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  La salle de bain

06/11/2017


Comme tous les matins, Edmond se retrouvait dans sa grande salle de bain. Cette pièce, il l'abominait. La couleur rose de son carrelage, le rose des serviettes, le rouge vif des meubles tout cela lui rappelaient sa femme. S'était-elle qui avait voulu ces tons abominables. 

Il était marié depuis maintenant quinze ans et considérait ce fait comme l'erreur de sa vie.

« Si elle n'était pas si riche, ça fait longtemps que je l'aurai quittée ! » Pensa t'il.

Il travaillait comme mécanicien chez un petit carrossier de Gex et il est évident  que cette magnifique maison où ils venaient d'emménager sur les hauteurs de Crozet n'avait certainement pas été achetée grâce à son maigre salaire.

C'est sa femme qui avait choisi d'acheter cette belle villa. Elle avait tout décidé, l'emplacement, sa dimension, sa décoration. Comme d'habitude il n'avait pas eu droit de citer.

« C'est moi qui paie, c'est moi qui décide ! » Avait-elle répondu à ces conseils et ceci devant l'architecte qui n'avait pu s'empêcher d'afficher un petit sourire narquois.

L'argent, et bien oui l'argent avait été pour lui la seule raison de leur union. 

Elle ! Il paraît qu'elle l'aimait. Du moins au début. 

Elle était laide comme un pou. Comment aurait-elle pu trouver quelqu'un d'autre.

Il vit passer sa silhouette dans son esprit et ne put s’empêcher de ressentir quelques frissons de dégoûts.  

Elle était petite et grosse, avec deux énormes verrues qui décoraient son visage. Un nez de la taille et de la ressemblance d'une patate, des yeux regardant chacun dans une direction différente, des cheveux d’un blond délavé. Une disgrâce intégrale qu’elle transbahutait avec fierté dans les rues du pays de Gex. Et une vulgarité incroyable, qu’il qualifiait de nauséeuse.

« Janine, Je te déteste ! » Hurla t'il dans sa pensé, les poings serrés, se mirant dans un miroir qui lui renvoya brutalement l'image de sa haine. 

Et comment voulez-vous faire un enfant à un laideron pareil ! Heureusement qu'ils dormaient tous les deux dans une chambre séparée. Loin de ses ronflements, de son odeur de naphtaline de son masque de jouvence, de sa façon de parler en dormant.

Vu la description de cette matrone, on aurait pu penser que notre homme était particulièrement courageux de continuer malgré tout, sa vie avec elle. Mais, lui non plus n’était vraiment pas un cadeau. Très éloigné de l’image de l’homme parfait, il se complaisait dans ses  deux principaux péchés qui résidaient dans l'alcool et le jeu. L'ensemble de son salaire passait dans ces fâcheuses habitudes. Janine ne lui laissait, heureusement, jamais le loisir de mettre la main sur son propre pactole qu’elle avait dans son intégralité reçu d'un juteux héritage.

Malgré cette flagrante mésentente, une sorte de pacte s’était installé entre eux.

La seule bonne et évidente façon de supporter quelqu’un que l’on déteste, c’est de ne jamais la voir.

Et c’est ce qu’ils faisaient de leur mieux.

La seule dérogation à cette réalité étant le repas du soir. Elle ne cuisinait pas mais  achetait tous ses repas chez le traiteur. Elle posait l’ensemble des mets sur la table, et c’est à cet instant qu’Edmond armé de son assiette et de sa fourchette faisait son apparition.

Assis l’un en face de l’autre, ils se bâfraient sans un seul mot. Ingurgitaient sans inspirer toutes les victuailles qui s'étalaient sur la table. Puis, le repas terminé chacun reprenait la route de ses quartiers. Elle devant sa télévision et lui en compagnie de ses bouteilles…

Edmond brancha son rasoir dans l'unique petite prise prévue à cet effet. Une étrange et macabre pensé vint à son esprit.

« Et si j'électrocutais cette grosse vache quand elle prend son bain ! Dit-il à voix basse. Je branche le sèche cheveux et hop un petit tour dans la baignoire pendant qu'elle y sommeille ! »

Ce terrible songe de voir sa femme tordue, agonisante, ces cheveux dressés sur la tête, le fit sourire. Mais, il y avait un problème. Elle s'enfermait toujours à quatre tours quand elle faisait sa toilette. Et, jamais de la vie il n'aurait le droit de venir la déranger.

Edmond grommela quelques mots inintelligibles, termina de se coiffer. Il était temps pur lui de partir rejoindre son turbin…

Tout au long de la journée, notre ami resta pensif. Comment pourrait-il se débarrasser discrètement de sa donzelle ?

Ce vendredi soir il rentra au bercail avec une excellente idée en tête.

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« Je pars ! Dit Janine d'une voix forte. Ne te saoule pas trop ! »

Edmond ne répondit rien, mais un large sourire se dessina sur son visage. Sa femme à peine sortie de la maison, il se précipita vers son placard à outils et en sortit sa perceuse.

La salle de bain l’attendait dans toute sa laideur.

Dominant l’endroit, une grande baignoire trônait adossée à l’un des murs. Sa particularité, c’était un coffrage en bois précieux qui l’encadrait et lui donnait un cachet très particulier. Sur ses deux côtés, à hauteur de mains, se trouvaient deux longues poignées en acier chromé qui permettaient à l'heureux baigneur de se relever sans effort.

Son premier travail fut d’enlever une partie du coffrage et ceci lui prit une bonne demi-heure, puis il perça un petit trou à la base de la baignoire. Il y enfila l'extrémité d’une bobine de fil électrique qu'il avait eu soin de ramené de son lieu de travail, de l'autre côté de la cloison se trouvait une petite pièce qui servait de vestiaire à madame. Il n'eut aucun mal pour cacher le fil, qu'il emmena jusqu'au niveau de la prise de courant. Il y testa les deux bornes à l’aide de son tournevis d’électricien et repéra la phase d’un point rouge. Dans la salle d'eau, il mis à nu le cuivre du cordon électrique et l’enroula tout simplement à l'un des écrous qui fixait les poignées. Il vérifia que seulement quelques légères tractions suffisaient à dénouer l’ensemble.

« Le tour est joué ! » Pensa t’il tout haut.

Il remit en place l'édifice tel qu'il l'avait trouvé  et il n'y avait plus qu'à attendre le retour de sa compagne…

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Le soir venu, la routine habituelle prolongea son chemin. Janine se goinfra et décida ensuite d'aller prendre son bain. La clef fit un tour dans la serrure, l'eau coula pendant un long moment, puis l'on entendit un gros "PLOUF !" Le corps volumineux de la future victime, sans le savoir, venait de rejoindre son cercueil.

Le cœur d'Edmond tapait dans sa poitrine, une abondante sueur coulait sur son front ridé. Sans faire le moindre bruit il entra dans le lieu du crime, prit le fil meurtrier dans ses doigts et le logea dans la prise de courant. Tout d'abord, rien ne se passa, une chanson de Charles Aznavour entonnée par sa moitié continuait à résonner dans la salle d'eau. Puis se fut un grand cri, la lumière se mit à vaciller et après quelques secondes le logis se retrouva plongé dans le noir le plus complet.

Le tueur, armé d'une lampe de poche, mis son oreille contre la cloison qui le séparait de sa femme. Plus aucun bruit ne se laissait entendre. Il entreprit de démonter le cache qui recouvrait la serrure de la salle de bain, y enfila une petite pince, et le tour était joué, la porte s'ouvrît dévoilant le macabre spectacle. La pauvre morte semblait tétanisée, une main crispée sur la cause de son électrocution. Ganté, Edmond brancha le sèche cheveux et le glissa dans la main de l'infortunée qu’il avait préalablement ôtée de son emprise. Il laissa tomber le tout dans l'eau. De l’autre côté du mur il tira le fil qu’il rembobina. Il rangea la bobine de fil dans sa boîte à outil, et, ni vu ni connu verrouilla la porte.

« Police secours ! Venez vite, un malheur est arrivé ! Dépêchez-vous ! »

Quinze minutes plus tard, le Samu était chez Edmond, ils firent sauter la porte à grands coups de marteaux et le médecin ne put que constater le décès de la malheureuse.

Mort par électrocution, marqua t-il dans son rapport…

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Cette méchante histoire aurait bien pu se terminer là.

Malheureusement pour notre assassin, mais heureusement pour notre mère justice. L'épouse d'Edmond avait en secret souscrit une assurance vie au bénéfice de son époux. 

Pourquoi ? 

Parce qu'elle l'aimait encore,  qu'elle croyait être en proie à une maladie terminale, en fait personne ne comprit vraiment la raison de ce geste généreux. C'est donc la compagnie d'assurance qui se mêla de l'affaire.

L’enquêtrice appela l’un de ses illustres amis :

« Ernest ! C’est Corinne Mirot. J’ai un service à te demander ! 

L’inspecteur Ernest Puppa était en vacances, une pause bien mérité loin de ses sordides enquêtes. Malgré cela, il écouta les explications de son amie concernant ce terrible accident qui avait coûté la vie à une pauvre malheureuse.

-S’il te plaît ! Continua t’elle, pourrais-tu faire un tour chez eux, question de voir si tu ne découvres rien d’anormal ! »

Ernest acquiesça. Comment aurait-il pu refuser à la charmante Corinne ! Ses yeux bleus, son sourire d’ange le rappelèrent à quelques heureux souvenirs.

« De toutes façons l’enquête sera facile, on avait conclu à un triste concours de circonstances et, de plus, ce type d’accident est fréquent ! » Pensa t’il.

Le lendemain, il se trouva sur les lieux de l’accident, officiellement mandaté par les assurances Mirot et Cie.

« Ma tendre compagne. Elle se séchait les cheveux dans sa baignoire. Je l’avais pourtant déjà averti des dangers qu’elle courait. Y-a fallu défoncer la porte pour constater le décès! Indiqua Edmond les larmes aux yeux.

L’infortuné semblait effondré, l’amour de sa vie disparu en un instant. Qu’allait-il devenir sans elle, sa joie, sa tendre présence.

Puppa résista avec peine à l’envi de verser une larme sur tout ce désarroi.

-Regardez, inspecteur, on l’a retrouvée là, dans son bain, la main crispée sur ce sèche cheveux !

Il montra du doigt l'objet meurtrier qui reposait maintenant sur l'évier.

- Elle était morte électrocutée ! Ajouta t-il en sanglotant.

Puppa n'écoutait déjà plus les pleurs d'Edmond, il se dirigea vers la baignoire, et referma la porte derrière lui. A peine une minute plus tard il ressortit l’air grave, regarda Edmond droit dans les yeux et dit :

-Suivez-moi au commissariat, vous êtes en état d'arrestation ! »

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L'épilogue

Ses yeux d’un bleu profond dans lesquels il aurait voulu se perdre, son magnifique sourire qui le comblait de bonheur, ses cheveux d’un blond soyeux qui exhortaient la caresse, ses lèvres pulpeuses qu’il voulait embrasser, son petit nez taquin, sa peau qui paraissait si douce.

Et puis il y avait sa voix de miel qui pouvait atteindre des tons si purs, délices pour toutes oreilles masculines. Ses deux jolies mains délicatement posées sur la table semblaient demander qu’on les effleure.

Elle jouait avec mon regard, l’évitant quelques fois, puis soudainement me fixant avec douceur, tendresse, peut-être amour.

La gorge sèche, j’essayais de ne pas rougir, d’échanger quelques banalités sur la touffeur de l’été, de mon travail qui ne me satisfaisait pas toujours pleinement, de cette sombre histoire que j’avais pour elle démêlée.

En vérité, je voulais lui crier que j’aimerai refaire un bout de chemin avec elle. Que cet amour passager qui nous avait,  il y a quelques années de cela affectueusement réuni devait risquer une seconde tentative.

« Comment as-tu déjoué le machiavélisme d’Edmond ? Me demanda t’elle, coupant ainsi ma rêverie passionnée.

Je balbutiais d’abord quelques mots, puis reprenant ma composition, je me souvins brutalement du motif de son invitation !

 Un simple remerciement pour cette affaire que j’avais si brillamment  résolue.

-Et bien voilà ! Dis-je d’un ton que je voulais triomphal. L’assassin affirmait que sa moitié avait-été électrocutée par son sèche-cheveux. J’ai eu un premier doute en constatant que sa demeure était nouvellement construite.

-Je ne vois pas le rapport !

-Et bien justement, les normes de sécurité actuelles sont faites de telle façon qu’elles permettent de d’éviter ce type d’accident. Je suis donc entré dans la salle d’eau, j’ai pris le sèche cheveux et je l’ai branché dans la seule prise de courant qui se trouvait à porté de la baignoire. En enclenchant l’interrupteur de l’engin, je pus constater la logique évidence, il ne fonctionnait pas.

-Il était peut-être grillé !

-Et bien non, la raison et que seule une prise réservée au rasoir électrique peut se trouver à cet endroit, et le courant qui y est imparti permet essentiellement le fonctionnement d’appareils sans danger ! »

Puppa arrêta net ses explications, scruta avec attention les yeux ébahis de sa très belle interlocutrice se disant que s’il ne lui suscitait plus de désire, il se contenterait volontiers de son admiration.

Bouche bée, elle se demanda comment Ernest, discernait aussi bien ces détails anodins qui jalonnent notre existence, ces petites choses connues essentiellement par des spécialistes qu’il synthétisait avec brio pour suggérer l’indiscutable vérité.

La soirée se continua d’une façon plaisante. Elle, ravie de l’excellence d’Ernest et lui tellement fier de se trouver en si séduisante compagnie.

Tard dans la nuit, ils se séparèrent après une amicale bise échangée et en se promettant de bientôt se revoir.

Puppa continua son chemin, son esprit planant dans une réflexion utopique.

La claire réalité s’affichait dans sa profonde méditation.

« Dommage que tous sentiments ne soient pas forcément partagés ! Peut-être cet heureux passé se doit de rester sans retour. 

Corinne quand-à elle, ressentit une désagréable frustration. Seule dans son véhicule elle se prit à marmonner quelques mots :

-Ernest, je pensais que tu m’aimais encore…


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