Self défense

 

« C’est Damien, un collègue de travail ! »

C’est un bel homme d’un mètre quatre-vingt, plutôt costaud et bien fait, mais, à sa poignée de main, je compris qu’il avait un problème.
Sa paluche était moite, sans vigueur, hésitante.

Alors, je me mis à remarquer ses épaules rentrées et cette large mèche qui cachait ses yeux.

-Je dois y aller, dit-il d’une voix bredouillante.

A la suite de son départ, Venu m’expliqua que c’était un grand timide et comble de l’abomination, il n’était pas à l’aise avec les femmes.

-Je l’ai pris en pitié, dit Venu, et j’ai décidé de lui apprendre la bonne façon d’aborder les filles. Avec moi comme professeur, il deviendra rapidement un séducteur hors-pair, me précisa t’il !

 Ce mardi soir j’arrivais à l’ICC pour mon cours de fitness.
Toutes les filles de mon groupe étaient réunies dans l’entrée et à mon apparition, elles arrêtèrent leurs papotages pour me regarder d’un œil mauvais.
Le petit chien d’Olga se mit à grogner.

-Tais-toi Hannus, dit la blonde venue du froid et en me regardant elle ajouta, ce camarade est un petit gringalet donc pas vraiment un challenge pour nous autres !

Meriem sortit une bat de base-ball de dessous sa Burka en disant :
-Nick la tronche des keufs !
-B… c’est vrai tous les mêmes ces Mecs, j’vais leur marteler les C… à ces fiottes de M… ! Ajouta Chantal, particulièrement remontée.

C’est alors que Gaby s’approcha de moi, un grand couteau de boucher à la main, un os de moineau planté dans la joue et une tête de lapin fraîchement coupée, pendue à son ceinturon.
-Pierre, le week-end dernier, nous sommes toutes allées à un cours de self défense réservée aux femmes et nous avons hâte de mettre cet enseignement en pratique !

 Sans vraiment attendre plus d’explication je me hâtais en direction des vestiaires en pensant que Venu ferait bien ce soir de ne pas être d’humeur frivole.

Il était d’ailleurs là en train de se changer.

Un homme qui se tenait à ses côtés me lança :
-Bonjour Pierre content de te revoir, puis il me prit la main d’une façon vigoureuse et la secoua sans le moindre ménagement.
S’apercevant que je ne le reconnaissais pas il ajouta. C’est moi, Damien, le collègue de travail de Venu.
Quel changement !
Il s’était débarrassé de sa large mèche et les épaules fièrement rejetées en arrière, il me toisait d’un regard droit et sûr.

-Venu m’a tout appris et aujourd’hui il m’a invité au cours de body combat pour l’ultime pratique de mon nouveau savoir sur la gente féminine !

Surpris par ce changement prodigieux, j’oubliai totalement de l’avertir sur l’indisposition de nos amies… 

Elles étaient toutes là, à attendre le début du cours.

J’entendis Chantal chuchoter :
-Et si on pétait la tronche de Venu !

Alors, elle envoya à notre séducteur préféré sa plus bel œillade, suivit par Meriem qui lui montra son mollet en remontant légèrement sa Burka, Aurélie tout en rentrant son ventre lui jeta l’un de ses plus beau sourire, Gaby lui fit apercevoir sa fausse dent tête de mort, Anne-Marie lui souffla un baiser et toutes les autres eurent un mouvement sans ambigüité pour l’attirer dans leur piège.

Mais le stratagème ne fonctionna pas, Venu resta de marbre et me murmura :
-Tu vois Pierre, elles sont toutes folles de moi, mais ce soir est réservé à Damien, le pauvre, contre moi la lutte est tellement inégale, j’ai décidé de lui laisser le champ complètement libre !

En entrant dans la salle, Damien voulu immédiatement mettre en pratique les conseils de Venu. Tout le savoir-faire de ce fameux séducteur était maintenant ancré en lui. La distinction, le tact, le doigté, la finesse du tombeur de femmes, il connaissait ça par cœur.

Il décida de commencer par Olga.
En regardant avec insistance son décolleté il lui dit :
« Vous avez de beaux yeux mademoiselle, vous habitez chez vos parents ? »
Puis il la prit par la taille.
La réplique ne se fit pas attendre, notre blonde venu du froid lui offrit sa spécialité Russe, le « defonssof tronchof, » plus communément appelé, Le coup de boule.

Notre dragueur lâcha prise et recula à moitié assommé
Venu ! Incroyable ta technique, dit-il, elle a déjà essayé de m’embrasser !

Puis il se dirigea vers Chantal et là je compris que malgré mon grand courage, il était temps de partir avant que le cours tourne au pugilat. Sortant sur la pointe des pieds je me postais au coin de la baie vitrée, pour avoir une vision global de cette apocalypse. J’entendis Chantal hurler des gentillesses dont elle seule a le secret et la baston commença.

C’est à cet instant précis que Phil arriva. Le pauvre avait un œil au beurre noir et un bras en écharpe.

-Je vois que Chantal a déjà mis son enseignement en pratique !
-Oui, répondit-il, la mine triste. Hier soir, à table je lui ai dit Chérie s’il te plaît pourrais-tu me passer le sel ?

Alors elle s’est énervée, m’a dit qu’elle n’était pas mon esclave et puis ce fut des coups, des coups, des coups, ajouta-t-il dans un hoquet de sanglots.

La porte s’ouvrit pour voir apparaître Misléa qui nous précisa qu’elle avait horreur de la violence et préférait ne pas assister aux scènes de frénésie qui se déployaient dans la salle.
-Ma culture Bouddhique m’empêche toutes brutalités ! Précisa-t-elle.
Puis elle se présenta à Phil qui ne la connaissait pas encore.
-Je m’appelle Misléa !
-Je suis Phil, le copain de Chantal ! Précisa-t-il, l’air particulièrement troublé.

Eh bien oui, le nom Misléa avait immédiatement résonné dans sa tête.

« Mais c’est un prénom Chinois, se dit-il faussement. Et malgré le look aucunement Asiatique de son interlocutrice, il eut cette déduction erronée. C’est une Chinoise!

Il s’empressa de lui parler, dans la langue du pays au soleil couchant, de sa vénération pour le grand Timonier.
-Kong chou Mao goa buchi ! Dit-il dans un Chinois qui lui semblait parfait.

Mislea crut entendre une obscénité, rougit et s’offusqua :
-Malotru, tu n’as pas honte de me dire de telles choses alors que ta fiancée est dans la salle à côté. Gouja, mufle, grossier personnage !

Furieuse elle lui colla son poing sur le seul œil qui lui restait encore valide.

Puis elle se tourna vers moi en ajoutant :
-Et toi, t’as quelque chose à ajouter.
J’armais mon courage pour lui proposer la réponse qui me semblait idéale.
-Moi non ! Mais, tu sais, Phil dit ce genre de chose à toutes les filles qu’il rencontre !

Le mensonge eut l’effet escompté et le pauvre en pris pour son grade, un gros coup de pied sur ses tibias clôtura l’altercation.

Puis, elle partit offusquée dans les vestiaires tandis que Phil à terre, gémissait de douleur.

J’eu un petit rictus méchant et délaissant le malheureux sans la moindre compassion et je me mis à observer la scène terrible mais amusante qui se déroulait dans la salle de cours.

Un véritable film d’horreur se présentait à mon regard ébahi. Meriem tenant haut dans le ciel son énorme gourdin courait après Venu en criant :
-Z ‘y va, encore un p’tit coup sur la tête, c’est pas cher !
-Mais j’n’ai rien fait moi, j’n’ai rien dit ! hurlait Venu apeuré.

Rolph, acculé dans un coin ne devait son salut qu’à son sandwich du café Vaudois qu’il tenait devant lui et dont l’odeur infecte dégagée réussissait à garder à bonne distance les furies.

César se tenait accroché au sommet d’une colonne, hors de portée de Catherine et Gaby qui bavaient de fureur et de rage de ne pouvoir l’attraper.

Seul notre Gourou Dominique s’en sortait plutôt bien, il avait eu ce trait d’intelligence et de discernement dont je n’aurai jamais pu lui croire capable.

Il s’était affublé de sa perruque de Polnareff !

Chantal devant lui, bernée par son accoutrement, lui demanda :
-Salut, la nouvelle, t’aurais pas par hasard vu passer un chauve qui chante comme une casserole ?

Quant à Damien il se tenait recroquevillé au milieu de la salle, couvert de bleu, avec les crocs du petit Hannus plantés profondément dans son postérieur…

Depuis cette mémorable soirée, Venu m’a dit qu’il ne voyait plus son copain Damien.
Le pauvre lui avait dit qu’il renonçait définitivement à cette existence de danger pour intégrer la vie recluse d’un monastère Chartreux.