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Promenade

Bernard, mon ami d'enfance.
Je m’étais toujours moqué de son aversion à toutes pratiques sportives en lui disant :
-Quand tu seras vieux, j'irai te voir à l'hospice pour te promener dans une chaise roulante !
Pourtant, la cinquantaine arrivée, je fus le premier confronté à un problème de santé grave. Moi, sportif émérite, je fus terrassé par un incident cardiaque qui me fit réaliser l'étroit chemin qui me séparait du statut de vivant à celui de simple souvenir.
Après de nombreux mois de convalescences, ma forme partiellement revenue, j'appelais mon copain pour lui proposer de faire une petite promenade.
-Oui, avec plaisir me répondit-il, puis il ponctua sa réplique par l'une de nos petites plaisanteries favorites :
 « Tu pues, tu pètes, tu prends ton cul pour une trompette ! »
Seule, une longue complicité peut nous permettre d'apprécier à sa juste valeur un humour aussi délicat...

J'étais dans son porche d'entrée.
Il était temps pour nous de commencer notre ballade.
Au moment où il m'avait ouvert la porte, j'avais remarqué une lueur dans ses yeux qui n'avait rien d'habituelle.
Il m'avait dit :
-Bonjour Pierre, comment te sens tu ?
-Ça va mieux, j'suis encore un peu faible, mais bon, je commence à voir le bout du tunnel !
A cet instant, je crus voir un rictus de moquerie se dessiner à la commissure de ses lèvres.
Au moment de partir pour notre ballade, sa femme Mireille lui conseilla de changer de chaussures, pour une paire moins délicate et plus confortable.
-Pas la peine, répondit-il, nous resterons sur des chemins bien carrossés !

La première demi-heure se passa tranquillement et agréablement, ponctuée par une conversation plaisante et divertissante.
Tout à coup, son pas se fit plus rapide. Surpris et immédiatement haletant, je le suivais tant bien que mal en serrant les dents.
Mon ego ne me permettant pas de me plaindre sur mon état, je fis mine de n'avoir aucun mal à le suivre et répondais à sa volubilité par des "oui " essoufflés.

Arrivé à l'orée d'un bois. Il me proposa de le traverser en prétextant que cet itinéraire nous ramènerait plus rapidement à notre point de départ.
La forêt était touffue, le sol jonché de feuilles mortes laissait apparaitre une boue noirâtre et nauséabonde.
Me sentant particulièrement fatigué, il fallait que je trouve rapidement une raison pour ne pas m'engager sur cette voie difficile :
-Mais, Bernard, tu sais, tu risques de salir tes chaussures !
   Mireille ne sera pas contente !

Que nenni, sans même avoir écouté mon argumentation, il s'était déjà engagé d'une bonne trentaine de mètres dans les fourrés et m’encourageait à le suivre '
- Alors Pierre, tu traines !

Et ce fut un véritable calvaire, qui pour moi, commença.
Chacun de mes pas me demandait un effort surhumain. Mes pieds collaient à un terreau gluant et couinaient de gargouillis aquatiques.
A bout de force, je mis un genou à terre et le suppliai :
-Bernard, s'il te plaît, attends-moi !
Il s'arrêta, me regarda d’un air condescendant, puis tout en haussant des épaules continua son chemin sans rien dire.
Boitillant derrière lui, je finis par me jeter à ses pieds pour lui agripper une jambe.
-Bernard, s'il te plaît, je n'en peux plus !
Tout en ricanant, il secoua sa jambe et la paume de sa main appuyée sur mon front me fit lâcher prise. Puis ramassant une énorme buche, il me la lança en disant :
-Tiens portes ça, j'ai besoin de bois pour me chauffer.
Puis il tourna les talons pour disparaître rapidement de ma vue.
Il me fallut trois bonnes heures d’errances et de souffrances pour me retrouver devant sa porte.
Je posai à terre le rondin de bois que je n'avais pas osé abandonner par crainte de son ordre et sonnai à sa porte, espérant pouvoir me réchauffer d'un café réparateur.
Malgré l'évidence de sa présence, personne ne vint m'ouvrir.

En retournant à ma voiture je découvris l'apothéose de ma punition. Le bas de ma portière gauche était maculé de boue.

Bernard avait conclu sa revanche en utilisant ce support pour méticuleusement nettoyer ses chaussures...