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  Il  manquait un doigt à l'ombre de sa main

29/05/2014




« Dès la première seconde j’ai su qu’il fallait que je comprenne.

Alors ! J’ai mis ma tête entre mes mains, j’ai posé mes coudes sur la table et j’ai médité.
C’est bizarre comme l’esprit peut divaguer à la recherche de multiples solutions. Le mien aime regarder à travers quelques indices insignifiants, cherchant à débusquer le fil conducteur qui déjouera l’ensemble du mystère.

Car mystère, il y avait. Ayant résolu tant d’énigmes durant ces dernières années, j’étais bien décidé à déjouer celle-ci dans les plus brefs délais. Mais où commencer, comment cheminer jusqu’à l’évidente solution. Je savais par expérience que son esprit malicieux et tortueux pouvait imaginer quelques histoires au premier abord complètement farfelues, mais qui imposaient immanquablement leurs cohérents dénouements.

Je me laissais donc bercer par ces quelques mots qui me laissaient dans la plus étrange attente. Le doigt qui n’était plus présent, l’ombre !
De quel type d’ombre m’entretenait-il ?

Mais d’où pouvait bien provenir cette étrange allégation... »

La sonnerie de sa montre le tira de sa rêverie. Dans une heure il devait aller au rendez-vous hebdomadaire qu’il avait avec sa mère.

On était vendredi soir, l’un de ces soirs de fin de semaine où l’on a envie de profiter de ses premiers moments de tranquillité du week-end. Il sauta dans sa voiture  en direction de Divonne.

C’était dans cette petite ville qu’elle vivait.

Une immense maison de maître où elle régnait en seigneur incontesté depuis le décès lointain de son mari.

Il avait une bonne demi-heure devant lui, il se gara prêt du casino, il voulait arpenter les ruelles de Divonne pendant le temps qu’il lui restait. Il prit le chemin du centre-ville, s’engagea dans la rue Fontaine pour aboutir sur ce petit chemin qui longeait les bords de la Divonne. Les deux mains cramponnées sur une barrière, il observa le flot continu de l’onde rapide, s’imaginant un instant être un poisson filant dans la fraîcheur de cette eau réputée pour ses qualités curatives. Puis il se reposa quelques courts instants, assis sur un banc de cette minuscule place marquant le partage inégal des eaux.

Puis il continua sa promenade en direction de la place des trois fontaines où un groupe de jazz s’époumonait à des musiques de la lointaine Louisiane. Puis, il enchaîna en direction de cette large allée bordant le parc où s’ébrouaient de nombreux gamins sous la surveillance attentive de leurs géniteurs. Devant lui se profilait cette immense maison habillée de blanc qui acceptait avec une grâce ancestrale la clarté du couchant.

Pénétrant dans la propriété, il fût surpris par la présence de trois voitures qu’il reconnut comme celle de ses frères et de sa sœur.

Il sonna à la porte.

Un major d’homme ouvrit et annonça d’un ton emprunté :

« Nous n’attendions plus que vous ! »

Ernest Puppa, le fameux inspecteur de police du pays de Gex pénétra dans la maisonnée…

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Ernest pénétra dans le grand hall. Tout de suite il fut envahi par les effluves de son enfance. Il n’y avait pas essentiellement cette odeur caractéristique que possède chaque maison, mais également les couleurs qui n’avaient pas changé, ce marbre blanc et froid qui avait si souvent reçus ses glissades d’enfants. Cet immense escalier qui avait expérimenté ses ambitions de cascadeurs. Il se revoyait glisser à califourchon sur la rampe sa montre chronomètre serrée entre ses doigts. Quatre secondes trois dixièmes, c’était son propre record de descente.
Son regard se posa sur cette petite porte en chêne massif qui s’ouvrait sur le chemin du sous-sol. Avec sa chambre c’était certainement le lieu qu’il avait le plus fréquenté dans cette demeure. Une succession de petites caves mal éclairées de recoins secrets avaient exacerbé son imagination d’enfant. C’est à cet endroit qu’il avait résolu ses premières énigmes de policier en culotte courte. Il résolu le mystère des disparitions des bouteilles d’un fameux vin de son père, qui en fait était volé par une femme de chambre un peu pocharde, il avait découvert la cachette de ce rat qui avait détruit la cage à fromage.

Puppa sourit en se remémorant tous ces bons souvenirs.

Paul le majordome se racla la gorge. Il attendait Ernest avec une sorte d’impatience, debout sur la quatrième marche de l’escalier central. Pourquoi voulait-il lui montrer le chemin des chambres ?
 « Maman n’est pas dans le salon ? Interrogea Puppa.

-Votre mère est souffrante, elle a eu un malaise cette après-midi ! Dit-il froidement.

-Personne ne m’a averti ! Répondit Ernest qui furieux dépassa Paul pour se rendre en quelques secondes dans la chambre de sa mère.
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« Ernest ! Mon petit, te voilà enfin !

-Maman, mais que t’est-il arrivé !

-Je crois bien que c’est la fin ! Répondit-elle d’une voix bredouillante.

Ernest lui prit la main. Il ne ressentit plus cette vigueur qui l’animait d’habitude.

-Ne dis pas des bêtises !

Elle esquissa une petite grimace qu’elle aurait voulu être un sourire Ses yeux pointèrent vers une chaise qui lui était destinée.

-Assieds-toi mon petit, il faut que je vous parle ! Puis de lassitude, elle ferma les yeux.

Puppa comprit qu’il lui fallait obéir. Il alla s’asseoir en évitant de faire le moindre bruit.

Sa mère restait là, devant lui totalement immobile. S’était la première fois qu’il la voyait si fatiguée, vulnérable. Les joues creusées, les lèvres blanchies par la fatigue, de grosses paupières qui semblaient saillir de son visage émacié. Pourtant la semaine dernière, il n’avait rien remarqué, elle avait semblé jouir de sa forme habituelle, lui parlant de ses dernières lectures, des souvenirs de son enfance. S’inquiétant de la santé mentale de sa fille.

Et justement, elle était là. Hélène, sa fille ! La sœur d’Ernest. Debout dans un coin de la pièce.

Pourquoi était-elle ici ? Il ne l’avait pas revue depuis au moins cinq ans et en vérité cela ne le chagrinait guère. Elle avait toujours été l’enfant gâté de la famille.

« Elle est plus fragile que les autres ! »Disait sa mère.

Pour Ernest, elle avait toujours été la petite peste, jalouse de tous, qui enchaînait frasques et bêtises tout en jouissant de la clémence familiale. Les années avaient passé sans apporter la moindre amélioration. Au contraire, au début des années deux mille, elle était devenue folle. Une démence paranoïaque qui avait irrémédiablement fait le vide autour d’elle. Il se souvint de cette scène où pendant un repas familial, elle avait insulté tout le monde.

« J’en ai marre d’être surveillé jour et nuit, que vous fouillez mon appartement en mon absence, que vous me fassiez suivre dans la rue ! » Puis elle avait quitté la maison en claquant la porte.
Etait-ce son divorce qui l’avait rendue ainsi, ou simplement un état latent qui avait fini par resurgir ? Le fait et que depuis cette triste invective, il ne l’avait pratiquement plus revue et il ne s’en portait pas plus mal.

Comme à son habitude elle portait d’opaques lunettes noires qui lui permettaient, un peu plus, de se confiner dans son moi intérieur. Elle remuait ses doigts avec anxiété, brûlée par le manque de son inséparable cigarette, de cette clope qu'elle ne quittait qu’à de rares occasions le réconfort de sa bouche. En la dévisageant à la dérobade, Ernest considérait les ravages physiques évidents qu’avaient causés cette amie mortelle, une peau fatiguée, des rides profondes avaient prématurément conquis son visage et lui donnaient un âge et une posture digne d’une ancienne harpie de furieux contes médiévaux.

Le regard de Puppa continua son chemin pour se poser sur son frère aîné.
Alban ! L’intelligent Alban, le surdoué de la famille, émérite polytechnicien qui gérait une entreprise financière sur Genève.
Etant donné son importante différence d’âge avec lui, il ne le connaissait vraiment pas très bien.
Il n’était qu’un petit garçon lorsque son frère était parti vivre sa vie aux Etats-Unis.
Il y a trois ans de cela, suite aux problèmes économiques Américain de l'année 2011, il avait choisi de retrouver la région de son enfance et s’était retrouvé à la tête d’une firme suisse.
La cinquantaine bien entamée, il possédait une prestance convoitable. Droit comme un I, il était habillé d’un costume sombre confectionné par l’un de nos meilleurs couturiers. Son visage était hâlé par le soleil des tropiques. Ses yeux brillant comme de la braise contenaient ce regard que l’on avait tous, du mal à soutenir. Ses tempes légèrement grisonnantes accentuaient le respect que l’on sentait lui devoir. Et puis, surtout, il avait cette voix grave, certaine de son fait, habituée à donner des ordres, à demander une obéissance immédiate. 

Pour le moment, il restait devant le lit de notre mère, immobile, le visage fermé. Ses deux mains aux doigts entrecroisés démasquaient l’angoisse qui devait, à cet instant le submerger. Elles étaient agitées d’une activité intense, chaque doigt essayant nerveusement de trouver la place qu’il semblait être incapable de découvrir.

Et puis il y avait Serge, son deuxième frère. Le Baba-cool, d’une originalité bohème, d’une divagation soixante-huitarde. Il avait gardé les cheveux longs, mal peignés, délavés par le soleil, qui entourait un visage aux allures de prophète. Il resplendissait de cette pureté naïve de l’enfance, de ce bonheur sans honte que l’on possède avant le discernement circonspect de l’austérité de la vie. Puppa l’aimait tout particulièrement, il éprouvait pour lui un sentiment protecteur, une juste opinion qu’il était de son devoir de surveiller cet être qui avait tant de mal à sortir de sa juvénilité. Souvent son  hospitalité protectrice avait calmé ses chagrins et interrogations.
Serge se sentant observer leva ses paupières qu’il avait tenues jusqu’alors fermées et regarda Ernest semblant lui demander de lui octroyer un évident réconfort. Ernest lui répondit par un petit sourire qui instantanément dérida la crispation de son visage et ses lèvres s’entrouvrirent semblant lui murmurer :
 « Tout va bien, je serais toujours là ! »

Serge se mordit les lèvres, il avait envie de pleurer et espérait par ce pincement, éviter cette attitude de faiblesse.
Puppa scruta en détail chacun de ses traits pour arriver bientôt à ses yeux.
Ceux-ci étaient le seul point qui chagrinait l’opinion de Puppa.
Pas leurs apparences ou leurs couleurs, mais la forme de leur pupille ! Celles-ci étaient continuellement dilatées et pour Puppa cela représentait la preuve suffisante et contrariante de sa consommation exagérée de produits illicites.

Il se mit à penser qu’il lui faudrait le rudoyer à ce sujet, lui expliquer que sa santé était en jeu et qu’il devait absolument arrêter cette drogue qui sous des airs inoffensifs entraînerait chez lui des dégradations irréparables.
Puis soudain ses considérations furent arrêtées par le râle que poussa sa mère.

Tous se rapprochèrent d’elle.
Elle ouvrit les yeux qui pivotèrent lentement pour observer chacun d’eux.

Elle leva son bras avec peine pointant l’un de ses doigts qui pivota dans la direction de chacun d’eux. Puis utilisant ce qui fut son dernier souffle, elle murmura :

« Cachée... La cassette... Dans la maison... J’ai tout mis... Dans la cassette ! »

Puis semblant avoir accompli son dernier devoir elle laissa retomber son bras brusquement et s’en alla paisiblement rejoindre le pays de ses ancêtres...

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Puppa se tenait à proximité de l’église de Divonne. Sa mère venait d’être enterrée et toute la famille et relations s’étaient donnés rendez-vous dans la demeure familiale pour une collation en l’honneur de la défunte. Ernest n’était pas vraiment pressé de retrouver tous les convives, il y avait d’abord cette tristesse causée par le départ d’un être cher et l’envi de se recueillir dans un endroit calme sans cette obligation d’échanger les civilités indispensables avec l'ensemble des personnes compatissantes. Il décida de flâner tranquillement. Les yeux perdus dans le vague de ses songes, le pas chancelant après chaque descente de trottoir. Il marcha devant l'église, puis la salle des fêtes, il bifurqua sur la droite et contourna la piscine pour se diriger en direction de la fête funèbre.

L’image de sa mère suivait le cours de ses pensées. Il visionnait, tel un film, le cheminement de son existence, réorganisant le cours de ses jours heureux. Puis, il regarda sa main, s’arrêta prêt d’un mur crépi de blanc et la présenta devant celui-ci en opposition avec le soleil. L’ombre se dessina parfaitement sur la surface blanchâtre.

Son regard observa avec attention son contour.
Il replia l’un de ses doigts et logiquement cette action fut immédiatement suivie par la riposte de la silhouette. Etait-ce ceci le secret si bien énoncé.
Puis le visage de sa mère réapparut devant lui.

Une larme lentement glissa sur sa joue.

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La grande maison était emplie d’un brouhaha joyeux. Cette ambiance festive, n'avait rien d’offensant pour la défunte. Au contraire, on revivait les bons moments  vécus en sa compagnie. Les soirées entre amis, ses voyages. Ernest était né dans cette maison, mais ce n’était pas le cas de ses frères et de sa sœur, ils avaient tous vu le jour dans de lointains pays. Son père ambassadeur était rentré au pays dans l’unique but de prendre une retraite qu’il estimait bien mérité. Avec une différence d’âge de plus de vingt ans avec sa femme, il avait estimé qu’un dernier rejeton serait une excellente idée pour accompagner ses vieux jours. Et voici comment Puppa vit le jour et fut bercé par une enfance heureuse et excellemment protégée. La mort de son père survint le jour même de ses douze ans. Ernest se trouvait d’ailleurs en face du portrait de son paternel; Celui qui était accroché au-dessus de la grande cheminée qui trônait dans le salon au plafond immense. Il lui ressemblait trait pour trait, surtout ses yeux, plissés à la manière d’un v renversé et qui semblaient scruter le monde d’un simple regard caustique.

« C’est vraiment toi, trait pour trait ! »Affirma l’un de ses cousins qui se tenait à ses côtés.

Puppa se tourna vers lui et lui sourit. Le visage de son interlocuteur remua quelques-uns de ses lointains souvenirs. Cet homme barbu, au crâne partiellement dégarni lui rappelait ses vacances d’enfance au bord de la mer, ses promenades dans les calanques de Cassis, cette violente piqûre de rascasse qui l’avait tant fait souffrir.

« Damien ! C’est gentil d’être venu ! »

Ce cher cousin Damien qu’il n’avait pas revu depuis tant d’année. Séparation idiote de la vie qui nous entraîne loin l’un de l’autre et qui nous fait oublier le plaisir que l’on avait d’être ensemble. Puis, un jour, il y a cette simple rencontre pour nous faire regretter cette ignorance trop longue et l’on se jure de bientôt se revoir, de renouer des liens depuis trop longtemps rompus. Ensuite, le cours de la vie nous fait renouveler la même erreur, la même négligence de l’un envers l’autre et ceci malgré la promesse si sincèrement donnée.

Ernest fit donc son devoir d’hôte, passant d’un canapé à l’autre, d’une table à la prochaine, saluant avec déférence les personnages qu’il savait important, s’amusant de plaisanteries délicates avec des copains ou parentés de sa génération, s’attristant de réminiscences douloureuses avec les amis intimes de sa mère.

Puis, il y a le « OUF ! » Celui de refermer la porte derrière le dernier visiteur. De s’asseoir dans un coin du salon en se repaissant d’un silence  bienvenu.

Mais Puppa n’était pas seul, son frère Alban se tenait assis sur l’un des grands fauteuils Louis XV, les jambes croisées dans une pause élégante, un dernier verre de cognac à la main, la bouche noyée d’une gorgée dont il semblait se délecter. Il regardait à travers l’une des portes vitrées qui donnait sur le jardin. Hélène, était bien entendu cachée dans un coin sombre de la pièce, extirpant nerveusement une bouffée mortelle de son inséparable compagne, triturant de sa main libre le mouchoir qui venait de recevoir les derniers postillons de sa toux rauque et maladive. Seul Serge manquait à l’appel, trop affecté par le décès, il avait préféré se cacher pendant toute la durée de la réception et même Ernest n’avait pas pu le faire sortir de la chambre qu’il avait occupée lors de son adolescence. C’est à l’instant où Ernest prit la décision d’aller le faire sortir de sa cachette, que notre sensible personnage apparut, les cheveux en bataille et les yeux boursouflés par son inconsolable chagrin.

Henri, le majordome accompagné de la jolie, très jolie Sylvie, jeune soubrette d’une vingtaine d’années le suivaient d’un pas feutré pour venir terminer de débarrasser les victuailles laissées pêle-mêle sur les tables.

Alban se leva brusquement et leur ordonna en quelques mots et d'un geste bien choisi de quitter la pièce sur-le-champ, qu’une discussion familiale importante nécessitait leur absence.

Henri répondit :

« Bien Monsieur ! » Puis il disparut avec l’agréable compagnie de sa jeune assistante.

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C’est bien entendu Alban qui prit la tête des débats :

« Il semblerait que mère possédait un magot caché quelque part ici ! Est-ce que quelqu’un est au courant de ce fait ?

En affirmant cela, Alban regarda droit en direction d’Ernest, il le savait très malicieux. Mais, sa seule réaction fut une moue d’ignorance. Puis vînt le tour d’Hélène, la petite chouchou, elle se cacha un peu plus derrière sa cigarette et ses lunettes noires et secoua la tête nerveusement. Serge vautré sur un fauteuil et submergé par ses fumettes de substances psychotropes ne réagit même pas.

« Qu’est ce qui te fait dire qu’il s’agit d’un magot ? Demanda Ernest.

-Pourquoi aurait-elle caché une cassette, si elle était sans valeur ? Répondit-il avec raison.

Puis Hélène ouvrit la bouche avec une voix qui semblait assurée. Il est vrai que lorsqu’il y avait héritage, elle retrouvait soudainement une évidente normalité et son raisonnement devenait étrangement acerbe et clairvoyant.
-Ne devons-nous pas nous rendre demain chez le notaire, le testament nous donnera certainement des informations à son sujet !

Serge remua, on crut qu’il voulait ajouter quelque chose.

Il se tourna sur le côté et prenant la position du fœtus, fit mine de s'endormir.

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« Vous êtes ici rassemblés, pour prendre connaissance de la succession de votre mère, madame Eléonore Puppa ! »

Puis, le notaire énuméra la qualité de chacun en leur demandant d’approuver ses affirmations.

« Votre mère cède à parts égales, sa maison de Divonne d’une valeur de deux million cinq cent mille Euros et la totalité de ses comptes en banque et placements d’une valeur totale de huit cent mille Euros. Vous avez entre vos mains l’ensemble des justificatifs ! Je me suis occupé pour vous de la déclaration fiscale et j’ai précisé le montant des impôts que vous avez à payer! Précisa-t-il en feuilletant le double de l’acte qu’il leur avait confié.

-Il n’y a rien d’autre ? Demanda Hélène avec un ton resplendissant de la manne qui sans mérite lui tombait entre les mains.

-Non, rien d’autre ! Répondit le notaire étonné. Enfin si ! Continua-t-il, j’ai cette petite lettre qu’elle m’a confiée et demander de vous lire après sa mort.

La chaise d’Hélène se mit à grincer, lorsque d’intérêt, elle avança d’un pas en direction du notable.

Alban se racla la gorge, Serge laissa échapper une onomatopée d’étonnement et Ernest stoïque eut un simple mouvement de sourcils.

Le notaire décacheta la lettre avec un long coupe papier en métal doré. Sortit la missive de l’enveloppe et commença sa lecture :

« Mes enfants, vous entendez ces mots pour la triste raison de mon décès ! J’ai vécu une belle vie en compagnie de votre père. Elle a été faite de voyages, de confort et fut agrémentée par vos naissances. Sachez que je vous aime tous de la même affection et que j’ai fait mon possible pour m’accommoder de vos travers. J’ai caché dans ma demeure une cassette contenant un élément de la plus haute importance. Sachez mes chers enfants garder la tête dans les étoiles ! »
Le notaire s’arrêta de lire et regarda ses interlocuteurs.

« C’est tout ! » Dit-il

-Comment ça. C'est tout ! Répéta Hélène. C’est quoi cette plaisanterie !

-Je ne peux rien vous dire d’autres. La seule chose qu’elle m’ait dit en me donnant cette lettre, c’est qu’elle vous permettrait un enrichissement personnel inattendu.

-Inattendu, enrichissement, Je ne comprends pas ! Grogna Alban.

Serge ne réagit pas, l’esprit encore brouillé par son dernier joint.
Mais les yeux de notre cher inspecteur Ernest Puppa se mirent à briller, il était heureux d’entendre ce dernier message de sa mère, c’était un peu comme si elle s’adressait une dernière fois, personnellement à lui et le défiait de résoudre une enquête difficile...

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Ernest Puppa se tenait debout devant les sources de la Divonne. Il admirait les méandres de l'eau qui dévalait avec rapidité les petites cascades, et qui semblait-il avait des pouvoirs thérapeutiques. Il avait décidé, avec ses deux frères et sa sœur de passer toute la semaine dans la demeure familiale pour retrouver cette fameuse cassette. Ensuite la maison serait vendue. Un riche acquéreur plutôt pressé leur avait fait une offre très avantageuse qu’ils n’avaient pas pu refuser. Même Alban, qui contrairement à ce qu’Ernest aurait pu croire, attendait avec impatience cette rentrée d’argent frais. Ernest avait compris que ses affaires n’étaient pas aux mieux et que le fisc avait mis la main sur quelques-unes de ses affaires frauduleuses. Pour sa sœur, l’argent était son seul et unique motif familial et Serge voulait de quoi financer son vice à satiété. Ernest avait suivi l’avis général, bien qu’il eut aimé garder cette demeure garnie de ses mémoires d'enfance. Ils leur restaient donc une semaine pour découvrir cette chose, cette cassette du bonheur.

Puppa jeta un coup d’œil sur sa main. Toujours cette même obsession de compréhension devant un problème posé. Il ne comprenait pas le pourquoi de l’ombre auquel il manquait un doigt. Quel était le sens caché de cette affirmation ? Peut-être une bague. Oui un bijou qui avait été volé ! On avait coupé le doigt.

Mais il était temps d’aller à son rendez-vous.
D’un pas décidé il rejoignit en une dizaine de minutes la propriété familiale.

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Henri et Sylvie l’attendaient devant la porte. Par bonheur pour eux le futur propriétaire avait accepté de les garder à son service, leur futur semblait donc assuré. C’est Sylvie qui s’occupa d’Ernest.

« Nous n’avons pas pu vous réinstaller dans votre chambre de jeunesse et nous avons donc préparé pour vous la chambre bleu. Elle grimpa devant lui l’escalier de marbre blanc. Ernest remarqua à cet instant comme elle était belle, avec ses hanches qui se balançaient à chacun de ses pas, sa chevelure d’un noir intense qui s’enfilait dans les entrelacs d’une natte impeccable.
Arrivée à destination, elle se dirigea immédiatement vers la fenêtre et ouvrit en grand les volets faisant ainsi jaillir la clarté matinale. Puis avec déférence elle s’adressa à Ernest avec un regard d’une délicatesse qui le fît rougir. Il bredouilla un remerciement confus et lui assura que tout était pour le mieux. Il la regarda partir, emportant avec elle cette fragilité qui, en lui, suscitait une profonde émotion. Puis il se dirigea vers la fenêtre qui s’ouvrait sur un jardin aux dispositions délicates. Un parterre de roses multicolores encadrait avec charme une pelouse finement tondue. Deux allées gravillonnées s’enfilaient sous une futaie d’arbres fruitiers pour se rejoindre un peu plus loin devant un bassin en pierres taillées. Quatre statues habilement sculptées décoraient les points stratégiques du jardin habillant ainsi les contours d'une haie foisonnante. Un massif fleuri marquait le centre de cette composition. Ernest ferma les yeux et se revit enfant courant pieds nus dans le gazon encore humide, se délectant de baies sucrées, naviguant jusqu’au fond du jardin avec l’espoir d’y découvrir un coin inexploré.

Il sortit son portefeuille de sa poche, l’ouvrit et en extirpa une petite photo barrée en son milieu par une pliure.

C’était celle de sa mère.

Il l’avait chapardée à son insu.

Elle n’aimait pas être prise en photo, ses vieux jours lui avaient toujours fait peur et elle ne voulait pas que l’on garde un souvenir de ceux-ci.

Ce petit portrait de vingt par trente millimètres devait dater d’une bonne quinzaine d’années, elle y apparaissait souriante, un peu crispée devant le voleur d’image, son regard perçant était parfaitement similaire à celui d’Ernest, il scrutait la vie extirpant avec facilité l’ensemble des travers de l’existence.
Ernest crut entendre sa voix :

« Ernest, tu es certainement le plus apte de la famille à découvrir mon secret, laisse divaguer ton esprit comme tu le fais si bien et observe l’insignifiant détail qui te mènera à lui ! »

Un bruit saccadé arriva à ses oreilles. Puis un appel :

« Ernest, nous t’attendons en bas !

-Ok Alban ! Je vous rejoins dans cinq petites minutes ! » Répondit-il.

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« Le problème est très simple, nous n’avons que quelques jours pour découvrir le message de notre mère, je propose de répartir nos tâches d’une façon rationnelle !
Alban venait de prendre les choses en mains.
Toi Hélène ! Tu t’occupes de fouiller la cuisine, Serge, tu t’occuperas de ! Alban regarda la mine endormit de son frère, réfléchit quelques instant et décida. Tu t’occuperas de ta chambre ! Le choix était judicieux car celle-ci était pratiquement vide. Ernest ce sera la salle à manger et moi, la chambre de mère ! Pas de suggestion? Alors, tous au poste ! Dit-il d’un ton autoritaire.
Ernest leva le doigt et affirma.
-Tu as certainement raison d’employer cette méthode, mais, moi j’ai une autre idée. Je dirai même une certitude sur le message que maman nous à communiquer dans sa lettre !
Alban sembla contrarié de son affirmation.
-Laquelle ! Demanda-t-il d’un ton sec.
Ernest répondit simplement :
-Je veux m’occuper du grenier !
Hélène enchaîna :
-Je vais avec lui ! »
Cette chère Hélène n’avait pas dans sa déclaration une envie particulière d’aider son frère, mais plutôt de le surveiller. Elle connaissait parfaitement sa perspicacité particulière et ne doutait nullement de l’aboutissement de sa fouille. Elle voulait simplement être à ses côtés pour s’assurer de la primeur intégrale de cette fameuse cassette et être certaine que rien n’y serait dérobé.
Ernest n’écouta même pas le « Faites ce que vous voulez ! » de son frère et suivit par la silhouette chimérique d’Hélène monta les trois étages pour ouvrir une petite porte qui grinça sous l’effort.
Le grenier était immense, il s’étalait sur la longueur intégrale de la maison, la chaleur qui y régnait était difficilement supportable Le plafond sommairement isolé du toit n’était qu’une bien mince protection à la fournaise provoquée par les tuiles chauffées à blanc par le soleil. Qu’y avait-il dans cette mansarde ? Des malles, beaucoup de malles ! De la poussière. Puis de nombreux souvenirs de séjours africains et bien entendu le bric-à-brac habituel que l’on retrouve généralement dans un tel lieu.
Visualisant l’ampleur démesurée de la tâche, Hélène interrogea :
 « On doit commencer par quoi ? »
C’était peut-être la première fois de ces dix dernières années que cette gourde lui adressait directement la parole. Ernest serra les dents et marmonna :
« Tu ne sais pas écouter, t’as pas entendu les derniers mots de notre mère !
-Et bien si, et alors ?
-T’as pourtant des visions, d’habitude ! Continua Ernest, faisant ainsi référence à ses crises paranoïaques.
Vexée, elle haussa les épaules et se dirigea tout de go vers le plus gros coffre qui semblait avoir récemment été déplacé.
Aux traces laissées sur le sol on pouvait d’ailleurs se rendre compte que l’endroit avait été minutieusement fouillé. Hélène ne remarqua pas cette évidence, mais Ernest aperçut sans le moindre mal les traces laissées par des mains indiscrètes.
Qui avait déjà bien pu engager ces fouilles ? Certainement quelqu’un qui était au courant du secret. Mais qui. Ses frères, sa sœur qui pouvait feindre l’ignorance des lieux ?   
En fait, Ernest ne s’en souciait guère, s’il le désirait, il pourrait trouver ce fouineur précoce en un rien de temps. Ce qu’il était venu chercher en cet endroit ce n’était pas une énigmatique cassette mais le premier indice qui le mènerait à elle.
Et il se trouvait là ! Parfaitement à sa place, posté devant la lucarne.
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Serge était couché sur son lit. Il fixait de son regard vidé de tout discernement le plafond de sa chambre.  Devant ses yeux largement ouvert, il voyait flotter des couleurs aux tons psychédéliques, des spectres hurlants, des chimères affolantes.
C’était ça chasse au trésor. Le grand envol dans les paradis artificiels. Pourtant il voulait arrêter les drogues durs et il y était presque. Depuis sa dernière cure de désintoxication il ne se contentait que de ces "fumettes" qui lui ramollissaient le cerveau, certes, mais qui lui autorisaient une certaine autonomie et quelques heures de lucidité cohérente.
Alors pourquoi avait-il soudainement rechuté ?
Il était entré dans sa chambre avec la ferme intention de la fouillée de fond en comble et de contenter ainsi Alban, il aurait tellement aimé que celui-ci soit fier de lui. Imaginez qu’il trouve quelque chose, qu’il redescende la mine satisfaite en tenant à bout de bras le don ultime de leur mère.
Mais non, au lieu de cela, sur sa table de nuit, il avait découvert une seringue et une petite cuillère remplit d’un sinistre liquide. Qui l’avait déposée là ? Il ne le savait pas, il ne voulait même pas le savoir. Il avait pris les objets de mort dans ses mains tremblantes, avait renouvelé avec un automatisme réglé le remplissage du corps de pompe et l’aiguille avait retrouvé le chemin de son bras, de sa veine. Il soupira, son corps fut animer de soubresauts spasmodiques, puis, son cerveau perdu tout control de son existence. Il sombra brutalement dans des hallucinations dévastatrices...
La porte s’ouvrit lentement. Quelqu’un entra. Des pas feutrés glissèrent jusqu’à son lit, prenant le bras de Serge dans les airs, l’individu le laissa retomber lourdement. Ayant constaté son impossibilité de nuire, il commença sa recherche se dirigeant vers le placard, il l’avait déjà visité mais avait oublié de fouiller un endroit particulier. Sans ménagement, il jeta l’ensemble des vêtements qui y étaient entreposés puis scruta avec minutie chacune des planches de son coffrage. Il essaya vigoureusement de les disjoindre avec l’aide d’un tournevis, mais ne trouva rien. Déçu, sans un bruit, il ressortit de la chambre sans même daigner un ultime coup d’œil au pauvre Serge agonisant.  
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Ernest s’était rapproché de la lucarne. Devant-elle un télescope pointait droit vers le sol. Il constata que le trépied avait été solidement fixé sur le sol et que la lunette était bloquée dans une direction incohérente.
Hélène avait arrêté ses fouilles et observait intrigué l’intérêt étrange que son frère démontrait devant cet ustensile scientifique.
Ernest mit son œil sur l’oculaire et ce qu’il vit le fit frissonner de bonheur.
 Il eut un sourire.
Celui-ci ne s’adressait pas à sa découverte mais à sa mère qui, pensa-t-il, devait le regarder de là-haut, fier de lui, satisfaite de voir que d'un simple indice l’un de ses enfants avait compris son dernier message.
Hélène qui se trouvait maintenant à côté de lui, demanda :
« Je peux jeter un coup d’œil ? »
Sans un mot, Ernest lui laissa la place.
Pencher sur l’œilleton les deux mains appuyées sur ses genoux elle regardait sans un mot la vue qui se présentait à son regard.
« Une statue du jardin ? S’interrogea-t-elle en marmonnant.
Puis elle quitta son observation pour jauger le regard d’Ernest. Celui-ci détourna son regard. Puis il eut cette réponse :
-Le dernier message de maman !
Il n’entendit même pas la demande qui s’en suivit et quitta le grenier, laissant seule sa sœur qui pesta devant son incorrection.
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Assis à la table de la cuisine devant un petit verre de cognac. Ernest ne se sentait pas très bien. En descendant en direction du jardin il avait demandé à Alban de le suivre et avait voulu faire de même avec Serge, mais l'état dans lequel son pauvre frère se trouvait, l’avait totalement retourné et lui avait presque fait oublier la raison pour laquelle il voulait qu’il le suive. Il l’avait plusieurs fois retrouvé dans cet état second, ce comportement larvaire.
Mais il avait cru que tout cela était enfin terminé.
Le médecin était immédiatement venu, lui avait administré les soins nécessaires et il reposait maintenant apaisé de ses douleurs.
Alban et Ernest avait fouillé l’ensemble de ses vêtements et bagages qu’ils avaient découverts étrangement éparpillés sur le sol, pour ne trouver aucun des produits illicites qu’il recherchait.
« Où peut-il bien les cacher ? Demanda Alban.
Même les étranges marques laissées au fond de son placard ne leur laissèrent aucun indice.
Le soir était tombé. L’inquiétude avait marqué son esprit et Ernest avait décidé de ne pas se rendre auprès de la fameuse statue avant le réveil de Serge. La jolie soubrette lui avait servi un petit verre de réconfort. Il l’avait regardé avec tendresse. Son charme le troublait encore un peu plus, ses yeux d’un bleu trop clair avaient éclaboussés les siens. Il lui avait confié sa trouvaille, lui demandant si sa mère lui avait alloué quelques confidences.
« Je ne sais rien ! Lui avait-elle répondu simplement de sa voix d’une tonalité angélique.
Puis il y eut ce :
-Sylvie, n’embête pas Monsieur ! Qui tel un ordre lui intima de le laisser seul. Puis Henri apparut et dit :
-Excusez là, monsieur ! »
Maintenant Ernest était seul, Hélène et Alban avait préféré retrouver leurs logis, prétextant devoir retrouver leur famille.
Ernest en célibataire endurci avait préféré rester ici. Hélène semblait étrangement lui faire confiance en le laissant ici seul, avec l’unique prérogative de veiller sur Serge.
Il était tard. Ces deux mains posées à plat sur la table, Ernest comptait lentement ses doigts. Il lui restait toujours à l’esprit ce besoin obsessionnel de comprendre, il en avait même pour quelques instants oublié l’importance de la statue. Il replia d’abord son majeur, puis son index et passa l’un après l’autre l’ensemble de ses doigts pour conclure subitement par un haussement d’épaule, le signe de son ignorance.
Il était temps pour lui de se coucher. Un dernier contrôle le rassura sur l’état de santé de son frère, puis il se rendit en direction de sa chambre. Passant devant celle d’Henri, il fut surpris par des soupirs qui ne laissèrent aucun doute sur le batifolage qui s’y déroulait.
Henri et la jolie petite bonne !
Ernest n’en croyait pas ses oreilles. Ils ont au moins trente-cinq ans de différence! Il eut un rictus qui provenait plus d'un instant de jalousie que d'une simple moquerie.
Ernest eut du mal à s’endormir cette nuit-là, de multiples interrogations se bousculaient dans sa tête.
Le sommeil l’envahit brusquement alors qu’il discernait dans le couloir les pas feutrés de la demoiselle qui venait de quitter les bras de son amant.

Le réveil fut brutal. Des hurlements montaient dans la cage d’escalier. C’était Hélène :
« Je savais qu’on ne pouvait pas lui faire confiance ! »
Ernest sortit précipitamment de sa chambre et se retrouva nez à nez avec Serge qui semblait beaucoup mieux.
« Qu’est ce qui se passe ! Demanda-t-il. Serge haussa des épaules et se penchant dangereusement sur le fait de la balustrade et qui cria sa question :
-Y’a le feu ?
-Venez voir ce qu’Ernest à fait à la statue pendant la nuit !
-Ce que j’ai fait ? » Grommela Ernest qui ne comprenait rien.
Ils coururent pour se retrouver tous en même temps dans le jardin.
Hélène foudroya Ernest du regard :
« Alors tu es content de ton travail !
Devant leurs yeux ébahis il voyait la fameuse statue couchée à terre et cassée en deux morceaux. Le parterre de fleurs qui l’entourait avait été remué de fond en comble et laissé en l’état.
-Ce n'est pas moi et pour quelle raison aurais-je fait ça?
-Et la cassette alors, ce n’est pas une raison ça ! Bava Hélène, furieuse d’entendre la mauvaise fois de son frère.
Ernest se tourna vers elle, il la regarda soigneusement retrouvant en elle ces allures de mégère, de cette née chipie et qui le resterait pour toujours. Elle avait peur, peur qu’on lui vole son bien. Ernest pensait qu’un bien doit en réalité être gagné et non hérité et cette quête qu’ils étaient tous en train d’accomplir n’était à son avis nullement destiné à découvrir une fortune additionnelle, mais plutôt un secret de famille bien gardé. Mais lequel ? Il ne le savait pas encore. Il regarda donc l’hystérique et lui précisa :
-Cette statue n’est qu’une piste supplémentaire qui doit nous mener vers quelque chose d’autre !
-Comment sais-tu cela ? Demanda Alban qui semblait déçu.
-Encore une de tes inventions, monsieur science infuse ! Cracha Hélène toujours aussi furieuse.
Serge quant à lui était assis sur l’herbe avec un large pétard coincé entre deux de ses doigts. A la fenêtre de la cuisine, Henri et la jolie Sylvie observaient la scène à la dérobé.
Ernest commença ses explications :
-Cette statue représente une dame avec un petit chien, pour notre mère elle représentait quelque chose d’important, la signification d’un de ses lointains voyages avec notre père. Toi Alban qui est né à Yalta où notre père était en poste pendant de nombreuses années tu devrais le savoir !
Alban fit un geste négatif de la tête et d’une moue de ses lèvres afficha son ignorance.
Ernest continua :
-Anton Tchékhov, l’amour de maman pour ce grand écrivain russe. Ça ne te dit toujours rien ? La réponse resta négative. Et bien ! Il a écrit une magnifique nouvelle qui s’appelle ‘‘La Dame au petit chien’’. J’y ai beaucoup pensé cette nuit et je suis maintenant certain que notre mère pour une obscure raison veut nous faire mériter notre découverte. Dans la bibliothèque, il y a l’intégralité des œuvres de Tchékhov et je peux vous parier que la réponse se trouve à l’intérieur d’un des livres.
- Alors si ce n’est pas toi ! Qui a fait ce trou ? »
Ernest ne le savait pas et il n’en avait cure, il se dirigea droit vers la maison.
La collection des œuvres du fameux écrivain fut rapidement découverte et le livre arborant le titre recherché fut posé sur la grande table en chêne massif. Sa couverture de cuire impeccablement cirée, sa reliure délicate indiquaient la valeur de l’édition. Ernest parcoure chaque page avec attention, il ne voulait pas manquer le détail d’importance. Ses deux frères se tenaient devant lui et sa sœur guignait par-dessus son épaule. C’est sur les deux dernières pages qu’il trouva le message qu’il recherchait, sur celle qui comportait uniquement l’adresse de l’éditeur. Ernest le lu en silence et sourit dès la première ligne.
« Alors ! Demanda Alban impatient.
Ernest commença sa lecture à haute voix.
« Bonjour Ernest. Je dis Ernest car je pense que tu es le seul de mes enfants à posséder la clarté d’esprit qui a permis de déchiffrer mon message. Par contre, j’espère que vous êtes tous là à écouter ma prose car ceci concerne chacun d’entre vous !
Il y aura deux pistes supplémentaires qui vous permettront de découvrir quelque chose que je ne voulais pas vous apprendre de mon vivant. (L’écriture était devenue soudainement tremblante, comme si une intense émotion avait envahi son auteur à l’instant précis de sa rédaction.)
Vous l’avez certainement déjà compris la première solution est en rapport avec mon séjour à Yalta.

Un début de ligne suivait cette affirmation, mais elle avait été nerveusement barrée pour rester incompréhensible. Puis une autre reprenait inopinément avec une énigme hermétique :

Le prochain échelon que je vous propose est en rapport avec un contenant aux yeux bridés…

A bientôt mes chéris.

A la lisière du bas de page on pouvait apercevoir une signature.

Igor Iganov    1947

« Les indices sont bien maigres ! Remarqua Alban.
-Je ne savais pas que maman avait ton esprit tordu ! Reprit Hélène en lorgnant sur Ernest.
Serge essaya de raisonner sur l’indication de ce contenant aux yeux bridés mais son esprit embrumé ne lui souffla rien !
-Alors le génie n’a pas d’idée ? Demanda Hélène jalouse des facilités intellectuelles de son frère.
Ernest lui adressa un rictus nerveux et lui jeta une réplique vexante concernant son état mental :
-Tu sais, ce n’est pas avec de l’aspirine qu’il faut soigner ta maladie !
Vexée par cette inacceptable mais juste affirmation, Hélène quitta la pièce en claquant la porte.
-Je n’ai aucune idée pour l’instant. Et toi ?
A l’air perplexe d’Alban et à l’attitude divagante de Serge, il comprit qu’il était de son devoir de réfléchir.

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Ernest entreprit une promenade dans Divonne. Sa balade le mena jusqu’au promontoire qui domine le lac. Sur sa droite L’hippodrome était en pleine effervescence, le vent lui portait la mélopée d’un  commentateur qui égrenait le déroulement d’une course de trot avec un ton d’une frénésie envoûtante. Devant lui l’onde bleutée reflétait la fuite d’un ensemble de petits nuages, les canards et autres volatiles jacassaient de bonheur et un seul véliplanchiste démontrait avec brio son incompétence de débutant.
Sur sa gauche, la pelouse du port était peuplée de quidams  qui offraient sans réserve leurs corps dénudés au Dieu soleil. La plage était également noire de monde et le nombre important de baigneurs était un parfait baromètre pour évaluer la température clémente de l’eau.
Deux curistes d’un certain âge, tout en papotant prirent place à côté d’Ernest. Elles parlaient avec une certaine distinction et des bijoux de valeurs décoraient chacun de leur doigt.
« J’aime bien Divonne ! Dit l’une. J’apprécie son climat aux vertus sédatives !
-Depuis la mort de mon mari,  j’ai arrêté de voyager. Et j’ai choisi cet endroit de prédilection pour passer mes vacances ! Répondit l’autre.
-Vous avez beaucoup voyagé ?
-Oh, oui, tout autour de la planète !
-Vous en avez de la chance ! Quel endroit vous a t-il laissé le plus beau souvenir ?
-Le Japon ! Reprit-elle.
Elle continua sa réplique mais Ernest qui avait jusque-là porté involontairement attention à leurs propos futiles, n’écoutait plus. Un déclic avait marqué ses interrogations. Il se leva brusquement effrayant les dames qui le regardèrent étonnées. Ernest leur accorda un regard de sympathie bredouilla inintelligiblement un remerciement d’une inexplicable courtoisie et se retira promptement.
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Le soleil arrosait la maison de ses derniers rayons. En entrant par la grille grande ouverte, Ernest se trouva nez à nez avec la jolie Sylvie. Elle venait de faire des emplettes. Ce qu’elle était charmante avec son panier d’osier, son émoustillante robe bleu et ses cheveux retenus par une large barrette. Elle semblait très heureuse de cette fortuite rencontre.
« Bonsoir monsieur, je pensais que vous étiez avec les autres ! Dit-elle en regardant les volets fermés qui donnait sur le bureau de ma mère.
-Que  font-ils ? S’interrogea Ernest.
-Je ne le sais pas exactement, ils ont vidé la bibliothèque de tous les livres parlant de l’Asie et m’ont demandé de leur montrer l’endroit où se trouvait les archives de madame feu votre mère !
-Tiens ! Ils savent réfléchir commenta Ernest.
Sylvie l’interrogea du regard et continua :
-Vous savez, je suis l’une de vos ferventes admiratrices !
-Ah bon !
-Oui, monsieur Puppa, je suis vos enquêtes policières avec grand intérêt.
-Je suis flatté chère demoiselle !
Ernest semblait très gêné par le compliment d’autant plus que son regard était affriandé par le large décolleté de la belle et celle-ci d’un mouvement de la pupille lui signalait qu’elle s’en était aperçue.
-Je suis certaine que vous avez déjà trouvé la réponse concernant le contenant aux yeux bridés !
-Vous connaissez le contenu du message de ma mère ? Interrogea Ernest.
Sylvie un peu gênée répondit :
-J’ai aperçu celui-ci dans le livre que vous avez laissé ouvert sur la table. Puis elle continua. Est-ce que c’est vrai qu’elle a caché un trésor ?
-Oui ! Répondit Ernest. Le plus important trésor de mon existence. Précisa-t-il, déjà conscient du contenu de la fameuse cassette.
La petite, subjuguée par l’affirmation, garda quelques instants la bouche ouverte.
-Et alors ! Vous savez où il est ?
-Venez avec moi !
Tous deux marchèrent côte à côte le long d’un des murs qui délimitait la propriété.
Ernest sentait son doux parfum qui sournoisement aguichait ses papilles, le buste de Sylvie rebondissait à chacun de ses pas. Elle porta une main à sa chevelure et d’un geste gracieux détacha ses cheveux qui croulèrent sur ses épaules dénudées. Elle connaissait ou avait compris l’intérêt particulier qu’Ernest lui portait. Son geste n’était pas anodin et avait été
 accompli dans un dessein de séduction. Le tour de magie fit l’effet escompté sur notre heureux inspecteur qui ralentit sa marche pour que Sylvie prenne un pas d’avance.
Ainsi, il lui était possible de l’admirer à sa guise.
Elle s’arrêta soudain, posa son panier sur le sol et tout en toisant Ernest, elle demanda :
-Pourquoi venons-nous ici ?
Derrière elle une fourche à cinq dents était plantée, côté manche, dans la terre meuble de la bordure. Ernest resta pensif en voyant l’ombre de celle-ci se dégager sur le mur aux pierres mal jointes. L’un des pics était tordu et n’apparaissait pas clairement dans la continuité de la silhouette.
-Le doigt manquant ! Souffla-t-il.
-Vous dites ? Sylvie ne comprenait pas.
-Rien ! Je pensais ! Puis il reprit. Vous voyez cet arbre qui se trouve derrière le jardin ?
Par « derrière le jardin, » il voulait dire après la partie entretenue. Après cette haie d’ortie et de ronces qui se dessinaient arrêtés par une palissade faite de planches d’un bois vermoulu.
-Lequel ?
Ernest lui prit la main, ou plus exactement lui caressa la main pour la pointer en direction d’un cerisier qui étalait son imposante stature au beau milieu de vieux pommiers rabougris.
-Celui-ci !
Il éprouva un plaisir particulier au contact de sa peau et il dut faire un effort pénible pour relâcher ce bras qu’il guidait.
-Et bien, il a quoi cet arbre
-C’est un cerisier Japonais. Pendant ma promenade, j’ai songé aux missives laissées par ma mère et par déduction, j’en suis pratiquement certain maintenant, la prochaine se trouve ici. Le japon fut l’un des pays que maman préférait d’où son allusion aux yeux bridés et le contenant indique cet arbre de provenance asiatique !
L’explication était tirée par les cheveux, Ernest n’en était pas vraiment content, mais Sylvie l’accepta sans broncher. 
 Jetant un coup d’œil en direction de la maison, elle entrevit Henri qui les regardait mal caché derrière les tentures d’une des fenêtres. Elle eut une grimace d’inquiétude :
-Il faut que j’y aille, monsieur Henri m’attend !
Le mot « Monsieur » amusa Ernest, il ne répondit rien et, pensif, admira la gracieuse anatomie de Sylvie s’éloigner en direction de la demeure, puis arrivée à destination,  disparaître au revers d’une porte dérobée.
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Le bureau de sa mère était envahi de fumée. Hélène devait en être déjà à son deuxième paquet de cigarettes, Alban semblait l’avoir également suivie dans cette manie assassine et même Serge qui ne semblait pas au mieux, tirait sur un mégot qu’il devait trouver sans intérêt.
Personne n’avait remarqué l’entrée discrète d’Ernest.
Il toussota recrachant le smog malsain qui ne manquait pas d’emplir ses poumons.
-C’est toi Ernest ! Dit Alban qui venait de le remarquer. Viens nous aider, y’a du pain sur la planche.
Et l’expression n’était pas exagérée. Sur le large bureau de sa mère, des monceaux de dossiers s’étalaient pêle-mêle dans l’attente d’être compulsés.
-Je peux savoir ce que vous faites ? Demanda Ernest.
-On regarde tous les documents et livres concernant le Japon !
-Et oui ! Continua Hélène. Il n’y a pas que toi qui pense. Mère a vécu au japon où d’ailleurs je suis née ! La solution ou le message se trouve à coup sûre dans ses dossiers. Certifia-t-elle sans daigner le moindre regard à son frère.
-Mes pauvres amis, je suis certain de votre fausse route ! Commenta Ernest utilisant un ton chargé d’une condescendance voulue.
Hélène pesta d’une interjection pleine d’énervements. Alban s’enquit d’un hypothétique éclaircissement en lançant un bref regard dans sa direction. Mais Ernest ne daigna pas préciser sa remarque et sortit de la pièce. Il se prépara lui-même un sandwich. Salua Henri au visage contrarié, d’un « bonne soirée ! » qui lui fut usuellement rendu. Puis, il se retrouva couché sur son lit devant sa télévision, regardant un film qui ne l’intéressait guère. Il se devait d’attendre le lendemain pour pouvoir consulter le deuxième message posthume. Il aurait pu commencer la fouille tout de suite et ainsi avancer sa lecture, mais, par malice, il préférait laisser ses frères et surtout sa sœur se fatiguer sur une piste qu’il savait complètement fausse…
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Il était dix heures passées. Pourtant la grande maisonnée était vide. Pas le moindre bruit. Même pas Henri ou Sylvie qui pourtant auraient déjà dus s’activer à  leurs habituelles tâches ménagères.
Ernest avait ouvert largement les fenêtres de tout le rez-de-chaussée espérant ainsi chasser l’odeur nauséeuse laissée par les cigarettes. Le bureau offrait maintenant, un véritable capharnaüm, des piles de paperasses avaient été empilés en vrac sur le sol et démontraient l’insuccès des investigations.
Enfin, un pas, puis bientôt un autre se firent entendre descendant les étages supérieurs. Ernest les observa à la dérobé. C’était Henri et Sylvie qui semblaient véritablement fourbus et traînaient du pied à l’unisson, ceci égaya franchement la mine de notre inspecteur.
Il décida de profiter de la fraîcheur matinale et de l’absence de ses proches pour se prélasser sur une chaise longue de la véranda.
Celle-ci était ouverte sur le jardin.
Ernest se délectant de la vue qui s’offrait à lui se mit à regretter la mise en vente de la propriété. Le parc était verdoyant et si agréablement fleuri, la maison d’une facture noble fourmillait de ses meilleurs souvenirs. Malheureusement ses maigres ressources ne lui permettraient pas d’entretenir la bâtisse. Celle-ci nécessitait de nombreuses réparations. Le toit, la tuyauterie, les peintures devaient être en totalité rénovés.
Oubliant cette pensé chagrine il observa le parc, sa symétrie était parfaite, le petit bassin de pierres ondulait sous le reflet d’une eau limpide en provenance directe de la montagne. Etant petit, il adorait venir s’y rafraîchir. Au fond du jardin, en direction du fameux cerisier, il remarqua un changement, le méli-mélo de ronces et orties semblait avoir été piétiné.
Ernest éclata de rires.
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Il devait-être une heure de l’après-midi quand tout le monde se réunit autour d’un repas qui s’annonçait frugale. C’était Alban qui l’avait décidé au dernier moment et avait ordonné à Henri de le préparer illico. La pauvre avait fait de son mieux et il se composait principalement d’un peu de charcuterie et de fromages, accompagnés d’un pot de cornichon, de la moitié d’une baguette vieille du jour précédent et d’un pichet d’eau.
Le tout était aligné sur la table !
Alban avait ordonné de ne surtout pas être dérangé.
« On a tout vu, tout regardé et pas le moindre résultat !
Hélène continua :
-J’ai feuilleté tous les dossiers concernant le Japon où notre père et mère avaient séjourné à la fin des années quarante. Tout était bien classé par ordre de dates, j’y ai même retrouvé tout le dossier concernant ma naissance dans un hôpital de Kobe, l’original en Japonais avec sa traduction attachée. Mais rien, pas d’indice concernant ce contenant aux yeux bridés !
Même Serge donna son opinion :
-J’ai jamais feuilleté autant de livres de toute ma vie, mais j’n’ai vu aucun commentaire !  
Ernest ne disait pas un mot, il se concentrait sur la peau d’une tranche de saucisson qu’il essayait vainement de détacher avec son couteau. Il n’écoutait pas vraiment les lamentations de sa famille et n’attendait qu’une chose, c’était qu’ils lui demandent de leurs faire part de ses remarques ou trouvailles.
La question ne venait pas, il sentait les regards qui se posaient sur sa personne et qui se demandaient quand il allait bien se décider à réagir, à leur envoyer cette réponse qui allait les humilier par sa clairvoyance, certes, mais qui allait enfin par sa solution résoudre cette déplaisante contrariété.
Les minutes passèrent et le silence se fît.
L’atmosphère était pesante. Ernest leva son visage et regarda le buste en plâtre de Beethoven qui trônait sur le buffet puis il regarda Serge.
Enfin il daigna s’exprimer :
« Tu me passes l’eau, s’il te plaît !
Hélène ne put se retenir et vociféra sa fureur :
« De l’eau, tu veux de l’eau, c’est tout ce que tu as à nous dire. Si la cruche avait été à portée de sa main, elle la lui aurait jetée à la figure.
Alban s’interposa devant ses invectives. Il avait compris qu’Ernest possédait la réponse et qu’il fallait surtout ne pas le vexer :
-Ernest tu connais la réponse ? N’est-ce pas.
Le ton calme et posé d’Alban émoussa le silencieux sarcasme d’Ernest :
-Oui, bien sûre que je connais la réponse ! Affirma-il en fixant sa sœur. Il faut réfléchir un peu. Pour le passage des yeux bridés, vous aviez juste. L’Asie, le Japon est bien le pays qui nous mènera à la prochaine piste. Quant au contenant ! J’ai également pensé à des livres ou dossiers ! Mais pensez-vous vraiment que notre mère manquait d’imagination. Bien au contraire ! Son esprit était empli d’une malice délicate. Balayant cette réponse trop évidente, je me suis demandé de quel contenant elle pouvait parler et j’ai songé à une bouteille de saké, elle adorait en boire une gorgé, tiède comme il se doit, à la fin de repas trop copieux.
Ernest se leva et se rendit directement vers le bar. Il ouvrit le placard qui contenait les réserves et ausculta chacune des bouteilles. Tous le regardaient faire sans bruit, retenant même leur souffle dans l’attente du hourra de la réussite.
Ernest se releva soudain l’air penaud :
« Non ! Dit-il dépité. Je ne trouve rien !
-Et toi qui te crois toujours plus malin que les autres ! Glosa la mégère.
-Sylvie ! Cria Ernest.
Quelques instants plus tard la soubrette se trouvait devant lui.
-Monsieur m’a appelée ?
-Oui, savez-vous où ma mère entreposait ses réserves d’apéritif.
-A la cave, je crois monsieur. Mais c’est madame qui s’en occupait personnellement !
Ernest lui envoya un resplendissant sourire, il se retint avec peine de l’embrasser et la remercia en se dirigeant illico au sous-sol.
Bien entendu, tous étaient là pour rechercher cette bouteille de saké, de grosses torches à la main car l’endroit était mal éclairé.
Sa mère s’était constituée une collection de très bons crus et chaque groupe de bouteilles étaient classé par année dans de spacieux casiers métalliques avec au-dessus de chacun d’eux une étiquette décrivant en détail non seulement la provenance du cépage mais également ces remarques personnelles :
Tient bien en bouche, goût de noisette, un peu trop corsé… 
Ils regardèrent tout d’abord si le fameux élixir n’était pas mélangé à l’une d’elle, mais comprirent rapidement que la minutie du classement ne permettait pas un tel sacrilège. Un endroit spécifique devait être réservé à ce type de liquoreux.
La chasse ne fut pas longue.
La bouteille était entreposée avec d’autres digestifs dans un coin reculé du cellier. De taille et couleur différente des autres, elle n’avait pas vraiment été dissimulée.
C’est d’ailleurs Serge qui la trouva avec :
« V’la le travail ! » Victorieux.
Tel un message à la mer, une feuille y avait été glissée à l’intérieur.
Ils remontèrent à l’étage supérieur et prirent l’irréversible mais juste décision de briser le flacon. La bouteille de saké plana dans les airs et dans un fracas de verre brisé s’éclata sur le dallage de la véranda.
Ce fut Serge qui eut l’honneur de compulser le document.
Pas d’écriture manuscrite cette fois. Ce n’était que la page d’un journal Japonais empli d’idéogrammes kanji incompréhensibles par nos compères. Seule la date était écrite en anglais, July 18 1950.
« La date de ma naissance ! »S’exclama Hélène.
On voyait également une photo d’un petit groupe de personnes de race blanche et jaune levant les bras en signe de victoire devant un immense panneau qui devait être le nom d’une entreprise « Brian Karsten Finance. »
« Quel est encore ce mystère ? Demanda Alban décontenancé.
-Il faudrait faire traduire cette page, peut-être qu’un article est relatif à ma naissance !
C’est encore Serge qui découvrit la suite de l’histoire. Elle était écrite de la main de sa mère au dos de l’étiquette de la bouteille brisée. Il la ramassa et s’étonna :
-C’est encore maman ! »
Puis il lut les quelques lignes qu’elle leur avait laissées :
« Plus qu’un seul message mes chéris avant de mériter la conclusion ! Celui-ci est clairement mentionné sur les barreaux protégeant une fenêtre de Gex… »
L’étonnement fut total.
« De quoi parle-t-elle ?
-Elle se moque de nous !
-Il nous faudra des lustres pour observer chaque maison ! »
Seul Ernest qui n’était pas intervenu depuis le début de la découverte journalistique comprit presque immédiatement de quoi il en retournait.
Il ne dit rien. Feignant un air interrogateur.
Alban se mit à supputer des explications peu convaincantes, puis, voulant prendre le taureau par les cornes, bâtit un plan de recherche rigoureux :
« Il faut que l’on se partage les quartiers ! »
Ernest avait discrètement quitté la pièce et se dirigea calmement vers sa voiture…
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Sa petite Fiesta grinça sous son poids et eut bien du mal à démarrer. Puis elle se mit à tousser, hoqueta une multitude de protestations avant de faire entendre le ronflement régulier de ses cylindres.
« Brave petite ! »  Félicita Ernest en tapotant sur le levier de vitesse.
Puis leur promenade commença. On était un dimanche, jour de marché, et le centre-ville de Divonne était très animé. Ernest était pour le moment bloqué au milieu du carrefour, un abruti qui n’arrivait pas à accomplir son créneau et qui avait calé juste devant l’office du tourisme. Un agent de ville l’houspillait pour qu’il déguerpisse, mais le conducteur malavisé lui faisait signe de ses mains que son engin ne pouvait plus démarrer. Au moment même où un petit groupe de personnes s’apprêtait à le pousser pour dégager la voie. Une jolie femme, des documents pleins les mains sortit du syndicat d’initiative, ouvrit la portière de la voiture récalcitrante qui prit immédiatement son essor devant les yeux médusés des pauvres bougres qui s’apprêtaient à la l’écarter du chemin.
« Y’en a qui sont vraiment sans gêne ! » et c’est au moment de cette réflexion qu’Ernest vit passer devant lui Sylvie avec son petit panier d’osier qui traversait pour aller faire ses emplettes pour le dîner.
« Sylvie ! » Cria Puppa par sa fenêtre grande ouverte.
Elle le vit et par sa venue, répondit à son appel.
« Montez, j’ai à vous parler !
Elle s’exécuta en protestant :
-Mais, j’ai des courses à faire !
-Je vous emmène, il n’y en a que pour une dizaine de minutes ! »
La désirable Sylvie s’assit à côté de lui. Elle eut un petit rictus de dégoût en constatant l’état déplorable du véhicule. Elle prit place précautionneusement en voulant ainsi éviter que sa jolie jupette se froisse. Puis elle regarda Ernest, pendant que celui-ci passait la première et amorçait son départ avec bien des difficultés.
« Elle est très vieille et fatiguée! Précise-t-il inutilement.
-Puis-je savoir ce que vous me voulez ?
-Oui ! Puis il se tut et se pencha sur sa gauche pour accompagner sa voiture dans le contour du rond-point du casino. Ceci étant fait il reprit sans aucun détour :
-C’est vous et Henri qui avez la nuit dernière creusé autour de l’arbre. N’est-ce pas ?
Très gênée elle acquiesça devant l’évidence énoncé par cet inspecteur émérite.
Ernest continua :
-C’est également vous à l’origine des premières fouilles du grenier !
-Oui ! répondit-elle sans un mot. Avec Henri ! Avoua-t-elle. On veut se marier et partir vivre dans les îles ! Alors quand on a su que madame avait caché un trésor, on sait dit que si l’on pouvait mettre la main sur seulement une petite partie, pour avoir assez d’argent pour partir ! Seulement une petite partie, on est pas des voleurs, on se sent ou du moins Henri qui était au service de madame pense qu’elle n’aurait pas dû l’oublier dans son héritage, qu’il méritait un peu mieux qu’un transfert à un autre propriétaire qui à première vue ne nous plaît guère !
Ernest resta pensif, ce qu’elle disait lui semblait naturel. Sa mère aurait dû penser à Henri, surtout qu’elle avait toujours eu, envers lui, une cohorte de propos élogieux et ajoutait sans coup férir, que personne ne pourrait le remplacer.
En forme d’excuse il précisa :
-Ma mère est morte brusquement et n’a pas eu le temps de faire pour vous un geste généreux !
Il n’était pas vraiment convaincu devant sa propre réponse mais pensait ainsi lui faire comprendre son opinion compatissante.
Elle l’accepta d’une petite moue sans conviction.
-Vous ne direz rien à vos frères et à votre sœur ?
-Non, ne vous en faites pas. De toute façon il n’y a pas de trésor à découvrir !
-Ah bon !
-Oui, seulement un événement concernant notre famille, je ne sais pas lequel pour le moment mais nous arrivons bientôt au but. Ma mère a toujours eu un esprit espiègle et les indices qu’elle nous a laissés ne me permettent aucune déduction. Mais nous approchons du but !
C’est pour cela que nous allons à Gex !
-Et, vous pensez que je pourrais vous être utile ?
-Non, pas vraiment,  je vous trouve charmante et j’aime votre compagnie et, surtout, je voulais vous entretenir en tête à tête sur vos fouilles malvenues sans que votre sentinelle d’Henri ne nous dérange ! »
Le chemin continua en silence. Les sept petits kilomètres qui les séparaient de Gex semblèrent durer une véritable éternité.
Ils furent doublés par au moins dix voitures et trois camions...
Enfin ils entrèrent dans Gex, prirent la route qui longeait la piscine, continuèrent sur leur gauche dans Gex-la-ville, passèrent devant le Collège et au niveau de l’ancienne prison qui servait maintenant de bibliothèque et de salle d’exposition, ils tournèrent sur leur gauche pour prendre la petite rue du Mont Blanc qui descendait en direction de l’école.
Ernest avança lentement, enfin encore plus doucement devrais-je dire. Puis il pila sur les freins, surprenant Sylvie qui heureusement attachée laissa échapper un cri de surprise :
« Qu’est ce qui se passe !
Ernest regardait dans sa direction :
-Tournez la tête sur votre droite ! Dit-il.
Elle s’exécuta.
Devant elle se trouvait une grande bâtisse bien construite.
-Et alors ?
-Regardez ses fenêtres ! »
Deux d’entre elles était protégées par des barreaux en forme de portée musicale.
Puppa chanta à haute voix les notes qui y étaient appliquées :
« Pom, pom pom pom, pam pam pam pam ! Puis articula, Beethoven ! La cinquième de Beethoven !   
-Vous savez lire la musique ? Demanda Sylvie étonnée.
-Oui, j’étais un passionné de guitare classique,  j’ai arrêté il y a quelques années ! Lire une partition n’est pas vraiment un problème pour moi !
Celle-ci, en particulier, représente la solution de la dernière énigme que nous a laissée notre mère. Je savais où trouver ce message car tout petit j’ai suivi mes études à ce que l’on appelait le C.E.S. de Gex, j’y étais demi pensionnaire et de temps en temps, bravant les interdits de sortir aux heures de midi, je venais avec des copains flâner par ici. C’est à cette époque que j’ai remarqué ces barreaux bien particuliers. Mais peu féru de musique je n’avais pas essayé, à l’époque, de les déchiffrer ! Je viens de combler cette inobservation ! S’amusa-t-il.
-Et vous en déduisez quoi ?
-Et bien que son message à un rapport avec Beethoven ! Et la statue de son buste nous crève les yeux dans la salle à manger !
-Ah ! C’est lui Beethoven !
Ernest avait déjà fait demi-tour et à une vitesse de plus de soixante-dix à l’heure retrouva la cour de la demeure en un temps qu’il estima être un record.
Ils furent reçus par la sortie de ses deux frères et de sa sœur. Ils s’apprêtaient chacun de leur côté, munis d’ordre strictes émanant d’Alban, de se retrouver pour une fouille méthodique de Gex.
-Pas la peine, j’ai la solution ! Cria Ernest dans leur direction.
Ils s’arrêtèrent dans leur élan.
-Tu étais où ? On t’a cherché !
-A Gex, j’ai vu la fenêtre !
-Tu as fait comment pour la trouver aussi vite ?
-C’est mon secret, suivez-moi !
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Ernest se tenait devant monsieur Beethoven :
« Alors c’est toi qui va  m’apporter la réponse du doigt qui manque à de l’ombre la main ?
Ses comparses le regardèrent avec un étonnement bien compréhensible.
-Quelles sont ses divagations sur le doigt de la main ? Demanda Serge perplexe de l’état psychique de son frère.
-Non, ne faites pas attention à ce que je dis ! En tendant les deux bras vers le buste il ajouta, mais voici celui qui détient notre prochain message !
Il prit le buste dans ses mains et le laissa tomber sur le sol.
Il éclata en morceaux.
Au beau milieu des débris se trouvait le nouveau massage qu’ils attendaient.
Cette fois, il s’agissait du programme d’un concert. La date du concert était en rapport avec la date de naissance de Serge, Ernest s’en serait douté et le lieu inscrit était le philharmonique de Berlin.
Berlin était également, dans la bonne continuité des choses la ville de naissance de Serge.
Ensuite, rien de bien particulier sur le devant du document. L’énumération détaillée des œuvres hétéroclites qui allaient y être jouées et en caractères gras, le nom du soliste, Karl Winfield.
 L’émotion d’Ernest était à son comble. Notre génial inspecteur commençait à comprendre le message posthume de sa mère. Il retourna le feuillet en tremblant, il le savait déjà, dans le dos de celui-ci, il découvrirait ce qu’il pensait-être le chemin de sa solution.
Pourtant rien de tout cela n’y était indiqué.
Usant d’une calligraphie soignée, sa mère avait noté une formulation encore plus étrange que les précédentes :
« La réponse aux questions qui doivent maintenant vous tourmenter se trouve expliquée en détail enfermée dans la cassette. Elle correspond au nombre du contingent de ma progéniture. »
Là, s’en était trop pour Alban, Serge et Hélène.
-Elle devait avoir perdu l’esprit. Avec ses textes incompréhensibles. Pourquoi ne nous a-t-elle pas tout simplement expliqué cela clairement de son vivant, ou laissé la solution au notaire.
-Elle voulait peut-être nous transmettre discrètement des bijoux d’une grande valeur sans qu’il entre dans la succession et pour éviter que n’importe qui puisse les trouver, elle a laissé une piste tortueuse et difficile à comprendre ! Reprit Hélène.
Serge ne dit pas un mot. Pensait-il à la résolution du prochain indice ou divaguait-il déjà dans son monde de toxicomane ? C’était difficile de le savoir. Assis, les yeux fermés, il donnait l’impression de méditer.
Ernest, quand-à lui avait tout compris. La cassette se trouvait dans la chambre de sa mère, exposée aux yeux de tous et n’attendait qu’une seule chose, faire ses révélations douloureuses...

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L'épilogue

Ils suivirent Ernest dans la chambre. Hélène ne croyait pas vraiment que l’on y trouverait ce qu’elle croyait être un trésor.
« J’ai fouillé la chambre de fond en comble, dès le premier jour et le l'aurai certainement trouvée ! Avait-elle affirmé. »
La pièce offrait maintenant un désordre indescriptible. Les meubles avaient été poussés, certains même renversés. Tous les vêtements entassés en désordre sur le lit. La grande télévision, compagne indispensable des moments de solitude de sa mère gisait sur le plancher et était surmontée du magnétoscope qui lui servait à repasser les vidéos des anciens films qu’elle avait enregistrés. D’ailleurs, le meuble qui contenait ses centaines de vidéo avait été détruit et tous les films gisaient pêle-mêle balayées en tas dans un coin de la pièce.
Ernest pointa un doigt précis sur celui-ci et commenta :
« Elle est là, la K7, dans ce gros tas que l’un d’entre vous a formé sans le moindre respect ! J’espère que vous n’avez pas cassé celle qui nous concerne ! Reprit-il anxieux.
-Mais il y en a au moins cinq cents !
-On a qu’à se partager la tâche pour toutes les visionner !
-Pas la peine ! Repris Ernest. Elle doit porter, j'en suis certain le numéro quatre !
-Pourquoi ?
-Parce que nous sommes sa progéniture et nous sommes quatre ! Compléta Ernest énervé par le peu de clarté d’esprit de son entourage incapable de comprendre l'esprit espiègle de leur génitrice.
En quelques minutes la cassette fut retrouvée et glissée dans le lecteur d’un type ancien, qui couina sa mise en marche.
Le téléviseur diffusa d’abord un grésillement formé de points à l’allure de brouillard, puis une image d’abord trébuchante apparue. C’était leur mère. Elle les regardait en souriant. La date marquée sur le coin de l’écran montrait que l’enregistrement devait dater d’une année.
Elle commença à parler.
« Cette cassette est destinée à mes enfants. Je suis madame Puppa et si vous ne faites pas partie de ma progéniture, s’il vous plaît faites la leur parvenir ! » Puis elle énuméra le numéro de téléphone de chacun des enfants.
Dès ses premiers mots ses rejetons s’étaient resserrés autour de l’écran.
Ses explications terminées le discourt qui leur était vraiment destiné commença :
« Mes très chers enfants, j’espère que vous vous trouvez tous là à m’écouter, car ceci concerne chacun d’entre vous. Peut-être avez-vous trouvé cette cassette par hasard ou comme je le pense mon cher petit Ernest a déjoué toutes mes élucubrations avec la facilité que je lui connais. 
Pourquoi ai-je créé ce jeu de piste ? Elle continua sur sa réponse.
Parce que je considère que ce que je n’ai pas osé vous avouer de mon vivant, doit-être d’une certaine façon mérité. Cette confession, qui pour moi est d’une cruciale importance, devait-être ainsi faite. Et j’espère secrètement ! (Elle sourit.) Que vous ne la découvrirez pas ! Puis elle compléta malicieusement. Mais enfin c’est raté, puisque vous êtes là à me regarder.
Avant tout, sachez que je vous ai tous aimés de la même façon, même toi Hélène qui dans une aliénation qui m’a particulièrement peinée a percé un fossé de haine dans ta propre vie. Et toi mon pauvre petit Serge que j’aimerai tant savoir revenu dans le chemin de la réalité. Alban tu es ma fierté dans ta réussite et toi Ernest tu représentes l’intelligence et la compréhension qui m’étonne chaque jour de plus en plus.
Votre père ! Continua-t-elle la voix chargée d’émotion. Je l’ai toujours aimé, mais dois-je en avoir honte ? J’ai eu trois amants cachés qui ont tous empli une part importante de ma vie !
Les visages de ses quatre enfants arborèrent tous en même temps une justifiable lividité.
Il y eut Igor ! Sa voix hoqueta. Qui est ton père Alban. Puis Brian qui est le tien Hélène. Elle s’arrêta de parler un instant et les yeux baissés, gênée de se dévoiler si brutalement elle reprit. Et puis Karl, ton père Serge ! Elle osa enfin lever ses yeux et regardant droit l’objectif de la caméra qui enregistrait ce moment de vérité elle termina par, toi seul Ernest et notre fils légitime ! Puis elle se tut immobile au beau milieu de l’écran.»
Un sentiment de tristesse  avait envahi le silence lugubre de sa mère.
Hélène sanglotait les mains appuyées sur son visage.
Alban flegmatique ne laissait rien paraître.
Serge s’était enfoncé un peu plus dans sa déréliction et Ernest les yeux rougis par son désarroi ressentait un fort maux de tête. Sa propre mère venait devant eux tous, avouer une vie de débauche incontrôlée. Il était tiraillé entre deux réflexions, celle de compréhension qu’un esprit ouvert tel que le sien pouvait sans problème admettre et celui passéiste devant une faute qui le concernait intimement.
Son tiraillement fut interrompu par la reprise de l’allocution maternelle :
« Ne m’en veuillez pas, ces rencontres, ces courtes liaisons furent pour moi un enrichissement affectif nécessaire. Votre père n’en a jamais rien su. Vous-même n’en auriez jamais eu vent si le remord de mes vieux jours ne m’avait pas poussée à cette confession. J’ai donné au notaire un dossier sur votre véritable père, avec l’ordre de vous le céder uniquement si vous en faites l’express demande.
Je ne sais pas vraiment combien de temps il me reste à vivre, peut-être un an, peut-être dix. Je n’espère qu’une seule chose, que vous me pardonniez mes écarts et la tardiveté de ses propos.
L’image se coupa un instant et au moment où Alban s’apprêtait à éteindre l’appareil, elle revint.
Cette portion de film avait été mémorisée durant une date plus tardive.
Leur mère semblait plus détendue, même souriante elle parla :
« Ce dernier message concerne Henri, mon cher et fidèle majordome. Pour le remercier de ses bons et loyaux services, j’ai ouvert un compte à son nom au crédit agricole et j’y ai placé une somme qui lui permettra de couler des jours heureux après ma mort. Dites-lui de se rendre à l’agence de Gex. Ils sont au courant et lui cèderont la clef de ce dépôt sans aucun problème ! »
Puis l’image fut brutalement coupée, pour rester cette fois ci définitivement suspendue…
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Les déménageurs avaient envahi la maison, tout devait être débarrassé avant la venue du nouveau propriétaire.
Henri, deux petites valises à la main quittait heureux ce lieu qui l’avait accueilli pendant de nombreuses années. Il se dirigea vers Ernest avec la jolie soubrette accrochée à son bras :
« Merci monsieur ! Dit-il
-Y’a pas de quoi !
-Mais si, sans vous, on n’aurait jamais su à propos de ce compte.
-Ah oui, c’est vrai, ma mère aurait d’ailleurs dû penser à cette éventualité !
Sylvie s’approcha de lui et l’embrassa sur les joues.
-Merci monsieur Ernest !
Henri la tira à lui avec une vigueur de jalousie.
-On doit y aller ! Au revoir monsieur.
Les frères et la sœur d’Ernest avaient tous retrouvés leur vie coutumière avec une connaissance plus approfondie de leurs origines. Etaient-ils allés voir le notaire pour obtenir plus d’information sur leur géniteur. Il n’en fut jamais informé.
Après un dernier tour de nostalgie dans la bâtisse qui rapidement se vidait. Il quitta l’endroit sans oser se retourner. Il était heureux de ses découvertes, plus particulièrement celle qui concernait Henri et sa soubrette.
Pour son frère et sœur, il se demandait si la révélation de ce terrible secret serait vraiment judicieuse.
 Dans le parc qu’il venait de commencer à arpenter, il s'arrêta net sous l’endroit exact ou trônait la statue du docteur Paul Vidar et s'interrogea.

« Mais quel est le rapport avec le doigt qui manquait à l’ombre de sa main ?

Ernest leva les yeux au ciel, c'était l'emplacement où il pensait me trouver. Moi, son fondateur, l’inventeur de son existence écrite, j’étais amicalement lové autour de son esprit.
Je lui répondis par le trait d’esprit qui nous unissait depuis sa naissance :
« Mon cher Ernest, j’ai choisi le titre de cette nouvelle dans un seul but accrocheur !
Puis, j’ajoutais. De plus, je te trouve d’une clairvoyance excessive et j’ai également voulu par ce moyen te poser un problème que je savais insoluble ! ».

Ernest s’en amusa d’une gaieté forcée, haussa les épaules et clôtura son silence par un dernier soupir.
Avec une moue de dépit, conscient de sa condition virtuelle, il continua tristement la suite de son chemin.