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  Je l'ai tuée





Un matin, Je marchais seul au bord d'un petit étang perdu dans un coin reculé de la forêt. Les oiseaux piaillaient leur bonheur dans le reflet de l'onde calme. Une légère brise faisait frissonner les frondaisons graciles. Je me sentais bien, heureux, une paix bienfaitrice inondait mon âme de bonheur. Oui, je pense que la quiétude de ma vie de célibataire m'avait permise cet état d'euphorie constante, cette grâce presque divine qui semblait avoir éloignée de moi les incertitudes du lendemain, les affres de la vie, les tourments que chaque jour nous amène, le désespoir d'une vie mal remplie, mal accomplie, mal dirigée. Mes cheveux n'étaient pas encore parsemés de cette couleur de vieillesse, de ce blanchiment inexorable que l'on essaie de cacher. Mon visage aux traits harmonieux ne trahissait pas, bien entendu, les méfaits de ces trente années qui s'étaient écoulées derrière moi.

Quelle béatitude, cette nature inviolée qui se déroulait devant mes yeux émerveillés des curiosités, des senteurs qui toutes semblaient me dire :"Accepte-nous, dans notre félicité bienfaitrice, respire-nous à pleines gorgées de bonheur, dilue-toi dans notre aura salvatrice, sois heureux, marche droit!".

Elle était là, étendue sur une petite éclaircie d'herbes grasses. Elle semblait somnoler. Sa petite robe froufroutante de blancheur, s'étalait sur son corps d'un galbe parfait. La blondeur de ses mèches dégageait son visage. Un visage unique, harmonieux avec une ombre bleutée qui ornait ses paupières, une bouche à la pulpe engageante. Elle sourit dans son sommeil et l'ensemble de son anatomie sembla frémir sous ce contentement rêveur. Ses mains se refermèrent en forme de poings mystificateurs, ses cuisses dénudées frémirent.

Je m'approchais lentement, sans bruit, avec la peur de réveiller cette belle ingénue.

Le craquement d'une branche soudainement l'éveilla. Elle ouvrit les yeux. Bailla son repos. Elle ne m'avait pas vu. Elle se redressa sur ses coudes, fixant de ses paupières clignotantes les quelques nuages qui décoraient le ciel, puis lentement, calmement, elle tourna la tête dans ma direction. Un peu comme si, sans peur, elle avait ressenti ma présence, humé mon apparition incongrue.
Son regard effleura mon regard, d'abord furtivement, timidement, une réaction qui m'étonna d'abord. Réaction inattendue, contraire à celle de la surprise.
Ensuite, mes yeux se posèrent sur les siens, se fondèrent dans leurs finitudes, se gratifièrent d'une compréhension mutuelle, d'une acceptation irréelle.
Mon cœur se mit à battre, mon souffle devint court, mes membres ne semblaient plus vouloir accepter mon contrôle...

Je l'ai tuée!

Mon innocence.

Je l'ai tuée!

 La douceur de mon existence.

Je l'ai tuée

 L’harmonie de ma vie.

Je l'ai tuée

La complétion de mon bonheur.

Je l'ai tuée

Ma vie idyllique.

J'ai tué ma destinée, le jour où je l'ai rencontrée, où elle a fait chavirer mon cœur, où elle a bouleversé mon existence. En m'acceptant dans toute mon errance, en ne voulant faire qu'un avec moi, en voulant devenir ma dulcinée, mon tout, l'égérie qui m'accompagne, qui me guide, qui bouleverse ma vie de solitaire, escortant pendant plus de trois ans chacun de mes pas, chacune de mes clameurs.
Puis, soudainement elle est partie, me laissant seul, sans elle, sans l'être unique en qui je tenais tant, que j'adorais, que je contemplais et admirais pour cette complétion parfaite de nos devenirs.

Alors pour moi, l'enfer venait de naître, une vie de morosité, sans sommeil, sans joie, sans répit. Avec ces tournoiements d'esprit qui ressassent sans cesse ses trois années de bonheur, ses années d'elle...


Il m'a fallu cinq ans avant de pouvoir retrouver ce petit étang perdu dans un coin reculé de la forêt.
Je marchais doucement et avec précaution dans le seul but de ne pas éveiller la douleur lancinante qui d'habitude parcourait mon dos. Malgré la brise caline de ce jour d'été, la parcimonie de mes cheveux grisonnant restaient plaqués sur mes tempes trempées de sueur et seule une petite touffe plantée sur le haut de mon crâne osait un heureux chavirement, malmené par le courant d'air. J'haletais cette promenade qui me ramenait aux sources de mon passé. Un épais duvet de mousse adoucissait ma marche clopinante et chaotique, mes oreilles presque sourdes distinguaient avec peine les chants des oiseaux, le bruissement des feuillages, les grognements des sangliers qui s'enfuyaient à la vue de ma silhouette. Mes épaisses lunettes, fixées à l'arrière de mon cou par une petite ficelle se soulevaient de mon nez à chacun de mes pas découvrant une crevasse rouge qui zébrait ma peau.
Pourquoi étais-je revenu en ce lieu, les insectes tournoyaient autour de moi, la nature me rendait des odeurs nauséeuses, elle semblait me dire : " Ta place n'est pas ici, vieil homme ridicule, retourne dans la crasse de ta cité, tu me déranges, boitille ton chemin loin de moi!".

Elle était là, étendue sur une serviette, à moins d'une dizaine de mètres de moi. Elle dormait, ou du moins semblait dormir, habillée d'un simple petit maillot de bain. Elle avait laissé tremper ses pieds délicats dans l'eau fraîche de l'étang. Elle avait des cheveux noirs coupés courts, son corps d'une beauté sculpturale estompait la clarté du soleil qui se reflétait sur le miroir liquide. Elle eut un léger sursaut lorsqu'une mouche effleura son ventre. Sa main balaya d'un mouvement répétitif et gracieux l'endroit concerné, puis après un soupir de bien-être elle remua ses lèvres charnelles, mouillant de sa langue leurs contours qui se mirent à briller.
Je m'approchais d'elle, pointant en alternance le bout de mes pieds sur le sol en évitant toutes brindilles traitresses. Je voulais pouvoir plus clairement la voir, en supplantant ainsi ma myopie invalidante.
Mes genoux me trahir en émettant deux claquements secs qui la sortirent de sa somnolence.
Elle se retrouva assise, me regardant sans la moindre peur, sans même cette pudeur qui aurait due, peut-être, la faire se couvrir. Elle me sourit, découvrant la blancheur éclatante de ses dents. Mes yeux croisèrent son regard et soudain j'entrevis en elle la passion, une vélocité charnelle, un trop plein d'amour qu'avec moi elle voulait échanger. Elle me tendit la main lentement.
« Je t'attendais! » Me dit-elle, susurrant ces deux mots d'une voix sensuelle.

Alors.

Je ressentis un brusque  bien être, une jeunesse que je croyais avoir depuis longtemps perdue" Mon dos ne me faisait plus souffrir, mes jambes se sentirent alertes, mes cheveux s'envolèrent dans un frou-frou sympathique.

Je la regardais avidement.
Et, brusquement, avec une vélocité d'enfant dont je ne me croyais plus capable, je pivotais sur moi-même et je me mis à courir, courir loin de cet endroit abject, loin de cette femme délicieuse et consentante, loin de cet amour qui s'offrait de nouveau à moi.

Puis, soudain dans l'épouvante de ma fuite, je me mis à hurler à gorge déployée:

" Non Seigneur, plus jamais ça!!!"






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