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2016
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Le sapin du sous-préfet
Tout
a commencé pendant une soirée
d'été pluvieuse
dans un petit bistrot du Pays de Gex.
J'étais assis à une table avec deux amis, Michel
et Xavier.
Les portes du troquet étaient fermées et
l'indication "Interdiction de
fumée" semblait être là par simple
décoration.
Nos têtes noyées dans un brouillard de tabac froid
se regardaient en silence.
Notre cinquième verre de gros rouge
éclusé nous nous mimes à discuter de
la
dégénérescence du monde et des
problèmes graves qui submergeaient notre
société.
J'eus soudain envi d'égayer cette ambiance trop morose et
d'une voix basse,
presque secrète je susurrai :
-J'ai un endroit merveilleux du pays de Gex qu'il me faut absolument
vous faire
découvrir!
-Ah oui, répondit Michel, lequel ?
Je leur fis signe, d'une main agile d'approcher leurs frimousses car
d'aucune
manière je ne voulais que ce fantastique secret tombe dans
les oreilles du
premier quidam venu.
- Et bien, je vais vous emmener...
J'arrêtai net mes propos, puis, penchant ma tête,
je libérai mon regard au-dessous
de mes aisselles pour vérifier que personne ne nous
écoutait et je repris :
- Je vais vous emmener voir le Sapin du Sous-préfet !
Mes deux compères écarquillèrent leurs
yeux d'une naturelle jouissance et même
Xavier m'avoua qu'il en avait déjà entendu
parler, mais qu'au grand jamais il
n'avait songé pouvoir approcher ce qu'il croyait
être une chimère.
Quelques jours plus tard, nous entreprîmes une longue
promenade en direction de
l'une des plus imposantes merveilles de notre monde. Celle, connue par
les
initiés, comme se plaçant avantageusement entre
la majesté du Grand Canyon et
l'immensité de la barrière de corail...
La ballade était agréable et enchanteresse, les
oiseaux gazouillaient leur
bonheur, les ruisseaux frémissaient de vitalité,
et, se faufilant sous les
feuillages une brise légère caressait nos narines
et emplissait nos poumons
d'un bien être inoubliable.
Pourtant, je ressentis une certaine inquiétude chez mes
compères, une angoisse
palpable, qui était d'ailleurs tout à fait
compréhensible.
Ils allaient bientôt être confrontés
à une beauté surnaturelle qui,
certainement marquerait une finalité à
leurs imaginations.
Puis, il y eut cet ultime tournant qui allait nous permettre de
découvrir
"La splendeur de notre Terre." Je les intimai de ralentir leurs pas
et de prendre une grande bouffée d'air dans le seul but de
leur permettre de
tenir le choc devant cette grandiose découverte.
Trois secondes plus tard, la clairière se retrouva devant
nous avec le roi de
la forêt qui nous étourdit de sa splendeur.
Michel ne put s'empêcher un hurlement de joie et les bras en
avant, sanglotant
son enthousiasme, il se rua vers son altesse, caressa son
écorce, embrassa ses
racines, colla son oreille gauche sur son imposante stature
écoutant avec émerveillement bn! la sève de vie plus que centenaire.
Pour Xavier, la réaction fut toute différente.
Les jambes coupées par cette
majesté, le pauvre bougre s'affala de tout son long dans la
boue, et les coudes
trempées dans une gadoue nauséeuse rampa en
direction de la splendeur
végétale, la nuque arcboutée et
geignant sa tumultueuse admiration.
Leurs exultations se prolongea pendant de longues heures,
leurs émois
respectifs naviguant entre des cris jubilatoires et des pleures
d'allégresses.
Ce ne fut que quatre heures plus tard, la nuit venant, que j'eus la
juste
persuasion pour les inciter à quitter cet endroit :
-Venez les amis je vais vous montrer les portes de Sarrazines, c'est
également
très beau! Affirmai-je le ton peu convaincu.
Cette deuxième découverte fut très
rapide. Un simple maigre sourire me fit
comprendre que ces deux solennelles murailles qui cernaient le petit
ruisseau
Journans n'avaient rien de bien extraordinaire après
l'inimaginable rencontre
qu'ils avaient faite avec la magnificence divine du Sapin.
Le retour vers Gex se fit en silence.
Mes deux compères marchaient les yeux dans le vague.
La beauté qui s'était
précédemment
exposée à leurs yeux
émerveillés semblait
avoir comblée l'intégralité de leurs
expériences à tel point que la
continuité
de leurs vies paraissait maintenant fade et insipide.
Ils avaient aperçu l'ultime, la quintessence de ce que tout
homme veut
découvrir.
Le sens profond de leurs vies en avait ainsi été
altéré, meurtri par ce
"Trop beau!"
Qu'allaient-ils devenir ?
Simples Farfadets d'un monde qui à l'évidence
n'avait plus rien à leur
dévoiler!
Comme toujours, cherchant à provoquer l'apaisement de ces
âmes meurtries, j'eus
la juste riposte à leurs attentes :
-La semaine prochaine nous irons admirer la grotte de la Marie du
Jura...
pour m'écrire viagex@viagex.com