein! Me répondit-il, j'ai rien entendu !

Brusquement un énorme camion se présenta en face de moi. Pour notre bonne aubaine, l'étroitesse de la rue ne permettait pas l'utilisation d'une vitesse abusive, et grâce à une embardé magistrale accompagnée de crissements des plus agréables nous nous arrêtions à quelques centimètres l'un de l'autre. Je restais figé, cramponné au volant qui semblait ne plus vouloir me lâcher. Je regardais l'air médusé, l'immense gaillard qui descendant de son poids lourd remontait ses manches, laissant apparaître une musculature titanesque. S'apercevant de mon anxiété, mon professeur entreprit de régler lui-même ce problème qu'il jugeait sans importance. En sortant de la voiture. Il réussit non sans mal à déplier sa longue carcasse osseuse et se dirigea au devant de l'hercule qu'il invectiva de propos apaisant.

-Encore toi ! Mais tu le fais exprès ! Vociféra le colosse.

Mon bon instructeur, sembla se souvenir soudain, que, lors du précédent cours de conduite qu'il avait donné, il y a bien un an de cela, il avait effectivement eu une fâcheuse altercation avec ce robuste personnage. Il décida promptement mais un peu trop tard de s'enfuir. Secoué par l'un des bras  vigoureux du routier, il reçut sur la surface de son cuir chevelu quelques semonces violentes et malveillantes.

C'est à ce moment que je décidais, non sans envoyer un regard ému de sympathie compatissante envers mon pauvre professeur, de quitter les lieux à toute vitesse.

Voilà l'histoire Monsieur Viagex.

La morale de l'histoire est : Méfiez-vous des rendez-vous précipités.

Bonne continuation.

Jean.