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Un hot
mail glacé
J’ai
lu tous vos poèmes, j’ai adoré !
Ce
simple petit mot fut le début de cette étrange histoire. Il
s’appelle Guillaume, il a quarante ans, plutôt bel homme,
intelligent, certainement séducteur avec ce regard qui réchauffe
votre esprit. Il est également marié et fidèle. Un homme parfait
me direz-vous. Et bien non pas tout à fait ! Il est fainéant et
cette fainéantise est, je dirais, la cause première de sa fidélité.
Il est marié à Céline, qui n’est pas seulement superbe mais
également extrêmement riche. Leur première rencontre ils l’ont
faite à Gex dans un local dont la porte est située dans le Passage
de la Visitation. Oui ! Vous avez deviné, il s’agit bien de
l’Association des alcooliques anonymes. Ils étaient assis l’un à
côté de l’autre et chacun à leur tour ils décrivirent la
tristesse d’une vie défaite par l’abus de boissons
alcoolisées. Au fil des séances ils apprirent à se connaître.
Elle venait d’une famille très aisée, ne travaillait pas, vivant
largement de la fortune que lui avait laissée son père. Lui, par
contre, était très pauvre, au chômage depuis de nombreuses années
et se complaisait dans sa pochardise et sa lente clochardisation.
Pourtant, une tendresse étrange, une attirance bien improbable
s’étaient glissée entre eux. Un amour que l’on n’aurait
jamais pu supposer possible. Un besoin grandissant de se voir,
d’abord durant ces séances de réhabilitation qu’ils n’auraient
manquées pour rien au monde. Un jour pendant l’écoute d’un de
leurs acolytes, il avait posé sa main sur la sienne. Elle avait
frémi, avait répondu par une caresse sur ses doigts. Puis il y eut
cette brûlure de désir qui soudainement enfiévra son ventre, ce
désir charnel qui l’avait quittée depuis des années venait de
réapparaître avec cet homme, qui aurait pourtant dû lui paraître
sans saveur, sans intérêt. Il faut croire que l’adversité unit
les êtres. Ils se retrouvèrent rapidement plongés dans une
relation amoureuse qui leur permit de sortir de leur détestable
travers.
Cet amour impossible les aida à s’extirper de
l’impasse que leur imposait l’ébriété et ils servirent
d’exemple à la communauté des alcooliques, prouvant qu’aucune
fatalité ne devait rester insurmontable.
Leur mariage fut
rapidement décidé. La belle Céline eut pourtant un dernier doute
sur la sincérité de son amour et le contrat de mariage fut rédigé
avec cette implacable clause : en cas de divorce, Guillaume n’aurait
aucun droit sur sa fortune !
Cette précision importante établie,
le couple entama une vie d’oisiveté et d’égoïsme heureux.
Guillaume, pour occuper son désœuvrement, s’était mis à
écrire des poèmes et à les publier sur son blog. Céline, quant à
elle, passait le plus clair de son temps à arpenter les beaux
magasins de Genève et à fréquenter les salons de beauté dont elle
n’avait en vérité nul besoin.
Et tout continua parfaitement
bien jusqu’au jour de ce fameux mail…
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« J’ai lu
tous vos poèmes, j’ai adoré ! »
La phrase était concise,
mais l’enchanta au plus haut point. Depuis des mois il se
morfondait dans l’attente d’un acquiescement qui lui prouverait
son talent. Il regardait inlassablement son compteur de connexions
qui avançait tristement à pas d’escargot. Il s’évertuait
pourtant à travailler son écriture, cherchant inlassablement les
rimes adéquates, réorganisant la tournure de ses phrases, voulant
atteindre sa perfection. Son approbation qu’il estimait de la plus
grande délicatesse. Sur la centaine de poèmes qu’il avait écrits,
seule une vingtaine lui avait semblé suffisamment digne de figurer
parmi ceux qu’il auto publiait.
Ce petit compliment, qui
sortait de l’espace infini des connexions d’internet, le remplit
d’une joie immense, sans commune mesure avec l’insignifiance de
cette simple remarque. Heureux il envoya tout d’abord une courte
réponse :
« Merci ! »
Il ne chercha même pas à savoir
qui était derrière cette appréciation de son travail. Heureux il
continua la suite de ses jours…
Céline était belle, elle
remarqua le bonheur de son mari et lui demanda la raison de ce
brusque contentement. Il lui expliqua la brièveté du message et la
fierté qui l’avait envahi. Céline l’embrassa tendrement, ses
lèvres pulpeuses lui léguèrent cette couleur de fraise, sa peau
caressa la sienne, leur complicité fusionnait un peu plus, alliant
leur différence dans une symbiose féerique.
Le lendemain
Guillaume se leva, l’esprit brouillé par une nuit comblée d’un
court sommeil où une foule en délire l’acclamait et le portait au
firmament de nos grands écrivains. Devant son écran il tapota
quelques instructions qui rapatrièrent l’ensemble de ses mails.
L’un d’eux lui sauta aux yeux ;
« J’attends votre prochain
écrit avec impatience… »
Le mot n’était pas signé et
c’est alors qu’il s’intéressa à l’adresse elisa@hotmail.com
avec comme commentaire : perdue dans ton regard.
Plus que
l’adresse, c’est l’annotation qui l’intrigua. C’est alors
qu’il retourna sur ce déjà ancien message qui le félicitait de
ses écrits.
Et bien oui ! Il émanait de la même personne. De
cette groupie qui l’avait si judicieusement enchanté.
Une
brûlante envie le prit de vouloir connaître un peu plus la personne
qui se trouvait à l’autre bout de sa ligne virtuelle.
D’où
était-elle, comment avait-elle pris connaissance de son site,
pourquoi aimait-elle ses poèmes ?
Quelque peu gêné de lui
dépêcher une foultitude de questions, ayant peur de la rebuter, il
s’engagea dans une correspondance qu’il voulut adroite :
«
Bonjour Madame ! Avait-il commencé poliment. Je m’apprête
justement à faire paraître mon tout dernier écrit que je crois
d’une facture tout à fait convenable ! Ce ne sont que quelques
rimes qui j’espère vous plairont ! Puis il continua. Pardonnez ma
curiosité mais, pourriez-vous me dévoiler la manière dont vous
avez trouvé mon site ?
Un hasard, une recherche, un mot soufflé
d’un ami ?
Enfin il termina sa requête : Dans l’espoir de
l’amabilité de votre réponse et en vous remerciant encore pour
votre intérêt… »
Dehors le temps s’était mis à
l’orage, une pluie torrentielle s’abattait depuis quelques jours
sur le pays de Gex et tout le monde semblait vouloir rester cloîtrer
dans sa demeure en espérant enfin pouvoir bientôt profiter du
printemps naissant.
Guillaume attendait la réponse de
cette fameuse « elisa » mais elle ne vint pas. Il en fut tout
d’abord contrarié, ne comprenant pas qu’elle ignore la question
qu’il lui avait posée. Peut-être ne voulait-elle pas engager la
conversation à un stade plus personnel ! Les jours défilèrent sur
le beau temps qui venait de réapparaître. Céline commença à
s’habiller de couleurs printanières et le mois de mai pointa son
nez.
Profitant de la venue d’une chaleur soudaine, ils
avaient retrouvé les plaisirs de leur jardin. Un grand parc avec
piscine, soigneusement gardé des regards indiscrets. L’endroit
était impeccablement tenu par une entreprise de jardinage, les
fleurs embaumaient, les abeilles bourdonnaient de plaisir et notre
ami le soleil riait de tous ses feux.
Allongés côte à côte,
les deux amoureux se laissaient envahir par une mélopée angevine
que diffusait leur lecteur de disques compacts.
Sa femme s’était
presque totalement dénudée et laissait son corps huilé à la
simple appréciation de son mari. Lui avait gardé sa chemise, un
short aux tons soixante-huitard et un large chapeau dont l’ample
rebord le couvrait de son ombrage.
Elle dormait ou, du moins,
semblait dormir.
Lui la regardait, l’admirait, la maternait du
regard. Il savourait la chance d’être sien et retraçait avec
bonheur son parcours difficile couronné par ce merveilleux
aboutissant que représentait son mariage.
Qu’aurait-il pu
espérer de mieux ?
L’homme de rien qu’il avait toujours été
et qui par un heureux hasard était soudainement devenu l’homme de
tout. Il songea à ces quelques mois qui avaient éclairé sa vie en
lui donnant pour toujours la fortune, la jouissance de sa paresse et
la beauté d’une compagne idéale.
Le corps de Céline se mit à
frissonner de ce frémissement de plaisir que peut apporter un rêve
enchanteur, son visage se teinta d’une légère rousseur et un
soupçon de sourire étira sa bouche légèrement entrouverte. Elle
était heureuse, plongée dans la protection de ses paupières
closes, arrosée des rayons de ce soleil bienveillant, enivrée
d’odeurs printanières. Elle balbutia soudain quelques mots
inintelligibles, pinça ses lèvres dans la forme du baiser, ferma
ses mains sur les rebords de la chaise longue et se cambra avant de
sombrer de nouveau dans l’inconscience de son sommeil.
Guillaume
qui ne l’avait pas quittée des yeux, ressentit un violent émoi,
réponse de ce qu’il savait être l’appel de la chair. Sa main se
posa sur son bras, qu’il caressa tendrement, ses yeux caressèrent
son ventre plat, le galbe parfait de ses jambes, mais son
empressement s’arrêta là. Il ne voulait surtout pas la déranger,
lui ôter le plaisir évident que son esprit était en train de
recréer.
« Elle pense à moi ! »Se dit-il.
Puis
ce fut à son tour de fermer, de verrouiller son regard, de se
plonger dans des songes qu’il voulait absolument sublimes. Et son
esprit décolla en direction de son bonheur. Céline se trouvait
devant lui, nue, elle lui souriait, l’appelait de ses bras
enjôleurs. Il s’approcha. A l’instant même où il allait la
toucher, sa forme se mit à vaciller, elle devint transparente,
inconsistante et se noya dans les volutes humides qui l’entouraient.
Une forme indécise prit lentement sa place, on ne reconnaissait pas
vraiment son visage, ne discernait pas avec précision les contours
de son corps, mais on devinait une beauté exceptionnelle. Seul, son
regard se fit clair, il fixa Guillaume de sa douceur cristalline.
Puis quatre mots glissèrent timidement dans sa pensée. « Perdue
dans ton regard. »
« Elisa » S’écria-t-il…
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Guillaume
s’était mis à penser de plus en plus à son étonnante
correspondante. Elle ne lui avait prodigué que quelques phrases,
mais il en était complètement retourné. Il n’avait pas osé lui
écrire, attendant d’elle une réponse hypothétique, et il s’était
mis à penser à elle d’une façon presque obsessionnelle, elle
était présente à ses côtés à chaque instant de sa vie. Il en
avait fait sa confidente, sa muse, sa conscience. Il la voyait à ses
côtés, l’entendait lui susurrer des mots câlins. Il
s’interrogeait sur son avis, sur la réaction qu’elle pourrait
avoir à chaque instant de sa journée. C’est alors qu’il se mit
à lui composer un poème.
Les mots ! Il les trouva facilement.
Les phrases s’enchaînèrent dans une continuité évidente, il lui
fut inutile de peaufiner cet écrit qu’il destinait à son adorable
inconnue car, il le trouvait parfait, divin, le reflet exact de son
cœur.
Par le plus étrange des hasards, ce même jour, il reçut
enfin cette réponse tant attendue. Une réponse qui lui arriva un
peu telle une excuse :
« Mon ordinateur était en panne !
Puis
elle répondit à la question posée…
Je recherchais un site de
poème et le vôtre m’a charmée ! Puis elle continua.
Dès que
ma connexion fut rétablie, je me suis ruée sur votre site et j’ai
dévoré à nouveau, avec un immense plaisir, l’ensemble de vos
œuvres !
Tendres pensés…
Elisa. »
Guillaume fut
enveloppé d’un bien être d’une incroyable douceur. Son souffle
fut raccourci par les battements rapides imposés à son cœur et une
moiteur de plaisir humecta ses mains et son front.
Il s’apprêta
à se jeter sur son clavier, lui dire des mots tendres, la remercier
de sa réponse. Mais, au dernier instant il refréna son
empressement.
Non ! Il allait attendre. La faire patienter
quelques jours, il ne voulait pas lui montrer l’importance que son
message représentait pour lui.
Il arrêta son ordinateur.
Laissa son dos écraser le dossier de sa chaise, étendit ses
bras hauts dans le ciel et grommela de plaisir…
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Le printemps avait atteint
son apogée apportant avec lui son cortège d’épanouissement
floral, sa cohorte d’arbres colorés et de senteurs délicates.
Céline était plus belle que jamais. Elle quittait peu la maison
et avait affirmé à son cher et tendre époux qu’elle se sentait
bien à ses côtés et qu’elle ne ressentait plus vraiment le
besoin de s’enivrer d’emplettes. Ils passaient la plus grande
partie de leur temps à profiter de leur domaine et recevaient peu.
Essentiellement un couple de nouveaux amis que tous deux appréciaient
particulièrement.
Paul et Laurédane étaient vraiment faits
l’un pour l’autre. Elle était blonde, élancée, avec un visage
submergé de douceur, une clarté dans les yeux que l’on aimait
soutenir, une voix qui vous berçait le cœur, un souffle de vie qui
vous charmait quel que soit votre genre.
Lui était un bel homme,
ce genre de mec que l’on voit dans les magazines, musclé à
souhait avec ce visage carré et viril, ces sourcils froncés. Ce qui
l’avait un peu choqué c’était la différence d’intellect ou
plutôt d’éducation qui les séparait. Mais, n’était-ce pas la
même chose avec son propre couple ?
Guillaume était assis à
l’ombre d’un cerisier, et le chapeau penché sur ses yeux
mi-clos, il observait les deux tourtereaux, qui, pour le moment,
s’ébattaient dans l’eau de sa piscine. Paul s’approcha du côté
qui lui faisait face et fut bientôt rejoint par sa femme, qui se
suspendit à lui et, tout en lui caressant les cheveux, posa ses
lèvres sur les siennes. Puis il se retourna et posa ses mains à
plat sur le rebord, poussa fortement sur ses bras pour s’extirper
des flots.
Sa musculature mouillée brilla sous le soleil. Céline,
qui non loin de là se faisait bronzer tout en compulsant un
magazine, poussa vers le bas la monture de ses lunettes et sembla
apprécier le spectacle de ce beau mâle. Laurédane, quant à elle,
s’engagea sur la petite échelle et rejoint à petit pas,
sautillant sur la pointe de ses pieds, son magnifique mari. Ils
allèrent retrouver Céline et engagèrent une conversation qu’il
n’entendit pas mais qu’il comprit être amusante, car elle était
ponctuée de rires et gloussements de bonheur.
« Viens nous
rejoindre ! cria Céline à son encontre.
- Je préfère éviter
le soleil ! Murmura-t-il avant de fermer les yeux. »
Guillaume
se laissa submerger par ses pensées et partit à la rencontre de ce
nouvel amour !
Elisa, sa douce Elisa, qui avait peu à peu
envahit la fibre de son âme. Leur conversation était devenue
maintenant quotidienne, il savait tout d’elle. Elle était brune,
informaticienne, plutôt jolie, sportive, sensible, dans la
trentaine. Leurs chemins semblaient tellement semblables, parallèles.
Il avait l’impression de la connaître depuis toujours et avait
compris que la même sensibilité les animait.
Habitait-elle loin
d’ici ? Il ne le savait pas, c’était un détail qu’elle avait
toujours omis de lui indiquer. Il avait abordé cette question à
plusieurs reprises, mais elle avait toujours feint de ne pas
l’entendre et avait contourné la réponse par sa simple ignorance.
Ce soir il allait lui envoyer son poème, celui qu’il avait
composé depuis longtemps déjà, mû par un élan de passion
soudaine.
Il s’endormit.
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Il était tard et
leurs amis venaient de les quitter. Céline avait rejoint son lit et
comme chaque nuit il s’était retrouvé devant son clavier à
tapoter le message à son idylle. Ses mails, il ne les gardait pas
dans sa boîte aux lettres mais les cachait dans un dossier secret
lové, enfoui dans l’un de ses disques durs.
Ce soir il
commença ainsi son monologue :
« Ce poème, je l’ai
créé pour toi ma belle, ma muse, ma dulcinée. Il est le reflet de
mon cœur, le sentiment qui m’anime et qui me guide vers toi. Je
pleure ! »
J’ai souvent considéré ma vie comme
étant morne et sans surprise
Jusqu’au jour où votre message
m’a rafraîchi de son étrange brise.
C’est à l’intérieur
de mes songes que je vous ai regardée
Et dois-je vous le dire ?
Ce que j’ai vu, je l’ai vraiment aimé.
Nous avons
peut-être échangé des propos sans importance,
Mais toutes ces
phrases murmuraient que j’avais de la chance.
Chance du hasard
qui nous procure tant de choses
Et que j’osai symboliser en un
parterre de roses.
Notre conversation silencieuse me
marquait de votre emprise.
Et mon existence se mit à
souhaiter que jamais elle ne se brise.
Etrange sensation de ne
pas vraiment vous connaître
Mais d’avoir le sentiment que vous
appartenez à mon être.
Seul ce vil adversaire, la
distance, nous sépare,
Mais celle-ci reste pour moi un salutaire
rempart.
Mon clavier restera à jamais l’unique façon de vous
parler.
Et mes yeux clos le désir d’un jour pouvoir vous
contempler…
Il signa Guillaume et envoya le message…
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Le jardin botanique de
Genève arborait la plénitude de son charme. Des arbres immenses aux
senteurs lointaines, des plantes éloignées de leurs endémies ne
pouvaient aucunement laisser insensibles les nombreux promeneurs qui
profitaient de cet endroit de bonheur.
Guillaume se baladait main
dans la main de sa douce épouse et était suivi de près par leurs
amis Paul et Laurédane. Ils s’engagèrent dans la serre tropicale
et prirent place sur le petit banc qui leur offrait une vue
remarquable sur le développement de l’endroit.
Devant eux une
petite mare était recouverte d’immenses nénuphars à la
collerette fichée vers le haut, des lianes croulaient des faîtes
d’arbres aux essences tropicales et une humidité lourde mais
agréable humectait leurs visages d’une odeur avenante.
L’étroitesse de l’endroit les obligeait à se serrer les uns
contre les autres, mais cela ne les gênait guère, ils se
connaissaient bien et cette promiscuité leur semblait même
sympathique. Guillaume en bout de banc discutait avec Paul qui se
tenait à ses côtés. Céline quant à elle discutait avec Laurédane
qui fermait l’assise.
« J’adore cet endroit ! commenta
Guillaume. J’aime m’y retrouver seul ou avec ma femme pendant les
tristes jours d’hiver et rêver d’un climat plus propice, et les
yeux fermés, m’imaginer être dans une jungle amazonienne ! »
Paul lui sourit. Il se retourna, pencha la tête pour mieux
apercevoir son épouse, leurs yeux se croisèrent et ils se
décochèrent leur plus beau sourire. Céline se retourna pour suivre
le regard de son amie et elle se retrouva nez à nez avec Paul, leurs
visages s’effleurèrent et provoqua un petit ricanement de joie…
Guillaume se leva, il se sentait triste, angoissé, mal à
l’aise. Il éprouvait un manque ou plutôt de la mélancolie de se
retrouver ici, en ce lieu qu’il appréciait tant, sans pouvoir
partager ce moment avec celle qu’il s’était mis à aimer. Elisa
avait envahit son esprit, s’était glissée dans les moindres
recoins de son âme, avait provoqué en lui une complète dépendance.
Elle se trouvait lovée dans son cœur, cheminant chaque seconde à
ses côtés, triste compagne de l’invisibilité. Ce qui le
chagrinait le plus, ce n’était pas son absence, mais le manque de
son image, elle n’était pour lui qu’une simple description
qu’elle avait faite d’elle-même. Il la ressentait petite avec
des yeux qui vous éclairaient les entrailles, une grâce proche du
divin, un corps épanoui. Sa voix, comment pouvait-il l’imaginer ?
Fluide, aux tons pareils au ruissellement d’une source pure et à
la moiteur suave que diffusaient des lèvres qu’il voyait
admirablement pulpeuses.
Il chemina lentement, s’arrêta devant
la porte vitrée qui le menait dans la serre aux orchidées, puis
tirant sur la poignée, la fit coulisser et s’apprêta à y
pénétrer quand une main accrocha la sienne.
« Je viens avec
toi ! dit-elle.
- Laurédane, bien sûr avec plaisir !
Répondit-il un peu étonné. »
Il referma avec soin le
battant coulissant et tous deux avancèrent à pas mesurés dans cet
endroit où régnait une humidité tropicale.
«
Tu aimes les fleurs ? demanda-t-il.
- Oui ! Elles me font rêver
! répondit-elle. »
Ils avançaient l’un à côté de l’autre,
son bras effleurait le sien, son odeur parfumée se mélangeait aux
effluves naturels. Sa grâce féline perchée sur des talons peu
commodes le devança de quelques pas.
Guillaume la remarqua,
l’admira comme s’il la voyait pour la première fois. Bien
entendu, il avait depuis toujours remarqué sa beauté incontestable,
mais jamais de cette façon, avec cet œil lubrique, d’une
admiration lascive, sans retenue. Il remarqua ses hanches rondes, sa
poitrine généreuse et oublia presque qu’elle était la femme de
son ami. Il s’arrêta à ses côtés, son corps éveillé par ses
charmes. Il dut faire un effort surhumain pour ne pas la prendre dans
ses bras et l’embrasser. Retrouvant un peu de sa contenance, il
s’accroupit près d’un monticule rocheux et d’un ton rauque,
pointa d’un doigt tremblant l’interstice d’une roche.
«
Regarde celle là, elle est magnifique ! »
Effectivement un
spécimen rare, à la couleur rosée, à la hampe parsemée de
pétales effilés, exhibait sa plus belle composition.
Elle se
baissa, sa jambe toucha la sienne, elle perdit presque l’équilibre
et le bras secoureur de Guillaume entoura sa taille. Il apprécia la
chaleur de son corps, la souplesse de ses hanches. Elle se dégagea
en le remerciant pour son aide.
« Excuse-moi ! dit-elle
simplement. » Puis elle continua sur l’émerveillement de ce
qu’elle voyait. Ces fleurs sont célestes, d’une délicatesse
incroyable. Sais-tu qu’en Amazonie, certaines d’entre elles ne
survivent que grâce à une sorte d’oiseaux qui par la forme de
leurs becs sont en mesure de les polliniser correctement.
Il
s’étonna de sa remarque. Il avait toujours cru qu’elle n’était
qu’une personne oisive, sans culture, se souciant essentiellement
de son apparence.
Il répondit :
« J’en ai entendu parler
! »
Elle se tourna vers lui, le regarda profondément dans le
fond des yeux et lui sourit. Troublés, ils se relevèrent et
continuèrent en silence le tour de cette exposition florale. Par une
sorte de commun accord, leur avance se fit très lente, chaque détail
semblant vouloir les retarder dans leur progression, les éloigner de
cet instant qui les séparerait pour les rendre à leurs conjoints
respectifs.
« Et bien, qu’est ce qu’il y a de si intéressant
à voir ici ! S’interrogèrent à l’unisson deux voix qu’ils
connaissaient fort bien.
- Venez voir ! intima Laurédane. C’est
magnifique. »
Guillaume ne dit pas un mot et fut déconcerté
par la présence d’esprit de son amie. Avait-il mal discerné leur
rapprochement, n’éprouvait-elle pas ce même sentiment amoureux
qui l’avait soudainement envahi… ?
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Leurs amis
étaient partis en voyage pour une quinzaine de jours, et Guillaume
n’avait pu vérifier le rapprochement qu’il avait ressenti avec
Laurédane. Pour quelques jours, il se retrouvait chez lui, seul, car
sa femme était partie à Paris pour se rendre au chevet de son oncle
gravement malade.
Il passait l’oisiveté de ses journées à
écrire ses lignes rimées et le soir se retrouvait scotché à son
ordinateur à discuter avec Elisa.
Ce soir ils avaient décidé
de se retrouver sur un « CHAT » pour pouvoir se raconter en direct.
C’était d’ailleurs la première fois qu’elle acceptait ce
genre de retrouvailles, car elle lui avait avoué être mariée et
affublée d’un époux jaloux. Mais ce soir il n’était pas là et
elle lui avait indiqué qu’elle serait sienne !
« Mon Elisa !
Avait commencé Guillaume. Quel bonheur de te rejoindre ainsi sur le
net, comment vas-tu ?
Sa réponse arriva moins de dix
secondes plus tard :
-Je vais bien Guillaume !
-Je vais enfin
pouvoir mieux te connaître, déjouer tes secrets, si tu me le
permets ! Ajouta-t-il.
Elle lui envoya le dessin d’un petit
visage rigolard qui signifiait son éclat de rire.
-Mes secrets ?
Je ne sais pas si j’en ai à te dévoiler !
En fait Guillaume
voulait pouvoir la cerner avec précision, savoir où elle habitait,
être renseigné sur ses habitudes, ses manies, ses activités
quotidiennes, avec ce seul but, se sentir plus proche d’elle et
voir si son attirance pouvait être basée sur des détails plus
physiques, plus concrets.
-Qu’as-tu fait ce soir avant de venir
me retrouver ?
-Je me suis promenée dans la campagne, le temps
est si doux aujourd’hui et le ciel est si pur. J’ai regardé un
long moment la grande ourse qui dévoilait sa forme de casserole et
j’ai pu admirer la voie lactée qui étalait la splendeur de son
teint laiteux. Les grillons chantaient, un léger vent faisait
virevolter mes cheveux, je me suis senti bien. »
Tout en lisant
ces lignes, Guillaume imaginait sa correspondante. Il se trouvait à
côté d’elle, la tenait par la main et appréciait ces moments
privilégiés. Puis il réalisa qu’elle avait l’apparence de
Laurédane. Il sursauta, reprit ses esprits. Pourquoi cette femme
s’était-elle si soudainement imposée à lui ? Il y avait un peu
réfléchi ces derniers jours et était arrivé à la conclusion que
la liaison intellectuelle qu’il avait avec Elisa demandait une
concrétisation physique. Il se devait de transformer sa chimère en
une personne faite de chair et de sang. Laurédane étant la seule
femme, excepté la sienne, qu’il voyait régulièrement, elle
s’était ainsi et sans le vouloir, imposée comme une candidate
potentielle.
Son ordinateur tinta :
« Tu es toujours là ! »
Ces quelques mots lui rappelèrent que sa méditation s’était
appesantie un peu trop longtemps. Il retourna à son clavier et
enchaîna la conversation…
Qu’apprit-il de plus d’elle
cette nuit ? En fait pas grand chose, il ne savait toujours pas où
elle habitait, la comprenait peut-être un peu mieux et avait
ressenti un certain malaise qui devait bercer sa vie de couple. Son
mari était certainement gentil, bon, attentionné avec elle, mais il
manquait de cette fibre d’originalité, d’intelligence qui la
faisait vibrer. Le peu qu’elle lui enseigna à son sujet, lui donna
une image assez terne. Il était dans la trentaine, avait un poste à
responsabilité qui le passionnait certainement trop. Elle lui avait
avoué qu’il l’ennuyait avec ses problèmes de boulot, ses
relations difficiles avec ses collègues de bureau et oubliait trop
facilement qu’une vie de couple se doit d’être plus
enrichissante, plus surprenante pour raviver cette flammèche d’amour
que les années avaient toujours tendance à éteindre.
De retour
dans son lit, il plongea dans un profond sommeil qui l’enivra de
ses délibérations sur l’âme d’Elisa et le côté charnel de
Laurédane.
--------------------------------
Céline était
de retour. Elle avait le teint bronzé, le regard un peu triste. Son
oncle venait de mourir, elle s’était occupée de l’enterrement
et semblait un peu secouée d’avoir dû se consacrer à cette
triste astreinte. Elle semblait particulièrement nerveuse, indécise,
sans cette envie de lui qu’il aurait souhaité à son retour.
«
Je suis éreintée ! Lui avait-elle dit. Il est mort en me tenant la
main… »
Guillaume avait acquiescé d’un simple bisou
sur le front, d’une caresse sur sa main et d’un regard
compatissant.
« J’ai horreur de Paris ! avait-elle continué.
Je faisais tous les soirs une séance d’U.V., ça m’a fait du
bien et a certainement effacé un peu de mon stress!
- Ma pauvre
chérie ! avait-il simplement répondu. » Puis il avait décrit
sommairement ses journées, qui, en vérité, n’avaient été
qu’une lente succession des minutes qui passent, une attente du
lendemain.
« As-tu vu Paul et Laurédane ?
- Mais non, ma
chérie ! Tu sais, ils sont partis en vacances !
- Ah oui !
Répondit-elle d’une façon distraite ». Puis elle lui dit qu’elle
était fatiguée, qu’elle allait se reposer, qu’elle irait mieux
demain.
Guillaume se retrouva donc seul pour le restant de
la journée, il avait même annulé ses rendez-vous d’internaute
avec Elisa, prétextant son hypothétique absence pendant quelques
jours. En fait, il avait pensé que sa femme aurait besoin de
son total réconfort !
Le soir arriva, transportant avec lui sa
triste pénombre et le téléphone sonna. Laurédane était au bout
du fil.
«- Bonjour Guillaume, comment vas-tu ! Sa voix était
chaude et suave, Guillaume fut pris de quelques frissons qui
réveillèrent sont émoi.
- Laurédane, où es-tu ?
demanda-t-il.
- Je suis toujours à Nice ! dit-elle.
Pourquoi
employait-elle la première personne du singulier et non celle du
pluriel ? Voulait-elle lui prouver une certaine liberté envers son
mari ? Il trouva ça étrange, inattendu. Il en fut presque heureux.
- Et Paul, comment va-t’il ?
- Bien ! répondit-elle sans
le moindre engagement.
- Céline est rentrée de Paris, mais elle
est exténuée, je crois qu’elle dort.
- Ca ne fait rien !
C’est à toi que je voulais parler !
- Bien ! Il ne savait que
répondre.
- Il fait vraiment un temps splendide ici ! Puis elle
se mit à raconter ses vacances, le tout au singulier, comme si son
homme n’avait pour elle aucune importance. Elle lui expliqua ses
journées faites de bains de soleil, d’embruns salés, de longues
marches sur la plage, de délicieux repas aux goûts marins. Puis
elle conclut :
- Quel dommage que tu ne sois pas ici avec moi !
Il allait lui répondre, un peu troublé qu’il le regrettait
également. Quand, semblant surprise, elle lui envoya un :
- Oui
livrez ceci chambre trente sept ! »
Puis elle raccrocha.
Guillaume chercha à comprendre son comportement. Ce coup de fil,
représentait-il une déclaration, une première approche pour lui
indiquer son attirance. Un aveu de son désir. Du désir qu’elle
éprouvait à son égard ?
La conversation qu’elle avait si
brutalement interrompue dénotait certainement un acte qui devait lui
sembler coupable…
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Trois jours plus tard, Céline allait mieux, elle avait retrouvé
son entrain habituel. Une carte postale provenant de Nice avait
certainement été pour elle d’une importance revigorante. Elle
provenait de leurs amis, Paul l’avait écrite. Ils devaient rentrer
ce week-end. Il décrivait brièvement leur séjour, puis il avait
ajouté cet étrange mot « erodatej ! » Laurédane quant à elle
n’avait fait que signer la missive.
Guillaume avait retrouvé
son clavier, pendant que sa douce moitié retrouvait ses habitudes
avec son rendez-vous de première importance chez son esthéticienne.
Un message arriva dans sa boîte aux lettres électronique. Elle
provenait d’Elisa :
-« Guillaume, ces quelques jours sans
recevoir de tes nouvelles me semblent d’une longueur infinie, quand
reviendras-tu, tu me manques. Chaque soir j’attends tes messages,
je crois, dit-elle en pointillé que, je t’aime ! Guillaume frémit
à la lecture de ces mots. Il faut que je t’avoue quelque chose…
Je ne vis pas très loin de toi, le pays de Gex est en fait le
berceau de ma demeure, et je t’ai vu, je t’ai observé, je t’ai
suivi souvent…
Une goutte de sueur perla du front de notre ami,
sa bouche devint sèche, comment cela était-il possible !
-Vas-tu
me pardonner cette confidence! continuait-elle. J’ai honte, j’aurai
dû t’avouer cela il y a bien longtemps. Puis elle termina par :
-
Tu me connais ! »
Ses doigts se mirent à trembler, il eut
pendant quelques instants du mal à respirer, Il se mit à lui
répondre. Mais insatisfait, trop anxieux, il interrompit son
courrier et d’un doigt fébrile coupa l’alimentation de son
ordinateur.
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Ils
étaient à table, tous les quatre. Céline avait invité Paul et
Laurédane qui venaient juste de rentrer de vacances. Ils étaient
tous deux bronzés à l’excès, semblaient heureux, détendus,
amoureux.
Lorsqu’ils étaient arrivés, Guillaume avait
ouvert la porte, cordialement serré la main de Paul et embrassé
Laurédane sur les joues. Il les avait emmenés au salon pour
attendre la maîtresse de maison qui finissait de se mettre en
beauté. Puis, assis en face du couple et tout en les écoutant
narrer leur voyage, il s’était mis à regarder Laurédane avec une
insistance à peine cachée, l’avait interrogée du regard,
cherchant à recevoir une réponse plus claire à cette fameuse
conversation téléphonique. Ni elle, ni son mari ne semblèrent se
rendre compte de son comportement interrogateur.
La
conversation autour du repas agréablement servit par un majordome se
déroulait à merveille. Céline était rayonnante, d’un
contentement non dissimulé de revoir ses amis. Elle émaillait la
conversation de plaisanteries et de traits d’esprit que son
intelligence lui permettait. Paul lui envoyait quelques répliques
dénotant entre eux une certaine complicité que Guillaume
remarqua.
Laurédane avait glissé sa main dans celle de son mari,
son pouce caressait tendrement sa paume, tout en parlant.
Guillaume
tourna les yeux dans sa direction, lui sourit. Elle répondit à son
attention par ce même éclaircissement du visage presque un peu
gênant, montrant une complicité évidente et certainement trop
révélatrice.
Laurédane paraissait charmée par cet amour
négligemment étalé, Guillaume au contraire en fut contrarié,
l’ambivalence de sa pensé le troublait au plus haut point.
Qu’avait bien pu signifier cette conversation téléphonique,
jouait-elle un double jeu qui n’avait qu’un seul but, le
troubler, ou éprouvait-elle une réelle attirance pour lui et
simulait une connivence avec son mari pour écarter les soupçons de
sa future infidélité ?
« Et toi, qu’as-tu fais de ton
temps ?
-Guillaume, mon chéri, on te parle ! Céline
caressa le bras de son homme. Il doit être encore perdu dans la
composition de l’un de ses poèmes ! Plaisanta-t-elle.
Laurédane
répéta sa question :
-Et toi, qu’as-tu fais de ton temps ?
Elle le regardait fixement avec ses yeux de biches.
Guillaume eut l’impression de se fondre dans son regard, s’imposa
un effort pénible pour sortir de la fascination qui l’avait
envahi.
Hum ! Il se racla la gorge, déclina un petit
rictus du coin de ses lèvres et répondit :
- Rien de
spécial, la routine habituelle.
- Un poème ? Est-ce que tu as
composé l’un de tes merveilleux poèmes ? demanda Laurédane avec
enthousiasme.
-Je ne savais pas que tu connaissais ma passion de
l’écriture ! Tu connais mes écrits ! »
Laurédane réagit
avec un léger soubresaut, elle semblait soudainement gênée, un peu
comme si elle avait gaffé et ne trouvait pas immédiatement la
parade. Elle se reprit en lançant :
« Oui, Céline m’a
déjà parlé de ton site internet et jy suis allée pour lire
quelques-unes de tes œuvres, qui sont excellentes !
S’empressa-t-elle d’ajouter.
- Laquelle t’a le plus
inspirée ? demanda-t’il dans le seul but d’élucider le
rapprochement qu’il élaborait entre son interlocutrice et Elisa.
-Hum ! Ce fut au tour de Laurédane de se racler la gorge. Tout
le monde la regardait maintenant, attendant une réponse qui ne
venait pas.
-Allez, dis-nous lequel t’a le plus marquée
!
-Celui-ci… Puis elle déclama deux rimes. »
« J’ai
souvent considéré ma vie comme étant morne et sans surprise
Jusqu’au jour où votre message m’a rafraîchit de son
étrange brise.
C’est à l’intérieur de mes songes que je
vous ai regardé
Et dois-je vous le dire ? Ce que j’ai vu, je
l’ai vraiment aimé. »
Paul devint livide. Ce
poème, ces quelques phrases, il ne les avait jamais publiés et la
seule personne qui pouvait les connaître, c’était… son Elisa !
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La nuit fut plutôt
longue. Guillaume s’était retourné au moins mille fois dans son
lit, puis, fatigué par son insomnie, avait décidé de terminer son
sommeil sur le canapé, devant la télévision qu’il avait gardée
muette.
Il devait être onze heures du matin quand un rayon de
soleil lécha ses paupières et le ramena à la réalité de l’éveil.
Son nez un peu bouché ne lui permettait de respirer qu’un
insuffisant filet d’air et l’obligeait à garder sa bouche
pâteuse entrouverte. Il se regarda dans le miroir. Ses cheveux
brillant de sueur collaient à son front dégarni. Il se mira les
rides et réalisa qu’il se faisait vieux, que son front n’était
plus lisse, que les fossettes de ses joues arboraient maintenant une
permanente allure caverneuse, que des poches brunâtres placées
au-dessous de ses yeux démontraient la fatigue de son âge. Il
comprit que c’était la première fois qu’il remarquait cet
étrange état de fait. Jusqu’à présent il ne s’était regardé
qu’à travers les yeux de sa femme, qui, vu son plus jeune âge
rayonnait d’une splendeur esthétique.
Alors, il se demanda
pourquoi cette Elisa semblait l’aimer. Enfin, il ne l’appelait
plus vraiment Elisa mais Laurédane, car pour lui il n’y avait plus
de doute, ces deux noms ne faisaient qu’une même personne. Il
réfléchit à leur première entrevue et se souvint qu’elle
coïncidait avec la période de ce fameux mail.
En fait, c’est
Céline qui l’avait rencontrée assez fortuitement. Elle lui avait
parlé de ce couple sympathique qui fréquentait le même club de
fitness qu’elle. Ils avaient bu un verre ensemble puis, assez
rapidement, elle lui avait demandé s’il ne voyait pas
d’inconvénient à ce qu’ils viennent manger à la maison…
Sa
réflexion fut dérangée par l’arrivée de Céline. Elle était
déjà passée par la salle de bain et se présentait à lui fraîche,
belle, le pommé de ses joues accentué par un léger fond de teint.
« - Céline ! Demanda t-il. Comment as-tu connu nos amis ?
-
Tu veux dire, Paul et Laurédane ?
- Oui !
- Au club, tu sais
bien ! Répondit-elle d’un ton d’évidence.
- Mais, je veux
dire… C’est toi qui les as abordés ?
Elle haussa des
sourcils, semblant s’étonner de la question. Puis elle réfléchit
quelques instants et répliqua :
- Laurédane. Si je me
souviens bien, c’est Laurédane qui m’a abordée. J’étais au
vestiaire en train de me changer quand elle est arrivée. Ah oui !
Elle sourit en se remémorant ce qu’elle considérait comme une
anecdote. En fait, s’était amusant, maintenant que j’y
pense, je crois qu’elle voulait me rencontrer, car la plupart des
casiers étaient vides, mais pourtant… elle choisit celui qui était
le plus proche du mien m’obligeant à pousser mon sac de sport qui
en gênait l’ouverture. Je me suis excusée en le tirant vers moi,
elle m’a souri et a engagé la conversation, rien de très
personnel, juste des considérations de femmes sur l’exiguïté des
casiers et quelques banalités sur le temps. Puis, plus tard on s’est
retrouvées sur les tapis d’étirement, puis la conversation s’est
faite plus amicale. Elle s’est présentée à moi, a pointé du
doigt son mari qui soulevait quelques haltères en exhalant un soupir
d’effort. Et voilà, on était copines ! Elle termina ainsi son
monologue explicatif. Regarda son mari droit dans les yeux, sourit.
Puis demanda :
- Tu es satisfait ?
- Oui, très bien ! » Un
pâle rictus coinça sa bouche de deux traits sur les côtés. Ses
yeux s’émoustillèrent d’une impression de victoire. Maintenant,
il en avait la ferme certitude. Elisa et Laurédane étaient
évidemment la même personne.
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Son ordinateur
ronronnait de ses watts qu’il voulait refroidir.
Guillaume assis
devant lui préparait ses doigts qui allait bientôt parcourir son
clavier de sa prose alerte. Devant lui l’écran diffusait les
premiers mots du rendez-vous quotidien qu’il avait avec Elisa :
«
- Guillaume ! Es-tu là ? Elisa… »
Il les regardait fixement
ne pouvant se décider de diffuser sa première réponse.
Qu’allait-il lui dire ? Lui montrer qu’il avait tout compris
qu’elle était Laurédane ?
Il engagea ses premiers mots d’une
frappe sûre et décidée, mais au moment d’appuyer sur envoyer, il
hésita une dernière fois.
Un message s’afficha de nouveau sur
son écran :
« - Oui ! C’est moi !
Laurédane. Je sais que tu es là, je le ressens… Réponds-moi !!!!
»
Le sang semblait bouillonner dans ses veines, ses mains se
mirent à trembler avec ces deux mots :
- Je sais !
- Est-ce
que je t’ai blessé ?
Sa réponse se fit attendre :
- Oui !
Non ! Je ne sais pas…
- Je n’osai pas t’aborder, mon mari,
ta femme… Il me fallait trouver un moyen pour le faire.
- Mais
c’est moi ou mes écrits qui t’ont en premier séduite ?
- En
fait, tu m’as toujours attirée, enfin je veux dire physiquement,
dès la première fois où je t’ai vu. Un jour, j’étais dans la
boulangerie quand tu as parlé à la commerçante de ton site
internet et des poèmes que tu écrivais. Le soir même je me suis
connectée et t’ai envoyé ce premier petit mot. Puis, je me suis
débrouillée pour rencontrer ta femme, au fitness, c’était
facile. Les gens sont si froids et réservés, j’ai engagé la
conversation et nous sommes facilement devenues amies. Et voilà,
j’ai pu t’approcher, te voir avec la complicité involontaire de
nos conjoints respectifs. »
L’explication était parfaite,
logique. Elle étonnait Guillaume, qui ne s’était aperçu de rien
avant l’approche du jardin botanique. Il continua ses questions
:
« Mais pourquoi as-tu attendu si longtemps pour me faire
connaître tes sentiments ?
- Je n’étais pas certaine que tu
les acceptes. Ta vie semblait si tranquille, idéale de bonheur.
J’avais peur de bêtement m’imposer. Puis tes mails devinrent
plus câlins et je compris que j’étais peut-être celle que tu
attendais.
- Oui ! Répondit-il en caractères gras. Tu fais
partie de mes pensées, jour et nuit, mon cœur t’accompagne dans
tes moindres gestes, je désirai tant te connaître et en fait, tu
étais là sans que je m’en aperçoive, je n’étais qu’un fou
aveugle jusqu’à ce jour ! »
Ils refermèrent les
guillemets sur des mots empreints de tendresse et se promirent
d’organiser un rendez-vous amoureux.
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Guillaume et Laurédane avaient
remplacé leur conversation électronique par des coups de fils
réguliers. Puis le jour vint où ils se retrouvèrent pour assouvir
le désir qui s’était insidieusement ancré en eux.
Allongés
l’un à côté de l’autre, ils se racontaient leurs vies
respectives, accentuant leurs propos sur des moments marquants de
leurs existences. Il effaça ou du moins parla peu de sa descente aux
enfers provoquée par son problème d’alcoolisme, parla de sa
jeunesse plutôt heureuse, des études littéraires qui lui avaient
permis d’obtenir un poste dans une librairie et puis il s’engagea
sur sa passion, l’écriture des poèmes :
« Est ce vrai que tu
les apprécies ou bien ?
- Oui ! chuchota-t-elle en se lovant
contre lui. J’en aime chaque mot, chaque rime ! »
Il la
regarda tendrement, l’a pris dans ses bras, lui affirma qu’il
l’aimait.
« Si ma femme n’était pas mon seul moyen de
subsistance, je divorcerai et t’épouserai sur-le-champ ! lui
avoua-t-il une fois de plus. »
Elle connaissait parfaitement sa
situation. La sienne était d’ailleurs similaire et de toute façon
cette liaison coupable lui convenait tout à fait.
Lui adorait cet
émoi provoqué par leurs illicites retrouvailles, cette attente
insidieuse qui lui burinait le ventre, exaltait son âme. Sa vie en
avait retrouvé un piment qui jusqu’à présent lui manquait…
-----------------------------------------------
Céline
ne semblait s’être rendu compte de rien, elle présentait toujours
la même gaité et ne semblait même pas gênée par la rareté des
messages d’affection de son mari. Il est vrai que leurs ébats
amoureux n’avaient jamais été très assidus et que des semaines
pouvaient défiler sans entrevoir la moindre explosion orgasmique.
Elle s’absentait de temps en temps pour des petites balades à
Paris ou Londres et lui en profitait pour retrouver sa dulcinée, que
son businessman de mari laissait seule pendant quelques-unes de leurs
dates concordantes.
On était un jour d’octobre, le vingt
neuf exactement. Ils s’étaient retrouvés à la terrasse d’un
café de Genève. Un petit troquet où ils aimaient régulièrement
joindre leurs flammes. Ils étaient assis l’un à côté de
l’autre. Il la tenait par l’épaule et à intervalles réguliers
déposait ses lèvres sur les siennes. Ils se sentaient bien, heureux
de leurs sentiments partagés.
« Tu me le paieras ! »
Ces mots prononcés dans son dos lui glacèrent le
sang.
Il se mit à avoir peur de comprendre.
Il se retourna
lentement, un flash d’appareil photo l’éblouit.
Céline
était là, livide. Elle semblait vouloir leur cracher sa colère. Un
homme habillé de noir les mitraillait des clicks qui imprimaient sa
pellicule.
« Je vous fais suivre depuis plusieurs
semaines. Tu me trompes avec cette… cette pétasse ! hurla Céline.
- Je… Il voulait balbutier quelques mots de défense, mais
compris qu’il avait été pris la main dans son adultère et que
c’en était fini de son mariage. »
Elle lui tourna le dos
en lançant un dernier :
« Tes valises t’attendent à ma
porte, tu auras des nouvelles de moi par mon avocat. »
Laurédane
ne disait pas un mot, elle le regardait gênée.
« Aucun
problème ! lui dit-il le souffle un peu court. Je vais trouver un
travail, j’ai mis un peu d’argent de côté. Puis se forçant un
petit rictus qu’il aurait voulu être sourire, il continua, on
refera notre vie ensemble, notre amour pourra s’épanouir au grand
jour, je serai enfin pleinement satisfait ! »
Elle ne répondit
rien, ses yeux devinrent tristes, elle abaissa ses paupières pour
lui cacher son émotion. Puis elle posa sa main sur la sienne, ouvrit
la bouche, puis la referma en pinçant les lèvres comme si elle
n’osait pas ou plutôt comme si elle voulait jauger le tact des
mots qu’elle devait prononcer. Puis elle le conforta de ces mots
:
« Ne t’en fais pas tout va s’arranger ! »
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Le divorce fut rapidement
prononcé, sans appel, sans le moindre doute, jugeant la complète
défaveur de Guillaume et le mettant à la rue sans la moindre
ressource.
Quant à Laurédane, il ne la revit plus jamais, elle
disparut de sa vie sans le moindre mot, la moindre explication. Il
avait compris que son aura s’était envolée avec la perte de son
confort et que le charisme qu’elle lui avait trouvé ne pesait pas
lourd devant son infortune. Il avait tout de même, au début, essayé
de la revoir, s’était pointé à sa porte, mais elle ne portait
déjà plus son nom, un couple de gens âgés avait emménagé à
leur place.
Devant son désarroi, ils l’avaient reçu pour
boire le thé.
« Non ! lui avaient-ils dit, ils n’avaient
jamais rencontré de Laurédane. A leur connaissance, l’homme, un
certain Paul, un célibataire, leur avait vendu cet appartement à un
prix d’ailleurs tout à fait raisonnable. »
Il les avait
quittés un peu désabusé de son incompréhension. Mais se plongeant
dans son malheur, il ne chercha même pas à comprendre.
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Il était allé
vivre à Saint-Genis dans une petite chambre de bonne insalubre,
gagnant un maigre pécule à l’aide de boulots précaires. Puis ce
fut l’alcoolisme qui le rattrapa. Des litres de mauvais rouges qui
le jetèrent pour de bon dans la rue faisant de lui un clochard, un
mendiant, un rebut de la société.
Un jour, il se retrouva
sur les marches de l’église de Divonne à quémander une aumône
de subsistance.
Il était barbu, amaigri, vêtu des derniers
haillons qu’il avait récupérés au service de la Croix-Rouge. Son
inséparable kil de vin enroulé dans du papier journal se tenait
lové contre son flanc. Sa main tendue tenait une boîte de conserve
vide qui teintait d’une musique nasillarde à chaque fois qu’une
petite pièce heurtait son fond métallique.
« Tiens mon
brave ! » dit une voix féminine qu’il crut reconnaître.
Les
jambes fuselées de la belle filèrent devant son regard baissé. Il
leva les yeux pour l’observer. Puis une goutte de sueur perla sur
son front accentuant un peu plus la crasse de ses cheveux. Il venait
de la reconnaître. Céline ! Sa Céline qui l’avait sorti du
caniveau pour quelques années plus tard l’y remettre.
Elle
était toujours aussi belle, avenante, riche. Un homme s’approcha
d’elle, l’a pris par la taille et l’embrassa tendrement.
«
Je vous présente mon mari ! dit-elle à un couple qui se tenait à
côté d’elle. »
L’homme les salua, les entretint de
quelques mots de civilité puis gardant sa main lovée dans celle de
Céline se tourna dans la direction de Guillaume.
Caché
derrière ses poils grisonnants, il fut presque pris d’un malaise
en le reconnaissant et compris ou du moins essaya de ne pas vouloir
croire à la triste réalité.
L’homme qu’il voyait,
celui qui était maintenant au bras de son ancienne compagne !
Cet
homme…
C’était Paul !
épilogue
Cette
dernière rencontre prit place quelques temps après la découverte
de la tromperie et la demande en divorce.
Ils s’étaient tous
trois retrouvés dans le parc Lagrange de Genève.
Ils avaient
l’air heureux, contents de ces retrouvailles.
Ils plaisantaient
et riaient de cet infernal et machiavélique stratagème que Céline
avait inventé pour se débarrasser de son insipide mari.
Paul
embrassa Céline sur la joue en lui envoyant un :
« Tu es
géniale ! »
Céline sortit de sa poche une enveloppe d’où
dépassait une confortable liasse de billets, puis, les égrena
devant Laurédane qui elle-même comptait la justesse de la
rémunération.
« - Tenez ! dit-elle, voici les dix mille Euros,
comme convenu ! »
Laurédane empoigna la somme avec un
frissonnement de bonheur et répliqua :
« Merci, et si
vous avez encore besoin de moi, ce sera avec plaisir. Vous connaissez
l’adresse de mon agence d’escorte, ils savent où me joindre ! »
Elle finit sa réponse par un :
« Salut les tourtereaux
! » Puis elle s’éloigna rapidement de sa démarche balancée pour
disparaître au détour du chemin.
« Jolie fille plaisanta Paul,
espérant voir un rictus de jalousie endurcir la bobine de Céline. »
Elle se crispa effectivement à cette remarque.
Pour la
rassurer, Paul la prit tendrement dans ses bras, l’embrassa et lui
chuchota :
« Tu es celle que j’aime ! J’ai hâte d’entendre
ton divorce prononcé et de pouvoir enfin vivre avec toi ! »
Elle
sourit.
« Ne soit pas si impatient ! dit-elle d’une façon
câline. Nous serons bientôt débarrassés de mon abruti de mari et
je pourrai transformer ta condition de célibataire endurci en celle
de mon époux ! »
Puis, ils rejoignirent un banc qui leur
offrait une vue splendide sur la roseraie en plein épanouissement.
Il l’entoura de son bras.
Elle se lova contre lui.
Ils
étaient seuls au monde…
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