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  Certain l'aime chaude

01/11/2014



Chapitre 1  

Le moral était au beau fixe dans cette petite entreprise de Gex. Lionel et Aurélien, régnaient en maîtres dans l’atelier de mécanique qui était situé au rez-de-chaussée de l’usine. Les machines étaient anciennes, entièrement conventionnelles, mais les années d’expériences de nos deux lascars leur permettaient de réaliser n’importe quel type de travaux avec facilité et précision. Cette usine travaillait presque essentiellement pour le CERN en réalisant des pièces à façon. L’immeuble était immense, comparé au nombre d’ouvriers qui y travaillaient. Trois niveaux de trois cent mètres carré chacun, abritaient  quatre employés et le patron. Dans un passé maintenant lointain, l’usine avait compté des années plus glorieuses, frémissant d’une fourmilière d’ouvriers, tous issus de Gex et des villages avoisinants. Malheureusement le pays de Gex s’était lentement transformé en cité dortoir, approvisionnant en chair humain les cantons Suisse limitrophes. La raison en était simple, les salaires beaucoup plus élevés qu’offraient les entreprises helvétiques ne pouvaient d’aucune manière être concurrencés par ceux de la France où les charges et les lois sociales aberrantes tuaient dans l’œuf tout désir et réalité de développement et d’envies de création d’emplois.
Pierre, le patron de cette petite P.M.E. l’avait compris depuis longtemps, il s’était donc résigné à survivre avec une équipe réduite, se contentant d’un chiffre d’affaires moins performant mais s’octroyant ainsi une vie plus tranquille et moins stressante.
Le dernier étage de l’usine n’étant plus occupé, il avait créé pour ses nombreux enfants, une salle de jeu, vaste et agréable, où trônait une table de billard, un baby-foot et ses filles en avaient fait un endroit sympathique pour recevoir leurs copains et copines.
Mais revenons à nos deux mécaniciens. Lionel était fraiseur de métier et Aurélien tourneur. Leurs caractères étaient en opposition parfaite et provoquaient des tensions évidentes, pas toujours très sympathiques et d’une gestion difficile pour le gérant qui se devait de s’accommoder de quelques réactions inopportunes de leur part. Heureusement, il y avait de bonnes périodes où les rancœurs restaient lovées dans un passé pourtant très proche et permettaient une certaine respiration dans une ambiance parfois morose.
L’équipe fonctionnait d’une façon autonome. Chacun connaissait parfaitement la tâche qui lui était demandée et la présence du chef était nécessaire essentiellement pour  expliquer certaines particularités d’un ouvrage, réconforter une idée pas très claire et était bien entendu la relation obligée avec la clientèle.
Un petit nouveau venait d’être engagé pour faire face à un surcroît  de labeur. Yan un jeune homme de vingt-cinq printemps, possédant un master en informatique mais dont le diplôme trop couru ne lui permettait pas de trouver un emploi à la hauteur de ses ambitions. Pierre l’avait engagé au salaire minimum pour lui permettre d’attendre une meilleure proposition en lui faisant comprendre qu’il pouvait prendre congé de l’entreprise à son bon vouloir et qu’il lui laissait la liberté de ses horaires pour démarcher des firmes actives dans sa branche professionnelle. Son Royaume était situé au deuxième étage, un petit atelier de câblage où la plus grande partie de sa tâche consistait à couper des fils électriques à la bonne longueur, assembler de la tôlerie et faire quelques soudures à l’étain d’une façon manuelle. Il travaillait  en étroite relation avec Pierre dans une entente parfaite et amicale.
Yan et Pierre travaillaient aujourd’hui dans le même local.
C’était une belle journée de novembre. Dehors, le soleil brillait de tout son feu réchauffant l’atelier de ses rayons de braise alors que la température extérieure restait fraîche, dépassant avec peine la barre des huit degrés. Ils s’étaient tous deux, confinés dans une pièce de dimensions modestes qui était suffisamment grande pour accomplir la réalisation de leur projet et qui avait la particularité évidente d’être très facile à chauffer.
 
« Tu sais Yan !  Repris Pierre tout en travaillant, les mécaniciens cachent la clef  de l’entrée secondaire de l’usine dans le petit bâtiment toujours ouvert qui fait face à la porte. Si par hasard tu veux commencer ton travail plus tôt le matin pour être libre l’après-midi, il n’y a pas de problème ». Yan, perdu dans ses pensées, leva les yeux de la monotonie de son travail répétitif et acquiesça d’un « Ok pas de problème, ça peut m’arranger ! »
« La clef se trouve sur le rebord de la première fenêtre située près de l’entrée. Elle est cachée sous une petite boîte en bois. En partant ce soir tu n’as qu’à demander aux mécanos, ils te montreront avec précision l’endroit. »
Yan sourit, peut-être heureux de cette confidence. Enfin c’est ce que Pierre comprit. En fait Yan venait de s’apercevoir que sa journée de labeur était bientôt terminée et il se faisait une joie à l’idée de la partie de foot qu’il allait entreprendre avec sa bande de copains…

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Chapitre 2
 
« Papa ! Est-ce que tu peux nous passer la clef de l’usine, on fait une fête ce soir avec des copains ! »
Pierre grommela quelque chose d’inintelligible.
Caroline l’aînée de ses deux filles venait de le déranger dans un de ses assoupissements de fatigue qui lui interdisait ce soir de regarder l’une de ses émissions de télévision favorite.
« Alors papa ! Réponds-moi quand je te parle. »
La jolie jeune fille aux cheveux clairs, au teint pâle et aux grands yeux d’un bleu de mer tropicale, montrait son impatience et la vivacité de son humeur en tapant du pied d’une façon répétitive. Derrière elle se tenait Dorothée la cadette de la famille, aux cheveux plus sombres, à la ligne plus élancée qui voyait en sa sœur une jumelle parfaite malgré une différence d’âge de trois ans qui n’était physiquement pas décelable.
« Ben oui papa ! » reprit-elle sous un ton d’imitation, « t’es pénible quand tu ne nous réponds pas ! »
Pierre fatigué de sa journée et perdu dans le secret de sa rêverie fit le pénible effort de répliquer une réponse intelligible. « Prenez la clef du bas, celle qui est cachée dans le petit garage. »
« Mais papa, on a peur de ressortir par là quand il fait nuit ! C’est pas éclairé, puis on doit passer devant l’atelier de mécanique et ça fait peur, donnes-nous plutôt la clef pour les bureaux ! »
Pierre haussa les épaules et, sans même écouter leurs protestations, fit mine de s’intéresser à cette fameuse émission diffusée sur la cinq.
 
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Chapitre 3
 
Il était vingt et une heure quand Pierre descendit à son usine. Il n’habitait pas très loin de son lieu de travail et une petite marche d’à peine cinq minutes lui permit de retrouver l’antre de ses journées laborieuses. La salle du haut était allumée et une musique aux accents saccadés filtrait à travers une lucarne restée ouverte. La petite soirée de ses filles venait de prendre son essor. Il n’aimait pas vraiment surveiller l’activité de ses petites chéries mais, par curiosité, il se décida à monter à l’étage en fête pour s’aviser de la faune qui fréquentait habituellement  ses petites réceptions animées.
Un petit groupe de six personnes incluant ses filles entourait le billard et rigolaient devant la gaucherie de l’un d’eux. C’était Alexis qui faisait encore des siennes, essayant vainement de loger la boule noire dans l’un des orifices de la table. Il vociférait sa gaucherie :
« Non mais c’est pas possible ! Elle est tordue cette table ! » Puis quelques grossièretés jalonnèrent la suite de ses protestations.
« T’es un gros nul » ajouta Quentin qui, d’une canne habile, joua à merveille un coup difficile.
Caroline, aperçu son père en premier.
« Papa ! Qu’est-ce que tu fais là ? »
« Rien de spécial. Je suis venu prendre mon appareil photo que j’avais oublié dans mon
bureau ! » Tenta-t-il d’expliquer d’une façon peu convaincante.
Alors tous les enfants très charmants, vinrent se présenter un à un. Pierre en connaissait déjà certains. Il y avait Elodie, bien entendu, l’amie tant aimée de l’aînée de ses filles, une jolie jeune fille discrète, peut-être un peu trop timide, qui vint immédiatement lui faire la bise. Pierre eut un sourire en pensant qu’elle était le modèle favori de son aînée. En fait, chaque fois qu’elles faisaient un périple ensemble, elle était la cible obligée de la photo :
Elodie devant la statue de Newton.
Elodie au parc d’attractions.
Elodie dans une boutique à la mode.
Elodie en vélo, sur le bateau, dans l’avion, assise dans un bus.
Elle représentait ainsi le résumé parfait de la profonde amitié qui liait ces deux tourterelles.
Puis, arriva Quentin, un grand rouquin à la mine réjouit que Pierre connaissait assez mal, bientôt suivit par Alexis, le petit voisin, un frisé à lunettes, toujours poli à son égard, qui se positionnait depuis longtemps comme l’un des prétendants infortunés de sa cadette et enfin un jeune homme aux cheveux mi- longs qui se présenta sous son prénom : Mathias. Celui-là, Pierre ne l’avait encore jamais vu. Sa poigne était ferme, sa voix sûre, son œil vif et direct, avec  des cheveux clairs, qui descendaient à la limite de ses épaules il était d’une stature qui le dépassait d’une bonne quinzaine de centimètres.
« Je suis dans la classe de Caroline » affirme-t-il en affichant l’un de ses plus beaux sourires.
« Papa ! C’est bon, tu peux partir maintenant ! »
Dorothée, sa petite gitane aux cheveux de paille, venait de lui faire comprendre qu’il les dérangeait.
Pierre, perplexe, les laissa à leurs amusements en n’oubliant pas de préciser :
« Ne rentrez pas trop tard les filles… »

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Chapitre 4
 
La soirée se déroula à la perfection. Le petit groupe d’amis s’amusait de la moindre blague.
La salle de jeu était vaste et s’étendait sur deux cents mètres carrés. Elle avait servi dans un passé maintenant lointain à recevoir de nombreuses ouvrières et machines qui s’étaient évertuées à confectionner des pointes de lectures pour tourne-disques. L’arrivée des nouvelles technologies du son avait rendu cette activité obsolète et avait vidé l’endroit de sa trépidation journalière.
Pierre avait donc décidé de transformer ce lieu de travail en un lieu d’amusement destiné à ses enfants. Il avait débarrassé toutes les machines devenues sans intérêt et les avait remplacées petit à petit par des objets d’amusement. Ces fils, puis plus tard ses filles avaient agencé la grande salle à leur goût, ajoutant au fur et à mesure de leurs besoins, des chaises, des tables, une petite sono. Couvrant les parois de posters de jolies jeunes femmes dénudées, puis ensuite, changement de sexe oblige, de beaux adonis au torse publicitaire.
Le sympathique petit groupe entama la soirée avec empressement, passant d’une partie de billard à un jeu de fléchettes, puis à une partie de baby-foot acharnée opposant garçons et filles. La soirée coula dans l’enchaînement d’une routine mainte fois répétée. Une musique techno envahit bientôt la salle pour l’égayer de danses endiablées, entrecoupées quelques fois d’une série de slows apaisants. Puis les jeunes s’assirent en cercle autour d’une table, sortirent un pack de bière et des sodas du frigo et une discussion s’enflamma autour d’anecdotes scolaires.
« Elle est trop conne celle-là, tu n’sais pas ce qu’elle m’a dit ! »
« Alors la prof la fait sortir de la classe ! »
« Moi j’supporte pas cette attitude… »
 Les commérages allaient bon train quand Alexis, l’air réjoui, demanda :
« Caroline, tu nous chantes quelque chose ? »
Caroline avait en effet un véritable talent de chanteuse. Tous les soirs, sans coup férir, elle s’entraînait chez elle à des vocalisent harmonieuses, puis se livrait tout entière à un répertoire de chansons fourni de tous les tubes présents ou passés.
Elle se mit à rougir. La timidité était chez elle presque maladive, elle n’acceptait d’habitude que quelques spectateurs choisis : Sa professeur de chant, sa sœur, sa mère et bien entendu sa douce et aimée Elodie. Pourtant cette fois-ci, étant donné le parterre restreint et connu de ses spectateurs, elle fit un effort, pour elle surhumain, de se poster au milieu de la pièce, d’enclencher la radio sur un karaoké qui diffusa un air de sa dernière motivation. Puis elle entama sa chanson, accompagnée du silence parfait et subjugué de l’assistance.
Vers une heure du matin les trois garçons décidèrent de tester leur courage en se rendant aux étages inférieurs de l’usine tout en gardant l’éclairage éteint. Dans le noir le plus complet, ils descendirent les escaliers prudemment. Puis, au rez-de-chaussée se retrouvèrent devant  l’atelier de mécanique. Leurs yeux commençaient avec peine à s’habituer à l’obscurité. L’un d’eux poussa la porte qui grinça en tournant sur ses gonds. Devant eux une demi-lune éclairait à travers les fenêtres un parterre de machines dont ils ne connaissaient pas l’utilisation.
« Vous ne touchez à rien ! » cria Dorothée penchée dans la descente d’escalier.
Les trois compères sursautèrent de peur, surpris pas cet avertissement impromptu. Alexis en eut la chair de poule. Quentin, le plus téméraire, fit entendre un petit ricanement en s’engageant ardemment entre les machines. Une odeur d’huile de coupe âpre flottait jusqu’à leurs papilles.
Sur leur gauche, deux fraiseuses attendaient la minute du lundi matin où elles vrombiraient de leurs engrenages. Sur leur droite, deux tours restaient également au repos, une pièce serrée entre les mâchoires de leur mandrin. Une lueur blanchâtre s’immisçait sur l’acier, faisant reluire l’huile de coupe, projetant des ombres fantomatiques sur le sol, noyant l’ensemble dans un air de malfaisance et d’inconnu. Deux affichages digitaux clignotaient leurs chiffres, montrant de leurs coordonnées millimétriques, la position exacte où le travail devait reprendre. S’introduisant dans l’atelier, nos trois galopins marchèrent avec vigilance, se méfiant des embûches que la semi clarté pouvait dissimuler à leurs regards. Ils ne se sentaient pas vraiment sereins dans cet univers qui leur était totalement étranger. A chaque instant, ils s’attendaient à une altercation, une empoignade avec ce lieu qu’ils dérangeaient en pleine nuit.
« Sauvez-vous d’ici ! »
« Vous n’avez rien à faire en cet endroit ! Semblait vouloir dire chacune des machines. »
Malgré cela, ils arrivèrent sur la pointe des pieds dans le local de repos. C’était une petite pièce où l’on trouvait le vestiaire et dans laquelle un bureau de travail restait collé sur l’une des parois et où une table recevait l’ouvrage terminé de la semaine. Sur cet établi trônait une magnifique pièce en aluminium ouvragée. Elle était percée de part et d’autre d’une multitude de trous de toutes tailles et sa forme hétéroclite subjugua leur attention.
« Je me demande bien à quoi cela peut servir ? » demanda Alexis.
« J’sais pas mais elle ferait bel effet sur l’étagère de ma chambre ! » répliqua Matthias.
Quentin la prit dans ses mains avec une délicatesse exagérée, puis la reposa en ajoutant :
« Elle est froide et drôlement légère ! »
Puis ils fouinèrent jusqu’au minuscule local où se trouvait les meules d’affûtage.
Tout à coup, un bruit de moteur enfla dans l’atelier.
Pris de peur Quentin hurla :
« C’est quoi ça ? »
« J’sais pas, mais en tout cas j’n’ai touché à rien ! » Dit Alexis en détalant dans la direction opposée à celle de son arrivée. Les trois garçons, en enfilade, retrouvèrent les escaliers qu’ils gravirent à une vitesse record. Essoufflés et apeurés, ils retrouvèrent les filles qui éclatèrent de rire en voyant leurs mines apeurées.
« Ce n’est rien les garçons, juste le compresseur qui s’est remis en marche ! » dit Caroline en rigolant. Puis tout en se levant de son fauteuil noir où elle était assise, elle continua : « inutile de vous asseoir, il est tard, on rentre à la maison ! »
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Chapitre 5

 Le bruit était infernal. Le petit atelier vrombissait de ses entrailles, les outils tailladaient l’acier inoxydable avec difficulté et semblaient gémir sous l’effort. Devant la fraiseuse, Lionel restait impassible, il regardait avec une attention modérée la course de son outil sur la surface brillante d’un gros cube de matière, un flot blanchâtre incessant se déversait sur l’outil pour l’empêcher de s’échauffer exagérément. Il travaillait ici depuis une bonne vingtaine d’années et se plaisait à cette besogne qui avait l’avantage de ne jamais être répétitive. Chaque semaine lui amenait une série de pièces différentes de la précédente à réaliser et ceci aiguisait son esprit, lui permettant ainsi de passer la monotonie de sa vie d’ouvrier d’une façon plus agréable et moins austère. De plus, son patron était plutôt sympathique, nullement obsédant ou agaçant, lui laissant le libre arbitre de sa tâche et lui octroyant une complète autonomie dans la réalisation des usinages.
A présent,  il devait attendre devant la machine une bonne quinzaine de minutes que la passe soit terminée. Pour occuper ce temps mort, il se retourna vers sa table de travail où étaient alignées vingt pièces cylindriques, plongea ses doigts dans un petit sac de plastique noir d’où il ressortit une petite poignée de joints en téflon. Empoignant une pièce d’une main et un joint de l’autre, il se mit à les adapter l’un à l’autre. Arrivé au quinzième  élément, il se rendit compte qu’il n’avait plus de joint pour compléter l’assemblage. Il retourna le petit sac plastique et le secoua avec vivacité, espérant voir apparaître ce qui lui faisait faute. Que nenni, le sac était vide.
« Il faudra que je demande au patron de m’en fournir » pensa-t’il en jetant le petit sac dans la poubelle postée à la portée de sa main.
 Quelques mètres derrière lui, Aurélien serrait de sa poigne de culturiste les mâchoires de son mandrin pour maintenir une pièce en aluminium qu’il devait ébaucher. Il regardait du coin de l’œil son collègue dépité de ne pas avoir pu terminer son assemblage et sourit intérieurement en gratouillant dans sa poche et en touchant de ses doigts alertes les cinq petits joints qui s’y trouvaient. Aurélien était un farceur, pas toujours très drôle, il est vrai, mais c’était pour lui un moyen de sortir de l’uniformité de sa journée. Lui aussi travaillait ici depuis belle lurette. Pas toujours très commode ce bonhomme avec des changements d’humeur souvent incompréhensibles et parfois difficiles à gérer, mais son travail était irréprochable et quand on maîtrisait la façon de l’aborder, il savait être agréable et pertinent.  
La journée avait été fatigante et, pour une fois, les deux hommes décidèrent au même instant de s’octroyer une pause bien méritée. Les machines cessèrent leurs vacarmes. Ils retirèrent de leurs oreilles les bouchons d’oreilles, protection obligée, pour s’engager à une petite conversation amicale tout en se délectant d’un café vivifiant. Ils parlèrent de tout et de rien, de ses petits galopins qui avaient brûlé des voitures dans le quartier, de la difficulté que cette jeunesse désabusée aurait dans sa vie d’adulte. Ils prirent en exemple ces quelques stagiaires que leur patron avait eu le malheur de prendre dans le passé. Ils avaient montré un visage bien pitoyable par leurs attitudes agressives ou nonchalantes, leur expliquant qu’ils ne tenaient certainement pas à trimer comme ouvrier et qu’ils gagneraient beaucoup en faisant la quête chaque dimanche et en se permettant de petites activités illicites d’un rapport tout à fait avantageux.
« J’me demande bien qui va payer notre retraite ? » ajouta Aurélien furieux.
Puis la conversation s’engagea sur le travail en cours.
« Il manque encore du matériel, c’est toujours la même chose, j’avais besoin de vingt joints et il n’y en a que quinze ! »
Aurélien se leva de sa chaise et plongea sa main dans la poubelle en disant :
« Tu es certain qu’ils ne sont pas au fond de l’emballage que tu as jeté ? »
« Ben oui ! J’ai bien regardé, il m’en manque cinq ! »
Deux doigts de notre farceur firent mine de chercher les éléments égarés dans le petit sac en plastique qui leur avait servi de rangement. Sa mine arbora un large sourire, ses doigts émergèrent à la vue de son collègue en tenant fermement les joints manquants.
« C’est pas cela que tu cherches ? »
Lionel surpris répondit :
« Mais j’ai pourtant regardé plusieurs fois dans le sachet avant de le jeter. »
« Pas suffisamment je pense ! » Dit-il en lui tendant d’une main assurée l’objet de son mécontentement. Puis il retourna à sa machine pouffant silencieusement de rire et de contentement.
Lionel désabusé et dans la plus profonde expectative quant à l’effet de l’âge sur sa personne, se remis à l’assemblage qu’il avait dû interrompre faute de matériel.
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Chapitre 6

Pierre avait du mal à dormir, il tournait, virevoltait, gigotait dans son lit qui ne voulait plus le retenir. Debout à six heures du matin, il se prépara un petit déjeuner sobre, composé d’un thé chinois et de trois biscuits chocolatés. Il prit une douche rapide, je dirai même précipitée, car sa durée n’excéda pas les trois minutes. La séance rasage et brossage de dents endura la même continuité et les cheveux à peine secs il se précipita au dehors de son appartement tout en entourant son cou  d’une longue écharpe et en revêtant son manteau marron clair.
Son usine était située à huit cents mètres de chez lui et la descente rue Léone de Joinville se fit au pas de course. Il s’enferma dans son bureau et s’activa, l’esprit frais, au calcul et à la rédaction d’une offre de prix qu’il lui fallait absolument rendre aujourd’hui. Il se pencha sur un plan un peu plus complexe que les autres, essayant de comprendre la difficulté de la tâche, quand quelqu’un sonna à la porte. Il jeta un bref regard à son horloge et se demanda qui pouvait bien venir le déranger à une heure aussi matinale.
En ouvrant la porte il fut particulièrement surpris. Aurélien se trouvait devant lui.
Il est vrai que les mécaniciens commençaient leur travail à une heure spécifiquement matinale pour pouvoir ainsi jouir de leur vendredi après-midi.
« La clef a disparu ! » dit-il d’une voix affolée. Elle n’est plus sous la petite boîte où elle est cachée d’habitude ! »
Suivant Aurélien en direction du petit local, Pierre lui demanda si elle n’était pas tombée par terre.
« J’ai cherché partout et je vous assure, elle a disparu et pourtant la porte du bas est toujours fermée ! »
Ils fouillèrent ensemble l’endroit où la clef avait dû être cachée et durent se rendre à l’évidence : elle n’était plus là. Puis Pierre constata que la porte d’entrée de l’atelier était bien verrouillée. Alors, son esprit intrigué supputa quelques conclusions incertaines.
« C’est peut être mes filles qui ont oublié de la ranger. Et si c’était les manouches, il y en a plusieurs qui sont venus sonner à la porte la semaine dernière en me demandant si je n’étais pas intéressé de leur vendre mes copeaux. Puis il réfléchit quelques secondes et  conclut. Je n’ai pas le temps de changer la serrure aujourd’hui, vous allez m’aider à bloquer la porte de l’intérieur et vous passerez par l’entrée du haut en attendant. »
Le tour fut vite accompli, un petit compresseur sur roulette fut entreposé devant la porte et une barre de fer amarrée sur un interstice du carrelage bloqua solidement l’ensemble. Il déverrouilla la serrure en utilisant son passe personnel, puis essaya de pousser la porte avec force pour observer qu’elle était bien obstruée. Ensuite, soigneusement, il fit deux tours de clef dans la serrure pour la sécuriser définitivement.
Lors du déjeuner de midi, Pierre en profita pour demander à ses filles si elles n’étaient pas à l’origine du problème.
« Non papa, on n’est pas allé à l’usine cette semaine. Puis on est sûre de nos copains, aucun d’entre eux n’aurait l’idée de rentrer dans l’usine en notre absence. Ça, je peux te le garantir. »
Alors Pierre fut encore plus inquiet sur l’aboutissement de l’affaire, remuant sa cervelle pour inférer toutes sortes de solutions malfaisantes.
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Chapitre 7
 
Deux jours plus tard, un nouveau barillet à la main, Pierre s’apprêtait à changer le système d’ouverture de la porte. Il enleva la barre de fer, poussa au loin le compresseur et fut parcouru par un frisson, en constatant que la serrure qu’il avait soigneusement verrouillée deux jours plus tôt, avait de nouveau été ouverte.
« Ils sont revenus faire un tour pendant la nuit. Heureusement que j’ai pensé à bloquer l’entrée, sinon j’étais bon pour un cambriolage en règle. »
Puis Pierre se mit à l’ouvrage, remplacer le barillet devait être une tâche aisée, mais malheureusement, ce ne fut pas le cas. L’ancienneté du bâtiment faisait que rien ne correspondait aux nouvelles normes et il eut beau essayer, de limer les parties mobiles de la nouvelle serrure, elle ne voulait pas fonctionner.
Pierre commença à s’énerver, la patience n’était pas vraiment son point fort et le fait de perdre du temps sur un problème aussi simple, l’énervait au plus haut point. Même l’aide de ses mécaniciens n’y fit rien, le mécanisme récalcitrant refusa de fonctionner et il fut dans l’obligation de remettre l’ancien système. Puis, quelque peu dépité, il prit la décision de faire venir un serrurier.
Il monta à l’étage supérieur, là où se trouvait son bureau, dit un grand « Bonjour Madame Gausse !» à sa secrétaire qui sursauta de surprise. Il aimait lui faire ce genre de blague pas très drôle mais qui l’enchantait au plus haut point. Madame Gausse s’en accommodait fort bien et ne s’offusquait jamais de ses petites taquineries. Elle était en train de répondre au téléphone et la surprise passée elle ajouta.
« C’est pour vous Monsieur ! Ernest, il paraît que vous le connaissez bien. »
Pierre   arbora l’un de ses plus beaux sourires en empoignant son téléphone.
« Ernest ! Comment va ? »
« Tout à fait bien » répondit une voix calme et posée, « ça faisait longtemps que je n’avais pas de nouvelles de toi alors je me suis permis de t’appeler au travail. »
« Quoi de neuf ? »
« Rien de spécial ? »
« Et bien justement,  je suis content de t’avoir au téléphone car, j’ai un petit problème qui justement peut t’intéresser. »
Ernest, c’était en fait Ernest Puppa, le fameux et très respecté inspecteur de police du pays de Gex, celui-là même qui avait résolu avec brio de nombreuses affaires sordides  et dont la notoriété avait depuis longtemps dépassée les frontières de notre région.
« Oui, continua Pierre. « On a pénétré dans mon usine par effraction et j’ai peur que l’on revienne vandaliser mon bâtiment. Tu sais, ici il n’y a absolument rien à voler, mais, des voyous déçus de ne pas trouver d’objets de valeur peuvent se venger en cassant tout sur leur passage ! »
Ernest se sentit très concerné par cette histoire. Ces derniers temps, il n’avait pas eu d’affaires bien compliquées à se mettre sous la dent et cette histoire lui titillait déjà l’esprit.
« Si tu veux, » répondit-il, « je veux bien passer cet après-midi pour faire ma petite enquête. »
« Ok » dit Pierre, content de recevoir bientôt l’aide précieuse de son fameux copain. « Passes vers quatorze heure, je t’expliquerai l’affaire en détail et puis ça me fera plaisir de te voir. »
Pierre raccrocha après un « Salut mon pote ! ». Sa secrétaire se tenait à côté de lui, une liasse de feuillets à signer, puis on sonna à la porte, un client qui voulait le voir, puis Yan demanda son aide sur un problème de montage et Pierre finit par oublier la nécessité pressante d’appeler le serrurier.
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Chapitre 8

Ernest se sentait vraiment bien dans sa peau. Ce célibataire, pas vraiment impénitent, n’avait en fait aucune liaison amoureuse depuis quelques mois et se trouvait fort heureux de ce fait. Pas de pensée néfaste, d’incertitude face à l’être aimé, de jalousies inopportunes, d’obligations envers quiconque. Il se sentait libre comme l’oiseau, apaisé de tous ses tourments. Il marchait lentement, descendant la rue Léone de Joinville en direction de la petite usine de son ami. Il était habillé chaudement, se protégeant des premiers froids automnaux si sournois pour la santé. Il lança des « Bonjour !» au voisinage qu’il connaissait de vue avant d’arriver devant le portail de l’usine. Il était grand ouvert sur une cour de graviers où reposaient quatre voitures dont une camionnette à la blancheur rouillée. Cinq immenses tilleuls se défaisaient lentement de leurs attraits d’été, déversant une pluie clairsemée de feuilles aux couleurs d’arrière-saison. Au fond une petite maison inhabitée depuis de nombreuses années abritait en sa base deux garages à l’utilité évidente. Sur la gauche, le long bâtiment de l’usine, se profilait dans sa robe ambrée, une succession de baies vitrées opaques  et un escalier de pierres agglomérées étalait sa dizaine de marches avec l’unique but de vous recevoir.
Au fond de la cours, derrière la clôture qui séparait la propriété de l’usine à celle du voisin, deux chiens se mirent à hurler. Ils semblaient méchamment vouloir  empêcher cette intrusion qui ne les concernait pas. C’étaient deux roquets de taille moyenne à l’aspect pathétique qui auraient mérité de recevoir un bon sot dos sur la tronche pour calmer leurs ardeurs inopportunes. Ernest ne prêta que peu d’attention à ces paillasses tapageuses et son doigt appuya fortement sur le petit bouton de sonnette d’une facture ancienne qui se trouvait sur le côté de la porte au vitrage translucide. Elle s’ouvrit sur Madame Gausse qui lui adjugea un :
« Bonjour Monsieur, que puis-je faire pour vous ? »
Ernest se présenta, quand tout à coup dans son dos une ribambelle d’adolescents s’engouffra pour disparaître aussitôt par l’un des accès intérieurs.
« Salut Ernest ! » dit Pierre qui sortait de son bureau.
Les deux hommes eurent une longue poignée de main. Ils s’appréciaient mutuellement, leurs personnalités étaient très proches, leurs façons de penser, de s’exprimer, d’apprécier une certaine compréhension de la vie les unissaient tel deux frères.
« Viens dans mon bureau, je vais t’expliquer l’affaire » ajouta Pierre en entraînant son ami.
La pièce était petite, la décoration sobre. Un bureau de couleur verte et quelques fauteuils d’ancienne facture témoignaient du peu d’importance qu’apportait Pierre en son apparence. Seul un tableau récent aux teintes bleutées, d’une dimension respectable ornait le mur principal. Ernest s’assit en face du maître des lieux, cala solidement et symétriquement ses deux jambes sur le sol et mira son interlocuteur avec ses yeux perçants d’intelligence. Par sa posture, il démontrait sans la moindre ambiguïté l’intérêt que suscitait en lui l’étrange mystère de son ami.
Pierre reprit l’histoire en détail, ajoutant à celle-là les doutes et les interrogations sur les possibles coupables et concluant sur un :
« Je ne sais pas qui a pu faire ça et je ne comprends pas la véritable raison de cette intrusion, mais en tout cas je suis inquiet ! »
Puppa ne répondit rien, son visage détendu ne témoignait d’aucun sentiment particulier. Il se racla la gorge en pensant que peut-être un mauvais rhume était en voie de se faufiler dans son corps. Puis, il se leva.
« Ne t’en fais pas, je vais faire un petit tour dans l’usine et, si tu me le permets, je poserais quelques questions à ton personnel et aux enfants qui, si je ne me trompe pas, sont tous présents dans la salle de jeux. »
« Fais comme tu veux, tu as carte blanche ! »
Le téléphone sonna.
« C’est pour vous »   annonça la secrétaire dans son extension téléphonique.
« Bonjour Monsieur… »
Puppa quitta le bureau, motivé par sa quête d’indices et grimpa les escaliers, en familier des lieux, pour retrouver les mômes qui, tout à l’heure, l’avaient effleuré.
« Bonjour Ernest ! » entonnèrent à l’unisson les deux jeunes adolescentes que notre inspecteur connaissait fort bien.
« Bonjour les enfants ! » répondit-il en accordant aux filles un bisou sur leurs joues pommelées.
Quentin, Mathias, Alexis et Elodie s’étaient disposés en retrait et se lançaient des regards interrogateurs sur la présence de ce fameux inspecteur de police que leurs copines semblaient si bien connaître.
« Qu’est-ce que tu viens faire ici ? » demanda Caroline. « Il me semblait bien que c’était toi qui attendait à la porte, mais avec ton bonnet enfoncé sur le crâne j’n’étais pas certaine ! »
« Et bien ton père m’a demandé d’enquêter sur cette histoire de vol de clef. »
« Ben dis donc » reprit Dorothée, « y’a un voleur qui a intérêt à se faire du souci, tu crois que c’est l’un d’entre nous ? »
La remarque était fulgurante et les trois garçons semblèrent gênés, on put même discerner des gouttes de sueur perler sur le front d’Alexis.
« Ne vous en faites pas les enfants, je veux juste vous poser des questions qui pourraient m’aider, c’est tout. »
Personne ne sembla soulagé par cette précision.
Alors, Ernest lança une question d’ordre général :
« Connaissiez-vous la cachette de la clef ? »
« Ben oui ! » répondit immédiatement Dorothée en parlant au nom de la petite assemblée présente. « On rentre toujours par le bas quand l’usine est fermée et tout le monde m’a vu aller chercher la clef dans le petit garage. Mais bon, tu sais Ernest, on a confiance en eux » poursuivit la jeune fille en souriant.
Puis Ernest interrogea chacun des protagonistes. D’abord Alexis qui, intimidé, répondit aux quatre seules questions qu’Ernest répéta :
« Où habites-tu, possèdes-tu un moyen de transport, quel est ton passe-temps favori, as-tu peur de la nuit ? »
-Ben ! J’habites Gex, j’n’ai pas de scooter, je joue de la guitare.
-Et pour la nuit ?
-J’ai pas peur du noir ! Répondit-il après avoir lancé un regard sur les filles qui pouffèrent de rire à sa réponse.
Quentin et Mathias eurent des réponses similaires concernant la peur du noir entraînant la même réaction de la part des demoiselles. Seul Quentin qui habitait Cessy possédait une mobylette et Mathias fit part de sa passion pour les collections d’objets.
Elodie voulut répondre également aux questions mais Ernest n’écouta pas vraiment ses réponses. En ami de la famille il connaissait parfaitement la jeune fille et savait pertinemment qu’aucun soupçon ne pouvait reposer sur elle.
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Chapitre 9

  Ernest se trouvait devant le bureau de la secrétaire. Pierre en rendez-vous avec un représentant ne pouvait pas pour le moment être dérangé. Alors notre inspecteur entreprit de papoter un brin avec madame Gausse :
« Avez-vous une idée de ce qui s’est passée avec cette clef ?
-A mon avis, c’est un manouche. Il y en a des tas qui traînent dans le coin. Juste, la semaine dernière, y’en a deux qui se sont présentés à la porte et qui m’ont posé des tas de questions sur l’entreprise.
-Oui c’est bien possible ! Répondit-il, on a eu qdes problèmes avec ces gens-là. Faudra que Pierre songe à changer sa serrure au plus vite.
-Oui, c’est ce qu’il veut faire.
-Est-ce qu’il est possible d’aller voir les ouvriers, j’aimerai bien leur poser deux ou trois questions ?
-Bien entendu, suivez-moi, on va d’abord aller voir le câbleur.
Yan, plongé dans son travail répétitif ne les entendit pas arriver. Il est vrai que le fond sonore musical qu’il avait choisi, n’avait rien de mélodieux. Une sorte de hard rock disgracieux qui écorcha les oreilles de nos arrivants.
Madame Gausse tapa sur l’épaule du jeune homme qui leur tournait le dos. Il sursauta de surprise. Se retourna vivement pour mirer la bouille de Puppa qu’il connaissait pour l’avoir vu plusieurs fois apparaître dans les chroniques de la gazette locale.
-Ernest Puppa ! Dit-il avec surprise.
-Les mains en l’air, vous êtes en état d’arrestation ! Plaisanta notre inspecteur.
Le jeune homme pâlit et fit mine de lever les mains. La secrétaire poussa un « Quoi ! » d’inquiétude. Quand Ernest éclata de rire.
-Mais non c’est pour rigoler ! Dit-il en s’excusant.
Malgré son air sérieux et réfléchi, Ernest était un plaisantin de première catégorie, aimant faire des farces, parfois de mauvais goût, mais qui l’enchantaient au plus haut point.
Puis le sourire aux lèvres il continua.
-Vous êtes au courant pour cette histoire de clef.
-Oui, bien sûre. Pierre m’en a parlée ! Répondit-il sèchement avec le ton de colère, que la mauvaise galéjade avait profondément greffé dans sa gorge.
-Vous en pensez quoi ?
-J’en pense rien du tout, en tout cas c’est pas moi qui l’ai piquée. D’ailleurs je ne vois vraiment pas pourquoi ! Pierre m’a laissé à plusieurs reprises, le vendredi après-midi, seul dans l’usine et si j’avais voulu piquer quelque chose, c’est là que j’aurai pu le faire.
-Ne vous fâchez pas, je ne vous accuse pas, je veux juste savoir si vous savez quelque chose. Puppa regrettait maintenant sa plaisanterie de mauvais goût car le jeune homme semblait réellement en colère.
-Ben, je n’sais pas, demandez plutôt aux mécanos, leur atelier est à côté de la porte, c’est tout ce que j’ai à vous dire !
Puis il se retourna et reprit nerveusement son travail.
Ernest jeta un coup d’œil furtif sur madame Gausse qui le regardait d’un air sévère.
-Suivez-moi, dit-elle je vous emmène voir les mécaniciens.
L’atelier était tranquille, la pause de dix heures avait apporté son calme momentané, et seul, Lionel, un café à la main, restait assis devant sa machine, mirant avec circonspection un plan de format A4 pendu à l’aide d’un aimant sur la tête de sa fraiseuse. L’arrivée de Puppa le surprit.
-Eh bien dis donc, le patron fait bien les choses, un inspecteur de police pour un simple petit vol de clef !
-En fait je suis un ami de Pierre et comme il semblait très embêté par cette histoire, je suis venu voir si je pouvais l’aider. Vous savez quelque chose ?
-Pour moi c’est les gitans, la semaine dernière, j’en ai vu deux qui traînaient autour de l’usine, alors, avec Aurélien, on est sorti et ils ont déguerpi en vitesse. Vous n’avez qu’à aller faire un tour et fermer leur campement, vous verrez, Y’aura plus de problème dans le pays de Gex !
-Je pense que vous n’avez pas tort, tout le monde me dit la même chose, faudra que j’aille là-bas pour me rendre compte... Pouvez-vous me décrire rapidement ces gitans ?
-Un p’tit costaud qu’avait pas un cheveu sur les cailloux et l’autre plutôt grand, très maigre, avec un béret noir.
Ernest sortit son calepin, le posa sur un coin de table et prit minutieusement la description en note.
Entre temps Lionel avait remis sa machine en marche et le bruit infernal de l’outil qui entaillait la matière leur intima qu’il était temps de s’en aller.
Quelques secondes plus tard, il se retrouva, avec madame Gausse, dans le petit hall d’entrée où le larcin avait été perpétré. Il servait de local à l’unique fumeur de l’usine. Aurélien venait justement de terminer sa clope, quand la vue de l’inspecteur le fit sursauter.
Ernest lui fit un petit salut de la tête et entama immédiatement le sujet.
-C’est embêtant cette histoire de clef, votre collègue m’a dit que c’était certainement les manouches qui avaient fait le coup, j’aimerai avoir votre avis.
Aurélien balbutia un acquiescement timide et interrogateur.
Je suis inspecteur de police ! Ajouta Ernest. Je ne suis pas là officiellement, juste pour donner un coup de main à Pierre, question de résoudre cette affaire.
-Inspecteur de police ! S’étonna Aurélien. Vous savez moi je ne sais rien… Oui ! Peut-être les manouches.
Ernest, acquiesça en silence.
-Vous voyez inspecteur, reprit Madame Gausse, on pense tous la même chose ! Puis elle entreprit une description plus minutieuse des suspects qu’elle avait précédemment rencontrés. Ernest se tourna dans sa direction, écouta avec attention sa description détaillée et en prit bonne note sur son petit carnet.
Aurélien, voyant son témoignage conforté par madame Gausse, ouvrit la porte et  s’en alla faire son petit tour habituel à l’extérieur. Sa sortie permit à un froid glacial de s’engouffrer dans la pièce.
Madame Gausse grelotta.
Quelle tristesse de rentrer dans l’hiver ! Jeta-t-elle, puis elle entreprit d’ajouter quelques détails à son signalement.
Moins de deux minutes plus tard un souffle gelé envahit de nouveau le local. C’était Aurélien qui rentrait de sa minuscule escapade et qui fièrement tendait du bout des doigts une clef qu’il venait de découvrir.
-C’est ça que vous cherchez ! Je viens à l’instant de la trouver parterre, prêt du muret qui longe le Journan.
Puppa empoigna l’objet recherché et son visage s’entrouvrit d’une expression joyeuse.
-Vous l’avez trouvée dehors ?
-Oui, j’vous dis, juste à côté du mur. C’est là qu’ils ont dû jeter la clef, la deuxième fois qu’ils sont revenus !
-Ok. En tous cas merci bien pour votre découverte. Répondit Puppa.
Puis tout content, notre inspecteur dit à madame Gausse qu’il pouvait maintenant aller voir Pierre. Que la petite énigme avait enfin atteint son épilogue.
Dans la montée de l’escalier. La secrétaire perplexe lui intima que le fait d’avoir trouvé la clef n’était aucunement une solution au problème, qu’un double avait pu être réalisé et que les voleurs avaient certainement fait ça dans le but de les tromper.
-Mais non chère madame, répondit Ernest, rien à craindre, je connais maintenant le coupable…

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Chapitre 10 l'épilogue

Pierre et Ernest s’étaient enfermés dans le bureau. Notre inspecteur de géni n’avait pas trouvé opportun de s’exprimer devant madame Gausse, car le dénouement de cette affaire lui semblait bizarre. Pierre avait réfléchi quelques instants aux propos tenus par Ernest. Puis un petit haussement d’épaules suivi d’une moue de dépit amorcèrent sa conclusion :
 « Tu sais ! Aurélien a un amour-propre démesuré, je pense que c’est la raison pour laquelle il ne m’a rien dit. Je me demande si je dois aller l’engueuler ou simplement ne rien ajouter et classer l’affaire.
-Mais en fait pourquoi a-t’ il volé la clef ? Demanda Ernest.
-Il ne l’a pas volée. Repris Pierre, mais simplement, il l’a oubliée dans sa poche quand il est rentré chez lui. Il ne s’en est pas rendu compte tout de suite, le lendemain il a, à mon avis, réellement pensé que quelqu’un l’avait volée. Puis, le jour suivant, il a dû l’a retrouver dans la poche de son manteau et pour ne pas se montrer ridicule, il ne m’a rien dit.
Mais, quand tu es venu enquêter, il a simplement dû avoir  peur et c’est la raison pour laquelle il a fait réapparaître la clef.
-Pas très habilement. Répliqua Puppa.
-Oui c’est incroyable que tu te sois aperçu de ça ! Répliqua Pierre.
-Tu sais, à ma place je pense que tu aurais conclus la même chose. J’ai d’ailleurs failli éclater de rire quand il m’a donné l’objet du délit. Tu te rends compte ! Il venait de trouver la clef à l’instant, au dehors, où il ne faisait pas dix degrés et quand il me l’a refilée, elle était chaude! La conclusion était donc évidente. Il l’avait dans sa poche depuis déjà un bon moment…

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