La malédiction de la statue de Voltaire |
05/07/2014 |
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IL était seize
heures quarante-cinq dans ce grand amphi
théâtre de l’université de
Genève, une cinquantaine de personnes étaient
dans
la l’attente d’un cours magistral ayant pour
thème la vie au temps de Voltaire.
Dans un coin de la salle, six élèves semblaient
écoutés avec attention les
explications que leur prodiguait l’un de leur camarade : « Vous voyez cette
petite fiole ! Dit-il. Je l’ai trouvé au
marché aux puces, elle se trouvait classée dans
une petite boîte avec d’autres
produits. Il la prit entre deux de ses
doigts et lut à haute voix le
mot qui y était inscrit. ARSENIC ! Les quatre filles qui
étaient présentes autour de lui,
eurent toutes à l’unisson un mouvement de recul. -Fais attention de ne pas la
casser ! » Dit Judith. Judith, était
incontestablement l’une des plus jolies filles
de l’université. Elancée, gracieuse, de
longs cheveux d’un noir
d’ébène, le
genre de personne qui peut vous rendre amoureux au premier coup
d’œil. Mais,
pour le moment, elle ne se sentait pas disponible pour toute liaison
amoureuse. Elle en
avait vraiment marre
de tous ces beaux parleurs qui ne voyaient en elle qu’une
poupée magnifique, un
simple jouet qui ne servirait qu’à assouvir leurs
phantasmes masculins. Ces charmes, elle ne le savait
pas encore, seraient
bientôt d’une évidente
nécessité. Mais, passons à la
description des autres antagonistes avant
l’arrivée du professeur. Commençons par la
gauche. Le gros Joe, un bon
garçon joufflu, à
la peau rougie par un excès de nourriture
carnée et qui trimballait sans le moindre complexe son
excès pondéral. Il ne
semblait pas avoir été impressionné
par la
présence du poison, car son esprit
ou du moins son regard était ailleurs, vers le profil de
Judith
qu’il scrutait
avec des yeux d’envies. Il aurait tant voulu la tenir dans
ses
bras, la
câliner, être son petit copain. Mais, il le savait,
un
empâté comme lui n’avait
aucune chance avec cette fille de rêve. En fait, il
n’avait
même jamais essayé
de la courtiser, pensant que le refus évident
qu’il
recevrait serait pour lui
dévastateur. Il se contentait de cette situation «
de
copain », au moins ainsi
il pouvait la côtoyer, lui parler et peut-être un
jour,
elle sera celle qui
fera le premier pas. Hormis la belle Judith, notre ventripotent ami
avait une
passion pour le radio amateurisme. Chaque soir, il passait de
nombreuses heures
à bricoler sa station d’émission et
s’évertuait, avec succès, à
réaliser
des
contacts avec le monde entier. A ses
côtés se tenait Emilien. Ce charmant jeune homme
possédait encore une bouille arborant les traits de la jeune
enfance. Tout
juste vingt-deux ans mais paraissant en avoir à peine
quinze, il était le
joyeux drille de la classe. Toujours prêt à jouer
un bon tour à son entourage,
il ne pouvait s’empêcher d’aligner
plaisanteries sur plaisanteries. Cela ne
plaisait pas toujours à tout le monde, mais il n’y
avait rien de telle que la
contagion de sa bonne humeur pour vous sortir de vos moments de
déprimes. Il toucha du doigt la fiole
d’arsenic, enserra ses deux
mains autour de son cou et feint l’évanouissement
tout en laissant échapper un
râle des plus convaincant. Sylvie le regarda avec une moue
de dépit. Cette adorable rouquine aux
grands yeux verts faisait
également partie du petit groupe. Elle ne semblait pas
vraiment se soucier de
son apparence et un large chemisier recouvrait en permanence ses formes
que
l’on pouvait agréablement deviner très
généreuses. Elle avait, semble-t-il,
écouté avec une attention toute
particulière les explications qu’avait
prodiguées son camarade sur ses
découvertes. Douée d’une imagination
débordante, elle possédait ce don pour
l’écriture qui lui avait permis de
rédiger plusieurs romans qu’elle
espérait un
jour voir être publiés.
L’étrange découverte de son ami lui
donnait de bonnes
idées pour la rédaction de l’un de ces
prochains bouquins. Regardant le dangereux flacon,
elle amorça le début d’une
question : «
Où… -Range-moi vite cette horreur !
» L’ordre
donné par sa voisine la coupa abruptement. Sylvie
lança un
méchant regard à cette effrontée qui
l’avait si impoliment interrompue, mais ne
continua pas pour autant sa remarque. L’impertinente
qui
vocifère à ses côtés,
s’appelle Trudy. Que
dire de cette
blonde aux yeux noisette ? Elle
est américaine. Elle a une très
forte personnalité, et, comme tous, elle
n’apprécie guère que son camarade
transporte sur lui un produit aussi
dangereux. Pour la petite histoire, cette
exquise New-yorkaise était
arrivée dans la région il y a à peu
près cinq ans de cela, venue tout d’abord
dans la région pour une courte durée et dans le
but d’améliorer son Français,
elle avait par la suite décidé de prolonger son
séjour pour poursuivre des
études littéraires. Un léger accent
teintait encore ses propos, mais seules les
oreilles exercées pouvaient encore déceler son
origine étrangère. Sa famille
qui possédait une entreprise travaillant pour
l’armée américaine était
extrêmement fortunée et son père lui
accordait sans compter des largesses
financières qui lui permettaient un train de vie
élevé. Cela se voyait
assurément dans sa façon de se comporter,
à son habillement, à sa voiture de
sport et aux magnifiques cadeaux qu’elle offrait sans raison
à ses amis. Paraît-il,
qu’elle avait même offert à
l’un de ses derniers
amants une magnifique montre Cartier d’un prix inavouable. Des amoureux elle en avait eu
en pagaille. Je dis bien, en
avait-eu, car depuis plusieurs mois, elle s’était
singulièrement assagie. La
splendide demoiselle au corps sculpté par son goût
de la natation, avait pris
une certaine distance avec ses prétendants. Elle
s’était fixée
l’irrémédiable
décision d’arrêter ces aventures sans
lendemain pour se focaliser sur la
recherche de l’homme de sa vie. Cette initiative avait
été inspirée par les conseils de sa
meilleure amie, Clara, qui comme à son habitude se tenait
présentement à ses
côtés. La gentille et mignonne petite
Clara, haute comme trois
pommes, regardait Trudy avec des yeux approbateurs. Clara était
adorable, tout le monde l’appréciait pour sa
gentillesse, sa patience et sa façon
d’écouter les autres. C’était
certainement
cette dernière qualité qui lui avait permis de
nouer une solide amitié avec la
remuante Trudy. Invariablement, elle l’écoutait en
silence, acquiesçant de la
tête à certaines de ses confidences,
s’interposant adroitement au moment
opportun, lui prodiguant de nombreux conseils apaisant. Elle
était la parfaite
alliée de ses états d’âmes,
de ses angoisses que son éloignement familial lui
provoquait. Son seul défaut
était sa timidité,
l’impossibilité qu’elle
avait de se mettre en avant ce qui ressemblait presque à un
manque d’autonomie. Elle
renchérit
mollement la remarque de Trudy : « Trudy à
raison, tu ne devrais pas garder ce terrible
poison avec toi ! » Sa
remarque n’attira
qu’un sourire sur la figure d’Edmond, notre
septième larron. Celui même qui
venait d’effrayer les demoiselles en agitant le flacon devant
leurs nez. Premier de classe,
intéressé par tout ce qui l’entourait
et
surtout passionné d’histoire, il adorait parcourir
les brocantes et tous ces
lieux merveilleux où l’on pouvait se procurer des
témoignages du passé pour un
prix tout à fait abordable. Il réajusta sa paire
de lunettes rondes qui semblait
vaciller sur son nez et d’un air de contentement
indéniable scruta ses
dernières emplettes qu’il avait
entreposés devant lui dans une petite boite en
carton. Elles consistaient en ce poison
dangereux, mais aussi à un
encrier du dix-neuvième siècle contenant une
encre qui vraisemblablement était
d’origine et surtout d’un petit calepin de la
même époque qui avait appartenu à
un certain Emile Lambert. Mais,
j’arrête là mes
présentations. Le
brouhaha
submergeant le lieu venait subitement de disparaître,
Monsieur Granger, éminent
professeur venait d’arriver… ------------------------------ Le fait le plus marquant de
l’auditoire était la
disproportion entre les représentants du sexe masculin par
rapport à celui du
sexe féminin. Au bas mot soixante-quinze pour cent des
élèves étaient des
filles. Ce fait était facilement explicable et tout
à fait compréhensible. En
fait, le maître de séance du jour était
plus communément surnommé « Le beau
gosse. » Ce sobriquet lui allait d’ailleurs comme
un gant. La trentaine, une
taille supérieure à la moyenne, une gueule
d’ange, des yeux de ce bleu qui vous
fait fondre, vous charme, vous submerge au plus profond de votre
être. Toutes
les filles en étaient éperdument amoureuses et
n’espéraient de lui qu’un
regard, qu’un mot, qu’un minuscule
soupçon d’intérêt
à leur égard. Monsieur Granger,
marié avec Marion depuis déjà une
dizaine
d’années usait parfaitement de ce pouvoir
qu’il avait sur les femmes. Sa
moitié, avisée depuis toujours sur ce point
délicat, fermait les yeux sur ses
frasques charnelles. Immanquablement, il revenait à elle,
confus, lui jurant de
calmer à jamais ses ardeurs. Car des aventures, il en avait
de nombreuses, et bien
entendu avec ses élèves. Nombres
d’entre elles étaient passées dans son
lit
pour une liaison que l’on pourrait qualifier
d’express. Car monsieur Granger
n’en avait cure de ses conquêtes si facilement
acquises. Après quelques
semaines ou même quelques jours d’une
relation qu’il considérait sans
intérêt, il leurs expliquait son erreur, sa
bêtise. Qu’il était marié,
qu’il aimait sa femme et regrettait cette bévue.
Invariablement il s’obligeait de préciser
qu’elles étaient belles, engagées
dans un avenir des plus brillant et que leur amour coupable n'avait
aucun sens
et ne leur accorderait aucun lendemain. Enfin passons sur cet
étrange comportement et revenons à un
fait troublant de sa personnalité qui consistait en un
protocole très
particulier qui précédait immanquablement le
début de son cours. Imaginez tout d’abord
ce lieu relativement ancien où il
professait. Une grande estrade de bois, un
immense tableau noir, un
petit bureau et enfin une chaise dont le coffrage de bois supportait un
coussin
de cuire, celle-ci sommairement assemblée était
encadrée par deux montants
métalliques d’une couleur verte qui
séparément servaient de support pour le
dossier et le siège. Monsieur Granger arrivait donc
au beau milieu de sa tribune.
Sortait des feuillets de son sac ainsi qu’une petite
bouteille du breuvage
tonique que lui avait préparé sa femme.
Immanquablement, il s'en versait une
bonne ration dans son petit gobelet en plastique et
immédiatement en avalait
une gorgée. Puis il se rendait au tableau
où après avoir mouillé de sa
langue une craie, il écrivait en larges
caractères le titre de la leçon. Il déclenchait le
chronomètre de sa montre, une magnifique
Cartier qui lui avait été offerte l’une
de ses conquêtes. Et, finalement posait chacune
de ses mains sur les montants
de sa chaise pour enfin commencer son cours. C’était au
demeurant, seulement à cet instant, que son
premier regard daignait se poser sur l’assistance. Sur les trois premiers rangs,
on ne pouvait voir que des filles.
Leurs yeux brillants d’amour et d’admiration pour
ce prestigieux personnage.
Plus loin c’était un mélange des deux
genres. Des garçons qui jalousaient bien
entendu le succès qu’eux ne pouvaient avoir et de
peu nombreuses donzelles
désintéressées par notre
esthète du genre masculin. Ah ! Oui ! J’allais
presque oublier de vous le signaler. En haut de cette
arène du savoir on pouvait voir Ernest.
Notre cher inspecteur Ernest Puppa qui désirait approfondir
ses connaissances
historiques concernant les relations que le pays de Gex avait
entretenues avec
le bassin genevois. Sa position qui prédominait
l’amphithéâtre lui avait bien
entendu permise de remarquer les émois amoureux
qu’engendrait ce professeur. Ernest appréciait
cet enseignant qui lui semblait détenir un
savoir et une qualité professorale admirable. La ligne «
Débats intellectuels au temps de Voltaire » que
monsieur Granger venait d’écrire sur le tableau le
fit frissonner de bonheur… «
T’as vu Trudy, il
porte ta montre ! » Chuchota Clara qui semblait
offusquée par cette évidence. Eh
bien oui ! Comme
vous avez certainement pu aisément le deviner, monsieur
Granger avait été
l’amant de Trudy et c’est à lui que la
belle avait offert ce superbe cadeau
qu’il portait sans le moindre repenti. « Cette montre
n’est qu’un pâle reflet des sentiments
que
j’éprouve pour toi ! » Lui avait-elle
précisé dans son élan donateur. Il l’avait
accepté sans la moindre hésitation, estimant
qu’une aventure avec lui valait amplement ce
présent. Monsieur Granger avait, comme
à son habitude rapidement
larguée sa jeune maîtresse. Mais, sans la moindre
gène avait gardé son cadeau
qu’il trimbalait attaché à son poignet. Aux yeux de sa femme, il
l’avait fait passer comme un
présent que lui avait offert un richissime ami en
remerciement de l’aide qu’il
lui avait apporté dans la reconstitution de son arbre
généalogique. Mais revenons à la
séance du jour qui venait enfin de
commencer. Celui-ci se déroula
dans un silence religieux. On ne pouvait
qu’être subjugué par
l’éclat et la fluidité
des propos de notre professeur. Seul, Edmond osa poser une pertinente
question
qui permit au professeur de démontrer son savoir
indéniable. La leçon fut si
talentueusement menée que les deux heures de
sa durée semblèrent
s’écouler en un éclair. Rapidement, la salle se vida de
tous ses occupants. Notre petit groupe
d’amis, suivis de Puppa sortirent en
dernier. En voyant Judith passer
près de lui monsieur Granger
l’interpella : « Judith,
s’il vous plaît, j’ai besoin de votre
aide ! » Judith sembla surprise et mal
à l’aise devant cette
interpellation. Trudy grommela quelques mots en
direction de Clara, Emilien
envoya un clin d’œil aux deux autres
garçons et ils laissèrent leur copine
seule avec le « beau gosse. » Dans le couloir, Ernest ne put
s’empêcher d’entendre un
aperçu de leur conversation : « Je crois que Judith
est la prochaine sur sa liste ! Ricana
Emilien. -Il les lui faut toutes !
Enchaîna Joe qui semblait furieux. -Quel sal bonhomme, il a vite
eu fait de t’oublier ! »
Ajouta Clara en direction de
l’Américaine… Seule devant monsieur Granger,
Judith se demandait bien ce
qu’il allait lui proposer. « Je crois savoir que
vous habitez Ferney-Voltaire ? Ces
yeux arboraient ce regard qu’il voulait être
séducteur. -Oui, Monsieur Granger !
Répondit-elle surprise. -Je veux aller faire une petite
visite du château de
Voltaire la semaine prochaine. Question de me remettre des images en
tête, et,
je me demandais si vous accepteriez de m’y accompagner ? La question était
surprenante, directe, sans détour. Une
façon peu dissimuler de l’inviter à
flirter avec lui et qui s'attendait à cette
certitude d’une réponse positive. En fait, il aurait pu tout
simplement l’inviter à boire un
verre. Mais, il voulait sortir de la banalité tout en lui
faisant comprendre
ses intentions peu catholiques. -Le château Voltaire ? -Oui, si je me souviens bien
vous avez servi de guide du
château pendant vos vacances et j’en suis
persuadé, vos explications pourraient
m’apporter de nombreuses réponses très
utiles. C’était
Emilien qui avait vendu la mèche lors du cours
précédent, il avait blagué sur ce
sujet en plein milieu de la séance lorsque le
professeur avait parlé des vingt ans que Voltaire avait
passés à Ferney et des
activités intellectuelles qu’il avait
menées au sein de son château. Le professeur n’avait
pourtant pas semblé entendre la
plaisanterie, mais pourtant… -Je suis assez prise pour
l’instant ! Bredouilla Judith.
Mais je vais y réfléchir ! Puis en entamant ses
pas en direction de la sortie,
elle se justifia. Excusez-moi ! Je dois y aller, mes amis
m’attendent ! » Offusquée !
Voilà le sentiment exact qui pour le moment
empourprait son joli minois. Comment cet abject personnage osait-il lui
faire
cette proposition, ce début d’avance, alors
qu’il savait pertinemment que Trudy
était l’une de ses amies. Joe l’attendait à la sortie du bâtiment. Il espérait pouvoir la raccompagner jusqu’à son bus. Malheureusement, furieuse Judith passa devant lui sans même l’apercevoir. -------------------------------- Les six amis étaient
assis autour d’une table d’un bistrot
de Ferney voltaire. Seul Joe
manquait à
l'appel, il avait à cette heure un rendez-vous sur les ondes
avec des O.M. de
la région. Judith, à son
habitude si joyeuse et jouissant d’un sourire
qui ne faisait qu’accentuer la beauté de son
visage ne semblait pas posséder
son entrain habituel. « Vous savez ce que
Granger m’a proposée ! Dit-elle, imitant
de son mieux le ton du Beau gosse. Elle continua. «
Pourriez-vous m’accompagner
pour une visite du château Voltaire ! » Emilien éclata de
rire. -T’es bonne pour la
casserole ! S’empressa-t-il de
commenter. Trudy haussa des
épaules. -You know ! Ma belle, moi, il
m’avait demandé de venir lui
traduire un texte anglais qu’il ne comprenait pas bien, deux
jours après
j’étais dans son lit, comme une idiote je me suis
laissée faire et en plus
j’étais amoureuse ! -C’est vrai
qu’il est beau ce mec, mais moi, je le déteste !
Affirma Clara. De plus il paraît que sa femme
s’accommode de ses frasques
amoureuses. J’t’avais avertie, tu
n’aurais jamais due sortir avec ce type. Trudy, lui envoya un regard
complice. Elle lui avait
confié les sentiments troubles qu’elle
ressentait envers ce professeur et il est certain qu’elle lui
avait conseillé
d’éviter ce type. Elle avait d’abord cru
en une certaine jalousie de sa part,
mais rapidement avait pu constater la justesse de ses propos. Il
n’était
vraiment qu’un abject collectionneur de filles. Emilien tout en sirotant un
verre de menthe à l‘eau avait le
regard coquin de ses bons jours. Il se racla bruyamment la gorge,
question
d’attirer l’attention de ses compères
puis il lança, en rigolant, cette
singulière remarque. -Et si on lui jouait un mauvais
tour ! Tous le regardèrent
avec des yeux amusés. Connaissant ses
habitudes espiègles, ils se demandaient quelle type de
plaisanterie ce galopin
avait en tête. -Eh bien oui, si on lui faisait
la peur de sa vie ! -On le coince dans les
toilettes des filles et on le met à
poil et on se sauve! Dit Trudy en rigolant. -Sans oublier le goudron et les
plumes ! Enchaîna méchamment
Clara. Un petit sourire se dessina sur
le visage de Judith, elle ne
dit rien, mais il est facile d’imaginer le type de
pensées qui à cet instant
précis traversa son esprit. -Non ! Les filles, calmez vos
ardeurs, moi je vois un
canular beaucoup plus sournois, plus ingénieux, une farce
qui puisse parsemer
le trouble dans son esprit. -De quoi veux-tu parler ?
Demanda Sylvie qui voyait de
nouveau en ce type de facétie, le sujet d’un bon
livre à écrire. -Et bien, j’y ai
pensé l’autre nuit, et ! » Il
s’arrêta un
instant, regarda ses amis et reprit à voix basse... "Assis non loin
d’eux, l’inspecteur Ernest Puppa
sirotait un cocktail aux couleurs chamarrées. Il se trouvait
devant une
adorable créature qu’il connaissait maintenant
depuis trois mois. Elle était la
blonde de ses rêves, celle qui avait en moins d'une semaine
changé la routine
de son quotidien et qui comblait
l’intégralité de ses inspirations. Ils avaient
décidé de vivre ensemble et discutaient
à
présent de l’appartement qui
matérialiserait suffisamment leur indicible amour. « Le mien est
beaucoup plus grand ! » Fît remarquer Ernest. La belle sembla
également acquiescer sur ce fait, elle le
caressa de ses yeux d’un vert amande. Puis, chuchota son
acceptation...". Emilien
dans un
dernier petit ricanement de malice venait à l'instant de
terminer ses
explications. Nos
jeunes amis
éclatèrent de rire aux propos de notre petit
plaisantin : « Où
vas-tu chercher tout ça ! »
S’étonna Edmond devant
l’inventivité de son copain. Tous nos jeunes protagonistes
se connaissaient
particulièrement bien. Ils avaient
suivi, à l’exception de Trudy,
leurs années secondaires au lycée
international de Ferney et c’est d’ailleurs ainsi
qu’ils avaient pris
l’habitude de se donner rendez-vous dans ce bistrot P.M.U.
bien sympathique.
Ils se délectaient ainsi de leur boisson favorite avec, en
point de mire, la
statue de Monsieur Voltaire. Celle-ci le représentait dans
ses vieux jours, le
dos légèrement courbé et pertinemment
aidé d’une cane qui semblait l’assister
au maintien de la pérennité de sa pose. Tous les jeunes se
levèrent d’un seul mouvement. Chacun
d’eux avaient, durant le monologue d’Emilien,
reçu une indication précise sur
la tâche qui permettrait dans une parfaite tromperie de
ridiculiser le beau
professeur. Il leur fallait pour cela
glaner certains renseignements
d’importances. Pour cela, ils traversèrent en
fanfare la petite place,
s’arrêtèrent au milieu du carrefour pour
faire une large courbette à Monsieur
Voltaire, puis s’engouffrèrent dans le local du
syndicat d’initiative. L’hilarité
de ces
jeunes gens avait attiré l’attention
d’Ernest qui délaissant l’image de sa
compagne, les avait pendant de longues secondes escortés du
regard. «
Tu viens chéri ! » L’impérative
douceur
du ton de sa promise le soustrait à sa rêverie.
Sans un mot, il s’empressa
derrière elle, accompagnant avec un plaisir non
dissimulé le balancement
voluptueux de ses hanches. --------------------------------
La chambre
n’était pourtant pas très grande, mais
néanmoins
elle renfermait tant de livres et de bibelots en tous genres
qu’il était
presque impossible d’y circuler à son aise. Sur
l’un des murs, une immense
bibliothèque résistait avec peine au lourd
fardeau qui lui était confié. Chacun
de ses rayons pliait sous un poids déraisonnable
provoqué par un assortiment de
broutilles hétéroclites. Une armoire, les portes
grandes ouvertes semblaient
s’accommoder de cette même gageure. Les
vêtements qui y étaient soigneusement
disposés dénotaient parmi les livres, boites,
objets étranges qui avaient,
semble-t-il, imposé leurs indésirables
présences. Seul un petit lit, coincé
entre deux piles de
bouquins restait
libre de tout désordre. Assis à son bureau,
Edmond affectionnait au plus haut
point ce qu’il nommait au grand damne de ses parents, sa
caverne d’Alibaba. Il
semblait parcourir avec assiduité une feuille manuscrite
qui, de temps en
temps, lui procurait une multitude de gloussements de plaisirs. Cette nuit, il devait
préparer la première phase de cette
fameuse vengeance. La missive qu’il
parcourait, avait été adroitement
rédigée
par Sylvie. Sa tâche consistait
à la reproduire sur ce petit livre qu’il
avait récemment dégoté aux puces de
Genève. Au fait, où avait-il
bien pu l’entreposer ? Il se dirigea directement vers
sa fameuse bibliothèque et
prudemment se mit à l’alléger d'une
partie de ses babioles. Il connaissait bien
la faiblesse de l’édifice et un mouvement brusque
de sa part pourrait
facilement le faire s’effondrer. Après dix minutes
d'une prospection
infructueuse il dénicha enfin l’ouvrage en
question. Il était de la taille d’un
gros carnet d’adresse, possédait une couverture en
cuir marron, et était encore
recouvert d’une poussière qui, pensait-il, devait
être d’époque. Il regarda
avec attention la dizaine de feuillets qui le composaient. Sur chaque
page, une
écriture pattes de mouche s’entrecroisait avec de
jolies esquisses adroitement
dessinées. Sur l’une d’elles on pouvait
reconnaître la statue de Monsieur de
Voltaire, puis sur une autre le visage du grand homme avec cette petite
annotation gribouillée dans un coin, « accentuer
l’expression de malice et
d’irrespect. » Ce
carnet, avait
appartenu à monsieur Emile Lambert, le sculpteur qui avait
créé et offert à la
ville de Ferney cette incontournable statue qui décorait la
place du
centre-ville. A la fin du manuscrit on y
découvrit un dernier feuillet
libre. C’est celui-ci qui recevrait le petit texte que Sylvie
avait concocté. Pour accomplir cette
délicate besogne, il possédait une
plume, ainsi qu’un petit encrier qui malgré leurs
états impeccables dataient du
dix-neuvième siècle. Il décacheta avec
soin le petit récipient qui à son
ouverture exhala un parfum qu’il savait d’une autre
époque. « L’encre
est-elle encore valable ? » Se demanda-t-il. Il pinça la plume
entre ses deux doigts, plongea son
extrémité dans le liquide noirâtre et
essaya d'écrire une succession de
caractères sur une grande feuille de papier sur laquelle il
allongea sa
première ébauche. La pointe crissa sur la page
encore vierge. Avec une application notariale
il enchaîna des phrases
anodines. « Parfait !
» Chuchota-t-il en frissonnant. En effet, par une chance
incroyable, la teinte était
similaire à celle inscrite sur le pamphlet jauni. Pendant de longues heures il
s’essaya à cette nouvelle
écriture, recopiant des dizaines de fois le texte qui lui
avait été préparé.
Bientôt la conformité et l’aspect des
caractères avaient atteint la perfection.
Il était, maintenant, prêt
à
retranscrire sa mystification. Regardant avec respect le feuillet plus
que
centenaire, il commença sa contrefaçon. Le 14 septembre 1890 J’ai enfin terminé la
réalisation de cette statue. Jamais
je n’ai eu tant de difficultés à
réaliser
une œuvre.
J’ai compté à cette heure dix morts qui
ont
jalonné sa construction et je me
sens comme un rescapé de cette aventure. Toutes les
personnes
qui l’ont
approchée de trop prêt ont
été victimes
d’étranges phénomènes et ont
trépassé
subitement. Trois membres de ma famille, quatre de mes assistants ont subi ce terrible sort,
pourtant il
s’agissait de jeunes personnes dans la
fleur de l’Age. Ils sont tous morts si
étrangement. Et puis il y a eu ces trois
ouvriers qui ont installé
la statue sur
son socle. L’un d’entre eux m’a dit
qu’il avait ressenti une impression bizarre
lorsqu’il avait voulu par malice serrer la main de monsieur
de Voltaire en le
regardant droit dans les yeux. Deux jours plus tard il est
tombé raide mort au
beau milieu de la rue. Suis-je protégé de ce
fléau, je ne le sais pas,
peut-être que tout ceci n’est que pure
coïncidence, un fait de mon imagination.
Grâce à Dieu, haut perché sur son
socle, monsieur de Voltaire sera dorénavant
difficilement accessible. Vous
dont le regard sur ces lignes s’est posé,
s’il vous
plaît, ne prenez jamais ces propos à la
légère. « Excellent travail !
» Se félicita-t-il. Demain il laisserait son texte sécher sous les rayons du soleil. Deuxième
partie
------------------------------------ Comme à
l’accoutumé,
l’amphithéâtre se vida très
rapidement,
notre petit groupe d’amis ne paya aucune attention
à la jolie Judith qui
discutait avec monsieur Granger tout en affichant l'un de ses plus
beaux
sourires. « Je suis libre lundi
après-midi, alors, si une petite
visite du château Voltaire en ma compagnie vous
intéresse toujours ! Monsieur Granger leva la
tête, il semblait heureux mais non
surpris par l’offre de la ravissante jeune fille. Elle
s’était donc décidée
très rapidement. Mais malgré cette
proposition gratifiante, il ressentit un
certain malaise. Une gêne qui ne concernait nullement Judith
mais était due à
une désagréable conversation qu’il
avait eue le matin même avec sa femme. « Si tu me trompes
encore une fois, je te quitte ! » Lui
avait-elle dit hargneusement. Et bien entendu, comme
à son habitude, il lui avait juré de
ne plus jamais lui imposer d’écarts, que sa
fidélité resterait à jamais
absolue, qu’il n’y avait qu’elle qui
comptait, qu’il ne pourrait pas survivre à
son départ. L’amusant dans ces
propos maints fois réitérés
était
contenus dans la sincérité du moment. Il pensait
réellement que la seule
compagnie de son épouse lui serait suffisante, et pourtant,
il savait
pertinemment qu’il n’en serait rien.
Il regarda Judith
droit dans les yeux, il allait l’éconduire, lui
préciser que ce projet n’était
plus de mise. Mais, la joliesse de notre demoiselle le fît
subitement changer
d’avis. Il acquiesça
par des mots
agréables et un rendez-vous fût pris pour quatorze
heures du prochain lundi. « Un dernier
écart ! » Se promit-il. Et puis après
tout ce
n’est qu’une visite pour le travail… Dès cette rencontre
fixée, Judith se précipita retrouver ses
copains. « Il a mordu
à l’hameçon !
S’exclama-t-elle. Edmond lui tendit le livre
qu’il avait si habilement
falsifié. -A toi de jouer ma belle !
» La deuxième phase de
la calembredaine pouvait enfin
commencer. --------------------------------------------- “Allo dad ! -My darling
is that you ! "Pour des raisons pratiques
évidentes, Je continuerai
en Français cette intéressante conversation que
Trudy eut au téléphone avec son
père.". -Oui
papa ! J’ai
besoin de ton aide pour jouer un mauvais tour à
quelqu’un que je n’apprécie
guère. Après un certain
silence interrogateur son père répondit. -Quel genre de tour ? -Et bien voilà,
j’ai offert une montre à un ami qui n’a,
par
la suite, pas été vraiment agréable
avec moi. Par contre il a gardé la montre
qu’il porte fièrement au poignet. -Ok ma chère, je
comprends et quel est ton plan ? -J’aimerai pouvoir la
casser à distance, crois-tu que c’est
possible. -Pas de problème,
Trudy, c’est très facile. Il suffit
d’approcher un aimant suffisamment puissant tout
près de la montre pour qu’elle
se magnétise et ainsi elle s’arrêtera
à jamais. J’ai ce qu’il te faut dans mon
usine, un aimant minuscule, mais particulièrement puissant.
Je te le cacherai
dans une bague que tu porteras. Il te suffira d’approcher ton
doigt de son
poignet pour que le tour soit joué. Je te fais apporter cela
par Steve qui doit partir
ce soir pour Genève en voyage d’affaire... -Thanks so
much dad, you’re great ! -I know, I
know, anything for you darling !” ... Tranquillement assise sur un
banc qui toisait directement la
statue de Voltaire, Judith attendait monsieur Granger. Ce cher
professeur était
en retard d’au moins une demi-heure. Ceci
exaspérait notre attrayante
demoiselle qui s’était pour l’occasion
habillée d’une façon très
avenante.
Voyant cette beauté ainsi seule à
méditer. Plusieurs jeunes hommes étaient
venus gentiment l’importuner. « Non,
j’attends quelqu’un leur avait-elle
répondu sèchement
! » Et enfin, monsieur Granger
arriva. Sa décapotable bleu foncé
s’arrêta devant elle. D’un bras
désinvolte il poussa la portière passager en
s’excusant : « Il y avait un
embouteillage monstre dans Genève ! Judith, sourit. Elle se sentait
soulagée par son arrivée.
Pendant quelques instants, elle avait bien cru qu’il lui
collerait un lapin et
qu’ainsi l’échafaudage de leur plan
machiavélique, tout d’un coup, tomberait
à
l’eau. -En route pour le
château ! » Dit-elle. Un seul petit
kilomètre les séparait de son entrée. Après avoir
longé une dernière longue ligne droite
ombragée,
ils arrivèrent dans le petit parking circulaire qui faisait
face au portail
principal. Devant eux se tenait la grande grille noire à
deux battants qui
gardait l’édifice. Une large barre
d’acier plantée dans le sol sécurisait
son
ouverture d’une façon indéniable. Tous deux sortirent du
véhicule. Sur un écriteau on
pouvait lire « Fermé le lundi. » Monsieur Granger regarda Judith
avec étonnement. « Pas de
problème, j’ai mes entrées
privées ! Dit-elle. Elle regarda la
caméra de surveillance, lui fit un grand
signe de la main et, un instant plus tard, accompagnée
d’un subtil grincement,
la petite grille de côté lentement
s’ouvrit. -Salut, Judith, je
t’attendais ! -Monsieur Granger ! Je vous
présente Elodie. L’une de mes
bonnes copines. S’est-elle qui habite la conciergerie. -Oh, la gardienne du lieu !
Bonjour Mademoiselle !
Attesta-t-il d’une voix qu’il voulait admirative. Elodie rougit
légèrement à la vue de ce beau
mâle. Elle
bredouilla un "B’jour " gêné. Puis se
détourna de son regard pour
tendre à son amie les clefs du château. Elle les invita à
emprunter la porte dérobée et ajouta. -Tu connais le chemin aussi
bien que moi ! Monsieur Granger
s’engagea donc à la suite de Judith,
particulièrement heureux de cette visite très
privée qu’il espérait
agrémenter
d'exercices qui n’avaient rien à voir avec le
sujet historique de sa présence. Se rappelant du temps
où elle servait de guide, Judith
décida d’inverser le fil de la promenade. -Si vous le voulez bien, nous
visiterons les jardins en
premier et ensuite le château. -Tu peux me tutoyer si tu le
veux, ça serait plus
sympathique ! » Judith acquiesça du
premier chef. « Quel baratineur
celui-là ! » Pensa-t-elle amusée. Ils tournèrent sur
leur gauche pour admirer la petite église
qui faisait partie intégrante de la
propriété. Elle lui fit observer les
inscriptions marquées au-dessous de son horloge. DEO
EREXIT VOLTAIRE MDCCLXI
Elle lui expliqua que Voltaire
fut obligé de reconstruire
l’église qu’il avait détruite
pour ériger une immense allée en ligne avec la
porte de sa demeure. Cette inscription qu’il fît
ajouter provoqua un tollé
général car son nom apparaissait en
caractères plus volumineux que ceux du mot
DEO, Dieu ! Longeant
l’édifice religieux, Judith ne manqua pas de lui
faire remarquer le cercueil en forme de pyramide à
moitié imbriquée dans la
paroi du bâtiment qui aurait dû être sa
dernière demeure. Et puis il y avait cette
fameuse petite porte sur le côté qui permettait au
grand homme d’assister et de
quitter la célébration de la messe sans que
personne ne soit en mesure de
l’apercevoir. Monsieur Granger
écoutait avec attention sa jolie guide. Ses
explications foisonnaient de tous ces détails de la vie
quotidienne du
dix-huitième siècle et ceci rendaient son
témoignage encore plus passionnant. Notre charmant professeur en
aurait presque oublié le but
réel de son invitation. Il la laissa marcher trois pas
devant lui, profitant de ce
moment privilégié pour admirer la grâce
et la sveltesse qui se dégageaient de
cette jolie personne. Feignant d’ignorer
cette astuce concupiscente elle
prolongea ses explications. -Sur cette bute, il avait fait
construire un théâtre et y
faisait jouer ses pièces. Les spectateurs genevois venaient
assister à des
représentations aux allures de fêtes. Un
dîner gargantuesque accompagnait
immanquablement l’événement ! Puis elle s’attarda
sur les nombreux employés qui
entretenaient la demeure, de l’immense
propriété qui l’entourait. Puis ils descendirent dans le
jardin. Celui-ci permettait une
splendide vue de la chaîne alpine. Pourtant, Monsieur Granger ne
l’écoutait déjà plus, il
s’était dirigé vers l’une des
statues qui agrémentait si joliment l’endroit. Il
s’adonnait lui-même à l’art de
la sculpture, à un bien modeste niveau, il en
convenait, mais chacun avait pu admirer et apprécier
certaines de ses œuvres
qu’il avait fièrement exposées dans le
hall de l’université au cours d’une
exposition artistique locale. Accompagnant de la main la
forme parfaite de l’ouvrage, il
demanda à Judith, qui en était l’auteur. « Monsieur Emile
Lambert ! Il habitait ce château à la fin
du dix-neuvième, début du vingtième
siècle. C’est lui qui a donné
à la ville la
statue de Voltaire que l’on peut admirer en centre-ville. -Avez-vous plus
d’information à son sujet ? Demanda-t-il
avec curiosité. Judith faillit jeter un cri de
victoire. Le poisson venait de mordre
à l’hameçon sans qu’il lui
fût
même nécessaire de lui jeter le moindre
appât. Elle feint de
réfléchir concernant sa demande. Murmura une
interrogation, puis, un large sourire aux lèvres elle lui
répondit: -Oui, j’ai quelque
chose d’intéressant à vous montrer ! Un
petit livre écrit de sa main qui décrit en
détail la réalisation de ses travaux
artistiques. Si je me souviens bien, il se trouve posé sur
la cheminée de la
chambre de Voltaire. -Excellent ! Vous
êtes définitivement une admirable
accompagnatrice ma chère et de plus si attrayante.
» Elle fît mine de ne
pas entendre sa flatteuse remarque et
continua sa visite… A l’aide du trousseau
de clefs qu’elle tenait fermement
depuis le début de la visite, elle ouvrit la porte
principale du château et
invita monsieur Granger à la suivre. Elle enchaîna dans
chaque pièce ses commentaires
enrichissant. Elle s’attarda sur les statues de Voltaire et
de Rousseau qui se
faisaient face, et commenta la drôlerie de cet anachronisme
par le fait que ces
deux hommes s’étaient copieusement
détestés tout au long de leur vie. Plus loin elle glosa sur une
anecdote concernant le fait que
Voltaire, avec sa canne, frappait le sol de sa chambre en pleine nuit
pour
appeler son secrétaire qui dormait en sous-sol. Le pauvre
homme à moitié
éveillé se précipitait pour prendre en
notes les élucubrations que l’esprit du
maître venait de cogiter. Elle s’exprima
également sur la signification des tableaux
qui décoraient les murs. Puis, ils arrivèrent
dans la chambre de Voltaire. Monsieur Granger, profita de
l’étroitesse des lieux pour se
rapprocher de la jeune fille un peu plus que la décence le
permettait et
malicieusement entreprit de l’enlacer. Judith se déroba en
se justifiant habilement : « Ah, justement,
voici l’ouvrage qui vous intéresse ! Elle
passa par-dessus les cordes qui délimitaient le chemin
visiteur, empoigna le
carnet et le tendit à son soupirant. Voici le livret dont je
vous parlais tout
à l’heure. Il est écrit de la main
même d’Émile Lambert. Monsieur Granger un peu
désarçonné par cet
enchaînement
surprenant, saisit l’ouvrage et le feuilleta nerveusement. -Je ne
l’intéresse peut-être pas ! »
Pensa t’il. La dispute qu’il
avait récemment eue avec sa femme s’imposa
à sa pensée. Serait-il temps pour lui de tenir sa
promesse de fidélité. De nombreuses gouttes de
sueurs, soudainement, recouvrirent
sa pensive expression. Judith quant à elle
avait déjà disparu de sa vue. Profitant de l’effet
de surprise elle avait continué son
chemin vers une autre pièce espérant ainsi calmer
l’ardeur de son professeur. Il resta un long moment
immobile, feignant de s’intéresser
aux écrits et dessins qui parsemaient chaque feuillet.
Mouillant son doigt
d'une goutte de salive, il égrenait avec un calme feint
l’écrit centenaire. Soudain, Judith
réapparue dans l’entrebâillement de la
porte. « Vous pouvez le
garder une semaine si vous le désirez !
Dit-elle malicieusement. Sortant de sa rêverie
il balbutia. -Oui ! Est-ce possible ? -Tout à fait !
Enfin, si vous me promettez de ne pas
l’abîmer ! Ajoute-t-elle sur un ton de plaisanterie. Puis elle s’approcha
de lui, le prit par la main. -Vous savez, monsieur Granger,
je vous trouve très chouette
! Elle le regarda timidement. Mais ! Elle laissa traîner un
court silence.
Mais, j’aimerai mieux vous connaître
avant… Elle arrêta pudiquement sa phrase. Monsieur Granger, confus,
avalisa sa remarque. -Excusez ma muflerie
chère Judith ! Je ne suis vraiment
qu’un goujat ! Elle s’amusa de son
affirmation. -Mais non, j’ai
simplement besoin d’un peu de temps ! Puis complaisamment elle
changea de sujet. -Venez
avec moi vous
asseoir sur un banc du parc. Vous m’expliquerez votre passion
pour la
sculpture… » Plus tard, contemplant le
Mont-blanc qui majestueusement
apparaissait dans le lointain, nos deux personnages assis
l’un prêt de l’autre,
semblaient infiniment apprécier ce moment de
quiétude contemplative. Judith
écoutait les confidences de monsieur Granger. De Pierre, lui avait-il
intimé de l’appeler. Tout en contant son amour de
l’art, il survolait le petit
ouvrage, puis commentait les esquisses qui y étaient
représentées. Soudain il
s’arrêta sur cette dernière page
étrangement
rédigée. Judith observa
discrètement son visage. Il parut très
perplexe, puis, continua son monologue dans un
tutoiement qu’ils s’étaient mutuellement
autorisé. -Judith, cet
étrange. Je dois te lire ce passage qui me
semble vraiment surprenant ! Puis il lut le feuillet sans
s’apercevoir de la tromperie
qu’Edmond avait si brillamment rédigé. A la fin de la lecture Judith
s’étonna de l’invraisemblance
de l’histoire : « Une
malédiction liée à la statue de
Voltaire, je n’ai
jamais rien entendu de pareil ! -Cette histoire me semble
vraiment surprenante, on croirait
se retrouver dans le scénario d’un de ces films
fantastiques ! Prenant un ton
passionné, Judith compléta en frissonnant. -Il faudrait le
vérifier ! -Si tu veux !
Répondit-il, sûr de lui, puis il ajouta
reprenant un ton professoral. Tu sais à cette
époque de nombreuses épidémies
terrassaient subitement les gens. A savoir, tout ceci n’est
que le fait de
conclusions hâtives et est simplement lié
à un phénomène médical qui
serait à
notre époque facilement explicable. Judith frémit de
nouveau. -En tous cas, moi je ne
m’y essayerais pas ! Suite à un rapide
coup d’œil à sa montre, Granger fut dans
l’obligation de couper court à la discussion. -Excuses-moi Judith, mais il
est temps pour moi de partir ! Le chemin du retour fut
ponctué de questions concernant leur
singulière découverte. Puis, l’ayant
ramenée jusqu’au bas de sa porte. Granger
n’osa qu’un adroit baise main en guise
d’adieu et la remercia pour son exquise
compagnie. -A bientôt Pierre ! -C’est mon souhait le
plus cher ! » Affirma t’il en
refermant sa portière. --------------------------------------------- -Je n’ai
même pas eu besoin de le guider, il s’est
jeté tout
seul dans notre piège. -Maintenant il faut trouver le
moyen de lui faire toucher la
statue. -Toi qui écris des
romans, tu ferais ça comment ? -Je ne sais pas. Utilise tes
charmes ! -Tu sais qu’il est
vraiment entreprenant le bougre. J’ai dû
employer toute mon habilité pour ne pas passer à
la casserole ! -Oh oui, raconte ! Judith décrivit
à Sylvie les moindres détails de sa visite
romantique avec Granger. -je pense avoir accompli ma
tâche avec brio, il croit dur
comme fer qu’il m’intéresse et que je
veux absolument le revoir. -Super ! Comme il doit
être comme tous les mecs, il fera
tout pour arriver à ses fins. Moi ! Pour la suite de
l’histoire je crois qu’il
faudrait que tu lui donnes rendez-vous à Ferney un de ces
soirs et que tu lui
joues le jeu de celle qui est perturbée par
l’histoire de la malédiction. Je ne
sais pas... Tu lui fais croire que cette histoire t’a
traumatisé, que tu te
demandes si cette statue est vraiment maudite, que tu es
obsédée par l’envi de
la toucher et de vérifier par toi-même
l’écrit de Lambert, mais tu fais celle
qui est terrorisée par cette intrigue. A mon avis, comme il
a l’air prêt à tout
pour te séduire, il ne manquera pas de te proposer de tenter
l’expérience à ta
place. -Tu crois ! -J’en suis certaine,
qui peut résister à tes beaux yeux !
Ajouta Sylvie en éclatant de rires. Ah ! Oui, j’y
pense, il faudrait également
que tu utilises ton pouvoir de séduction pour
entraîner Joe dans notre projet. -Ça sera difficile
de le faire sortir
de sa station de radio ! -Tu plaisantes, il meurt
d’amour pour toi. Un seul mot et il
sera à tes pieds. Judith rougit, elle avait bien
remarqué les regards tendres
de son volumineux copain, mais elle n’avait jamais
pensé que ceux-ci excédaient
le stade de la camaraderie. -Que faut-il que je lui fasse
faire ? -Je suis en train
d’en discuter avec Emilien, avec ses
plaisanteries douteuses, il m’a préparé
une liste de bonnes farces qui devrait
jeter le trouble dans l’esprit de Granger. Plusieurs semblent
vraiment
intéressantes, mais je préfère
t’en parler un peu plus tard. Sylvie
s’était vraiment totalement investie dans cette
histoire, elle voyait en cette farce l’idée
géniale du roman de sa vie, celui
qui lancerait une carrière qu’elle ambitionnait de
toutes ses forces. Dans sa tête chacun
de ses camarades tenaient une place très
précise, seule Clara, pour le moment lui semblait
d’une complète inutilité.
Mais cela avait-il une importance, peut-être pas. Clara lui avait bien
demandé de participer à cette
fourberie, en lui précisant qu’elle
détestait Granger et que ce serait un
plaisir, pour elle, de lui rabattre son caquet. -J’y
réfléchirais ! Lui avait-elle
répondue. Soit patiente !
» "
J’arrête mon
histoire un instant pour revenir à Ernest Puppa notre fameux
inspecteur de
police. Car au fait quel peut bien être le besoin de sa
présence dans cette
annale somme toute bien banale. Cette plaisanterie estudiantine
pourrait-elle tourner au
drame ? En fait j’aimerai
vous narrer un fait troublant qu’il advint
à ce moment précis de l’histoire. Ernest se trouvait par un fait
étrange devant la statue de
Voltaire, la fixant de ses yeux inquisiteurs. Il est vrai que pendant
la
dernière classe d’histoire qu’il avait
suivie, le professeur avait parlé des
bienfaits que Voltaire avait dispensés à Ferney,
ajoutant que durant les vingt
ans de sa présence, sa
générosité avait transformé
ce minuscule village d’une
population de quarante âmes en une bourgade très
prospère de plus de mille
habitants. Ce qui est curieux ce
n’est pas le fait que Puppa
regarde cette statue avec tant
d’attention, mais c’est la confusion obscure
qu’il ressentit au plus profond de
son être. Cette sorte de prémonition qui lui
permettait immanquablement de
résoudre des affaires criminelles difficiles. Je peux même vous
affirmer que ce trouble le suivit pendant
le reste de la journée…" ------------------------------------- Il était tard dans
la nuit. Clara seule dans sa petite
chambre ressassait son envi de révolte. Pourquoi devait-elle
toujours être
considérée comme la gentille, la douce,
l’insignifiante petite Clara. Celle que
tout le monde aimait mais qui n’intéressait
personne. Même son amie Trudy
l’énervait à présent. Trop
écrasante, trop influente sur sa personne. Clara
éprouvait ce sentiment existentiel que la plus part de nous demandons. Ce besoin
d’être reconnue par
les autres, de prouver notre indispensable présence, de
s’affirmer aux yeux de
la société. Elle rejetait totalement ce
rôle de la mignonne petite Clara. Elle
voulait crier au monde l’exception de sa
personnalité. Elle décida
d’apporter sa propre graine au malveillant
canular. Elle pouvait-être méchante elle aussi.
Nul besoin des ordres de Sylvie
ou d’une autre pour qu’elle apporte son mauvais
grain de sel. Ceci ne serait
que le petit premier pas qui attesterait de son
individualité. Elle prit un petit bout de
papier chiffonné qui traînait sur
son bureau, y inscrivit une phrase, puis soulagée se coucha
cherchant en vain
le sommeil. Celui-ci n’arriva
qu’au lever du soleil.
Il faisait déjà
nuit quand Judith passa devant la petite salle d’exposition
qui se trouvait
accolée au syndicat d’initiative. De nombreuses
personnalités s’étaient
réunies
en ce lieu pour l’inauguration d’une exposition des
œuvres d’un sculpteur
local. Granger était parmi ces invités, il avait
reçu une invitation
personnelle de l’artiste qu’il connaissait fort
bien, celui-ci lui ayant
prodigué de nombreuses leçons sur son art. Voulant jouxter
l’utile et l’agréable, il avait
profité de
cette sortie loin de sa moitié pour donner rendez-vous
à sa jolie élève. Elle
avait prétendu de ne pas pouvoir le rejoindre vu ses
occupations. Mais, comme
notre beau gosse l’avait évidemment
imaginé, elle était là, attendant
devant la
porte vitrée et ceci malgré le temps maussade qui
avait gardé la plupart des
Ferneysiens dans leurs logis. Dès qu’il
l’aperçut, il lui adressa un petit sourire et
d’un
signe de la main lui indiqua par trois doigts levés, le
temps qu’il lui
demandait de l’attendre. Effectivement moins de trois minutes
plus tard il lui
prenait la main pour une petite balade en amoureux. Un large parapluie
les
abritait tous deux d’un vilain petit crachin automnal.
Granger profita de la
situation pour serrer sa compagne de très près. Elle se laissa faire, en
profitant même, pour enrouler son
bras autour de sa taille et de glisser sa main glacée dans
la tiédeur de la
poche de son veston. Bientôt son bras se
posa sur son épaule et il lui offrit un
baiser sur la joue. Judith ne semblait pas dans son état
normal, elle répondait
d'un ton absent aux questions de son prétendant. « Il y a quelques
choses qui ne va pas Judith ? -Oui, je ne me sens pas
très bien. Depuis la visite du
château, je suis nerveuse et angoissée ! -As-tu quelques soucis ? -C’est depuis que
nous avons lu cette malédiction de la
statue de Voltaire, j’ai peur ! Balbutia-t-elle. Granger éclata de
rire. -Tu ne crois tout de
même pas à cette histoire idiote ! -Et bien si ! J’y
pense jour et nuit. Dans mon sommeil je
ressens l’image
de ce vieil homme qui me
regarde en souriant et qui d’une voix
éraillée me parle. -Qu’est-ce que peut
bien te raconter Voltaire ? -Qu’il faut que je
vienne le voir, le toucher, qu’il a
besoin de ce contact pour que son esprit survive dans
l’au-delà. Granger
s’étonna beaucoup de ces propos absurdes. -Eh ! Ma belle, tu
délires ! Puis une idée
évidente germa dans son esprit. -Je vais te montrer que cet
écrit n’est que fadaise. Je vais
aller lui serrer la main à ta statue ! Judith trembla à
l’énoncé de cette hypothèse. Pierre continua. -Et si je fais ça,
tu dois me promettre d’enlever toutes ces
idées bizarres de ta tête. -Mais ! Bredouilla-t-elle. Tu
vas être maudit ! » Il l’a pris par le
bras et faisant fi du véritable déluge
qui les entourait, il l’emmena au centre de la place de
Ferney. Les rues étaient
désertes. Tous deux fixaient maintenant
le vénérable philosophe. Laissant Judith
cachée sous son pépin, il enjamba le
parapet, puis s’accrochant au bas de la cane de Voltaire, il
se hissa avec
difficulté jusqu’à la hauteur de son
regard. L’eau ruisselait abondamment sur
son visage lui obligeant de cligner des yeux. Sa main gauche
s’accrocha à celle
de la statue, puis il posa son regard dans celui de Voltaire. « Alors bonhomme, il
paraît que tu parles aux jeunes filles
pendant leur sommeil. Et bien ! Tu vois cette jolie fille ! Tu as
intérêt à la
laisser tranquille à présent ou tu auras
à faire à moi ! » Son monologue
terminé. D’une façon très
alerte, il rejoint
Judith d’un saut
habile qui
n’ayant perdu aucun moment de cette scène
surréaliste, lui jetait un regard empli
d'inquiétude. « Alors tu vois, il
ne s’est rien passé, je vais bien, je
suis toujours vivant ! Judith paraissait
pétrifiée. Elle recula de quelques pas. -S’il te
plaît ne me touche pas, tu es ! Elle bafouilla. Tu
es… Tu dois… Non ! Pourquoi as-tu fais
ça ! -Mais Judith, je n’ai
rien ! Insista-t-il. Elle laissa tomber son
parapluie, se retourna et s’enfuit de
toutes ses jambes. Granger ne bougea pas,
stupéfait par la réaction de sa
compagne. -Mais elle est vraiment folle
celle-là, faut vite laisser
tomber mon gars ! » S’ordonna-t-il à
haute voix. Et Judith courrait, courrait.
Mais ce que Granger n’entendit
pas, ce sont les éclats de rires qu’elle avait eu
tant de mal à contenir. ---------------------------
Troisième partie
Granger
était trempé
jusqu’aux os. Stupéfait par la réaction
de Judith, il avançait à pas rapides en
direction de sa voiture. « Une
malédiction, comment peut-on à notre
époque croire à
ces fadaises ? ». Il retrouva bientôt
l’abri de sa voiture. Mit le chauffage
au maximum, fit ronfler plusieurs fois son moteur avant de prendre son
essor.
C’est au moment où il entama un premier virage,
heureusement à faible allure,
que l’un de ses pneus éclata. Granger ne
réussit pas à redresser son véhicule
et celui-ci heurta violemment le parapet du trottoir. Un peu abasourdi, il ne
réalisa pas tout de suite l’évidence
de la situation. Cinq bonnes minutes
passèrent avant qu'il reprenne tous ses
esprits, il finit par pousser d’une main incertaine la
portière de son
véhicule. Dehors, sous une pluie battante, il ne put que
constater l’étendue
des dégâts. Son pneu éclaté
lui offrait la vue de son piteux état. Il plongea
sa main dans les profondeurs de sa poche. Celle-ci, à
tâtons, parcourue
l’endroit avec une anxiété
affolée. Mais qu’avait-il fait
de son téléphone portable ? Il se palpa
intégralement, espérant reconnaître les
contours
de son appareil. Mais rien. Disparu,
envolé ! Peut-être
l’avait-il mit dans son vide poche. IL s’empressa
de vérifier cette supposition, mais malheureusement son
souhait de
retrouvailles ne fût pas exhaussé. Il était
très tard. Il comprit que la ruelle déserte ne
lui
offrirait aucun secours et que la réparation resterait de
son seul ressort. Transi, les mains partiellement
frigorifiées, il poussa de
nombreux jurons tout en s’acharnant sur ce dernier boulon
récalcitrant qui ne
voulait pas céder. « Et si
quelqu’un pouvait au moins m’aider ! »
Hurla-t-il
dans un excès de rage. Bien entendu personne ne lui
répondit. Pourtant, il
n’était pas seul. Blottit dans la
pénombre,
quelqu’un le regardait en silence, un large sourire
affiché sur ses lèvres et
une petite télécommande accrochée dans
sa main droite. Soudain, la clarté
vacillante d’un lampadaire éclaira faiblement son
visage. Emilien, abaissa un peu plus sa
capuche et sans le moindre
bruit disparut dans la nuit.
-------------------------------------
Du haut de
l’amphithéâtre, Ernest avait bien du mal
à
comprendre les propos du professeur. Effectivement, monsieur Granger,
ce matin,
était affublé d’une voix rauque et
enrouée. Plusieurs fois pendant le cours, il
se détourna de l’assistance pour vider son nez de
la façon la plus bruyante.
Les yeux larmoyants, le front rougit par une fièvre que
trois cachets
d’aspirine n’avaient pas réussi
à faire baisser, notre pauvre professeur jeta
de nombreux coups d’œil à sa montre
espérant que son calvaire serait bientôt
terminé. La fin de l’heure
arrivée, Trudy accompagnée de sa copine
Clara se joignirent à d'autres élèves
pour lui rendre leur compte rendu
dissertant sur la vie économique Genevoise du
dix-huitième siècle. Le beau
gosse, les oreilles bourdonnantes, ne prêta aucune attention
à la main de Trudy
qui subrepticement le frôla, ni de celle de Clara qui pendant
un bref instant
pénétra dans l’une de ses poches. Pendant ce temps les trois
garçons en profitèrent pour
commettre leur exaction. A côté de la voiture de
Granger, feignant une
conversation passionnée, l’un d’eux en
profita pour enfiler une épingle dans la
serrure du véhicule. Même Ernest Puppa, qui
à cet instant passait non loin
d’eux, ne remarqua pas ce vandalisme. Lorsque plus tard, Granger,
exténué par sa journée de
labeur, fut dans l'impossibilité d'ouvrir la
portière de sa voiture. Après de nombreux
essais infructueux, il fut obligé d’emprunter la
portière passager pour
intégrer son véhicule. --------------------------------------------
Tous nos amis
s’étaient retrouvés sur leur lieu de
rencontre
habituel. Seul, Joe ne faisait pas parti du groupe, il
n’avait d’ailleurs pas
assisté aux derniers cours de Granger, il leur avait dit
qu’il préférait se
concentrer sur des matières qui lui semblaient plus
importantes. Il avait
néanmoins répondu à la demande de
Judith en lui fabriquant un petit
émetteur-récepteur
qui pourrait leur permettre d’accomplir une bonne blague
à distance. Edmond armé
d’un bloc-notes inscrivait soigneusement les
différentes idées que lui proposaient Sylvie et
Emilien. Il s’agissait de
trouver une quantité de petites
contrariétés qui pourraient gâcher la
vie du
beau gosse. -Et si l’on sciait
les barreaux de sa chaise ? -Non, il faut que ça
ressemble à une mauvaise coïncidence,
pas à un sabotage. -On lui pique son cartable
à la fin du cours ! -On lui jette du poil
à gratter quand il nous tourne le dos
! La liste de plaisanteries de
plus ou moins bons goûts
s’enchaîna dans la bouche de nos blagueurs,
quelques-unes furent retenues comme
étant un bon moyen de lui donner la frousse et lui faire
croire en la réalité
de la malédiction. Tous avaient donné leur propre
petite touche de méchanceté à
des fredaines qui ne devraient pourtant plus appartenir à
des personnes de
leurs âges. Seule, Clara était
restée silencieuse. Elle ne l’avait dit
à personne, mais son idée était
certainement la plus malveillante de toute. Elle se
délectait intérieurement
des problèmes que celle-ci causerait. ------------------------------------
Monsieur Granger
était rentré chez lui, furieux et
également
très contrarié par ces
désagréments qui semblaient vouloir le suivre
depuis
cette rencontre soit disant maudite. Et si cette histoire de
malédiction était
bien réelle. Il y avait eu cette crevaison sous une pluie
battante, cet énorme
rhume qu’il avait contracté et puis
aujourd’hui sa serrure qui ne fonctionnait
plus. Marion l’attendait
assise dans son salon, la jolie, la douce
Marion attentive au confort de son homme, aussi patiente que belle et
intelligente. Du reste, le premier éternuement
réveilla son instinct d’épouse
parfaite, elle s’empara de la boîte de Kleenex et
l’apportera immédiatement à
son mari. Le pauvre était livide, les yeux brillant de
fièvres, il la remercia
d’un pâle rictus. « Va vite au lit mon
chéri, je te prépare un bouillon de
poulet et j’appelle le médecin ! » Granger ne se fit pas prier
pour obéir, il rejoignit
péniblement sa chambre, se glissa dans son pyjama et
retrouva ses pénates
espérant un sommeil réparateur. Marion vint le rejoindre un
instant plus
tard. Le pauvre
semblait s’être déjà endormi.
Ses habits
avaient été laissés épars
sur le sol.
Elle les ramassa pour soigneusement les ranger sur une chaise. Un petit
morceau
de papier glissa de l’une des poches de la veste. Une missive y
était griffonnée. Sa main se mit à
trembler de rage lorsque son regard
effleura celle-ci.
Rendez-vous ce soir dans notre
petit nid d’amour habituel. Si tu as un
empêchement téléphone moi au 06 56 76 99 00 Ton ardente
passionnée Judith S’en
était trop, elle
se mit à pleurer doucement. Puis se jetant sur lui, elle
hurla sa douleur le
frappant de ses petits poings fragiles. Lui,
réveillé de son sommeil analgésique,
ne comprit pas
vraiment ce qu’il lui arrivait. « Que se passe-t-il !
Balbutia-t-il dans sa tonalité
enrouée. -C'est encore quoi ce mot qui
est tombé de ton veston. Qui
est cette Judith, tu m’avais pourtant promis ! -Mais, une
élève, rien de plus qu’une
élève ! Dit-il, ne
comprenant pas comment ce prénom était si
soudainement parvenu à sa bouche. -J’en ai marre de tes
mensonges, de ton mépris. Je te hais,
demain je ne serais plus là ! » Continua-t-elle en
claquant la porte. La tête lui tournait,
il tituba pour la rejoindre, avant
même qu’il eut le temps de sortir de sa chambre, le
vrombissement rageur d’un
moteur lui fit comprendre le départ brutal de sa compagne. Dans le vague de son esprit
embrumé par la maladie, il
s’était rendu compte que cette fois ci elle ne
plaisantait pas. Il n’y avait
pas eu comme à l’habitude cette longue discussion
qui les réconciliait, cette
écoute qu’elle lui accordait avec un courage
qu’il avait lui-même du mal à
comprendre. Tremblant, il regagna sa
couche, songeant à sa vie, à leurs
vies, à son égoïsme qui ne lui avait pas
permis d’apprécier sa compagne à sa
juste valeur. Puis ses doigts effleurèrent le petit feuillet
qui avait tout
déclenché. Il le lut lentement, mais ne reconnut
ni l’écriture de Judith, ni le
numéro téléphonique qui y
était inscrit. Qui avait bien pu lui glisser
cette calomnie dans sa poche? Puis un filet de sueur
dégoulina de ses tempes. « La
malédiction ! » Souffla-t-il dans une
brèche de
conscience léthargique… -------------------------------------------- Ernest Puppa du haut de
l’amphithéâtre observait d’un
air
amusé nos six joyeux lurons. « Que peuvent-ils
bien comploter ceux-là ? » Pensa-t-il en
souriant. Clara pour une fois venait de
prendre la parole. Tous,
semblaient subjugués par son histoire et leurs bobines
arboraient une
expression d’étonnement. « Eh bien,
t’es plutôt méchante comme fille !
S’exclama
Emilien. -Faut pas toucher à
mes potes ! Répondit-elle avec un petit
sourire coquin. Sylvie
intéressée prit des notes sur son calepin puis le
remit dans son sac en disant. -Vous vous souvenez tous de ce
que vous devez faire ? -Oui ! » Dirent-ils
à l’unisson. Puis Judith allait ajouter sa
petite graine quand monsieur
Granger pénétra dans la salle. Il était
très pâle et semblait particulièrement
soucieux. Son rhume
s’était un peu calmé et par bonheur, sa
femme
après avoir passé deux jours chez sa
mère était revenue au bercail. Mais il
avait ressenti, pour la première fois, qu’une
certaine cassure s’était faufilée
entre eux deux. Il avait voulu
s’excuser, lui expliquer qu'il ne comprenait
pas la présence de ce mot dans sa poche, que
quelqu’un ou quelque chose en
avait après lui. Comme seul réponse,
elle avait posé un doigt sur ses lèvres
et d’un seul mot lui avait intimé le silence. Depuis, ils vivaient comme deux
étrangers, s’ignorant,
évitant de croiser leurs regards. Pourtant, ce matin, comme
à son habitude, elle lui avait
préparé sa boisson favorite. Peut-être
une façon de lui dire qu’elle allait
encore une fois de plus lui pardonner, qu’il lui faudrait
certainement encore
un peu de temps, mais, qu’elle l’aimait toujours. Cette impression de fatigue
clairement affichée sur son
visage devait également provenir de cette mauvaise nuit
qu’il venait de passer.
Etait-ce la fièvre qui le tenait toujours ou la solitude de
sa couche. Le fait
est qu’il était resté
allongé sur le dos, les yeux grands ouverts, observant la
pâle clarté du dehors qui, tel un fantôme dansait à
travers les persiennes. Il avait ressassé cette histoire de
malédiction. Et si Judith avait eu raison. Il repensa
à tous ces étranges
évènements qui soudainement l’avaient
poursuivi. La panne, le mot dans sa
poche, et en plus sa montre qui avait rendu l’âme. Allait-il mourir ? Il s’était
vu agonisant, un filet de salive suintant à
travers un dernier râle… Puppa
observait avec
attention la mine fatiguée de son professeur. Il pensa que
le pauvre homme
aurait mieux fait de garder son lit. Puis il se
désintéressa du malade pour porter son regard sur
le petit groupe d’ami. Tous semblaient maintenant
extrêmement nerveux. Trudy tripotait avec
acharnement la petite télécommande de
sa clef de voiture, Sylvie l’air gênée
gardait ses yeux rivés dans
l’observation de ses ongles, Edmond regardait d’un
air interrogateur son copain
émilien qui s’amusait avec une petite pipette
qu’il utilisait un peu comme une
sarbacane, éjectant de minuscules boulettes de papier haut
dans les airs.
Judith quant à elle jetait de nombreux coups
d’œil à l’horloge
perchée haut sur
le mur qui égrenait immuablement ses secondes. Un sinistre craquement
provenant de la vieille estrade
détourna de nouveau l’attention de notre cher
Ernest. D’un pas incertain,
Granger venait de retrouver son perchoir
et s’apprêtait à commencer son cours. Puppa se délectait
de la routine traditionnelle de Granger
et il n’aurait manqué cela pour rien au monde. Comme à
l’accoutumer, celle-ci s’enchaîna devant
ses yeux. Le professeur se versa tout
d’abord un verre de son breuvage
et l’avala d’une seule gorgée, puis, il
mouilla de la langue une craie et
inscrivit le titre du cours sur le tableau puis, machinalement il
rechercha sa
montre qu’il n’avait plus et agacé se
rendit près de son bureau posa ses mains
sur les montants de sa chaise et enfin leva sa tête en
direction de
l’auditoire. A cet instant, Ernest se rendit
compte qu'une chose grave
allait arriver. Granger eut un imperceptible
soubresaut, une impression de
terreur emplit son regard, sa bouche s’ouvrit largement
essayant sans succès de
trouver une dernière bouffée d’air. Puis, soudainement, il se
laissa glisser sur le sol, les
yeux écarquillés, la mine tordue d’un
rictus mortuaire. Devant
l’assemblée ébahie, le beau gosse
venait de rendre
son dernier souffle… -------------------------------------------
« Un
médecin, qu’on appelle un médecin ! Le malaise du professeur avait
créé un vent de panique dans
l’assistance. -Ça
doit-être une crise cardiaque ! Un petit groupe
s’était rassemblé autour du corps
immobile. -Reculez ! Il faut lui laisser
de l’air ! Puppa comme tout le monde avait
assisté à la stupéfaction de
cette scène surréaliste. Pourtant il avait
discerné un détail crucial. Un
unique petit détail, mais d’une importance
essentielle, que seul, son esprit
subtil avait pu détecter. -Monsieur Granger,
réveillez-vous ! Nos compères
étaient restés à
l’écart, ils se regardaient
avec effroi. Les filles avaient les larmes aux yeux, les
garçons, le souffle
court, chuchotaient leurs interrogations. L’un
d’eux avait-il provoqué cet
étourdissement ? Il fallait simplement lui faire peur ! -Poussez-vous ! Je suis
médecin. L’homme se mit
à genoux à côté de Granger.
Il lui tâta le
pouls. Puis après un froncement de sourcil, promena sa main
assurée jusqu’à la
gorge du malade. -Son cœur
s’est arrêté ! Un gardien comprit
immédiatement le problème et demanda à
l’assistance de se retirer. -Il n’y a rien
à voir, sortez tous ! Le docteur avait
entamé le massage cardiaque. Moins de trois
minutes plus tard, les ambulanciers arrivèrent. Sur place
ils s’évertuèrent
sans succès à réanimer ce qui
n’était maintenant plus qu’un cadavre. Le doyen de la
faculté était arrivé dans
l’amphithéâtre,
Puppa qui le connaissait personnellement était à
ses côtés. Les regardant tous deux, le
médecin, d’un mouvement de tête
affirma le triste résultat de son auscultation. -Il est mort ! Par la porte restée
entrebâillée, la nouvelle se propagea
telle une traînée de poudre. -« Le beau gosse est
décédé ! » On
s’apprêtait à emmener la
dépouille quand soudain, Ernest
chuchota à l’oreille de son voisin. -Que l’on ne touche
à rien ! Ordonna le doyen. Appelé la
police ! » L’expertise de Puppa
ayant depuis longtemps traversé les
frontières. Une simple remarque de sa part avait permis
cette étrange décision. Sous le regard interrogateur
des personnes présentes, Puppa
grimpa sur l’estrade, longea le tableau laissant
traîner l’un de ses doigts sur
sa surface rugueuse. S’approcha avec respect du cadavre. Se
pencha et scruta
l’ensemble de son anatomie. Il laissa
s’éterniser son analyse de l’endroit en
scrutant le mobilier qui l’entourait, puis, le visage
fermé alla retrouver l’un
des sièges du premier rang. --------------------------------- L’inspecteur Weber
encadré de deux de ses hommes, ne tarda
pas à arriver. Puppa le connaissait bien. Ils
avaient tous deux dans le
passé, collaboré à la
résolution d’une affaire
transfrontalière délicate.
C’était d’ailleurs lui qui avait comme
à son habitude, trouvé la solution de
cette complexe énigme. Weber en avait
été vexé, piqué dans son
orgueil, lui qui
se croyait un fin limier avait difficilement accepté
d’être dépassé par ce
petit Franchouillard. Weber, en entrant, fit un petit
geste de la tête en
direction de Puppa. Ernest le salua de la
même façon. Comme il l’avait
prévu et
supposé, leurs retrouvailles n’avaient rien de
chaleureuses. L’officier Weber,
regarda soigneusement le cadavre, observa
les lieux avec une extrême attention et demanda à
ses hommes de scruter le sol
avec rigueur. Pour lui, s’il y avait réellement
meurtre, la preuve se trouvait
dans cette salle. Sous quelle forme ? Il ne le savait pas encore
vraiment. Les investigations
continuèrent pendant une bonne heure.
Ernest Puppa les observait, l’œil amusé,
tout en s’étonnant de tant d’efforts
déployés. Pourquoi ne lui avait-il pas
demandé la solution ? Lui, avait en quelques secondes
compris l'évidente solution
! -Trop orgueilleux ce gaillard !
Pensa-t-il. L’un des
enquêteurs avait revêtu une blouse blanche et des
gants de chirurgien. Son visage émacié faisait
ressortir deux yeux globuleux
qu’il protégea soigneusement avec des lunettes
loupes. Avec précaution,
agenouillé auprès du défunt, il
entreprit l’auscultation de sa gorge, puis de
ses mains, puis de chaque partie de son visage. Aidé
d’un scalpel il préleva un
minuscule lambeau de peau qu’il logea dans un petit tube. Son travail terminé,
il fit part de ses observations à son
chef. « Brigadier ! Ordonna
Weber. Prenez cet échantillon et
portez-le immédiatement à notre laboratoire
d’analyse. Puis son regard se porta sur le
thermos du regretté
professeur. Emmenez ça également, que
l’on y cherche la présence de poison ! Un brigadier exécuta
les ordres avec empressement. Weber s’adressa
à l’homme à la blouse blanche. -Une autopsie nous montrera
bien si nous sommes en présence
d’un crime ou d’une mort naturelle ! -Oui
monsieur !
Répondit-il avec déférence. -Je sais, que monsieur Granger
avait un faible pour les jolies
demoiselles de sa classe et s’il y a meurtre je pencherais
facilement pour un
crime passionnel. Un petit interrogatoire de ses
élèves et de son entourage
nous indiquera certainement le nom du coupable. Puis Weber se retourna vers
Puppa, se souciant enfin de sa
présence. Le défiant
d’un regard arrogant, il affirma, semblant suivre
le fil de sa conversation intérieure. -N’est-ce pas
inspecteur Puppa ! Il me semble que vous étiez
présent lors de ce tragique événement
! Il semblerait que Vous avez remarqué la
personne qui a fait le coup. Dans ce cas votre aide me serait
très précieuse. » Puppa hocha de la
tête. Eut un petit raclement de gorge. Weber et ses hommes
n’avaient donc rien remarqué. Etait-ce
lui qui était plus intelligent ou eux peut-être
trop bête. Il se demanda s'il
devrait afficher du dédain, de l’ironie,
démontrer le brio de son intelligence. De
toute façon cette
affaire n’était pas de sa juridiction. Il répondit
à la question de Weber par un « NON! »
catégorique. Il ne mentait
d’ailleurs pas, car il ne connaissait pas le
coupable mais savait simplement comment
le découvrir avec facilité. Nonchalamment il se rendit sur
l’estrade, prit une craie
entre ses deux doigts et inscrivit une étrange formule
mathématique sur le
tableau. Puis il se tourna vers Weber et
déclara tout sourire : « Ceci devrait vous
donner une parfaite assise pour
découvrir le coupable ! Je ne l’ai pas vu et je
n’ai aucune idée de son nom,
mais, la flagrante solution se trouve maintenant entre vos mains, cher
collègue
! » L'épilogue
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