Elle s'est envolée
tout droit planant vers le soleil.
S'est délectée
du gout d'un simple rayon de miel.
A flotté
sur la croupe ondulée
du rêve
d'un nuage.
A
compris la véritable
raison de toujours être
sage.
J'étais
posté
dans un coin sombre de la pièce.
Je la
regardais sans rien dire, bien sûr.
Immobile,
peut-être.
Lui
jetant ce regard étrange de mes yeux qui n'existaient pas.
C'était
la troisième saison que cette habitude s'était
imposée à mon esprit.
L'observer, scruter ses moindres mouvements, ses moindres expressions,
ses
moindres gestes.
Chaque
soir,
elle s'asseyait à la même place, sur ce large
fauteuil
bleu clair à l'étoffe abimée par les
années
écoulées, délavée par les
rayons du
soleil qui la baignait de leurs ardeurs tout au long de la
journée.
C'était l'endroit qu'elle affectionnait tout
particulièrement pour
s'engager dans son activité favorite.
Le
tricotage.
Vers
dix-huit
heures, elle arrivait lentement, ses pieds lovés dans de
petites pantoufles en
soie. Elle trainait les pieds, déplaçant sa
carcasse fatiguée en direction de
son confort bleu qui trônait sur le côté
d'une petite fenêtre, celle-là même
qui lui permettait un regard tardif sur les splendeurs de son jardin.
Deux fois par
semaine, il était entretenu avec soin par un jardinier qui
écoutait avec dévotion
les explications de ses ordres.
À côté du fauteuil se trouvait une
petite table où une corbeille en osier
recevait une succession de bobines de laine et un ouvrage en pleine
confection.
C'était un
chandail, cette fois ci, aux couleurs éclatantes,
aux tonalités
soyeuses. Elle le préparait
pour l'hiver à venir,
pensant qu'il remplacerait avantageusement celui qu'elle avait
porté, l'année dernière pendant la
saison
froide.
Dans la pièce,
à côté, on entendait le tintement d'un
couvert
que l'on défait,
d'une table que l'on range, de la chanson murmurée
d'une bonne qui s'applique à
son ouvrage.
La maison devait être
parfaite, même si
personne ni venait plus depuis que Monsieur n'était
plus là...
Le
fauteuil grinça
sous le poids de sa maitresse, lui offrant son confort habituel. Elle
s'aligna
avec les déformations
du dossier, trouvant l'endroit exact de sa place idéale.
Puis elle jeta un coup d'œil à
l'extérieur, sur la nature qui
s'illuminait lentement de ses lampes progressives pour accompagner
avantageusement la tombé du
jour, mettant en valeur les ornementations
végétales que son esprit
avait imaginées. Puis,
son regard croisa la petite photo posée sur le rebord de sa
fenêtre, celle de son
compagnon disparu, celui qu'elle considérait
comme l'amour de sa vie.
Son
unique Amour!
Son
visage ridé
se fripa de quelques crevasses supplémentaires
lorsqu'un petit sourire de contentement anima ses lèvres
sèches,
lançant un rayon de
bonheur en direction de son cher, de son aimé,
une pensé de réconfort qui, elle
l'espérait, arriverait à lui par un chemin
incertain, une voie divine.
Ses mains tremblantes
attrapèrent
avec difficulté la
paire de petites lunettes rondes qui corrigeaient sa presbytie, elle
les lova
entre les plissures de son nez. Elle alluma son spot
allogène qui éclaira de sa clarté vive
le niveau de ses
genoux, puis, ses deux aiguilles à tricoter
retrouvèrent
l'agilité étonnante
de ses doigts pourtant perclus de rhumatismes qui
s'engagèrent dans les cliquetis
particuliers de leurs pointes qui s'entrechoquent.
Ma
patience obligée
m'avait permis cette longue attente. Bien entendu, les trente-sept
premières
années, je m'étais éloigné
d'elle,
préférant continuer ma nouvelle existence,
bercé
par ce son lancinant, obsédant. Coupé du monde,
me
contentant de cette vie
intermédiaire, de cette vie sans elle, sans la voir,
préférant cet état
incertain qui m'amènerait à ma vengeance. Des
représailles bien particulières,
qui se borneraient à me réjouir de la
compréhension de son sort, de
l'horreur qu'elle ressentirait devant son
destin funeste.
Bientôt,
il
serait temps pour elle de payer pour tout le mal qu'elle m'avait fait!
Son ouvrage avançait
vite, beaucoup plus vite qu'elle aurait pu le penser. Elle ressentait
un besoin
impératif
de le
terminer dans des délais
les plus brefs, comme si le temps allait lui manquer. Pourtant des années,
il devait lui en
rester encore quelques-unes, elle se sentait bien, plutôt
en forme pour son grand âge,
comblée
par une douceur de vie
sans le moindre stress, la moindre fatigue. Son immense maison, elle
l'avait
achetée
il y a une
quarantaine d'années,
un endroit qu'elle avait repéré
avec son amour. Une
belle demeure posée
sur les contreforts d'une falaise, dominant l'océan
qui parfois hurlait à
ses
pieds de granit indestructible et qui essayait sans succès
d'arriver jusqu'à
elle. La plupart du temps, une météo
clémente, plutôt
douce baignait l'atmosphère
d'une brise tiède
de mer qui venait lécher
leur jardin lui permettant de planter des végétaux
endémiques
de contrées
lointaines et
tropicales. Son homme, comme elle, aimait ce climat particulier qui
leur
insufflait un bien être,
une promesse d'une vie longue et comblée.
Vie abreuvée
par
leur amour indéfectible,
profond et sans nuage, mais aussi par cette oisiveté
de leur fortune bienfaitrice qu'elle
savait avoir mérité.
Je me mis à trembler,
c'est certainement le meilleur mot qui peut définir mon
état. Une sorte
d'excitation qui enflait en moi, qui activait mes neurones, calmait mon
impatience. Car, l'instant approchait insidieusement et je le savais.
Elle
allait ressentir ce que j'avais ressenti, endurer ce que j'avais
enduré et
puis, partir dans un sens qui me serait évidemment
opposé. Dans une situation
expiatoire où elle serait bannie,
déportée, proscrite!
Une maille à
l'endroit, une maille à
l'envers. Que de répétitions
nécessaires
pour accomplir
son ouvrage. Allez, dépêche-toi,
prends de la
peine à
ton travail, il ne te reste plus beaucoup de temps.
Son esprit fourmillait de ses
souvenirs, de sa magnifique vie avec lui, un aimant parfait qui savait
la
combler de sa tendresse, de ses câlins,
de ses sentiments. Elle s'arrêta
un instant, pendant une courte période
interrogative. S'étaient-ils
un jour disputés,
fâchés,
boudés?
Elle avait beau ressasser cette question qui s'était
mise à
tournoyer dans sa tête.
Non, elle ne le croyait pas, ne s'en
rappelait pas peut-être.
Même
pas au début
de
leur vie commune.
Elle sourit.
Elle l'avait trouvé
si beau, intelligent, obligeant.
Le début
du grand changement de sa vie arriva insidieusement.
Une rencontre bien particulière,
elle s'en rappelait exactement.
C'était
au cours d'une de leurs promenades. Une silhouette se profila dans la pénombre
d'une brume d'un
matin calme.
Lors de leur croisement, au lieu de continuer leur chemin, son
mari et l'inconnu s'arrêtèrent
net.
Elle, accrochée
au bras de son homme en fut même
déséquilibrée.
Après
un cours moment de surprise. Il commenta sa réaction
d'une façon
plutôt
surprenante, désinvolte.
-je te présente
mon ami Paul!
Et il était
là,
devant eux,
devant elle, souriant de ce bonheur à
venir. Elle n'avait su comment réagir
devant cette personne qui l'avait comme foudroyée
du regard, l'émoustillant
soudain d'une adjonction de félicité
indescriptible. Une
titillation de l'esprit, de l'âme,
un tremblement qui remonte de l'intérieur,
brulant les entrailles, asséchant
la gorge, vous empêchant
toutes actions raisonnables, toutes expressions de vos sentiments d'émerveillements.
Elle était
restée
là,
sans un mot, le dévorant
du regard.
Un peu bêtement...
Lui, avait réussi
à
surmonter cette émotion
partagée,
avait semblé
comprendre qu'une réaction
plus ordinaire
lui permettrait d'édulcorer
l'évidence.
Il avait pris la main de son ami, l'avait secouée
vivement pour lui
marquer le contentement de cette circonstance, avait fait mine d'à
peine l'apercevoir.
Captivant l'attention de son mari, en lui envoyant une succession
d'expressions
enjouées
et
sympathiques. Et la ruse avait parfaitement fonctionnée,
ils s'étaient
séparés
avec une adresse en
poche, un impératif
de se revoir.
Elle, avait continué
avec difficulté
sa
promenade, après
avoir, tout de même
réussi
à
lui envoyer un
"Monsieur" avec un geste déférant
de la tête.
Et puis, et puis...
Ce fut des nuits sans sommeil,
comblée
de sa furtive image, de ce désir
de le retrouver, de
l'aimer...
Elle
ressentit soudainement une sorte de fatigue, un mal de tête
insidieux qui
l'obligea un instant à
arrêter
son ouvrage. Ce n'était
pas la première
fois qu'elle était
confrontée
à
cette douleur
lancinante qui la prenait par surprise. Elle déposa
son ouvrage sur ses genoux, attrapa avec difficulté,
le verre d'eau qui se tenait posée
sur sa tablette, mélangé
déjà
à ce médicament
protecteur qui la soulagerait presque instantanément.
Puis elle poussa son dos au plus profond de son siège,
ferma les yeux, laissant la poudre
blanchâtre
faire
son office bienfaitrice.
"Ma belle!".
Son visage apparut devant elle, dans son songe, dans son rêve.
Il se pencha vers
elle.
Il lui prit la main, une main de jeunesse, de cette jeunesse
passée
qui avait
bercé
cet amour.
Ils se retrouvaient tous deux lors de leur liaison coupable, où
elle acceptait de le
rencontrer en secret, péripétie
dangereuse. Qu'elle
voulait garder secrète,
pour toujours peut-être
ou pour quelques temps encore.
Mais pour combien de temps?
Elle ne le savait pas.
Son absence lui pesait de plus en plus. Leurs furtifs ébats
ne suffisaient plus à
combler leur
passion, leurs désirs
mutuels qui ne les quittaient plus.
Chaque soir son mari dormant à
son côté,
elle ne pensait qu'à
une seule chose,
s'enfuir, retrouver l'homme qui la faisait rêver,
qui fleurissait son
coeur de ses
volutes de douceur,
embellissait son âme
qui semblait s'éteindre
à
chaque séparation.
Elle trembla soudainement, en ce remémorant
les pensées
insidieuses qui s'étaient
imposées
à
son esprit, solutions
difficiles qui lui permettraient une totale félicité...
Je
m'étais
rapproché d'elle, en contournant son fauteuil, j'apercevais
son
profil,
remarquait cette mèche blanche, un peu jaunâtre
qui venait
de glisser sur le côté
de son visage, marquant un peu plus sa vieillesse. Je me mis
à
la détester
soudain, exécrer cette femme, me réjouissant
à
l'avance du mal que je lui ferai ressentir, de la souffrance
que
mes représailles lui feraient subir.
Elle sortit de sa léthargie,
respirant avec difficulté.
Son ouvrage, ses aiguilles, vite il fallait qu'elle termine son ultime réalisation.
Les mailles
s'enchainèrent
lentement,
puis plus vite, encore plus vite, ses doigts réussissaient
des prouesses d'agilité,
recopiant avec précision
ces mouvements mille fois répétés.
Puis elle s'arrêta
enfin, et, se servant de la paire de
ciseau restée
au
milieu d'un replis de sa robe, elle coupa la continuité
du fil de laine.
Il était
achevé,
ce suprême
travail, qui, elle le
comprenait maintenant serait destiné
ã sa postérité.
Sa poitrine gonflée,
elle happa un dernier goulet d'air qui s'engouffra au plus profond de
ses
poumons. Puis elle eut cette finale pensé
d'être
vivant.
"Je suis à
toi Seigneur!"
J'étais
maintenant devant elle, le regard sévère, qui ne
lui permettait aucun doute sur
mes intentions.
"Toi,
dit-elle d'une voix tremblante!"
Elle n'avait pas
encore compris son état de trépassé.
-Comment as-tu
pu! Lui répondis-je sur une tonalité
sévère.
Et mon accident
lui revint à l'esprit dans son déroulement
répété.
-Tu m'as éliminé
pour vivre avec un autre et jouir d'un bonheur comblé de ma
fortune.
-Non!
Hurla-t-elle...
Elle avait décidé de rompre aujourd'hui. Rompre avec cet homme
qui
l'avait ensorcelé, séduite du premier regard.
Ils s'aimaient bien entendu, sincèrement,
elle en était
certaine. Mais, son mari la comblait également
de bonheurs. Peut-être
moins de ce désir
charnel, impétueux,
certainement viscéral
qui l'unissait à
son
amant, mais sa prévenance
n'en était pas moins délicieuse,
amoureuse.
Tous deux étaient
capables, sans la moindre incertitude, de la combler de bonheur. Mais
cet aspect
compétitif,
qui
avait par ailleurs effleuré
l'esprit de son mari, la rendait mal à
l'aise. Ses pensées
amoureuses envers ces deux hommes la rendait fragile, coupable d'aimer.
De
trahir l'un et puis l'autre dans une continuité
épuisante, malsaine, égoïste.
Son mari avait acheté
cette belle maison au bord de la falaise. Il avait décidé
ce jour-là
d'escalader la grande échelle
pour jeter un
coup d'œil
sur le toit où
des tuiles semblaient être
abimées.
Son ami Paul était
là,
pour le voir, pour la
voir. Il tenait les pieds de l'échelle
dont l'équilibre
était
instable, évidemment
dangereux.
Elle le regardait avec des yeux angoissés,
différent
de ce regard ardent qui depuis leur rencontre, les unissait.
Il l'interrogea d'une voix basse, susurrant entre ses lèvres
une explication sur
son expression inhabituelle.
Sa réponse
vint soudainement, surprenante, sans ambiguïté,
sans le moindre détour.
"Je veux rompre ma relation avec toi!".
La surprise fut totale, non préparée,
sans équivoque.
Il lâcha
l'échelle,
fit quelques
pas vers elle, mains en avant, dans une attitude de sollicitation,
d'incompréhension.
La bouche
ouverte, les yeux emplis d'une expression d'inquiétude
angoissée.
Il allait
exprimer son
besoin d'explications quand un bruit sourd raisonna dans son dos...
Adeline arriva en courant dans le
bureau du professeur Rantère.
-Professeur, je crois qu'il se réveille!
-Qu'y a-t-il ma petite?
La jeune fille une petite infirmière
qui travaillait dans son service depuis maintenant deux ans tremblait d'émotion.
Elle continua.
-Le monsieur qui est dans le coma depuis quarante ans. Je crois
qu'il s'est réveillé!
-En es-tu centaine? Je l'ai vu ce matin, son métabolisme
ne présentait
aucun
changement!
-Si, je vous l'assure, il à
bouger ses doigts et son corps s'est légèrement
penché
sur le côté,
et, il a murmuré
quelque chose.
Une course effrénée
les emmena au chevet
du malade pour constater l'impensable, il semblait de retour parmi
nous. Les
yeux hagards, grands ouverts.
Penchant l'oreille vers sa bouche, Rantère,
écouta
son murmure.
-Ne pars pas, attends, j'avais cru...
Elle a rejoint la probité
d'une existence éternelle
S'est associée
à
un monde que l'on croit irréel
A fusionné
dans l'apothéose
de l'être
immaculé
Dans un lieu où
pour toujours elle pourrait résider
Le soleil continua à
voyager dans le ciel...
Le vieil homme passait la plupart
de son temps assis sur son
lit, le regard fixe, perdu dans un rêve
à
mille lieux du
monde qu'il avait regagné.
Malgré
son
esprit et son existence retrouvés,
il refusait de parler et de faire le moindre effort physique, se
contentant
d'une vie végétative,
bercée
par les soins
quotidiens et les becquetées
présentées
par une infirmière
dévouée
qui par ses paroles,
essayait de lui insuffler un semblant de vie.
Mais il ne voulait rien savoir, pour lui son existence était
terminée,
anéantie
par son jugement
erroné,
sa
conclusion incertaine et son réveil
brutale causée
par
la mort et la révélation
de sa femme adorée.
Le restant de sa vie se composait maintenant d'un seul et unique
but, aller la retrouver dans les tréfonds
du paradis pour continuer cette vie perdue dont il n'avait pas su
profiter.
Cette nuit-là,
dans le silence total de sa chambre d'hôpital,
il entendit à ses côtés des cliquetis
qui lui semblaient
familiers.
Il tourna la
tête
pour apercevoir une vieille dame.
Une vieille dame
qui tricotait.
Sa femme.
Celle qui pendant
quarante ans était
venue chaque jour à son
chevet espérant en
vain apercevoir de lui un signe de réveil,
un espoir de retour.
Elle
arrêta
soudainement sa besogne.
Le regarda de ce
regard tendre, comblé d'amour, de cet amour qu'avec lui
seule,
elle voulait partager.
Elle se leva
lentement.
Lui tendit la main.
"Viens!
Dit-elle en souriant. Le temps est venu pour toi de
me rejoindre..."
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