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L'enfoiré

"Bonjour, je m'appelle Jean-Antoine de Buckenboler ! M'avait- il dit fièrement.

Comment un simple quidam tel que moi, noyé dans la masse du simple peuple avait-il pu rencontrer un personnage de cette qualité ?

Et bien très simplement, par son mariage avec la meilleure amie de ma femme.

Je lui répondis sobrement, les yeux baissés, un genou légèrement plié, la voix tremblante d'émotion :
"Moi c'est Bernard..."

Notre amitié dura quelques temps.
Au début, je le trouvais sympathique, intelligent, dynamique. Mais, quelques réflexions désagréables de sa part commencèrent rapidement à m'agacer.
Il me faisait ressentir sa supériorité, son intelligence.
Sa qualité d'être exceptionnel s'amusait de ma personnalité qu'il trouvait de bas étages.

Par gentillesse ou maintenant que j'y pense, par bêtise, je supportai sans rien dire ses sarcasmes insidieux.

Puis il y eut ses deux présents qui firent déborder le vase. Un stylo soit disant de prix qu'il m'offrit pour mon anniversaire en disant :
- Ne pense pas que je t'offrirai un tel présent chaque année.
En fait par une indiscrétion d'une connaissance commune, j'appris qu'il s'agissait d'un cadeau d'entreprise qui ne lui plaisait guère.

Et, il y eut ce livre écrit de sa main qui glorifiait sa généalogie et faisait part belle à son parcours qu'il pensait assourdissant.
Il me l'offrit dédicacé en ajoutant que je pouvais en prendre de la graine.

Alors là, s'en était trop, je rompais toutes relations en ignorant ses coups de téléphone et ses mails insipides et hypocrites.

C'est avec un bonheur indéniable que je couronnais mon soulagement en jetant à la déchetterie le bouquin abhorré.

Plus tard, pour des raisons professionnelles, je dus quitter la région.

Ce que la vie me semblait douce, plus limpide loin de la fréquentation de ce triste imbécile.

 Pourtant un jour de printemps, l'abomination dont j'avais cru pour toujours me séparer resurgit brutalement dans ma vie.
En me promenant dans une rue commerçante, je fus interpellé par la devanture d'une librairie où s'étalait ce fameux ouvrage détesté. Il y en avait plein la vitrine!
Plus loin, devant la Fnac une foule empressée attendait fébrile son ouverture, une immense affiche annonçait "Aujourd'hui, Monsieur Jean-Antoine de Buckenboler vient signer son ouvrage."

Je rentrai chez moi dépité de savoir que cet enfoiré avait, de son livre, fait un succès!

C'est en regardant les nouvelles que l'abjection culmina.
Je tombai sur un reportage parlant de ce crétin.
Sa voix aigrelette de fausset affirma :
-Mon succès je le dois principalement à mon grand ami Bernard. Il a par inadvertance égaré mon pamphlet dans une décharge, le pauvre garçon en a fait une dépression et je comprends la honte qui l'a obligé à fuir notre belle région.
Le hasard, enchaîna-t-il, fait bien les choses, quelqu'un est tombé sur mon bouquin, l'a fait suivre à un éditeur connu et la suite vous la connaissez! Finit-il dans un sourire évocateur...