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26/06/2013  Un hot mail glacé

audio 10/01/2016 

première partie audio

deuxième partie      troisième partie

J’ai lu tous vos poèmes, j’ai adoré !

 Ce simple petit mot fut le début de cette étrange histoire. Il s’appelle Guillaume, il a quarante ans, plutôt bel homme, intelligent, certainement séducteur avec ce regard qui réchauffe votre esprit. Il est également marié et fidèle. Un homme parfait me direz-vous. Et bien non pas tout à fait ! Il est fainéant et cette fainéantise est, je dirais, la cause première de sa fidélité. Il est marié à Céline, qui n’est pas seulement superbe mais également extrêmement riche. Leur première rencontre ils l’ont faite à Gex dans un local dont la porte est située dans le Passage de la Visitation. Oui ! Vous avez deviné, il s’agit bien de l’Association des alcooliques anonymes. Ils étaient assis l’un à côté de l’autre et chacun à leur tour ils décrivirent la tristesse d’une vie défaite par l’abus de boissons  alcoolisées. Au fil des séances ils apprirent à se connaître. Elle venait d’une famille très aisée, ne travaillait pas, vivant largement de la fortune que lui avait laissée son père. Lui, par contre, était très pauvre, au chômage depuis de nombreuses années et se complaisait dans sa pochardise et sa lente clochardisation. Pourtant, une tendresse étrange, une attirance bien improbable s’étaient glissée entre eux. Un amour que l’on n’aurait jamais pu supposer possible. Un besoin grandissant de se voir.
D’abord durant ces séances de réhabilitation qu’ils n’auraient manquées pour rien au monde. Un jour pendant l’écoute d’un de leurs acolytes, il avait posé sa main sur la sienne. Elle avait frémi, avait répondu par une caresse sur ses doigts. Puis il y eut cette brûlure de désir qui soudainement enfiévra son ventre, ce désir charnel qui l’avait quittée depuis des années venait de réapparaître avec cet homme, qui aurait pourtant dû lui paraître sans saveur, sans intérêt.
Il faut croire que l’adversité unit les êtres. Ils se retrouvèrent rapidement plongés dans une relation amoureuse qui leur permit de sortir de leur détestable travers.

Cet amour impossible les aida à s’extirper de l’impasse que leur imposait l’ébriété et ils servirent d’exemple à la communauté des alcooliques, prouvant, qu’aucune fatalité ne devait rester insurmontable.

Leur mariage fut rapidement décidé. La belle Céline eut pourtant un dernier doute sur la sincérité de son amour et le contrat de mariage fut rédigé avec cette implacable clause : en cas de divorce, Guillaume n’aurait aucun droit sur sa fortune !

Cette précision importante établie, le couple entama une vie d’oisiveté et d’égoïsme heureux.

Guillaume, pour occuper son désœuvrement, s’était mis à écrire des poèmes et à les publier sur son site internet. Céline, quant à elle, passait le plus clair de son temps à arpenter les beaux magasins de Genève et à fréquenter les salons de beauté dont elle n’avait en vérité nul besoin.

Et tout continua parfaitement bien, jusqu’au jour, de ce fameux mail…  

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« J’ai lu tous vos poèmes, j’ai adoré ! »

La phrase était concise, mais l’enchanta au plus haut point. Depuis des mois il se morfondait dans l’attente d’un acquiescement qui lui prouverait son talent. Il regardait inlassablement son compteur de connexions qui avançait tristement à pas d’escargot. Il s’évertuait pourtant à travailler son écriture, cherchant inlassablement les rimes adéquates, réorganisant la tournure de ses phrases, voulant atteindre sa perfection. Sa perfection.
Son approbation qu’il estimait de la plus grande délicatesse. Sur la centaine de poèmes qu’il avait écrits, seule une vingtaine lui avait semblé suffisamment digne de figurer parmi ceux qu’il auto publiait.

Ce petit compliment, qui sortait de l’espace infini des connexions d’internet, le remplit d’une joie immense, sans commune mesure avec l’insignifiance de cette simple remarque. Il envoya tout d’abord une courte réponse :

« Merci ! ».

Il ne chercha même pas à savoir qui était derrière cette appréciation de son travail. Heureux il continua la suite de ses jours…

Céline était belle, elle remarqua le bonheur de son mari et lui demanda la raison de ce brusque contentement. Il lui expliqua la brièveté du message et la fierté qui l’avait envahi. Céline l’embrassa tendrement, ses lèvres pulpeuses lui léguèrent cette couleur de fraise, sa peau caressa la sienne, leur complicité fusionnait un peu plus, alliant leur différence dans une symbiose féerique.

Le lendemain Guillaume se leva, l’esprit brouillé par une nuit comblée d’un court sommeil où une foule en délire l’acclamait et le portait au firmament de nos grands écrivains. Devant son écran il tapota quelques instructions qui rapatrièrent l’ensemble de ses mails. 

L’un d’eux lui sauta aux yeux ;

« J’attends votre prochain écrit avec impatience… »

Le mot n’était pas signé et c’est alors qu’il s’intéressa à l’adresse elisa@hotmail.com avec comme commentaire : perdue dans ton regard.

Plus que l’adresse, c’est l’annotation qui l’intrigua. C’est alors qu’il retourna sur ce déjà ancien message qui le félicitait de ses écrits.

Et bien oui ! Il émanait de la même personne. De cette groupie qui l’avait si judicieusement enchanté.

Une brûlante envie le prit de vouloir connaître un peu plus, la personne qui se trouvait à l’autre bout de sa ligne virtuelle.

D’où était-elle, comment avait-elle pris connaissance de son site, pourquoi aimait-elle ses poèmes?

Quelque peu gêné de lui dépêcher une foultitude de questions, ayant peur de la rebuter, il s’engagea dans une correspondance qu’il voulut adroite :

 « Bonjour Madame! Avait-il commencé poliment. Je m’apprête justement à faire paraître mon tout dernier écrit que je crois d’une facture tout à fait convenable! Ce ne sont que quelques rimes qui j’espère vous plairont ! Puis il continua. Pardonnez ma curiosité mais, pourriez-vous me dévoiler la manière dont vous avez trouvé mon site?
Un hasard, une recherche, un mot soufflé d’un ami?
Enfin il termina sa requête : Dans l’espoir de l’amabilité de votre réponse et en vous remerciant encore pour votre intérêt… ».

 Dehors le temps s’était mis à l’orage, une pluie torrentielle s’abattait depuis quelques jours sur le pays de Gex et tout le monde semblait vouloir rester cloîtrer dans sa demeure en espérant enfin pouvoir bientôt profiter du printemps naissant.

 Guillaume attendait la réponse de cette fameuse « elisa » mais elle ne vint pas. Il en fut tout d’abord contrarié, ne comprenant pas qu’elle ignore la question qu’il lui avait posée. Peut-être ne voulait-elle pas engager la conversation à un stade plus personnel! Les jours défilèrent sur le beau temps qui venait de réapparaître. Céline commença à s’habiller de couleurs printanières et le mois de mai pointa son nez.

 Profitant de la venue d’une chaleur soudaine, ils avaient retrouvé les plaisirs de leur jardin. Un grand parc avec piscine, soigneusement gardé des regards indiscrets. L’endroit était impeccablement tenu par une entreprise de jardinage, les fleurs embaumaient, les abeilles bourdonnaient de plaisir et notre ami le soleil riait de tous ses feux.

Allongés côte à côte, les deux amoureux se laissaient envahir par une mélopée angevine que diffusait leur lecteur de disques compacts.

Sa femme s’était presque totalement dénudée et laissait son corps huilé à la simple appréciation de son mari. Lui avait gardé sa chemise, un short aux tons soixante-huitard et un large chapeau dont l’ample rebord le couvrait de son ombrage.

Elle dormait ou, du moins, semblait dormir.

Lui la regardait, l’admirait, la maternait du regard. Il savourait la chance d’être sien et retraçait avec bonheur son parcours difficile, couronné par ce merveilleux aboutissant que représentait son mariage.

Qu’aurait-il pu espérer de mieux ?

L’homme de rien, qu’il avait toujours été et qui par un heureux hasard était soudainement devenu l’homme de tout. Il songea à ces quelques mois qui avaient éclairé sa vie en lui donnant pour toujours la fortune, la jouissance de sa paresse et la beauté d’une compagne idéale.

Le corps de Céline se mit à frissonner de ce frémissement de plaisir que peut apporter un rêve enchanteur, son visage se teinta d’une légère rousseur et un soupçon de sourire étira sa bouche légèrement entrouverte. Elle était heureuse, plongée dans la protection de ses paupières closes, arrosée des rayons de ce soleil bienveillant, enivrée d’odeurs printanières. Elle balbutia soudain quelques mots inintelligibles, pinça ses lèvres dans la forme du baiser, ferma ses mains sur les rebords de la chaise longue et se cambra avant de sombrer de nouveau dans l’inconscience de son sommeil.

 Guillaume  qui ne l’avait pas quittée des yeux, ressentit un violent émoi, réponse de ce qu’il savait être l’appel de la chair. Sa main se posa sur son bras, qu’il caressa tendrement, ses yeux éffleurèrent son ventre plat, le galbe parfait de ses jambes, mais son empressement s’arrêta là. Il ne voulait surtout pas la déranger, lui ôter le plaisir évident que son esprit était en train de recréer.

 « Elle pense à moi ! »Se dit-il.

 Puis ce fut à son tour de fermer, de verrouiller son regard, de se plonger dans des songes qu’il voulait absolument sublimes. Et son esprit décolla en direction de son bonheur.
Céline se trouvait devant lui, nue, elle lui souriait, l’appelait de ses bras enjôleurs.
Il s’approcha.
A l’instant même où il allait la toucher, sa forme se mit à vaciller, elle devint transparente, inconsistante et se noya dans les volutes humides qui l’entouraient. Une forme indécise prit lentement sa place, on ne reconnaissait pas vraiment son visage, ne discernait pas avec précision les contours de son corps, mais on devinait une beauté exceptionnelle. Seul, son regard se fit clair, il fixa Guillaume de sa douceur cristalline.
Puis, quatre mots glissèrent timidement dans sa pensée. « Perdue dans ton regard. »

 « Elisa » S’écria-t’il…

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Guillaume s’était mis à penser de plus en plus à son étonnante correspondante. Elle ne lui avait prodigué que quelques phrases, mais il en était complètement retourné. Il n’avait pas osé lui écrire, attendant d’elle une réponse hypothétique, et il s’était mis à penser à elle d’une façon presque obsessionnelle, elle était présente à ses côtés à chaque instant de sa vie. Il en avait fait sa confidente, sa muse, sa conscience. Il la voyait à ses côtés, l’entendait lui susurrer des mots câlins. Il s’interrogeait sur son avis, sur la réaction qu’elle pourrait avoir à chaque instant de sa journée. C’est alors qu’il se mit à lui composer un poème.

Les mots ! Il les trouva facilement. Les phrases s’enchaînèrent dans une continuité évidente, il lui fut inutile de peaufiner cet écrit qu’il destinait à son adorable inconnue car, il le trouvait parfait, divin, le reflet exact de son cœur.

Par le plus étrange des hasards, ce même jour, il reçut enfin cette réponse tant attendue. Une réponse qui lui arriva un peu telle une excuse :

« Mon ordinateur était en panne !

Puis elle répondit à la question posée…

Je recherchais un site de poème et le vôtre m’a charmée ! Puis elle continua.

Dès que ma connexion fut rétablie, je me suis ruée sur votre site et j’ai dévoré à nouveau, avec un immense plaisir, l’ensemble de vos œuvres !

Tendres pensés…

Elisa. »

Guillaume fut enveloppé d’un bien être d’une incroyable douceur. Son souffle fut raccourci par les battements rapides imposés à son cœur et une moiteur de plaisir humecta ses mains et son front.

Il s’apprêta à se jeter sur son clavier, lui dire des mots tendres, la remercier de sa réponse. Mais, au dernier instant il réfréna son empressement.

Non ! Il allait attendre. La faire patienter quelques jours, il ne voulait pas lui montrer l’importance que son message représentait pour lui.

Il arrêta son ordinateur.

Laissa son dos écraser le dossier de sa chaise, étendit ses bras hauts dans le ciel et grommela de plaisir…

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Le printemps avait atteint son apogée apportant avec lui son cortège d’épanouissement floral, sa cohorte d’arbres colorés et de senteurs délicates.

Céline était plus belle que jamais. Elle quittait peu la maison et avait affirmé à son cher et tendre époux qu’elle se sentait bien à ses côtés et qu’elle ne ressentait plus vraiment le besoin de s’enivrer d’emplettes. Ils passaient la plus grande partie de leur temps à profiter de leur domaine et recevaient peu.

Essentiellement un couple de nouveaux amis que tous deux appréciaient particulièrement.

Paul et Laurédane étaient vraiment faits l’un pour l’autre. Elle était blonde, élancée, avec un visage submergé de douceur, une clarté dans les yeux que l’on aimait soutenir, une voix qui vous berçait le cœur, un souffle de vie qui vous charmait quel que soit votre genre.

Lui était un bel homme, ce genre de mec que l’on voit dans les magazines, musclé à souhait avec ce visage carré et viril, ces sourcils froncés. Ce qui l’avait un peu choqué c’était la différence d’intellect ou plutôt d’éducation qui les séparait. Mais, n’était-ce pas la même chose avec son propre couple?

Guillaume était assis à l’ombre d’un cerisier, et le chapeau penché sur ses yeux mi-clos, il observait les deux tourtereaux, qui, pour le moment, s’ébattaient dans l’eau de sa piscine. Paul s’approcha du côté qui lui faisait face et fut bientôt rejoint par sa femme, qui se suspendit à lui et, tout en lui caressant les cheveux, posa ses lèvres sur les siennes. Puis il se retourna et, les mains à plat sur le rebord, poussa fortement sur ses bras pour s’extirper des flots.
Sa musculature mouillée brilla sous le soleil. Céline, qui non loin de là se faisait bronzer tout en compulsant un magazine, poussa vers le bas la monture de ses lunettes et sembla apprécier le spectacle de ce beau mâle. Laurédane, quant à elle, s’engagea sur la petite échelle et rejoint à petit pas, sautillant sur la pointe de ses pieds, son magnifique mari. Ils allèrent retrouver Céline et engagèrent une conversation qu’il n’entendit pas mais qu’il comprit être amusante, car elle était ponctuée de rires et gloussements de bonheur.

« Viens nous rejoindre ! cria Céline à son encontre.

- Je préfère éviter le soleil ! Murmura-t’il avant de fermer les yeux. »

Guillaume se laissa submerger par ses pensées et partit à la rencontre de ce nouvel amour !

Elisa, sa douce Elisa, qui avait peu à peu envahit la fibre de son âme. Leur conversation était devenue maintenant quotidienne, il savait tout d’elle. Elle était brune, informaticienne, plutôt jolie, sportive, sensible, dans la trentaine. Leurs chemins semblaient tellement semblables, parallèles. Il avait l’impression de la connaître depuis toujours et avait compris que la même sensibilité les animait.

Habitait-elle loin d’ici ? Il ne le savait pas, c’était un détail qu’elle avait toujours omis de lui indiquer. Il avait abordé cette question à plusieurs reprises, mais elle avait toujours feint de  ne pas l’entendre et avait contourné la réponse par sa simple ignorance.

Ce soir il allait lui envoyer son poème, celui qu’il avait composé depuis longtemps déjà, mû par un élan de passion soudaine.

Il s’endormit.

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Il était tard et leurs amis venaient de les quitter. Céline avait rejoint son lit et comme chaque nuit il s’était retrouvé devant son clavier à tapoter le message à son idylle. Ses mails, il ne les gardait pas dans sa boîte aux lettres mais les cachait dans un dossier secret, enfoui dans l’un de ses disques durs.

Ce soir il commença ainsi son monologue :

 « Ce poème, je l’ai créé pour toi ma belle, ma muse, ma dulcinée. Il est le reflet de mon cœur, le sentiment qui m’anime et qui me guide vers toi. Je pleure ! »

   J’ai souvent considéré ma vie comme étant morne et sans surprise

Jusqu’au jour où votre message m’a rafraîchi de son étrange brise.

C’est à l’intérieur de mes songes que je vous ai regardée

Et dois-je vous le dire ? Ce que j’ai vu, je l’ai vraiment aimé.

 

Nous avons peut-être échangé des propos sans importance,

Mais toutes ces phrases murmuraient que j’avais de la chance.

Chance du hasard qui nous procure tant de choses

Et que j’osai symboliser en un parterre de roses.

 

Notre conversation silencieuse me marquait de votre emprise.

Et  mon existence se mit à souhaiter que jamais elle ne se brise.

Etrange sensation de ne pas vraiment vous connaître

Mais d’avoir le sentiment que vous appartenez à mon être.

 

Seul ce vil adversaire, la distance, nous sépare,

Mais celle-ci reste pour moi un salutaire rempart.

Mon clavier restera à jamais l’unique façon de vous parler.

Et mes yeux clos le désir d’un jour pouvoir vous contempler…

 Il signa Guillaume et envoya le message…

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