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  Meutre en spirale

19/11/2017


Alphonse Emilien était à la retraite depuis maintenant deux ans. Il s'était retiré dans un petit chalet de montagne, perché au sommet de la chaîne du Jura.
Cet hiver, il avait décidé de le passer caché avec sa solitude, au milieu des immenses pâturages que la neige avait soudainement envahis.
Le vent hurlait cette nuit-là.
Dans la vallée, il pouvait apercevoir les lumières de Genève et du pays de Gex.

Petit homme aux yeux pétillants d'intelligence, il vouait une passion sans limites à la fabrication de meubles en bois de sapin qu'il aimait lui-même peindre d'arabesques des plus diverses. Il venait de s'attaquer à la fabrication d'une table.
Un tour à bois occupait une grande partie de la pièce.
Notre ami se préparait à peindre, avec l'aide de son engin mécanique, les quatre rondins de bois qui se trouvaient devant lui.
Il avait modifié sa machine qui était maintenant affublée d'une avance automatique transportant un petit appareillage de peinture. Ce système astucieux véhiculait un léger pinceau qui se déplaçait suivant les mouvements de rotation de sa machine.
Un rondin de bois d'un mètre de long attendait, serré dans les mords du mandrin.
Alphonse approcha la délicate plume rougie par de la peinture jusqu'à ce qu'elle touche ce qui allait devenir un magnifique pied de table.
Dans la salle adjacente,
on pouvait entendre le ronronnement de l'alternateur qui fournissait l'électricité du logis. L'idée de notre peintre-menuisier était de dessiner une spirale tout autour de cette pièce de bois grâce à son système des plus ingénieux.
Il mit le tour en marche qui, lentement, commença sa rotation tout en entraînant avec elle la plume.
La couleur rouge entamait comme prévu son parcours en serpentin.
Soudain.
La porte s'ouvrit ; Notre ouvrier, surpris, regarda quel intrus osait pénétrer dans son antre. Après un moment d'effroi, sa figure déploya l'un de ses plus beaux sourires.
«  Jean Pridon, mon ami, mais quelle bonne surprise ! » dit-il d'une voix forte.
Et puis la peur s'inscrivit sur son visage.
« Mais que fais-tu ? Ne tire pas ! Non ! »
Un coup de feu retentit dans la solitude glacée.
La porte se referma.
Le tour à bois termina son travail et s'arrêta.
Sur le sol reposait le corps sans vie d'Alphonse.
Dehors la neige s'était remise à tomber.
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La sonnette retentit dans le petit appartement de la rue Léone de Joinville. Il faisait déjà chaud ce matin-là, le mois de juillet avait apporté cette chaleur qui réveillait les esprits. Jean Pridon, ouvrit la porte. Deux gendarmes se trouvaient devant lui.
« Monsieur, vous êtes en état d'arrestation !
Jean l'air éberlué ne réagit pas tout de suite, puis :
-Mais pourquoi ? Qu'ai-je fait ?
-Vous êtes inculpé pour le meurtre de Monsieur Emilien. Suivez-nous.
Quelques minutes suffirent pour que notre suspect se retrouve, les menottes aux poings, assis dans la voiture de la maréchaussée qui l'emmenait en direction de la gendarmerie.
Deux ans s'étaient pourtant écoulés depuis ce meurtre, mais comment avait-il pu être découvert ? Plongé dans ses pensées, l'assassin se remémora cette sinistre période...
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Je suis un personnage très commun, j'ai quarante-cinq ans, je suis soudeur de métier.
Je suis un célibataire sans histoire.
J'ai quelques copains avec lesquels j'aime me retrouver. Mais ma vie me semble si triste et sans intérêt. L'un de mes amis est parti à la retraite, c'est Alphonse Emilien. Il a décidé de passer cet hiver en ermite, caché là-haut dans un petit chalet de montagne. Je peux d'ailleurs, de ma fenêtre, apercevoir sa cheminée fumante.
En partant il nous a dit.
« Les gars je vous laisse quelque temps,  j'ai décidé de passer la totalité de la mauvaise saison dans ma cache montagnarde, j'ai accumulé des provisions pour au moins cinq mois. Ne vous faites pas de soucis, j'ai besoin de tranquillité et de nombreux projets combleront ma solitude. »
Tout le monde connaissait sa passion d'ébéniste.
On lui souhaita donc bonne chance et au printemps prochain !
Puis on le regarda s'en aller tranquillement.
Pierre, l'un des nôtres l'attendait dans son quatre-quatre. Il y grimpa, encore leste pour son âge et rapidement le véhicule disparut de notre vue.
« Bientôt le chemin ne sera plus praticable ! Dis-je. Il faudra au moins quatre bonnes heures d'une marche difficile si l'on veut le rejoindre.
-De toute façon, comme il veut rester seul, personne ne se donnera cette peine ! » répliqua l'ami Ernest.
Et voilà ma morne vie qui continue. Chaque matin, je jette un petit coup d'œil en direction de cette petite fumée, dernier lien entre mon camarade et moi. La neige ne s'est pas fait attendre cette année, elle a été abondante dès le début de décembre. Ce samedi, je n'ai rien à faire, je m'ennuie, ressassant ces vieilles et mesquines petites histoires familiales sans intérêt. Je me sens seul, inutile. Couché dans le noir, mon esprit vagabonde.

Puis soudain une terrible idée vint à moi : et si je commettais un meurtre parfait, comme ça, tuer quelqu'un sans raison et lire dans les journaux le résultat de mon acte ?
Cette idée lugubre s'imposa dans mon esprit.
-Je deviens fou ! C'est ça, demain tout sera oublié.
Pourtant, le lendemain, cette idée affreuse était toujours présente dans mon esprit.
-Tuer qui ? Quand ? Comment ?
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Et cette petite fumerole qui s'élevait au loin, blottie au milieu des sapins.
Au fil des jours qui passaient, tout me sembla plus clair.
-Je vais occire le gars à la petite fumée. Celui qui s'amuse tant avec sa solitude...
Le lendemain de cette décision, j'allais, comme j'en avais l'habitude en fin d'après-midi, rejoindre mes amis au café voisin.
-Oh les gars ! J'ai une de ces crèves ! Je m'exclamais ainsi, feignant une toux rauque, suivie de quelques crachats disgracieux.
Mes compères s'écartèrent de moi et objectèrent :
« Rentre chez toi, tu vas nous les refiler tes microbes ! »
Je décidai de rentrer rapidement à mon bercail, et prétextant un mal de tête incroyable.
Je précisai :
Quelques aspirines, une bonne nuit de sommeil et tout ira mieux !
La nuit commençait à rappliquer, un épais couvert de nuages annonçait de prochaines chutes de neige.
Arrivé chez moi, tout tournait dans ma tête. Dans ma chambre, cachée dans un tiroir, se trouvait l'arme qui me permettrait de perpétrer mon crime. Mon sac à dos fut rapidement rempli avec quelques barres chocolatées et le pistolet se retrouva en leurs compagnies. Mon répondeur fut mis en marche, j'étais prêt.
-Neuf heures, il est temps que j'y aille !
Un vent glacial soufflait à présent. La rue était déserte. Chaudement habillé, je ne pouvais être reconnu de personne. C'est ainsi que j'entreprenais la longue marche qui allait m'emmener jusqu'au lieu de mon crime. La promenade était harassante, au moins cinquante centimètres de neige recouvraient le petit chemin forestier.
J'avais pensé à tout. Mon alibi était parfait : un homme malade ne sort pas de chez lui un soir d'hiver.
Et pourquoi me soupçonner, moi, de vouloir assassiner un ami de toujours ?
Pour quelles raisons ?
Je ne m'étais jamais disputé avec ma victime, il n'avait rien que l'on pouvait envier. De plus le calme plat avait bercé nos vies respectives.
Perdu dans mes pensées, mon périple me sembla très court et je me retrouvais devant cette fameuse petite masure.
Un ronronnement était le seul bruit qu'il m'était possible d'entendre. Je sortis le flingue de mon sac, m'assurai qu'il était armé correctement et brusquement poussai la porte avec ma main gantée. Alphonse se trouvait là, étonné de ma présence ; je n'entendis pas vraiment ses propos.

Immobile sur le pas de sa porte, je le regardais fixement. Le coup partit soudain et, sans un regard pour ma victime, je m'enfuis en courant. La rentrée au bercail fut pénible et difficile.
C'est vers 4 heures du matin que j'arrivai fourbu chez moi.
Les jours suivants, je repris ma vie comme si rien ne s'était passé. La seule petite différence se situait en direction de la montagne où la petite fumée ne sévissait plus. Personne ne s'était aperçu de ma petite escapade. Mon répondeur était vierge d'appel et la petite vieille, ma seule voisine, était restée absente ces trois derniers jours.
Je retournai tranquillement à mon train-train quotidien, mon esprit déprimé avait maintenant repris goût à la vie. Je me débarrassai rapidement et discrètement de mon arme en la fondant à l'aide de mon chalumeau.
Puis le printemps pointa son nez à l'horizon. Alphonse ne semblait pas vouloir rentrer. Pierre, après notre petite réunion journalière, décida de rendre une petite visite à notre ami le solitaire. Il retrouva son corps étendu à terre, dans un état de décomposition avancée.
L'enquête qui s'en suivit ne donna rien.
Monsieur Emilien était mort d'une balle dans la tête, mais tirée par qui ?
Un rôdeur ?
L'assassinat s'était déroulé durant le mois de décembre, aucune empreinte, aucun indice ; et ce crime commis d'une si étrange façon. Le meurtrier n'avait même pas pénétré dans les lieux. Bien entendu, notre groupe de copains fut interrogé. Mais comment soupçonner ou accuser l'un de nous ?
Aucune raison n'aurait pu nous pousser à accomplir ce crime. Comme emploi du temps, vu la date éloignée des faits, nous n'avions pu que confirmer notre présence à Gex.

Alors! Pourquoi suis-je inculpé maintenant, deux ans après cet homicide ?

Qu'ont-ils découvert de nouveau ?

La voiture s'arrêta devant la gendarmerie. Devant la porte se trouvait une camionnette sur laquelle se trouvait inscrit "POLICE SCIENTIFIQUE".
On me fit entrer dans une pièce. Trois personnes me regardèrent fixement. Au beau milieu de la pièce, je reconnus le tour à bois de la victime...
Un petit homme brun s'avança, vêtu d'une blouse blanche.
« Je me présente, Ernest Puppa, inspecteur !
-Je ne comprends pas ma présence ici et le rapport avec la mort de mon copain, s'empressa d'articuler notre coupable.
-Vous allez rapidement le savoir...

L'épilogue :

-Ce meurtre m'a vraiment dérangé ! enchaîna-t-il.

Un homme perdu dans la montagne, assassiné par un rôdeur qui n'est même pas entré dans le chalet ; qui s'est juste permis d'accomplir son sinistre forfait et s'en est allé sans même voler quelque chose ou profiter de l'abri !
De plus, il ne semble même pas avoir surpris la victime qui aurait dû tenter de fuir ou de se défendre. Et bien non, elle était morte à côté de sa machine. Donc, j'ai longuement réfléchi au problème sans vraiment trouver une solution. Il y a quelques semaines de cela, la fameuse maisonnette a été mise en vente. Je suis donc monté sur les lieux une dernière fois avec un ami qui était intéressé par l'achat. Arrivés sur place, rien n'avait été touché, la maison était comme quand je l'avais visitée deux ans auparavant. Mon copain et moi-même avions fait le long trajet à pied. Durant notre marche, il m'avait raconté sa passion pour les disques en vinyle, vous savez ces grandes choses noires qui ont été remplacées par les disques compacts. Il m'avait indiqué que les pointes de lecture pour sa platine devenaient impossible à trouver et qu'écouter ses anciens disques relevait maintenant de l'exploit.

En arrivant dans l'endroit où s'était passé le meurtre, j'ai regardé avec attention le tour où se trouvait toujours le morceau de bois entouré d'un petit trait rouge en spirale. Je l'ai observé avec attention quand soudain, une idée me vint à l'esprit. J'ai pris ma grosse loupe et tout en faisant avec ma main tourner le rondin de bois, j'ai scruté en détail cette petite arabesque.
Le trait restait régulier au début, puis subitement était pris d'ondulations minuscules mais visibles avec ma lentille grossissante. Puis soudain une grande anomalie barrait le dessin, ensuite le trait redevenait homogène.
Alors j'ai pensé que cette petite plume avait enregistré quelque chose, que le trait formé était un peu comme le sillon de ces fameux disques noirs que l'on écoutait dans le passé...

Puppa se dirigea vers le tour qui trônait au beau milieu de la pièce. Il continua :
-j'ai fait placer un lecteur optique sur la poupée mobile du tour pour qu'il suive la ligne rouge, les ondulations repérées seront ainsi transformées en informations compréhensibles et ensuite amplifiées.

Fièrement Puppa mit la machine en route. Dans le haut-parleur, on entendit d'abord quelques craquements, puis soudain une voix. Celle d'Emilien !
« Jean Pridon, mon ami, mais quelle bonne surprise !
Puis :
-Mais que fais-tu ! Ne tire pas ! Non ! » .

Enfin un bruit d'arme à feu retentit.

Se remémorant son acte sanglant, Jean s'effondra en pleurs...



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