Il
devait
être 20h30 passé.
Rivé à son volant, la bouche entourée
d’une auréole de graisse, il
mâchouillait
son nem tout en pestant contre la circulation qui ralentissait son
avance. Ce
soir ! Il l’avait rêvé depuis tellement
longtemps et l’attendait avec une
impatience maladive.
Dans aucun cas il voulait être en retard.
Enfin l’immeuble ou il partageait sa vie avec Chantal se
présenta devant ses
yeux plissés.
Il arriva sur sa place de parking, fit crisser ses pneus qui
dégagèrent une
fumée à l’odeur âcre et
nauséeuse et, à peine à
l’arrêt, il bondit de son
automobile pour se ruer dans la cage d’escalier.
En entrant dans son appartement il cria :
« Bonjour chérie, tu as
préparé mon bol de riz ?
- Oui, il est dans le micro-onde ! T’as
qu’à le faire réchauffer ! »
Chantal, armée d’un marteau piqueur aux dimensions
impressionnantes, s’attelait
à démolir un mur dans le seul but
d’agrandir une pièce qui lui semblait trop
étroite.
Couverte de poussière, elle transpirait à grosses
gouttes.
Elle se mit à penser : (eh bien oui une femme ça
pense)
« Moi j’n'ai rien à envier à
un mec… »
Phil la main plongée dans son bol de riz se goinfrait de son
met favori. Son
festin terminé, il rota puissamment, puis, se rua dans son
fauteuil et alluma
la télévision.
Comble du bonheur, il était arrivé au moment
même où l’émission
qu’il rêvait de
regarder depuis très longtemps commença.
Chantal arrêta net son activité bruyante et pas
mécontente de savoir que la
soirée de Phil allait lui laisser un peu de
liberté, elle dit :
« Je te laisse, j’ai rendez-vous avec une copine
pour bricoler sur sa bagnole !
»
Puis revêtue d’un bleu partiellement couvert de
graisse elle quitta son logis
en jurant comme un pattier. C’est comme ça
qu’ils font les mecs !
La télévision afficha le titre de
l’émission. « La vie des scripts Chinois
à
l’époque Ming.»
Phil au comble du bonheur rendit à son petit
écran un sourire de béatitude…
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Ce
mardi
soir j’étais un peu en avance pour notre cours de
body combat. Avec surprise et
contentement, je m’aperçus que Phil
serait de la partie. Il avait revêtu
un short aux couleurs bariolées, un t-shirt venant
directement du pays au
soleil couchant, des baskets jaunes et de petites lunettes de
plongée.
Il se retrouva rapidement à mes côtés
pour me raconter sa soirée qu’il pensait
exceptionnelle.
« Alors il y avait ses scriptes qui portaient de longues
nattes et qui
écrivaient les pensées de l’empereur
avec un habilité impensable. Et bien tu
sais Pierre, j’ai décidé de me faire
pousser des tresses.
-Comment ? Lui demandais-je étonné.
-Mes tresses seront longues comme ça, m’affirma
t’il en déroulant sa main vers
le bas. »
Chantal qui se trouvait non loin de nous et écoutait notre
conversation d’une
oreille peu attentive, pâlit soudain. Elle avala sa salive
avec difficulté et
fixa Phil d’un air
désarçonné et presque
méchant.
Venu arriva tout affolé et me dit :
« Pierre, j’ai oublié toutes mes
affaires !
-t’as pas un copain qui peut te prêter un short,
t-shirt ?
-Faut que j’aille voir ! »
Chantal observait Phil avec un air vraiment bizarre, elle fixa son
regard puis,
le suivit dans la direction où son doigt était
pointé. Elle tomba sur nos body
combattantes qui s’émoustillaient de propos
frivoles.
C’est à ce moment qu’elle crut
comprendre l’inavouable. Ce terrible mot
qu’avait prononcé son ami résonnait
dans sa tête « mes tresses, maîtresse,
maitresse, maitresse… »
Phil avait une maitresse et c’était
l’une de ces gourgandines !
Il fallait absolument qu’elle sache quelle était
la coupable, la séductrice, la
traitresse.
Soudain, Meriem se détacha du groupe pour rejoindre les
toilettes. Chantal l’a
suivie sur le champ et en quelques minutes le tour fut joué.
Elle lui donna un
bon coup sur la tête, puis l’attacha solidement aux
latrines avec un bâillon
dans la bouche et lui plongea la tête dans cuvette
encore très sale.
« J’ai fait ça encore mieux
qu’un mec ! Pensa-t-elle. »
Elle ressortit du lieu de ses méfaits, revêtue de
la fameuse Burka qu’elle
venait de chaparder à sa victime.
Immédiatement, elle se dirigea vers Phil.
Son don d’imitatrice lui permit de parfaire son subterfuge :
« S’y va Phil, On s’kiffe grave,
j’suis gredin de toi, j’suis ta meuf pour
sûre
! »
Phil l’a regarda avec étonnement
-qu’est-ce que tu dis Meriem ?
-Z’y va, on va s’éclater en boite ce
soir !
-Euh… Eh bien, Meriem, je ne sais pas. Il faut voir si
Chantal veut venir…
-Ah bon…
Comme Meriem ne semblait pas être la coupable, elle le planta
à ses cogitations
et aborda Catherine.
« Sont belles tes sketbas, dis donc. Eh ! T’as vu
la chetron de Phil ce soir,
pas croyable ! »
Catherine intriguée regarda ce qui pouvait être si
particulier chez notre petit
Chinois.
C’est alors que Chantal lui planta le doigt dans
l’œil et notre pauvre
Catherine méchamment incommodée
commença à le cligner de douleur et
d’inconfort.
Phil croyant que Catherine lui faisait de l’œil,
haussa des épaules.
« Mais elles ont quoi ces nanas, ce soir ! » Puis
il se détourna de son
œillade.
La prochaine fut Olga :
« Z’y va, j’ai entendu dire que tu
kiffais grave les p’tits Chinois ?
-Camarade Meriem, depuis la disparition du
vénéré Mao, les Chinois sont tous
devenus des suppôts du capitalisme. Vive le combat de la
gauche prolétarienne,
à bas les jaunes aux dents longues et aus regards bourgeois
!
»
Le cours commença sans que Chantal ait la moindre
idée de la coupable.
Son Phil ignorant tout de son déguisement la cherchait en
vain. Le pauvre
garçon se trouvait un peu perdu dans la salle sans son point
d’encrage
habituel. Il se plaça donc derrière
Aurélie en essayant avec peine de suivre le
cours trop technique et ardu pour un novice de sa trempe.
C’est alors que Chantal toujours cachée sous sa
burka s’adressa à Aurélie :
« T’es enceinte de combien de mois, il sera jaune
ton bébé ?
Vexée notre jeune amie haussa des épaules et
ignora cette réflexion déplacée et
fallacieuse.
Chantal folle de rage lui envoya une ruade dans les tibias. La pauvre
enfant
s’écroula aux pieds de Phil qui, trop
concentré qu’il était
d’accomplir chaque
mouvement avec la grâce et volupté voulues, ne
prêta aucune attention à la
malheureuse grimaçante de douleur et faillit même
lui marcher dessus.
C’est alors que Venu entra dans la salle avec un peu de
retard. Il avait trouvé
de quoi se vêtir. Un short beaucoup trop serré et
moulant, un petit haut rose
bonbon auréolé de dentelles vaporeuses et des
chaussettes jaunes.
C’est alors que Chantal crut tout comprendre. Elle se jeta
sur notre bellâtre
et l’agrippa à cet endroit habituel du plaisir
auquel Venu tenait tant.
« Qu’à tu fais à mon Phil,
séducteur, voyou ! Hurla-t-elle ?
-Mais j’n’ai rien fait moi, répondit-il
d’une voix aiguë que l’empoignade mal
placée avait provoquée. »
Phil arrêta net son ébat sportif en se demandant
pourquoi Meriem imitait la
voix de sa Chantal en parlant de lui.
Dominique coupa son effort et en homme privé depuis
longtemps de compagnie
féminine dit que c’était le genre de
caresse qu’il aimerait bien qu’on lui
fasse.
Babette qui était restée calme
jusque-là, occupée à parler
à son fameux
Chippendale qu’elle avait attaché à une
colonne pour ne pas qu’il s’échappe,
cria en se jetant sur notre vénéré
entraineur :
« Mein kliener Appenzelle, s’il n’y a que
ça pour te rendre service ! »
La morale de cette histoire, c’est Rolph qui nous la souffla
en sortant de son
sac une multitude de friandises provenant du café Vaudois en
disant :
« Les amis ne vous disputez pas, il y en a une pour chacun !
»
La salle se vida en quelques secondes…
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