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Mon amour Léonette
Chapitre 7
Au petit matin, la lourde charrette avançait très lentement,
tirée par deux énormes bœufs qui enchaînaient tranquillement leurs pas à
l’unisson déjouant sans la moindre difficulté les embûches dispersées du chemin. Tapotant gentiment la croupe des animaux, Ernest rêvassait.
Sa cargaison de bois devait être livrée prêt de Bellegarde dans
l’après-midi et il espérait que ce petit
voyage se déroulerait sans problèmes. La
dernière fois, l’une de ses roues avait littéralement explosé dans une ornière
et il avait dû perdre une journée pour réparer les dégâts. Mais ce qui
l’inquiétait à ce moment précis, c’était
la rumeur qui courrait, racontant qu’une bande de malfrats sévissaient dans les
parages. Bien entendu, il était pauvre et sa maigre bourse ne contenait que
quelques sous, mais peut-être ses bœufs pourraient intéresser ces bandits. Ses
bêtes étaient toute sa fortune, sa vie, il y tenait plus qu’à la prunelle de
ses yeux, les choyant de tout son amour. Il marmonna une prière en direction du
ciel lui demandant sa toute puissante protection. Il en avait presque oublié la présence de Jeanne qui assise
à l’arrière de la carriole supportait tant bien que mal les secousses
désagréables qui ébranlaient constamment l’attelage. Il l’avait à peine regardée ce matin, un bougonnement, un
signe de la tête et elle avait compris l’endroit qui lui était réservé pour le
voyage. Il ne ressentait plus aucune affection pour cette traînée qui avait préféré une vie de débauche
plutôt que d’accepter de le suivre dans sa vie pauvre mais honnête, faite de durs labeurs. Jeanne souriait. La lourde bourse contenant toute sa fortune
était restée toute la nuit serrée contre son ventre. Elle éprouvait une
plénitude, un bonheur qu’elle n’avait jamais connu jusqu’à présent. La fortune
qu’elle possédait la faisait rêver à une vie de princesse, entourée de
domestiques qui obéiraient à ces moindres désirs. Elle était heureuse de
quitter ce pays de Gex, qui pour elle était synonyme de pauvreté, de malheur et
de privations. Ses trois enfants ne lui manquaient nullement, ils avaient tous
étés des accidents de la vie, non souhaités, non aimés. « Gislain s’ra bien capable de s’occuper d'ses frères ! » Pensa-t-elle.
Le passage de l’écluse qu’elle redoutait s’était fait sans
encombre. Le garde qui s’occupait de faire payer la taxe de passage avait à
peine jeté un bref coup d’œil sur elle. Ernest l’avait payé de trois deniers poinçonnés à la
toute nouvelle effigie de Léonette et lui avait précisé sa destination. D’un
geste de sa lance il lui avait fait signe de passer. Il eut un geste amical de
la main pour saluer les arbalétriers qui défendaient le petit fort et qu’il
connaissait très bien. Puis, l’attelage s’engagea lentement sur la longue
passerelle de bois qui contournait le fortin. Ernest appréhendait ce passage
glissant où ses bœufs patinaient sur les planches de chêne un peu trop lisses.
Puis la traversée de la forêt commença. Le chemin caillouteux et malaisé
rendait particulièrement difficile l’avancé de l’équipée. Le soleil cognait de
toute son ardeur. « Oh ! » Ernest venait d’inviter ses animaux pour une pause
bien méritée. Sautant de sa carriole il empoigna deux sots et se dépêcha
de les remplir à ce petit filet d’eau qui ruisselait le long de la paroi rocheuse.
Balançant leurs têtes de droite à gauche les deux animaux semblaient attendre
avec impatience que leur maître les abreuve et se fut avec plaisir qu’ils
enfilèrent leurs museaux dans le contenant qui leur fut présentés. Jeanne qui se dégourdissait les jambes se rapprocha de lui.
Il en profita pour la regarder avec attention. Qu’elle était devenue laide !
Loin du souvenir de jeunesse qui restait gravé dans sa mémoire. Maintenant,
elle ne l’attirait absolument plus, sa démarche semblait terriblement lourde,
elle se déplaçait disgracieusement avec ses deux mains pressées étrangement sur
son abdomen. « Tu as des enfants ! Demanda-t-il dans un ton qui ressemblait
plus à une affirmation qu’à une question. Jeanne oscilla trois fois de la tête dans un mouvement
affirmatif. -Oui, trois mioches ! Et qui s’en occupe à présent ? -Mon compagnon ! Inventa-t-elle. -Tu vis avec quelqu’un ? -Oui un paysan qui s’occupe bien d'moi et qu'j’adore ! -Et il t’a laissé partir sans rien dire ? -Ben oui, de plus j’ai d'la famille fortunée à Lyon, faut
que j’aille les voir, paraît qui z’ont des biens qui me reviennent ! Ernest haussa des épaules.
Croyait-elle vraiment qu’il était
un imbécile, il le savait bien qu’elle lui racontait des
histoires. Elle ! Un
compagnon ! De la famille à Lyon ! Il la connaissait par
cœur. Pauvre orpheline
qui avait été recueillie par le couvent d’où
elle s’était échappée dès le
début
de son adolescence. Le repos fut de courte durée. Il était déjà temps de repartir. La descente abrupte sur Bellegarde s’annonçait difficile et
certains passages délicats demandaient beaucoup d’attention pour éviter un
dérapage fatal qui pouvait entraîner sa carriole dans le fleuve qui serpentait
en contrebas. Sa concentration fut interrompue par des craquements de
branches qui attirèrent son attention. Il eut une grimace d’effroi et un frisson glacial lui parcourut le dos.
Devant lui, sortant des fourrés, une dizaine d’hommes en guenille, un rictus de
méchanceté dessiné sur leurs lèvres tenaient dans leurs mains de gros battons
de bois vermoulu. Jeanne ne put s’empêcher un cri de terreur. Ernest quant à
lui comprit instantanément que son salut serait dans le combat. Il ramassa un
gourdin, arbora son air le plus menaçant et se précipita sur le bandit qui se
trouvait au plus près de lui. L’homme ne s’attendait pas à cette attaque et
frappé rudement au crâne il s’écroula la tête partiellement éclatée. Ses
compères reculèrent d’un pas. L’imposante musculature du bûcheron et son étonnante agilité
ne pouvait susciter que du respect. Mais c’était malheureusement sans compter
sur le chef de la bande. Un fourbe et une racaille de première classe qui
invectiva ses hommes au combat : « Il est seul ! Bande le lâche ! » Il se rua sur Ernest en tenant sa massue haute dans le ciel.
Celui-ci esquiva le coup de justesse. Puis, les deux combattants commencèrent
leur dramatique confrontation. Leurs armes de fortunes s’entrechoquèrent.
Chacun voulait asséner le coup fatal qui lui donnerait la victoire et Ernest
était évidemment plus fort que son adversaire. Malheureusement, l’intervention
des complices inversa rapidement cette constatation. Le plus petit gaillard du
lot lança un caillou qui heurta Ernest à la tempe. La pauvre, dans un dernier
râle, sombra instantanément dans l’inconscience. Jeanne, quand-à elle avait
profité de la confusion du combat pour
s’enfuir, à bout de souffle, elle avait trouvé refuge derrière le tronc
d'un arbre déraciné, rempart bien incertain devant les trois gaillards qui
l’ayant repéré l’avaient immédiatement prise en chasse. « Elle cache quelque chose sous sa robe ! Rattrapons là !
Avait hurlé l’une des crapules. Ils eurent vite fait de la débusquer. Les yeux exorbités,
étreignant avec force le trésor de sa vie, elle recula, le souffle court. -Ne me faites pas de mal, je ne suis qu’une pauvre femme ! Murmura-t-elle
avec difficulté. -Donnes-moi ce que tu caches, et je te laisserai la vie !
Ordonna l’un des hommes, un couteau serré dans la main. -Non ! Dans un dernier
espoir elle se retourna et tenta de s’enfuir. Le méchant gaillard lança
vivement son poignard dans sa direction et celui-ci arrêta net sa course mortelle
dans le dos de la pauvresse qui s’écroula paralysée. Agonisante, couchée dans
la marre de son propre sang, elle ne fut plus en mesure de protéger son
bien. Les trois compères sans le moindre
égard devant son triste état s’emparèrent de la bourse et, dans un rire de
contentement, l’abandonnèrent dans sa
souffrance… Combien de temps était-il resté là, allongé sur le sentier.
Il ne le savait plus. Son crâne lui faisait très mal et un sifflement continu
semblait lui transpercer les tympans. Le regard trouble, il cherchait des yeux
son attelage. Seule sa carriole orpheline restait plantée, tristement renversée
au milieu du sentier. Ses deux amis, ses animaux, les seuls êtres qu’il aimait
tant, avaient disparus, emportés par cette horde de barbare. « Gislain… Ton fils ! » Comprit-il. Ces derniers mots conclurent l’existence de la pauvresse.
Ernest, fut bientôt pris de tremblements convulsifs, son cerveau semblait
vouloir éclater. Il s’évanouit à côté du cadavre. ------------------------------------------------- Des hurlements retentirent dans la tour du château, puis des
bruits de pas qui accouraient dans leurs directions. Sur le sol, devant l’entrée de la chapelle, Guillaume, tordu
de douleurs, agonisait devant les yeux des trois princesses. Marguerite et
Isabelle pleuraient à chaudes larmes, seule Léonette semblait avoir gardé un
soupçon de calme. Elle ordonna au valet qui se tenait à ses côtés d’aller au
plus vite chercher Rimelin, lui seul pourrait faire quelque chose pour calmer
les douleurs du troubadour. Elle s’agenouilla près de lu. Prit délicatement sa
main : « Guillaume, je suis là, on va t’aider, te soigner, courage
! Le pauvre garçon ne réagissait pas aux encouragements de
Léonette, son état semblait se détériorer rapidement. Un filet de salive
s’écoulait lentement de sa bouche entrouverte. Elle allait essuyer son front
avec un mouchoir, quand les deux mains puissantes de jeanne l'empoignèrent pour
la faire décoller du sol et l’emmener loin de l'agonisant. -Il a la maladie du renard ! » Horrifiés, tous les protagonistes présents reculèrent de plusieurs
pas en posant une main affolée sur leur
bouche... --- Rimelin sursauta, quelqu’un tambourinait à sa porte : « Qu’est-ce qu’il y a ? -Vite mon prince, Guillaume est en train de mourir ! En quelques secondes le bon docteur se retrouva devant le
messager. -Qu’as-tu dit ? -Le troubadour ! Il est en train d’agoniser ! Il s’est
effondré brusquement ! Il souffre de douleurs atroces ! Vite il faut venir ! »
Conclut-il d’une voix essoufflée. Parmelin comprit immédiatement que l’origine subites des
douleurs, devaient être certainement causées
par le poison qu'il avait lui-même concocté. L’ignoble Norbert ! Mais pourquoi voulait-il tuer cet enfant
? Il déposa trois fioles de couleur verte dans un petit sac et
le suivit d'un pas rapide. Arrivant sur les lieux, il constata les méfaits abominables
qui étaient clairement décrits dans son grand livre des poisons. La sueur
abondante, le mal de ventre, les convulsions multiples, les yeux qui semblaient
vouloir sortir de leurs orbites, tout y était. " Pourvu qu’il ne soit pas trop tard ! ". Il lui empoigna la tête. Il respirait à peine. Le blanc de
ses yeux était devenu jaunâtre, ses doigts s'étaient recroquevillés, la raideur
cadavérique de ses membres marquait l'ultime de ses derniers instants. Y avait-il encore une chance de le sauver? D'une main fébrile et tremblante, il vida tant bien que mal
un liquide gluant qu’il avait apporté, dans l’entrebâillement des lèvres
nécrosées. Guillaume cessa toutes gesticulations. Un silence absolu, glacial régnait maintenant autour d’eux. Chacun, éloigné de
plus de dix pas de la scène, attendait une réaction, le signe d’un miracle
espéré. Rimelin, la main serrée autour du pouls de Guillaume,
essayait d'apercevoir un semblant de signe de vie. Au bout de quelques minutes
angoissantes. Les yeux emplis de larmes, il se retourna vers la foule
silencieuse et, d'un signe négatif de la tête signifia à l’assistance, la fin
du jeune homme. -Ne vous approchez pas de lui ! » Ordonna le médecin, il est
encore contagieux. Puis, lentement, les yeux mouillés de chagrin, la tête
baissée. Il prit la dépouille dans ses bras. La souleva lentement, puis, dans
un silence total, il s’éloigna sans un mot suivi du regard effrayé de
l'assistance. Le pauvre jeune homme lui semblait si léger, si fragile, terrassé
au cœur de sa jeunesse prometteuse. Le lourd fardeau de sa culpabilité écrasait sa
conscience, cette mort injuste, il en était
le complice en tant que créateur de cette drogue de mort. Toutes les fenêtres étaient grandes ouvertes, ornées de
visages horrifiés, éplorés, angoissés. Un ami presque un frère venait de les quitter. Puis une terrible remarque enfla dans la maisonnée : « Et s’il s'agissait d’une épidémie, nous allons peut-être
tous mourir ! Un vent de panique enfla provoquant des fuites apeurées. Dans la chapelle, les trois princesses, les yeux rougis de
larmes de tristesse, s'étaient
agenouillées sur le sol pavé, les mains jointes, les yeux humides
pointés en direction de la croix du Christ. Dans une dernière prière, elles imploraient
Dieu de bien vouloir recevoir leur ami à ses côtés. .. Rimelin poussa du pied la porte de son local et déposa le
corps inanimé sur une paillasse. Il aurait tant voulu pouvoir le sauver, mais
son antidote ne semblait pas avoir accompli le miracle espéré. S’il avait pu lui
administrer ces gouttes miraculeuses quelques
minutes ou même quelques secondes plus tôt, cela aurait sans aucun doute
provoqué le miracle escompté. Derrière lui, bravant la peur d’une contagion probable,
Eglantine sans un bruit l’avait suivi. Elle le regardait, voulant le supplier
d'une ultime demande. « Que me veux-tu ? Demanda Rimelin qui avait ressenti sa
présence. -J'aimerai lui rendre un dernier hommage ! Bredouilla-t-elle.
Il garda le silence un instant, puis, calmement, tournant la
tête en direction de la belle, il la fixa de ses yeux perçant d'intelligences. Etrangement, Eglantine remarqua qu'il ne semblait pas
vraiment triste, mais, arborait plutôt
un regard malicieux, une expression de bonheur. -Très bien ! Dit-il. Tu vas m’aider ! »... Dans tout le château où la terrible nouvelle venait de se
répandre apportant peine et effroi. Le maitre des lieux avait ordonné d'allumer
un immense brasier au beau milieu de la cour, tout le monde le savait, la
fumigation était la seule parade pour aseptiser l'endroit. Dans l'ombre de leurs intimités, deux personnes semblaient
sereines, heureuses. Elles se frottaient les mains de contentement, leur visages illuminés d’un petit sourire
réjoui et moqueur ! |