«
Dès la
première seconde j’ai su qu’il fallait
que je comprenne.
Alors ! J’ai mis ma tête entre mes mains,
j’ai posé mes coudes sur la table et
j’ai médité.
C’est bizarre comme l’esprit peut divaguer
à la recherche de multiples
solutions. Le mien aime regarder à travers quelques indices
insignifiants,
cherchant à débusquer le fil conducteur qui
déjouera l’ensemble du mystère.
Car mystère, il y avait. Ayant résolu tant
d’énigmes durant ces dernières
années, j’étais bien
décidé à
déjouer celle-ci dans les plus brefs délais. Mais
où commencer, comment cheminer jusqu’à
l’évidente solution. Je savais par
expérience que son esprit malicieux et tortueux pouvait
imaginer
quelques
histoires au premier abord complètement farfelues, mais qui
imposaient
immanquablement leurs cohérents dénouements.
Je me laissais donc bercer par ces quelques mots qui me laissaient dans
la plus
étrange attente. Le doigt qui n’était
plus présent, l’ombre !
De quel type d’ombre m’entretenait-il ?
Mais d’où pouvait bien provenir cette
étrange allégation... »
La sonnerie de sa montre le tira de sa rêverie. Dans une
heure il devait aller
au rendez-vous hebdomadaire qu’il avait avec sa
mère.
On était vendredi soir, l’un de ces soirs de fin
de semaine où l’on a envie de
profiter de ses premiers moments de tranquillité du
week-end. Il sauta dans sa
voiture en direction de Divonne.
C’était dans cette petite ville qu’elle
vivait.
Une immense maison de maître où elle
régnait en seigneur incontesté depuis le
décès lointain de son mari.
Il avait une bonne demi-heure devant lui, il se gara prêt du
casino, il voulait
arpenter les ruelles de Divonne pendant le temps qu’il lui
restait. Il prit le
chemin du centre-ville, s’engagea dans la rue Fontaine pour
aboutir sur ce
petit chemin qui longeait les bords de la Divonne. Les deux mains
cramponnées
sur une barrière, il observa le flot continu de
l’onde rapide, s’imaginant un
instant être un poisson filant dans la fraîcheur de
cette eau réputée pour ses
qualités curatives. Puis il se reposa quelques courts
instants, assis sur un
banc de cette minuscule place marquant le partage inégal des
eaux.
Puis il continua sa promenade en direction de la place des trois
fontaines où
un groupe de jazz s’époumonait à des
musiques de la lointaine Louisiane. Puis,
il enchaîna en direction de cette large allée
bordant le parc où s’ébrouaient
de nombreux gamins sous la surveillance attentive de leurs
géniteurs. Devant
lui se profilait cette immense maison habillée de blanc qui
acceptait avec une
grâce ancestrale la clarté du couchant.
Pénétrant dans la
propriété, il fût surpris par la
présence de trois voitures
qu’il reconnut comme celle de ses frères et de sa
sœur.
Il sonna à la porte.
Un major d’homme ouvrit et annonça d’un
ton emprunté :
« Nous n’attendions plus que vous ! »
Ernest Puppa, le fameux inspecteur de police du pays de Gex
pénétra dans la
maisonnée…
----------------------------------
Ernest pénétra dans le grand hall. Tout de suite
il fut envahi par les effluves
de son enfance. Il n’y avait pas essentiellement cette odeur
caractéristique
que possède chaque maison, mais également les
couleurs qui n’avaient pas
changé, ce marbre blanc et froid qui avait si souvent
reçus ses glissades
d’enfants. Cet immense escalier qui avait
expérimenté ses ambitions de
cascadeurs. Il se revoyait glisser à califourchon sur la
rampe sa montre
chronomètre serrée entre ses doigts. Quatre
secondes trois dixièmes, c’était
son propre record de descente.
Son regard se posa sur cette petite porte en chêne massif qui
s’ouvrait sur le
chemin du sous-sol. Avec sa chambre c’était
certainement le lieu qu’il avait le
plus fréquenté dans cette demeure. Une succession
de petites caves mal éclairées
de recoins secrets avaient exacerbé son imagination
d’enfant. C’est à cet
endroit qu’il avait résolu ses
premières énigmes de policier en culotte courte.
Il résolu le mystère des disparitions des
bouteilles d’un fameux vin de son
père, qui en fait était volé par une
femme de chambre un peu pocharde, il avait
découvert la cachette de ce rat qui avait détruit
la cage à fromage.
Puppa sourit en se remémorant tous ces bons souvenirs.
Paul le majordome se racla la gorge. Il attendait Ernest avec une sorte
d’impatience, debout sur la quatrième marche de
l’escalier central. Pourquoi
voulait-il lui montrer le chemin des chambres ?
« Maman n’est pas dans le salon ?
Interrogea Puppa.
-Votre mère est souffrante, elle a eu un malaise cette
après-midi ! Dit-il froidement.
-Personne ne m’a averti ! Répondit Ernest qui
furieux dépassa Paul pour se
rendre en quelques secondes dans la chambre de sa mère.
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« Ernest ! Mon petit, te voilà enfin !
-Maman, mais que t’est-il arrivé !
-Je crois bien que c’est la fin ! Répondit-elle
d’une voix bredouillante.
Ernest lui prit la main. Il ne ressentit plus cette vigueur qui
l’animait
d’habitude.
-Ne dis pas des bêtises !
Elle esquissa une petite grimace qu’elle aurait voulu
être un sourire Ses yeux
pointèrent vers une chaise qui lui était
destinée.
-Assieds-toi mon petit, il faut que je vous parle ! Puis de lassitude,
elle
ferma les yeux.
Puppa comprit qu’il lui fallait obéir. Il alla
s’asseoir en évitant de faire le
moindre bruit.
Sa mère restait là, devant lui totalement
immobile. S’était la première fois
qu’il la voyait si fatiguée,
vulnérable. Les joues creusées, les
lèvres
blanchies par la fatigue, de grosses paupières qui
semblaient saillir de son
visage émacié. Pourtant la semaine
dernière, il n’avait rien remarqué,
elle
avait semblé jouir de sa forme habituelle, lui parlant de
ses dernières
lectures, des souvenirs de son enfance.
S’inquiétant de la santé mentale de sa
fille.
Et justement, elle était là.
Hélène, sa fille ! La sœur
d’Ernest. Debout dans
un coin de la pièce.
Pourquoi était-elle ici ? Il ne l’avait pas revue
depuis
au moins cinq ans et
en vérité cela ne le chagrinait guère.
Elle avait
toujours été l’enfant
gâté de
la famille.
« Elle est plus fragile que les autres ! »Disait sa
mère.
Pour Ernest, elle avait toujours été la petite
peste, jalouse de tous, qui
enchaînait frasques et bêtises tout en jouissant de
la clémence familiale. Les
années avaient passé sans apporter la moindre
amélioration. Au contraire, au
début des années deux mille, elle
était devenue folle. Une démence
paranoïaque
qui avait irrémédiablement fait le vide autour
d’elle. Il se souvint de cette
scène où pendant un repas familial, elle avait
insulté tout le monde.
« J’en ai marre d’être
surveillé jour et nuit, que vous fouillez mon
appartement en mon absence, que vous me fassiez suivre dans la rue !
» Puis
elle avait quitté la maison en claquant la porte.
Etait-ce son divorce qui l’avait rendue ainsi, ou simplement
un état latent qui
avait fini par resurgir ? Le fait et que depuis cette triste invective,
il ne
l’avait pratiquement plus revue et il ne s’en
portait pas plus mal.
Comme à son habitude elle portait d’opaques
lunettes noires qui lui
permettaient, un peu plus, de se confiner dans son moi
intérieur. Elle remuait
ses doigts avec anxiété,
brûlée par le manque de son inséparable
cigarette, de
cette clope qu'elle ne quittait qu’à de rares
occasions le réconfort de sa
bouche. En la dévisageant à la
dérobade, Ernest considérait les ravages
physiques évidents qu’avaient causés
cette amie mortelle, une peau fatiguée,
des rides profondes avaient prématurément conquis
son visage et lui donnaient
un âge et une posture digne d’une ancienne harpie
de furieux contes médiévaux.
Le regard de Puppa continua son chemin pour se poser sur son
frère aîné.
Alban ! L’intelligent Alban, le surdoué de la
famille, émérite polytechnicien
qui gérait une entreprise financière sur
Genève.
Etant donné son importante différence
d’âge avec lui, il ne le connaissait
vraiment pas très bien.
Il n’était qu’un petit garçon
lorsque son frère était parti vivre sa vie aux
Etats-Unis.
Il y a trois ans de cela, suite aux problèmes
économiques Américain de l'année
2011, il avait choisi de retrouver la région de son enfance
et s’était retrouvé
à la tête d’une firme suisse.
La cinquantaine bien entamée, il possédait une
prestance convoitable. Droit
comme un I, il était habillé d’un
costume sombre confectionné par l’un de nos
meilleurs couturiers. Son visage était
hâlé par le soleil des tropiques. Ses
yeux brillant comme de la braise contenaient ce regard que
l’on avait tous, du
mal à soutenir. Ses tempes légèrement
grisonnantes accentuaient le respect que
l’on sentait lui devoir. Et puis, surtout, il avait cette
voix grave, certaine
de son fait, habituée à donner des ordres,
à demander une obéissance
immédiate.
Pour le moment, il restait devant le lit de notre mère,
immobile, le visage
fermé. Ses deux mains aux doigts entrecroisés
démasquaient l’angoisse qui
devait, à cet instant le submerger. Elles étaient
agitées d’une activité
intense, chaque doigt essayant nerveusement de trouver la place
qu’il semblait
être incapable de découvrir.
Et puis il y avait Serge, son deuxième frère. Le
Baba-cool, d’une originalité
bohème, d’une divagation soixante-huitarde. Il
avait gardé les cheveux longs,
mal peignés, délavés par le soleil,
qui entourait un visage aux allures de
prophète. Il resplendissait de cette pureté
naïve de l’enfance, de ce bonheur
sans honte que l’on possède avant le discernement
circonspect de l’austérité de
la vie. Puppa l’aimait tout particulièrement, il
éprouvait pour lui un
sentiment protecteur, une juste opinion qu’il
était de son devoir de surveiller
cet être qui avait tant de mal à sortir de sa
juvénilité. Souvent son
hospitalité protectrice avait calmé ses chagrins
et interrogations.
Serge se sentant observer leva ses paupières qu’il
avait tenues jusqu’alors
fermées et regarda Ernest semblant lui demander de lui
octroyer un évident
réconfort. Ernest lui répondit par un petit
sourire qui instantanément dérida
la crispation de son visage et ses lèvres
s’entrouvrirent semblant lui murmurer
:
« Tout va bien, je serais toujours là !
»
Serge se mordit les lèvres, il avait envie de pleurer et
espérait par ce
pincement, éviter cette attitude de faiblesse.
Puppa scruta en détail chacun de ses traits pour arriver
bientôt à ses yeux.
Ceux-ci étaient le seul point qui chagrinait
l’opinion de Puppa.
Pas leurs apparences ou leurs couleurs, mais la forme de leur pupille !
Celles-ci
étaient continuellement dilatées et pour Puppa
cela représentait la preuve
suffisante et contrariante de sa consommation
exagérée de produits illicites.
Il se mit à penser qu’il lui faudrait le rudoyer
à ce sujet, lui expliquer que
sa santé était en jeu et qu’il devait
absolument arrêter cette drogue qui sous
des airs inoffensifs entraînerait chez lui des
dégradations irréparables.
Puis soudain ses considérations furent
arrêtées par le râle que poussa sa
mère.
Tous se rapprochèrent d’elle.
Elle ouvrit les yeux qui pivotèrent lentement pour observer
chacun d’eux.
Elle leva son bras avec peine pointant l’un de ses doigts qui
pivota dans la
direction de chacun d’eux. Puis utilisant ce qui fut son
dernier souffle, elle
murmura :
« Cachée... La cassette... Dans la maison...
J’ai tout mis... Dans la cassette
! »
Puis semblant avoir accompli son dernier devoir elle laissa retomber
son bras
brusquement et s’en alla paisiblement rejoindre le pays de
ses ancêtres...
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Puppa se tenait à proximité de
l’église de Divonne. Sa mère venait
d’être
enterrée et toute la famille et relations
s’étaient donnés rendez-vous dans la
demeure familiale pour une collation en l’honneur de la
défunte. Ernest n’était
pas vraiment pressé de retrouver tous les convives, il y
avait d’abord cette
tristesse causée par le départ d’un
être cher et l’envi de se recueillir dans
un endroit calme sans cette obligation d’échanger
les civilités indispensables
avec l'ensemble des personnes compatissantes. Il décida de
flâner
tranquillement. Les yeux perdus dans le vague de ses songes, le pas
chancelant
après chaque descente de trottoir. Il marcha devant
l'église, puis la salle des
fêtes, il bifurqua sur la droite et contourna la piscine pour
se diriger en
direction de la fête funèbre.
L’image de sa mère suivait le cours de ses
pensées. Il visionnait, tel un film,
le cheminement de son existence, réorganisant le cours de
ses jours heureux.
Puis, il regarda sa main, s’arrêta prêt
d’un mur crépi de blanc et la présenta
devant celui-ci en opposition avec le soleil. L’ombre se
dessina parfaitement
sur la surface blanchâtre.
Son regard observa avec attention son contour.
Il replia l’un de ses doigts et logiquement cette action fut
immédiatement
suivie par la riposte de la silhouette. Etait-ce ceci le secret si bien
énoncé.
Puis le visage de sa mère réapparut devant lui.
Une larme lentement glissa sur sa joue.
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La grande maison était emplie d’un brouhaha
joyeux. Cette ambiance festive,
n'avait rien d’offensant pour la défunte. Au
contraire, on revivait les bons
moments vécus en sa compagnie. Les
soirées entre amis, ses voyages.
Ernest était né dans cette maison, mais ce
n’était pas le cas de ses frères et
de sa sœur, ils avaient tous vu le jour dans de lointains
pays. Son père
ambassadeur était rentré au pays dans
l’unique but de prendre une retraite
qu’il estimait bien mérité. Avec une
différence d’âge de plus de vingt ans
avec
sa femme, il avait estimé qu’un dernier rejeton
serait une excellente idée pour
accompagner ses vieux jours. Et voici comment Puppa vit le jour et fut
bercé
par une enfance heureuse et excellemment
protégée. La mort de son père survint
le jour même de ses douze ans. Ernest se trouvait
d’ailleurs en face du
portrait de son paternel; Celui qui était
accroché au-dessus de la grande
cheminée qui trônait dans le salon au plafond
immense. Il lui ressemblait trait
pour trait, surtout ses yeux, plissés à la
manière d’un v renversé et qui
semblaient scruter le monde d’un simple regard caustique.
« C’est vraiment toi, trait pour trait !
»Affirma l’un de ses cousins qui se
tenait à ses côtés.
Puppa se tourna vers lui et lui sourit. Le visage de son interlocuteur
remua
quelques-uns de ses lointains souvenirs. Cet homme barbu, au
crâne
partiellement dégarni lui rappelait ses vacances
d’enfance au bord de la mer,
ses promenades dans les calanques de Cassis, cette violente
piqûre de rascasse
qui l’avait tant fait souffrir.
« Damien ! C’est gentil d’être
venu ! »
Ce cher cousin Damien qu’il n’avait pas revu depuis
tant d’année. Séparation
idiote de la vie qui nous entraîne loin l’un de
l’autre et qui nous fait
oublier le plaisir que l’on avait d’être
ensemble. Puis, un jour, il y a cette
simple rencontre pour nous faire regretter cette ignorance trop longue
et l’on
se jure de bientôt se revoir, de renouer des liens depuis
trop longtemps
rompus. Ensuite, le cours de la vie nous fait renouveler la
même erreur, la
même négligence de l’un envers
l’autre et ceci malgré la promesse si
sincèrement
donnée.
Ernest fit donc son devoir d’hôte, passant
d’un
canapé à l’autre, d’une table
à
la prochaine, saluant avec déférence les
personnages
qu’il savait important,
s’amusant de plaisanteries délicates avec des
copains ou
parentés de sa
génération, s’attristant de
réminiscences
douloureuses avec les amis intimes de
sa mère.
Puis, il y a le « OUF ! » Celui de refermer la
porte derrière le dernier
visiteur. De s’asseoir dans un coin du salon en se repaissant
d’un
silence bienvenu.
Mais Puppa n’était pas seul, son frère
Alban se tenait assis sur l’un des
grands fauteuils Louis XV, les jambes croisées dans une
pause élégante, un
dernier verre de cognac à la main, la bouche
noyée d’une gorgée dont il
semblait se délecter. Il regardait à travers
l’une des portes vitrées qui
donnait sur le jardin. Hélène, était
bien entendu cachée dans un coin sombre de
la pièce, extirpant nerveusement une bouffée
mortelle de son inséparable
compagne, triturant de sa main libre le mouchoir qui venait de recevoir
les
derniers postillons de sa toux rauque et maladive. Seul Serge manquait
à
l’appel, trop affecté par le
décès, il avait
préféré se cacher pendant toute la
durée de la réception et même Ernest
n’avait pas pu le faire sortir de la
chambre qu’il avait occupée lors de son
adolescence. C’est à l’instant
où
Ernest prit la décision d’aller le faire sortir de
sa cachette, que notre
sensible personnage apparut, les cheveux en bataille et les yeux
boursouflés
par son inconsolable chagrin.
Henri, le majordome accompagné de la jolie, très
jolie Sylvie, jeune soubrette
d’une vingtaine d’années le suivaient
d’un pas feutré pour venir terminer de
débarrasser les victuailles laissées
pêle-mêle sur les tables.
Alban se leva brusquement et leur ordonna en quelques mots et d'un
geste bien
choisi de quitter la pièce sur-le-champ, qu’une
discussion familiale importante
nécessitait leur absence.
Henri répondit :
« Bien Monsieur ! » Puis il disparut avec
l’agréable compagnie de sa jeune
assistante.
-----------------------------------
C’est bien entendu Alban qui prit la tête des
débats :
« Il semblerait que mère possédait un
magot caché quelque part ici ! Est-ce que
quelqu’un est au courant de ce fait ?
En affirmant cela, Alban regarda droit en direction d’Ernest,
il le savait très
malicieux. Mais, sa seule réaction fut une moue
d’ignorance. Puis vînt le tour
d’Hélène, la petite chouchou, elle se
cacha un peu plus derrière sa cigarette
et ses lunettes noires et secoua la tête nerveusement. Serge
vautré sur un
fauteuil et submergé par ses fumettes de substances
psychotropes ne réagit même
pas.
« Qu’est ce qui te fait dire qu’il
s’agit d’un magot ? Demanda Ernest.
-Pourquoi aurait-elle caché une cassette, si elle
était sans valeur ?
Répondit-il avec raison.
Puis Hélène ouvrit la bouche avec une voix qui
semblait assurée. Il est vrai
que lorsqu’il y avait héritage, elle retrouvait
soudainement une évidente
normalité et son raisonnement devenait
étrangement acerbe et clairvoyant.
-Ne devons-nous pas nous rendre demain chez le notaire, le testament
nous
donnera certainement des informations à son sujet !
Serge remua, on crut qu’il voulait ajouter quelque chose.
Il se tourna sur le côté et prenant la position du
fœtus, fit mine de
s'endormir.
--------------------------------------
« Vous êtes ici rassemblés, pour prendre
connaissance de la succession de votre
mère, madame Eléonore Puppa ! »
Puis, le notaire énuméra la qualité de
chacun en leur demandant d’approuver ses
affirmations.
« Votre mère cède à parts
égales, sa maison de Divonne d’une valeur de deux
million cinq cent mille Euros et la totalité de ses comptes
en banque et
placements d’une valeur totale de huit cent mille Euros. Vous
avez entre vos
mains l’ensemble des justificatifs ! Je me suis
occupé pour vous de la
déclaration fiscale et j’ai
précisé le montant des impôts que vous
avez à
payer! Précisa-t-il en feuilletant le double de
l’acte qu’il leur avait confié.
-Il n’y a rien d’autre ? Demanda
Hélène avec un ton resplendissant de la manne
qui sans mérite lui tombait entre les mains.
-Non, rien d’autre ! Répondit le notaire
étonné. Enfin si ! Continua-t-il, j’ai
cette petite lettre qu’elle m’a confiée
et demander de vous lire après sa mort.
La chaise d’Hélène se mit à
grincer, lorsque
d’intérêt, elle avança
d’un pas en
direction du notable.
Alban se racla la gorge, Serge laissa échapper une
onomatopée d’étonnement et
Ernest stoïque eut un simple mouvement de sourcils.
Le notaire décacheta la lettre avec un long coupe papier en
métal doré. Sortit
la missive de l’enveloppe et commença sa lecture :
« Mes enfants, vous entendez ces mots pour la triste raison
de mon décès ! J’ai
vécu une belle vie en compagnie de votre père.
Elle a été faite de voyages, de
confort et fut agrémentée par vos naissances.
Sachez que je vous aime tous de
la même affection et que j’ai fait mon possible
pour m’accommoder de vos
travers. J’ai caché dans ma demeure une cassette
contenant un élément de la
plus haute importance. Sachez mes chers enfants garder la
tête dans les étoiles
! »
Le notaire s’arrêta de lire et regarda ses
interlocuteurs.
« C’est tout ! » Dit-il
-Comment ça. C'est tout ! Répéta
Hélène. C’est quoi cette plaisanterie !
-Je ne peux rien vous dire d’autres. La seule chose
qu’elle m’ait dit en me
donnant cette lettre, c’est qu’elle vous
permettrait un enrichissement
personnel inattendu.
-Inattendu, enrichissement, Je ne comprends pas ! Grogna Alban.
Serge ne réagit pas, l’esprit encore
brouillé par son dernier joint.
Mais les yeux de notre cher inspecteur Ernest Puppa se mirent
à briller, il
était heureux d’entendre ce dernier message de sa
mère, c’était un peu comme si
elle s’adressait une dernière fois,
personnellement à lui et le défiait de
résoudre une enquête difficile...
-------------------------------
Ernest Puppa se tenait debout devant les sources de la Divonne. Il
admirait les
méandres de l'eau qui dévalait avec
rapidité les
petites cascades, et qui
semblait-il avait des pouvoirs thérapeutiques. Il avait
décidé, avec ses deux
frères et sa sœur de passer toute la semaine dans
la
demeure familiale pour
retrouver cette fameuse cassette. Ensuite la maison serait vendue. Un
riche
acquéreur plutôt pressé leur avait fait
une offre
très avantageuse qu’ils
n’avaient pas pu refuser. Même Alban, qui
contrairement
à ce qu’Ernest aurait pu
croire, attendait avec impatience cette rentrée
d’argent
frais. Ernest avait
compris que ses affaires n’étaient pas aux mieux
et que le
fisc avait mis la
main sur quelques-unes de ses affaires frauduleuses. Pour sa
sœur, l’argent
était son seul et unique motif familial et Serge voulait de
quoi
financer son
vice à satiété. Ernest avait suivi
l’avis
général, bien qu’il eut aimé
garder
cette demeure garnie de ses mémoires d'enfance. Ils leur
restaient donc une
semaine pour découvrir cette chose, cette cassette du
bonheur.
Puppa jeta un coup d’œil sur sa main. Toujours
cette même obsession de
compréhension devant un problème posé.
Il ne comprenait pas le pourquoi de
l’ombre auquel il manquait un doigt. Quel était le
sens caché de cette
affirmation ? Peut-être une bague. Oui un bijou qui avait
été volé ! On avait
coupé le doigt.
Mais il était temps d’aller à son
rendez-vous.
D’un pas décidé il rejoignit en une
dizaine de minutes la propriété familiale.
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Henri et Sylvie l’attendaient devant la porte. Par bonheur
pour eux le futur
propriétaire avait accepté de les garder
à son service, leur futur semblait
donc assuré. C’est Sylvie qui s’occupa
d’Ernest.
« Nous n’avons pas pu vous réinstaller
dans votre chambre de jeunesse et nous
avons donc préparé pour vous la chambre bleu.
Elle grimpa devant lui l’escalier
de marbre blanc. Ernest remarqua à cet instant comme elle
était belle, avec ses
hanches qui se balançaient à chacun de ses pas,
sa chevelure d’un noir intense
qui s’enfilait dans les entrelacs d’une natte
impeccable.
Arrivée à destination, elle se dirigea
immédiatement vers la fenêtre et ouvrit
en grand les volets faisant ainsi jaillir la clarté
matinale. Puis avec
déférence elle s’adressa à
Ernest avec un regard d’une délicatesse qui le
fît
rougir. Il bredouilla un remerciement confus et lui assura que tout
était pour
le mieux. Il la regarda partir, emportant avec elle cette
fragilité qui, en
lui, suscitait une profonde émotion. Puis il se dirigea vers
la fenêtre qui
s’ouvrait sur un jardin aux dispositions
délicates. Un parterre de roses
multicolores encadrait avec charme une pelouse finement tondue. Deux
allées
gravillonnées s’enfilaient sous une futaie
d’arbres fruitiers pour se rejoindre
un peu plus loin devant un bassin en pierres taillées.
Quatre statues
habilement sculptées décoraient les points
stratégiques du jardin habillant
ainsi les contours d'une haie foisonnante. Un massif fleuri marquait le
centre
de cette composition. Ernest ferma les yeux et se revit enfant courant
pieds
nus dans le gazon encore humide, se délectant de baies
sucrées, naviguant
jusqu’au fond du jardin avec l’espoir d’y
découvrir un coin inexploré.
Il sortit son portefeuille de sa poche, l’ouvrit et en
extirpa une petite photo
barrée en son milieu par une pliure.
C’était celle de sa mère.
Il l’avait chapardée à son insu.
Elle n’aimait pas être prise en photo, ses vieux
jours lui avaient toujours
fait peur et elle ne voulait pas que l’on garde un souvenir
de ceux-ci.
Ce petit portrait de vingt par trente millimètres devait
dater d’une bonne
quinzaine d’années, elle y apparaissait souriante,
un peu crispée devant le
voleur d’image, son regard perçant
était parfaitement similaire à celui
d’Ernest, il scrutait la vie extirpant avec
facilité l’ensemble des travers de
l’existence.
Ernest crut entendre sa voix :
« Ernest, tu es certainement le plus apte de la famille
à découvrir mon secret,
laisse divaguer ton esprit comme tu le fais si bien et observe
l’insignifiant
détail qui te mènera à lui !
»
Un bruit saccadé arriva à ses oreilles. Puis un
appel :
« Ernest, nous t’attendons en bas !
-Ok Alban ! Je vous rejoins dans cinq petites minutes ! »
Répondit-il.
--------------------------------
«
Le problème est très simple, nous
n’avons que quelques jours pour
découvrir le message de notre mère, je propose de
répartir nos tâches d’une
façon rationnelle !
Alban venait de prendre les choses en mains.
Toi Hélène ! Tu t’occupes de fouiller
la cuisine, Serge, tu t’occuperas de !
Alban regarda la mine endormit de son frère,
réfléchit quelques instant et
décida. Tu t’occuperas de ta chambre ! Le choix
était judicieux car celle-ci
était pratiquement vide. Ernest ce sera la salle
à manger et moi, la chambre de
mère ! Pas de suggestion? Alors, tous au poste ! Dit-il
d’un ton autoritaire.
Ernest leva le doigt et affirma.
-Tu as certainement raison d’employer cette
méthode, mais, moi j’ai une autre
idée. Je dirai même une certitude sur le message
que maman nous à communiquer
dans sa lettre !
Alban sembla contrarié de son affirmation.
-Laquelle ! Demanda-t-il d’un ton sec.
Ernest répondit simplement :
-Je veux m’occuper du grenier !
Hélène enchaîna :
-Je vais avec lui ! »
Cette chère Hélène n’avait
pas dans sa déclaration une envie particulière
d’aider son frère, mais plutôt de le
surveiller. Elle connaissait parfaitement
sa perspicacité particulière et ne doutait
nullement de l’aboutissement de sa
fouille. Elle voulait simplement être à ses
côtés pour s’assurer de la primeur
intégrale de cette fameuse cassette et être
certaine que rien n’y serait
dérobé.
Ernest n’écouta même pas le «
Faites ce que vous voulez ! » de son frère et
suivit par la silhouette chimérique
d’Hélène monta les trois
étages pour ouvrir
une petite porte qui grinça sous l’effort.
Le
grenier était immense, il s’étalait sur
la longueur
intégrale de la maison, la chaleur qui y régnait
était difficilement
supportable Le plafond sommairement isolé du toit
n’était qu’une bien mince
protection à la fournaise provoquée par les
tuiles chauffées à blanc par le
soleil. Qu’y avait-il dans cette mansarde ? Des malles,
beaucoup de malles ! De
la poussière. Puis de nombreux souvenirs de
séjours africains et bien entendu
le bric-à-brac habituel que l’on retrouve
généralement dans un tel lieu.
Visualisant l’ampleur démesurée de la
tâche, Hélène interrogea :
« On doit commencer par quoi ? »
C’était peut-être la première
fois de ces dix dernières années que cette gourde
lui adressait directement la parole. Ernest serra les dents et marmonna
:
« Tu ne sais pas écouter, t’as pas
entendu les derniers mots de notre mère !
-Et bien si, et alors ?
-T’as pourtant des visions, d’habitude ! Continua
Ernest, faisant ainsi
référence à ses crises
paranoïaques.
Vexée, elle haussa les épaules et se dirigea tout
de go vers le plus gros
coffre qui semblait avoir récemment
été déplacé.
Aux traces laissées sur le sol on pouvait
d’ailleurs se rendre compte que
l’endroit avait été minutieusement
fouillé. Hélène ne remarqua pas cette
évidence, mais Ernest aperçut sans le moindre mal
les traces laissées par des
mains indiscrètes.
Qui avait déjà bien pu engager ces fouilles ?
Certainement quelqu’un qui était
au courant du secret. Mais qui. Ses frères, sa
sœur qui pouvait feindre
l’ignorance des lieux ?
En fait, Ernest ne s’en souciait guère,
s’il le désirait, il pourrait trouver
ce fouineur précoce en un rien de temps. Ce qu’il
était venu chercher en cet
endroit ce n’était pas une énigmatique
cassette mais le premier indice qui le
mènerait à elle.
Et il se trouvait là ! Parfaitement à sa place,
posté devant la lucarne.
--------------------------------------
Serge était couché sur son lit. Il fixait de son
regard vidé de tout
discernement le plafond de sa chambre. Devant ses yeux
largement ouvert,
il voyait flotter des couleurs aux tons
psychédéliques, des spectres hurlants,
des chimères affolantes.
C’était ça chasse au trésor.
Le grand envol dans les paradis artificiels.
Pourtant il voulait arrêter les drogues durs et il y
était presque. Depuis sa
dernière cure de désintoxication il ne se
contentait que de ces
"fumettes" qui lui ramollissaient le cerveau, certes, mais qui lui
autorisaient une certaine autonomie et quelques heures de
lucidité cohérente.
Alors pourquoi avait-il soudainement rechuté ?
Il était entré dans sa chambre avec la ferme
intention de la fouillée de fond
en comble et de contenter ainsi Alban, il aurait tellement
aimé que celui-ci
soit fier de lui. Imaginez qu’il trouve quelque chose,
qu’il redescende la mine
satisfaite en tenant à bout de bras le don ultime de leur
mère.
Mais non, au lieu de cela, sur sa table de nuit, il avait
découvert une
seringue et une petite cuillère remplit d’un
sinistre liquide. Qui l’avait
déposée là ? Il ne le savait pas, il
ne voulait même pas le savoir. Il avait
pris les objets de mort dans ses mains tremblantes, avait
renouvelé avec un
automatisme réglé le remplissage du corps de
pompe et l’aiguille avait retrouvé
le chemin de son bras, de sa veine. Il soupira, son corps fut animer de
soubresauts spasmodiques, puis, son cerveau perdu tout control de son
existence. Il sombra brutalement dans des hallucinations
dévastatrices...
La porte s’ouvrit lentement. Quelqu’un entra. Des
pas feutrés glissèrent
jusqu’à son lit, prenant le bras de Serge dans les
airs, l’individu le laissa
retomber lourdement. Ayant constaté son
impossibilité de nuire, il commença sa
recherche se dirigeant vers le placard, il l’avait
déjà visité mais avait
oublié de fouiller un endroit particulier. Sans
ménagement, il jeta l’ensemble
des vêtements qui y étaient entreposés
puis scruta avec minutie chacune des
planches de son coffrage. Il essaya vigoureusement de les disjoindre
avec
l’aide d’un tournevis, mais ne trouva rien.
Déçu, sans un bruit, il ressortit
de la chambre sans même daigner un ultime coup
d’œil au pauvre Serge
agonisant.
-------------------------------------
Ernest s’était rapproché de la lucarne.
Devant-elle un télescope pointait droit
vers le sol. Il constata que le trépied avait
été solidement fixé sur le sol et
que la lunette était bloquée dans une direction
incohérente.
Hélène avait arrêté ses
fouilles et
observait intrigué l’intérêt
étrange
que
son frère démontrait devant cet ustensile
scientifique.
Ernest mit son œil sur l’oculaire et ce
qu’il vit le fit frissonner de bonheur.
Il eut un sourire.
Celui-ci ne s’adressait pas à sa
découverte mais à sa mère qui,
pensa-t-il,
devait le regarder de là-haut, fier de lui, satisfaite de
voir que d'un simple
indice l’un de ses enfants avait compris son dernier message.
Hélène qui se trouvait maintenant à
côté de lui, demanda :
« Je peux jeter un coup d’œil ?
»
Sans un mot, Ernest lui laissa la place.
Pencher sur l’œilleton les deux mains
appuyées sur ses genoux elle regardait
sans un mot la vue qui se présentait à son
regard.
« Une statue du jardin ? S’interrogea-t-elle en
marmonnant.
Puis elle quitta son observation pour jauger le regard
d’Ernest. Celui-ci
détourna son regard. Puis il eut cette réponse :
-Le dernier message de maman !
Il n’entendit même pas la demande qui
s’en suivit et quitta le grenier, laissant
seule sa sœur qui pesta devant son incorrection.
--------------------------------
Assis à la table de la cuisine devant un petit verre de
cognac. Ernest ne se
sentait pas très bien. En descendant en direction du jardin
il avait demandé à
Alban de le suivre et avait voulu faire de même avec Serge,
mais l'état dans
lequel son pauvre frère se trouvait, l’avait
totalement retourné et lui avait
presque fait oublier la raison pour laquelle il voulait qu’il
le suive. Il
l’avait plusieurs fois retrouvé dans cet
état second, ce comportement larvaire.
Mais il avait cru que tout cela était enfin
terminé.
Le médecin était immédiatement venu,
lui avait administré les soins nécessaires
et il reposait maintenant apaisé de ses douleurs.
Alban et Ernest avait fouillé l’ensemble de ses
vêtements et bagages qu’ils
avaient découverts étrangement
éparpillés sur le sol, pour ne trouver aucun des
produits illicites qu’il recherchait.
« Où peut-il bien les cacher ? Demanda Alban.
Même les étranges marques laissées au
fond de son placard ne leur laissèrent
aucun indice.
Le soir était tombé.
L’inquiétude avait marqué son esprit et
Ernest avait
décidé de ne pas se rendre auprès de
la fameuse statue avant le réveil de
Serge. La jolie soubrette lui avait servi un petit verre de
réconfort. Il
l’avait regardé avec tendresse. Son charme le
troublait encore un peu plus, ses
yeux d’un bleu trop clair avaient
éclaboussés les siens. Il lui avait
confié sa
trouvaille, lui demandant si sa mère lui avait
alloué quelques confidences.
« Je ne sais rien ! Lui avait-elle répondu
simplement de sa voix d’une tonalité
angélique.
Puis il y eut ce :
-Sylvie, n’embête pas Monsieur ! Qui tel un ordre
lui intima de le laisser
seul. Puis Henri apparut et dit :
-Excusez là, monsieur ! »
Maintenant Ernest était seul, Hélène
et Alban avait préféré retrouver leurs
logis, prétextant devoir retrouver leur famille.
Ernest en célibataire endurci avait
préféré rester ici.
Hélène semblait
étrangement lui faire confiance en le laissant ici seul,
avec l’unique prérogative
de veiller sur Serge.
Il était tard. Ces deux mains posées à
plat sur la table, Ernest comptait
lentement ses doigts. Il lui restait toujours à
l’esprit ce besoin obsessionnel
de comprendre, il en avait même pour quelques instants
oublié l’importance de
la statue. Il replia d’abord son majeur, puis son index et
passa l’un après
l’autre l’ensemble de ses doigts pour conclure
subitement par un haussement
d’épaule, le signe de son ignorance.
Il était temps pour lui de se coucher. Un dernier
contrôle le rassura sur
l’état de santé de son
frère, puis il se rendit en direction de sa chambre.
Passant devant celle d’Henri, il fut surpris par des soupirs
qui ne laissèrent
aucun doute sur le batifolage qui s’y déroulait.
Henri et la jolie petite bonne !
Ernest n’en croyait pas ses oreilles. Ils ont au moins
trente-cinq ans de
différence! Il eut un rictus qui provenait plus d'un instant
de jalousie que
d'une simple moquerie.
Ernest eut du mal à s’endormir cette
nuit-là, de multiples interrogations se
bousculaient dans sa tête.
Le sommeil l’envahit brusquement alors qu’il
discernait dans le couloir les pas
feutrés de la demoiselle qui venait de quitter les bras de
son amant.
Le réveil fut brutal. Des hurlements montaient dans la cage
d’escalier. C’était
Hélène :
« Je savais qu’on ne pouvait pas lui faire
confiance ! »
Ernest sortit précipitamment de sa chambre et se retrouva
nez à nez avec Serge
qui semblait beaucoup mieux.
« Qu’est ce qui se passe ! Demanda-t-il. Serge
haussa des épaules et se
penchant dangereusement sur le fait de la balustrade et qui cria sa
question :
-Y’a le feu ?
-Venez voir ce qu’Ernest à fait à la
statue pendant la nuit !
-Ce que j’ai fait ? » Grommela Ernest qui ne
comprenait rien.
Ils coururent pour se retrouver tous en même temps dans le
jardin.
Hélène foudroya Ernest du regard :
« Alors tu es content de ton travail !
Devant leurs yeux ébahis il voyait la fameuse statue
couchée à terre et cassée
en deux morceaux. Le parterre de fleurs qui l’entourait avait
été remué de fond
en comble et laissé en l’état.
-Ce n'est pas moi et pour quelle raison aurais-je fait ça?
-Et la cassette alors, ce n’est pas une raison ça
! Bava Hélène, furieuse
d’entendre la mauvaise fois de son frère.
Ernest se tourna vers elle, il la regarda soigneusement retrouvant en
elle ces
allures de mégère, de cette née chipie
et qui le
resterait pour toujours. Elle
avait peur, peur qu’on lui vole son bien. Ernest pensait
qu’un bien doit en
réalité être gagné et non
hérité et cette quête qu’ils
étaient
tous en train d’accomplir
n’était à son avis nullement
destiné
à découvrir une fortune additionnelle,
mais plutôt un secret de famille bien gardé. Mais
lequel ?
Il ne le savait pas
encore. Il regarda donc l’hystérique et lui
précisa
:
-Cette statue n’est qu’une piste
supplémentaire qui doit nous mener vers
quelque chose d’autre !
-Comment sais-tu cela ? Demanda Alban qui semblait
déçu.
-Encore une de tes inventions, monsieur science infuse ! Cracha
Hélène toujours
aussi furieuse.
Serge quant à lui était assis sur
l’herbe avec un large pétard coincé
entre
deux de ses doigts. A la fenêtre de la cuisine, Henri et la
jolie Sylvie
observaient la scène à la
dérobé.
Ernest commença ses explications :
-Cette statue représente une dame avec un petit chien, pour
notre mère elle
représentait quelque chose d’important, la
signification d’un de ses lointains
voyages avec notre père. Toi Alban qui est né
à Yalta où notre père était
en
poste pendant de nombreuses années tu devrais le savoir !
Alban fit un geste négatif de la tête et
d’une moue de ses lèvres afficha son
ignorance.
Ernest continua :
-Anton Tchékhov, l’amour de maman pour ce grand
écrivain russe. Ça ne te dit
toujours rien ? La réponse resta négative. Et
bien ! Il a écrit une magnifique
nouvelle qui s’appelle ‘‘La Dame au petit
chien’’. J’y ai beaucoup pensé
cette
nuit et je suis maintenant certain que notre mère pour une
obscure raison veut
nous faire mériter notre découverte. Dans la
bibliothèque, il y a
l’intégralité
des œuvres de Tchékhov et je peux vous parier que
la réponse se trouve à
l’intérieur d’un des livres.
- Alors si ce n’est pas toi ! Qui a fait ce trou ? »
Ernest ne le savait pas et il n’en avait cure, il se dirigea
droit vers la
maison.
La collection des œuvres du fameux écrivain fut
rapidement découverte et le livre
arborant le titre recherché fut posé sur la
grande table en chêne massif. Sa
couverture de cuire impeccablement cirée, sa reliure
délicate indiquaient la
valeur de l’édition. Ernest parcoure chaque page
avec attention, il ne voulait
pas manquer le détail d’importance. Ses deux
frères se tenaient devant lui et
sa sœur guignait par-dessus son épaule.
C’est sur les deux dernières pages
qu’il trouva le message qu’il recherchait, sur
celle qui comportait uniquement
l’adresse de l’éditeur. Ernest le lu en
silence et sourit dès la première
ligne.
« Alors ! Demanda Alban impatient.
Ernest commença sa lecture à haute voix.
« Bonjour Ernest. Je dis Ernest car je pense que tu es le
seul de mes enfants à
posséder la clarté d’esprit qui a
permis de déchiffrer mon message. Par contre,
j’espère que vous êtes tous
là à écouter ma prose car ceci
concerne chacun
d’entre vous !
Il
y aura deux pistes
supplémentaires qui vous permettront de découvrir
quelque chose que je ne
voulais pas vous apprendre de mon vivant.
(L’écriture était devenue
soudainement tremblante, comme si une intense émotion avait
envahi son auteur à
l’instant précis de sa rédaction.)
Vous l’avez certainement déjà compris
la première solution est en rapport avec
mon séjour à Yalta.
Un début de ligne suivait cette affirmation, mais elle avait
été nerveusement
barrée pour rester incompréhensible. Puis une
autre reprenait inopinément avec
une énigme hermétique :
Le prochain échelon que je vous propose est en rapport avec
un contenant aux
yeux bridés…
A bientôt mes chéris.
A la lisière du bas de page on pouvait apercevoir une
signature.
Igor Iganov 1947
« Les indices sont bien maigres ! Remarqua Alban.
-Je ne savais pas que maman avait ton esprit tordu ! Reprit
Hélène en lorgnant
sur Ernest.
Serge essaya de raisonner sur l’indication de ce contenant
aux yeux bridés mais
son esprit embrumé ne lui souffla rien !
-Alors le génie n’a pas
d’idée ? Demanda Hélène
jalouse des facilités
intellectuelles de son frère.
Ernest lui adressa un rictus nerveux et lui jeta une
réplique vexante
concernant son état mental :
-Tu sais, ce n’est pas avec de l’aspirine
qu’il faut soigner ta maladie !
Vexée par cette inacceptable mais juste affirmation,
Hélène quitta la pièce en
claquant la porte.
-Je n’ai aucune idée pour l’instant. Et
toi ?
A l’air perplexe d’Alban et à
l’attitude divagante de Serge, il comprit qu’il
était de son devoir de réfléchir.
------------------------------------
Ernest
entreprit une promenade dans Divonne. Sa balade le mena
jusqu’au
promontoire qui domine le lac. Sur sa droite L’hippodrome
était en pleine
effervescence, le vent lui portait la mélopée
d’un commentateur qui
égrenait le déroulement d’une course de
trot avec un ton d’une frénésie
envoûtante. Devant lui l’onde bleutée
reflétait la fuite d’un ensemble de
petits nuages, les canards et autres volatiles jacassaient de bonheur
et un
seul véliplanchiste démontrait avec brio son
incompétence de débutant.
Sur sa gauche, la pelouse du port était peuplée
de quidams qui offraient
sans réserve leurs corps dénudés au
Dieu soleil. La plage était également noire
de monde et le nombre important de baigneurs était un
parfait baromètre pour
évaluer la température clémente de
l’eau.
Deux curistes d’un certain âge, tout en papotant
prirent place à côté
d’Ernest.
Elles parlaient avec une certaine distinction et des bijoux de valeurs
décoraient chacun de leur doigt.
« J’aime bien Divonne ! Dit l’une.
J’apprécie son climat aux vertus
sédatives !
-Depuis la mort de mon mari, j’ai
arrêté de voyager. Et j’ai choisi cet
endroit de prédilection pour passer mes vacances !
Répondit l’autre.
-Vous avez beaucoup voyagé ?
-Oh, oui, tout autour de la planète !
-Vous en avez de la chance ! Quel endroit vous a t-il laissé
le plus beau
souvenir ?
-Le Japon ! Reprit-elle.
Elle continua sa réplique mais Ernest qui avait
jusque-là porté
involontairement attention à leurs propos futiles,
n’écoutait plus. Un déclic
avait marqué ses interrogations. Il se leva brusquement
effrayant les dames qui
le regardèrent étonnées. Ernest leur
accorda un regard de sympathie bredouilla
inintelligiblement un remerciement d’une inexplicable
courtoisie et se retira
promptement.
--------------------------------------
Le soleil arrosait la maison de ses derniers rayons. En entrant par la
grille
grande ouverte, Ernest se trouva nez à nez avec la jolie
Sylvie. Elle venait de
faire des emplettes. Ce qu’elle était charmante
avec son panier d’osier, son
émoustillante robe bleu et ses cheveux retenus par une large
barrette. Elle
semblait très heureuse de cette fortuite rencontre.
« Bonsoir monsieur, je pensais que vous étiez avec
les autres ! Dit-elle en
regardant les volets fermés qui donnait sur le bureau de ma
mère.
-Que font-ils ? S’interrogea Ernest.
-Je ne le sais pas exactement, ils ont vidé la
bibliothèque de tous les livres
parlant de l’Asie et m’ont demandé de
leur montrer l’endroit où se trouvait les
archives de madame feu votre mère !
-Tiens ! Ils savent réfléchir commenta Ernest.
Sylvie l’interrogea du regard et continua :
-Vous savez, je suis l’une de vos ferventes admiratrices !
-Ah bon !
-Oui, monsieur Puppa, je suis vos enquêtes
policières avec grand intérêt.
-Je suis flatté chère demoiselle !
Ernest semblait très gêné par le
compliment d’autant plus que son regard était
affriandé par le large décolleté de la
belle et celle-ci d’un mouvement de la
pupille lui signalait qu’elle s’en était
aperçue.
-Je suis certaine que vous avez déjà
trouvé la réponse concernant le contenant
aux yeux bridés !
-Vous connaissez le contenu du message de ma mère ?
Interrogea Ernest.
Sylvie un peu gênée répondit :
-J’ai aperçu celui-ci dans le livre que vous avez
laissé ouvert sur la table.
Puis elle continua. Est-ce que c’est vrai qu’elle a
caché un trésor ?
-Oui ! Répondit Ernest. Le plus important trésor
de mon existence.
Précisa-t-il, déjà conscient du
contenu de la fameuse cassette.
La petite, subjuguée par l’affirmation, garda
quelques instants la bouche
ouverte.
-Et alors ! Vous savez où il est ?
-Venez avec moi !
Tous deux marchèrent côte à
côte le long d’un des murs qui
délimitait la
propriété.
Ernest sentait son doux parfum qui sournoisement aguichait ses
papilles, le
buste de Sylvie rebondissait à chacun de ses pas. Elle porta
une main à sa
chevelure et d’un geste gracieux détacha ses
cheveux qui croulèrent sur ses
épaules dénudées. Elle connaissait ou
avait compris l’intérêt particulier
qu’Ernest lui portait. Son geste n’était
pas anodin et avait été
accompli dans un dessein de séduction. Le tour de
magie fit l’effet
escompté sur notre heureux inspecteur qui ralentit sa marche
pour que Sylvie
prenne un pas d’avance.
Ainsi, il lui était possible de l’admirer
à sa guise.
Elle s’arrêta soudain, posa son panier sur le sol
et tout en toisant Ernest,
elle demanda :
-Pourquoi venons-nous ici ?
Derrière elle une fourche à cinq dents
était plantée, côté manche,
dans la
terre meuble de la bordure. Ernest resta pensif en voyant
l’ombre de celle-ci
se dégager sur le mur aux pierres mal jointes.
L’un des pics était tordu et
n’apparaissait pas clairement dans la continuité
de la silhouette.
-Le doigt manquant ! Souffla-t-il.
-Vous dites ? Sylvie ne comprenait pas.
-Rien ! Je pensais ! Puis il reprit. Vous voyez cet arbre qui se trouve
derrière le jardin ?
Par « derrière le jardin, » il voulait
dire après la partie entretenue. Après
cette haie d’ortie et de ronces qui se dessinaient
arrêtés par une palissade
faite de planches d’un bois vermoulu.
-Lequel ?
Ernest lui prit la main, ou plus exactement lui caressa la main pour la
pointer
en direction d’un cerisier qui étalait son
imposante stature au beau milieu de
vieux pommiers rabougris.
-Celui-ci !
Il éprouva un plaisir particulier au contact de sa peau et
il dut faire un
effort pénible pour relâcher ce bras
qu’il guidait.
-Et bien, il a quoi cet arbre
-C’est un cerisier Japonais. Pendant ma promenade,
j’ai songé aux missives
laissées par ma mère et par déduction,
j’en suis pratiquement certain
maintenant, la prochaine se trouve ici. Le japon fut l’un des
pays que maman
préférait d’où son allusion
aux yeux bridés et le contenant indique cet arbre
de provenance asiatique !
L’explication était tirée par les
cheveux, Ernest n’en était pas vraiment
content, mais Sylvie l’accepta sans broncher.
Jetant un coup d’œil en direction de la
maison, elle entrevit Henri qui
les regardait mal caché derrière les tentures
d’une des fenêtres. Elle eut une
grimace d’inquiétude :
-Il faut que j’y aille, monsieur Henri m’attend !
Le mot « Monsieur » amusa Ernest, il ne
répondit rien et, pensif, admira la
gracieuse anatomie de Sylvie s’éloigner en
direction de la demeure, puis
arrivée à destination,
disparaître au revers d’une porte
dérobée.
--------------------------------------
Le bureau de sa mère était envahi de
fumée.
Hélène devait en être
déjà à
son
deuxième paquet de cigarettes, Alban semblait
l’avoir
également suivie dans
cette manie assassine et même Serge qui ne semblait pas au
mieux,
tirait sur un
mégot qu’il devait trouver sans
intérêt.
Personne n’avait remarqué
l’entrée discrète d’Ernest.
Il toussota recrachant le smog malsain qui ne manquait pas
d’emplir ses
poumons.
-C’est toi Ernest ! Dit Alban qui venait de le remarquer.
Viens nous aider, y’a
du pain sur la planche.
Et l’expression n’était pas
exagérée. Sur le large bureau de sa
mère, des
monceaux de dossiers s’étalaient
pêle-mêle dans l’attente
d’être compulsés.
-Je peux savoir ce que vous faites ? Demanda Ernest.
-On regarde tous les documents et livres concernant le Japon !
-Et oui ! Continua Hélène. Il n’y a pas
que toi qui pense. Mère a vécu au japon
où d’ailleurs je suis née ! La solution
ou le message se trouve à coup sûre
dans ses dossiers. Certifia-t-elle sans daigner le moindre regard
à son frère.
-Mes pauvres amis, je suis certain de votre fausse route ! Commenta
Ernest
utilisant un ton chargé d’une condescendance
voulue.
Hélène pesta d’une interjection pleine
d’énervements. Alban s’enquit
d’un
hypothétique éclaircissement en
lançant un bref regard dans sa direction. Mais
Ernest ne daigna pas préciser sa remarque et sortit de la
pièce. Il se prépara
lui-même un sandwich. Salua Henri au visage
contrarié, d’un « bonne
soirée ! »
qui lui fut usuellement rendu. Puis, il se retrouva couché
sur son lit devant
sa télévision, regardant un film qui ne
l’intéressait guère. Il se devait
d’attendre le lendemain pour pouvoir consulter le
deuxième message posthume. Il
aurait pu commencer la fouille tout de suite et ainsi avancer sa
lecture, mais,
par malice, il préférait laisser ses
frères et surtout sa sœur se fatiguer sur
une piste qu’il savait complètement
fausse…
-----------------------------
Il était dix heures passées. Pourtant la grande
maisonnée était vide. Pas le
moindre bruit. Même pas Henri ou Sylvie qui pourtant auraient
déjà dus
s’activer à leurs habituelles
tâches ménagères.
Ernest avait ouvert largement les fenêtres de tout le
rez-de-chaussée espérant
ainsi chasser l’odeur nauséeuse laissée
par les cigarettes. Le bureau offrait
maintenant, un véritable capharnaüm, des piles de
paperasses avaient été
empilés en vrac sur le sol et démontraient
l’insuccès des investigations.
Enfin, un pas, puis bientôt un autre se firent entendre
descendant les étages
supérieurs. Ernest les observa à la
dérobé. C’était Henri et
Sylvie qui
semblaient véritablement fourbus et traînaient du
pied à l’unisson, ceci égaya
franchement la mine de notre inspecteur.
Il décida de profiter de la fraîcheur matinale et
de l’absence de ses proches
pour se prélasser sur une chaise longue de la
véranda.
Celle-ci était ouverte sur le jardin.
Ernest se délectant de la vue qui s’offrait
à lui se mit à regretter la mise en
vente de la propriété. Le parc était
verdoyant et si agréablement fleuri, la
maison d’une facture noble fourmillait de ses meilleurs
souvenirs.
Malheureusement ses maigres ressources ne lui permettraient pas
d’entretenir la
bâtisse. Celle-ci nécessitait de nombreuses
réparations. Le toit, la
tuyauterie, les peintures devaient être en
totalité rénovés.
Oubliant cette pensé chagrine il observa le parc, sa
symétrie était parfaite,
le petit bassin de pierres ondulait sous le reflet d’une eau
limpide en
provenance directe de la montagne. Etant petit, il adorait venir
s’y
rafraîchir. Au fond du jardin, en direction du fameux
cerisier, il remarqua un
changement, le méli-mélo de ronces et orties
semblait avoir été piétiné.
Ernest éclata de rires.
--------------------------------------
Il devait-être une heure de l’après-midi
quand tout
le monde se réunit autour
d’un repas qui s’annonçait frugale.
C’était Alban qui l’avait
décidé au
dernier
moment et avait ordonné à Henri de le
préparer
illico. La pauvre avait fait de
son mieux et il se composait principalement d’un peu de
charcuterie et de
fromages, accompagnés d’un pot de cornichon, de la
moitié d’une baguette
vieille du jour précédent et d’un
pichet
d’eau.
Le tout était aligné sur la table !
Alban avait ordonné de ne surtout pas être
dérangé.
« On a tout vu, tout regardé et pas le moindre
résultat !
Hélène continua :
-J’ai feuilleté tous les dossiers concernant le
Japon où notre père et mère
avaient séjourné à la fin des
années quarante. Tout était bien
classé par ordre
de dates, j’y ai même retrouvé tout le
dossier concernant ma naissance dans un
hôpital de Kobe, l’original en Japonais avec sa
traduction attachée. Mais rien,
pas d’indice concernant ce contenant aux yeux
bridés !
Même Serge donna son opinion :
-J’ai jamais feuilleté autant de livres de toute
ma vie, mais j’n’ai vu aucun
commentaire !
Ernest ne disait pas un mot, il se concentrait sur la peau
d’une tranche de
saucisson qu’il essayait vainement de détacher
avec son couteau. Il n’écoutait
pas vraiment les lamentations de sa famille et n’attendait
qu’une chose,
c’était qu’ils lui demandent de leurs
faire part de ses remarques ou
trouvailles.
La question ne venait pas, il sentait les regards qui se posaient sur
sa
personne et qui se demandaient quand il allait bien se
décider à réagir, à leur
envoyer cette réponse qui allait les humilier par sa
clairvoyance, certes, mais
qui allait enfin par sa solution résoudre cette
déplaisante contrariété.
Les minutes passèrent et le silence se fît.
L’atmosphère était pesante. Ernest leva
son visage et regarda le buste en
plâtre de Beethoven qui trônait sur le buffet puis
il regarda Serge.
Enfin il daigna s’exprimer :
« Tu me passes l’eau, s’il te
plaît !
Hélène ne put se retenir et vociféra
sa fureur :
« De l’eau, tu veux de l’eau,
c’est tout ce que tu as à nous dire. Si la cruche
avait été à portée de sa
main, elle la lui aurait jetée à la figure.
Alban s’interposa devant ses invectives. Il avait compris
qu’Ernest possédait
la réponse et qu’il fallait surtout ne pas le
vexer :
-Ernest tu connais la réponse ? N’est-ce pas.
Le ton calme et posé d’Alban émoussa le
silencieux sarcasme d’Ernest :
-Oui, bien sûre que je connais la réponse !
Affirma-il en fixant sa sœur. Il
faut réfléchir un peu. Pour le passage des yeux
bridés, vous aviez juste.
L’Asie, le Japon est bien le pays qui nous mènera
à la prochaine piste. Quant
au contenant ! J’ai également pensé
à des livres ou dossiers ! Mais pensez-vous
vraiment que notre mère manquait d’imagination.
Bien au contraire ! Son esprit
était empli d’une malice délicate.
Balayant cette réponse trop évidente, je me
suis demandé de quel contenant elle pouvait parler et
j’ai songé à une
bouteille de saké, elle adorait en boire une
gorgé, tiède comme il se doit, à
la fin de repas trop copieux.
Ernest se leva et se rendit directement vers le bar. Il ouvrit le
placard qui
contenait les réserves et ausculta chacune des bouteilles.
Tous le regardaient
faire sans bruit, retenant même leur souffle dans
l’attente du hourra de la
réussite.
Ernest se releva soudain l’air penaud :
« Non ! Dit-il dépité. Je ne trouve
rien !
-Et toi qui te crois toujours plus malin que les autres ! Glosa la
mégère.
-Sylvie ! Cria Ernest.
Quelques instants plus tard la soubrette se trouvait devant lui.
-Monsieur m’a appelée ?
-Oui, savez-vous où ma mère entreposait ses
réserves d’apéritif.
-A la cave, je crois monsieur. Mais c’est madame qui
s’en occupait
personnellement !
Ernest lui envoya un resplendissant sourire, il se retint avec peine de
l’embrasser et la remercia en se dirigeant illico au sous-sol.
Bien entendu, tous étaient là pour rechercher
cette bouteille de saké, de
grosses torches à la main car l’endroit
était mal éclairé.
Sa mère s’était constituée
une collection de très bons crus et chaque groupe de
bouteilles étaient classé par année
dans de spacieux casiers métalliques avec
au-dessus de chacun d’eux une étiquette
décrivant en détail non seulement la
provenance du cépage mais également ces remarques
personnelles :
Tient bien en bouche, goût de noisette, un peu trop
corsé…
Ils regardèrent tout d’abord si le fameux
élixir
n’était pas mélangé
à l’une
d’elle, mais comprirent rapidement que la minutie du
classement
ne permettait
pas un tel sacrilège. Un endroit spécifique
devait
être réservé à ce type de
liquoreux.
La chasse ne fut pas longue.
La bouteille était entreposée avec
d’autres digestifs dans un coin reculé du
cellier. De taille et couleur différente des autres, elle
n’avait pas vraiment
été dissimulée.
C’est d’ailleurs Serge qui la trouva avec :
« V’la le travail ! » Victorieux.
Tel un message à la mer, une feuille y avait
été glissée à
l’intérieur.
Ils remontèrent à l’étage
supérieur et prirent l’irréversible
mais juste
décision de briser le flacon. La bouteille de
saké plana dans les airs et dans
un fracas de verre brisé s’éclata sur
le dallage de la véranda.
Ce fut Serge qui eut l’honneur de compulser le document.
Pas d’écriture manuscrite cette fois. Ce
n’était que la page d’un journal
Japonais empli d’idéogrammes kanji
incompréhensibles par nos compères. Seule la
date était écrite en anglais, July 18 1950.
« La date de ma naissance ! »S’exclama
Hélène.
On voyait également une photo d’un petit groupe de
personnes de race blanche et
jaune levant les bras en signe de victoire devant un immense panneau
qui devait
être le nom d’une entreprise « Brian
Karsten Finance. »
« Quel est encore ce mystère ? Demanda Alban
décontenancé.
-Il faudrait faire traduire cette page, peut-être
qu’un article est relatif à
ma naissance !
C’est encore Serge qui découvrit la suite de
l’histoire. Elle était écrite de
la main de sa mère au dos de
l’étiquette de la bouteille brisée. Il
la ramassa
et s’étonna :
-C’est encore maman ! »
Puis il lut les quelques lignes qu’elle leur avait
laissées :
« Plus qu’un seul message mes chéris
avant de mériter la conclusion ! Celui-ci
est clairement mentionné sur les barreaux
protégeant une fenêtre de Gex…
»
L’étonnement fut total.
« De quoi parle-t-elle ?
-Elle se moque de nous !
-Il nous faudra des lustres pour observer chaque maison ! »
Seul Ernest qui n’était pas intervenu depuis le
début de la découverte
journalistique comprit presque immédiatement de quoi il en
retournait.
Il ne dit rien. Feignant un air interrogateur.
Alban se mit à supputer des explications peu convaincantes,
puis, voulant
prendre le taureau par les cornes, bâtit un plan de recherche
rigoureux :
« Il faut que l’on se partage les quartiers !
»
Ernest avait discrètement quitté la
pièce et se dirigea calmement vers sa voiture…
------------------------
Sa petite Fiesta grinça sous son poids et eut bien du mal
à démarrer. Puis elle
se mit à tousser, hoqueta une multitude de protestations
avant de faire
entendre le ronflement régulier de ses cylindres.
« Brave petite ! » Félicita
Ernest en tapotant sur le levier de vitesse.
Puis leur promenade commença. On était un
dimanche, jour de marché, et le
centre-ville de Divonne était très
animé. Ernest était pour le moment
bloqué au
milieu du carrefour, un abruti qui n’arrivait pas
à accomplir son créneau et
qui avait calé juste devant l’office du tourisme.
Un agent de ville
l’houspillait pour qu’il déguerpisse,
mais le conducteur malavisé lui faisait
signe de ses mains que son engin ne pouvait plus démarrer.
Au moment même où un
petit groupe de personnes s’apprêtait à
le pousser pour dégager la voie. Une
jolie femme, des documents pleins les mains sortit du syndicat
d’initiative,
ouvrit la portière de la voiture récalcitrante
qui prit immédiatement son essor
devant les yeux médusés des pauvres bougres qui
s’apprêtaient à la
l’écarter du
chemin.
« Y’en a qui sont vraiment sans gêne !
» et c’est au moment de cette réflexion
qu’Ernest vit passer devant lui Sylvie avec son petit panier
d’osier qui
traversait pour aller faire ses emplettes pour le dîner.
« Sylvie ! » Cria Puppa par sa fenêtre
grande ouverte.
Elle le vit et par sa venue, répondit à son appel.
« Montez, j’ai à vous parler !
Elle s’exécuta en protestant :
-Mais, j’ai des courses à faire !
-Je vous emmène, il n’y en a que pour une dizaine
de minutes ! »
La désirable Sylvie s’assit à
côté de lui. Elle eut un petit rictus de
dégoût
en constatant l’état déplorable du
véhicule. Elle prit place
précautionneusement en voulant ainsi éviter que
sa jolie jupette se froisse.
Puis elle regarda Ernest, pendant que celui-ci passait la
première et amorçait
son départ avec bien des difficultés.
« Elle est très vieille et fatiguée!
Précise-t-il inutilement.
-Puis-je savoir ce que vous me voulez ?
-Oui ! Puis il se tut et se pencha sur sa gauche pour accompagner sa
voiture
dans le contour du rond-point du casino. Ceci étant fait il
reprit sans aucun
détour :
-C’est vous et Henri qui avez la nuit dernière
creusé autour de l’arbre.
N’est-ce pas ?
Très gênée elle acquiesça
devant
l’évidence énoncé par cet
inspecteur
émérite.
Ernest continua :
-C’est également vous à
l’origine des premières fouilles du grenier !
-Oui ! répondit-elle sans un mot. Avec Henri ! Avoua-t-elle.
On veut se marier
et partir vivre dans les îles ! Alors quand on a su que
madame avait caché un
trésor, on sait dit que si l’on pouvait mettre la
main sur seulement une petite
partie, pour avoir assez d’argent pour partir ! Seulement une
petite partie, on
est pas des voleurs, on se sent ou du moins Henri qui était
au service de madame
pense qu’elle n’aurait pas dû
l’oublier dans son héritage, qu’il
méritait un
peu mieux qu’un transfert à un autre
propriétaire qui à première vue ne
nous
plaît guère !
Ernest resta pensif, ce qu’elle disait lui semblait naturel.
Sa mère aurait dû
penser à Henri, surtout qu’elle avait toujours eu,
envers lui, une cohorte de
propos élogieux et ajoutait sans coup férir, que
personne ne pourrait le
remplacer.
En forme d’excuse il précisa :
-Ma mère est morte brusquement et n’a pas eu le
temps de faire pour vous un
geste généreux !
Il n’était pas vraiment convaincu devant sa propre
réponse mais pensait ainsi
lui faire comprendre son opinion compatissante.
Elle l’accepta d’une petite moue sans conviction.
-Vous ne direz rien à vos frères et à
votre sœur ?
-Non, ne vous en faites pas. De toute façon il n’y
a pas de trésor à découvrir
!
-Ah bon !
-Oui, seulement un événement concernant notre
famille, je ne sais pas lequel
pour le moment mais nous arrivons bientôt au but. Ma
mère a toujours eu un
esprit espiègle et les indices qu’elle nous a
laissés ne me permettent aucune
déduction. Mais nous approchons du but !
C’est pour cela que nous allons à Gex !
-Et, vous pensez que je pourrais vous être utile ?
-Non, pas vraiment, je vous trouve charmante et
j’aime votre compagnie
et, surtout, je voulais vous entretenir en tête à
tête sur vos fouilles
malvenues sans que votre sentinelle d’Henri ne nous
dérange ! »
Le chemin continua en silence. Les sept petits kilomètres
qui les séparaient de
Gex semblèrent durer une véritable
éternité.
Ils furent doublés par au moins dix voitures et trois
camions...
Enfin ils entrèrent dans Gex, prirent la route qui longeait
la piscine,
continuèrent sur leur gauche dans Gex-la-ville,
passèrent devant le Collège et
au niveau de l’ancienne prison qui servait maintenant de
bibliothèque et de
salle d’exposition, ils tournèrent sur leur gauche
pour prendre la petite rue
du Mont Blanc qui descendait en direction de
l’école.
Ernest avança lentement, enfin encore plus doucement
devrais-je dire. Puis il
pila sur les freins, surprenant Sylvie qui heureusement
attachée laissa
échapper un cri de surprise :
« Qu’est ce qui se passe !
Ernest regardait dans sa direction :
-Tournez la tête sur votre droite ! Dit-il.
Elle s’exécuta.
Devant elle se trouvait une grande bâtisse bien construite.
-Et alors ?
-Regardez ses fenêtres ! »
Deux d’entre elles était
protégées par des barreaux en forme de
portée
musicale.
Puppa chanta à haute voix les notes qui y étaient
appliquées :
« Pom, pom pom pom, pam pam pam pam ! Puis articula,
Beethoven ! La cinquième
de Beethoven !
-Vous savez lire la musique ? Demanda Sylvie
étonnée.
-Oui, j’étais un passionné de guitare
classique, j’ai arrêté il y a
quelques années ! Lire une partition n’est pas
vraiment un problème pour moi !
Celle-ci, en particulier, représente la solution de la
dernière énigme que nous
a laissée notre mère. Je savais où
trouver ce message car tout petit j’ai suivi
mes études à ce que l’on appelait le
C.E.S. de Gex, j’y étais demi pensionnaire
et de temps en temps, bravant les interdits de sortir aux heures de
midi, je
venais avec des copains flâner par ici. C’est
à cette époque que j’ai
remarqué
ces barreaux bien particuliers. Mais peu féru de musique je
n’avais pas essayé,
à l’époque, de les
déchiffrer ! Je viens de combler cette inobservation !
S’amusa-t-il.
-Et vous en déduisez quoi ?
-Et bien que son message à un rapport avec Beethoven ! Et la
statue de son
buste nous crève les yeux dans la salle à manger !
-Ah ! C’est lui Beethoven !
Ernest avait déjà fait demi-tour et à
une vitesse de plus de soixante-dix à
l’heure retrouva la cour de la demeure en un temps
qu’il estima être un record.
Ils furent reçus par la sortie de ses deux frères
et de sa sœur. Ils
s’apprêtaient chacun de leur
côté, munis d’ordre strictes
émanant d’Alban, de
se retrouver pour une fouille méthodique de Gex.
-Pas la peine, j’ai la solution ! Cria Ernest dans leur
direction.
Ils s’arrêtèrent dans leur
élan.
-Tu étais où ? On t’a
cherché !
-A Gex, j’ai vu la fenêtre !
-Tu as fait comment pour la trouver aussi vite ?
-C’est mon secret, suivez-moi !
--------------------------------------
Ernest se tenait devant monsieur Beethoven :
« Alors c’est toi qui va
m’apporter la réponse du doigt qui manque
à de
l’ombre la main ?
Ses comparses le regardèrent avec un étonnement
bien compréhensible.
-Quelles sont ses divagations sur le doigt de la main ? Demanda Serge
perplexe
de l’état psychique de son frère.
-Non, ne faites pas attention à ce que je dis ! En tendant
les deux bras vers
le buste il ajouta, mais voici celui qui détient notre
prochain message !
Il prit le buste dans ses mains et le laissa tomber sur le sol.
Il éclata en morceaux.
Au beau milieu des débris se trouvait le nouveau massage
qu’ils attendaient.
Cette fois, il s’agissait du programme d’un
concert. La date du concert était
en rapport avec la date de naissance de Serge, Ernest s’en
serait douté et le
lieu inscrit était le philharmonique de Berlin.
Berlin était également, dans la bonne
continuité des choses la ville de naissance
de Serge.
Ensuite, rien de bien particulier sur le devant du document.
L’énumération
détaillée des œuvres
hétéroclites qui
allaient y être jouées et en caractères
gras, le nom du soliste, Karl Winfield.
L’émotion d’Ernest
était à son comble. Notre génial
inspecteur commençait
à comprendre le message posthume de sa mère. Il
retourna le feuillet en
tremblant, il le savait déjà, dans le dos de
celui-ci, il découvrirait ce qu’il
pensait-être le chemin de sa solution.
Pourtant rien de tout cela n’y était
indiqué.
Usant d’une calligraphie soignée, sa
mère avait noté une formulation encore
plus étrange que les précédentes :
« La réponse aux questions qui doivent maintenant
vous tourmenter se trouve
expliquée en détail enfermée dans la
cassette. Elle correspond au nombre du
contingent de ma progéniture. »
Là, s’en était trop pour Alban, Serge
et Hélène.
-Elle devait avoir perdu l’esprit. Avec ses textes
incompréhensibles. Pourquoi
ne nous a-t-elle pas tout simplement expliqué cela
clairement de son vivant, ou
laissé la solution au notaire.
-Elle voulait peut-être nous transmettre
discrètement des bijoux d’une grande
valeur sans qu’il entre dans la succession et pour
éviter que n’importe qui
puisse les trouver, elle a laissé une piste tortueuse et
difficile à comprendre
! Reprit Hélène.
Serge ne dit pas un mot. Pensait-il à la
résolution du prochain indice ou
divaguait-il déjà dans son monde de toxicomane ?
C’était difficile de le
savoir. Assis, les yeux fermés, il donnait
l’impression de méditer.
Ernest, quand-à lui avait tout compris. La cassette se
trouvait dans la chambre
de sa mère, exposée aux yeux de tous et
n’attendait qu’une seule chose, faire
ses révélations douloureuses...
--------------------------
L'épilogue
Ils
suivirent Ernest dans la chambre. Hélène ne
croyait pas vraiment que l’on y
trouverait ce qu’elle croyait être un
trésor.
« J’ai fouillé la chambre de fond en
comble, dès le premier jour et le l'aurai
certainement trouvée ! Avait-elle affirmé.
»
La pièce offrait maintenant un désordre
indescriptible. Les meubles avaient été
poussés, certains même renversés. Tous
les vêtements entassés en désordre sur
le lit. La grande télévision, compagne
indispensable des moments de solitude de
sa mère gisait sur le plancher et était
surmontée du magnétoscope qui lui
servait à repasser les vidéos des anciens films
qu’elle avait enregistrés.
D’ailleurs, le meuble qui contenait ses centaines de
vidéo avait été détruit et
tous les films gisaient pêle-mêle
balayées en tas dans un coin de la pièce.
Ernest pointa un doigt précis sur celui-ci et commenta :
« Elle est là, la K7, dans ce gros tas que
l’un d’entre vous a formé sans le
moindre respect ! J’espère que vous
n’avez pas cassé celle qui nous concerne !
Reprit-il anxieux.
-Mais il y en a au moins cinq cents !
-On a qu’à se partager la tâche pour
toutes les visionner !
-Pas la peine ! Repris Ernest. Elle doit porter, j'en suis certain le
numéro
quatre !
-Pourquoi ?
-Parce que nous sommes sa progéniture et nous sommes quatre
! Compléta Ernest
énervé par le peu de clarté
d’esprit de son entourage incapable de comprendre
l'esprit espiègle de leur génitrice.
En quelques minutes la cassette fut retrouvée et
glissée dans le lecteur d’un
type ancien, qui couina sa mise en marche.
Le téléviseur diffusa d’abord un
grésillement formé de points à
l’allure de
brouillard, puis une image d’abord trébuchante
apparue. C’était leur mère. Elle
les regardait en souriant. La date marquée sur le coin de
l’écran montrait que
l’enregistrement devait dater d’une
année.
Elle commença à parler.
« Cette cassette est destinée à mes
enfants. Je suis madame Puppa et si vous ne
faites pas partie de ma progéniture, s’il vous
plaît faites la leur parvenir !
» Puis elle énuméra le
numéro de téléphone de chacun des
enfants.
Dès ses premiers mots ses rejetons
s’étaient resserrés autour de
l’écran.
Ses explications terminées le discourt qui leur
était vraiment destiné commença
:
« Mes très chers enfants,
j’espère que vous
vous trouvez tous là à
m’écouter,
car ceci concerne chacun d’entre vous. Peut-être
avez-vous
trouvé cette
cassette par hasard ou comme je le pense mon cher petit Ernest a
déjoué toutes
mes élucubrations avec la facilité que je lui
connais.
Pourquoi ai-je créé ce jeu de piste ? Elle
continua sur sa réponse.
Parce
que je considère que ce que je
n’ai pas osé vous avouer de mon vivant,
doit-être d’une certaine façon
mérité.
Cette confession, qui pour moi est d’une cruciale importance,
devait-être ainsi
faite. Et j’espère secrètement ! (Elle
sourit.) Que vous ne la découvrirez pas !
Puis elle compléta malicieusement. Mais enfin
c’est raté, puisque vous êtes
là
à me regarder.
Avant tout, sachez que je vous ai tous aimés de la
même façon, même toi
Hélène
qui dans une aliénation qui m’a
particulièrement peinée a percé un
fossé de
haine dans ta propre vie. Et toi mon pauvre petit Serge que
j’aimerai tant
savoir revenu dans le chemin de la réalité. Alban
tu es ma fierté dans ta
réussite et toi Ernest tu représentes
l’intelligence et la compréhension qui
m’étonne chaque jour de plus en plus.
Votre père ! Continua-t-elle la voix chargée
d’émotion. Je l’ai toujours
aimé,
mais dois-je en avoir honte ? J’ai eu trois amants
cachés qui ont tous empli
une part importante de ma vie !
Les visages de ses quatre enfants arborèrent tous en
même temps une justifiable
lividité.
Il y eut Igor ! Sa voix hoqueta. Qui est ton père Alban.
Puis Brian qui est le
tien Hélène. Elle s’arrêta de
parler un instant et les yeux baissés,
gênée de
se dévoiler si brutalement elle reprit. Et puis Karl, ton
père Serge ! Elle osa
enfin lever ses yeux et regardant droit l’objectif de la
caméra qui
enregistrait ce moment de vérité elle termina
par, toi seul Ernest et notre
fils légitime ! Puis elle se tut immobile au beau milieu de
l’écran.»
Un sentiment de tristesse avait envahi le silence lugubre de
sa mère.
Hélène sanglotait les mains appuyées
sur son visage.
Alban flegmatique ne laissait rien paraître.
Serge s’était enfoncé un peu plus dans
sa déréliction et Ernest les yeux rougis
par son désarroi ressentait un fort maux de tête.
Sa propre mère venait devant
eux tous, avouer une vie de débauche
incontrôlée. Il était
tiraillé entre deux
réflexions, celle de compréhension
qu’un esprit ouvert tel que le sien pouvait
sans problème admettre et celui passéiste devant
une faute qui le concernait
intimement.
Son tiraillement fut interrompu par la reprise de
l’allocution maternelle :
« Ne m’en veuillez pas, ces rencontres, ces courtes
liaisons furent pour moi un
enrichissement affectif nécessaire. Votre père
n’en a jamais rien su. Vous-même
n’en auriez jamais eu vent si le remord de mes vieux jours ne
m’avait pas
poussée à cette confession. J’ai
donné au notaire un dossier sur votre
véritable père, avec l’ordre de vous le
céder uniquement si vous en faites
l’express demande.
Je ne sais pas vraiment combien de temps il me reste à
vivre, peut-être un an,
peut-être dix. Je n’espère
qu’une seule chose, que vous me pardonniez mes
écarts et la tardiveté de ses propos.
L’image se coupa un instant et au moment où Alban
s’apprêtait à éteindre
l’appareil, elle revint.
Cette portion de film avait été
mémorisée durant une date plus tardive.
Leur mère semblait plus détendue, même
souriante elle parla :
« Ce dernier message concerne Henri, mon cher et
fidèle majordome. Pour le
remercier de ses bons et loyaux services, j’ai ouvert un
compte à son nom au
crédit agricole et j’y ai placé une
somme qui lui permettra de couler des jours
heureux après ma mort. Dites-lui de se rendre à
l’agence de Gex. Ils sont au
courant et lui cèderont la clef de ce
dépôt sans aucun problème ! »
Puis l’image fut brutalement coupée, pour rester
cette fois ci définitivement
suspendue…
-------------------------------
Les déménageurs avaient envahi la maison, tout
devait être débarrassé avant la
venue du nouveau propriétaire.
Henri, deux petites valises à la main quittait heureux ce
lieu qui l’avait
accueilli pendant de nombreuses années. Il se dirigea vers
Ernest avec la jolie
soubrette accrochée à son bras :
« Merci monsieur ! Dit-il
-Y’a pas de quoi !
-Mais si, sans vous, on n’aurait jamais su à
propos de ce compte.
-Ah oui, c’est vrai, ma mère aurait
d’ailleurs dû penser à cette
éventualité !
Sylvie s’approcha de lui et l’embrassa sur les
joues.
-Merci monsieur Ernest !
Henri la tira à lui avec une vigueur de jalousie.
-On doit y aller ! Au revoir monsieur.
Les frères et la sœur d’Ernest avaient
tous retrouvés leur vie coutumière avec
une connaissance plus approfondie de leurs origines. Etaient-ils
allés voir le
notaire pour obtenir plus d’information sur leur
géniteur. Il n’en fut jamais
informé.
Après un dernier tour de nostalgie dans la bâtisse
qui rapidement se vidait. Il
quitta l’endroit sans oser se retourner. Il était
heureux de ses découvertes,
plus particulièrement celle qui concernait Henri et sa
soubrette.
Pour son frère et sœur, il se demandait si la
révélation de ce terrible secret
serait vraiment judicieuse.
Dans le parc qu’il venait de commencer à
arpenter, il s'arrêta net sous
l’endroit exact ou trônait la statue du docteur
Paul Vidar et s'interrogea.
« Mais quel est le rapport avec le doigt qui manquait
à l’ombre de sa main ?
Ernest leva les yeux au ciel, c'était l'emplacement
où il pensait me trouver.
Moi, son fondateur, l’inventeur de son existence
écrite, j’étais amicalement
lové autour de son esprit.
Je
lui répondis par le trait d’esprit qui nous
unissait depuis sa naissance
:
« Mon cher Ernest, j’ai choisi le titre de cette
nouvelle dans un seul but
accrocheur !
Puis, j’ajoutais. De plus, je te trouve d’une
clairvoyance excessive et j’ai
également voulu par ce moyen te poser un problème
que je savais insoluble ! ».
Ernest s’en amusa d’une gaieté
forcée, haussa les épaules et clôtura
son
silence par un dernier soupir.
Avec une moue de dépit, conscient de sa condition virtuelle,
il continua
tristement la suite de son chemin.
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