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  Le gars de la marine

23/10/2017


Année 1990

Jean Emiron est un jeune retraité de la marine marchande. Sa retraite, il a décidé de la passer dans la jolie petite ville thermale de Divonne-les-bains. Quelques années plus tôt, à la mort de son oncle, il avait hérité d'une splendide petite villa située à proximité du terrain de golf. L'air vivifiant et le dynamisme de cet endroit l'avait séduit. Depuis un mois maintenant, il vivait ici, seul dans cette maisonnette qui sentait bon la campagne. Il ne connaît personne et c'est avec un grand plaisir, par cette belle matinée de mai, qu'il a rencontré autour du lac, l'un de ses camarades navigateur.

« Luc Mino ! Je n'en crois pas mes yeux, mais que fais-tu ici, si loin de l'océan ?

-La surprise est réciproque ! Moi, je suis ici pour faire ma petite cure thermale habituelle, je pense que c'est la même chose pour toi !

-Pas du tout ! Réplique-t-il. Je suis à présent un Divonnais ! S'exclame-t-il avec fierté. J'ai ici une petite maison qui vient de ma famille, je viens de m'y installer, il y a tout juste un mois. Et donc, si je comprends bien, toi, tu es un fidèle curiste?

-Oui, tout à fait, ça fait vingt ans que je viens prendre ici, un repos bien mérité.

Jean se rappelait des problèmes d'instabilité qui faisaient partie de la personnalité de son camarade. Ceci l'avait d'ailleurs dans le passé, empêché d'accéder au commandement du Super Tanker "Le Baroudeur". Et, c’est lui, à la surprise de tous, qui avait été parachuté à cette fonction à sa place.

-Je suppose que tu dois mieux connaître les lieux que moi ?

Luc approuva de la tête.

-Que oui ! Répliqua-t-il. Je le connais parfaitement ce joli pays de Gex !

-Es-tu toujours un fana de la pêche à la ligne ?

-C'est resté ma passion, demain matin je vais aller taquiner le brochet dans un petit étang pas très loin d'ici. Si tu le désires, tu es mon invité, j'ai du matériel pour deux !

-Bien volontiers ! » S’empressa de répondre notre amiral, enchanté à l'idée d'une petite virée matinale.

Les deux hommes continuèrent leur conversation, tout en accomplissant la boucle de trois kilomètres, promenade habituelle des autochtones. Jean avait beaucoup de peine à suivre le pas déterminé de son compère. Sa jambe droite, blessée lors d'un ancien accident de voiture, traînait quelque peu. Mais les bonnes histoires de marin que Luc lui racontait, lui faisaient vite oublier cette misère.

 Arrivés près de la piscine les deux hommes se séparèrent.

« Je passe te prendre demain matin vers cinq heures, précise Luc qui venait de recevoir l'adresse de son ami.

-A demain! » Rétorqua le retraité.

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 Docteur Edmond était comme d'habitude très en retard. Il gravit quatre à quatre les deux étages qui le séparaient de son cabinet.

«Enfin vous voilà ! S’exclama sa secrétaire. Monsieur Mino vous attend depuis plus de vingt minutes !

-Excusez-moi cher monsieur ! Enchaîna le retardataire.

Luc Mino souriant, ne sembla pas agacé pour autant.

-Pas de problème docteur, j'ai tout mon temps!

Les deux hommes pénètrent ensemble dans le cabinet et Luc en bon habitué s'allongea directement sur le canapé qui lui offrait ses bras.

Le Psychiatre consulta ses notes, et demanda.

-Luc détendez-vous, nous allons reprendre notre conversation sur cette fameuse époque du Baroudeur !

Le patient semblait très calme, presque trop calme. Ces traits détendus, sa voix paisible commença à raconter ce fait marquant de sa vie.

-Oui, docteur, Le Baroudeur, c'était un rêve, l'accomplissement de ma carrière de capitaine. Je devais prendre le commandement de ce navire au début du printemps, puis...

Luc s'arrêta un moment de parler. Paisiblement il reprit.

-Puis, il y a eu cette terrible bagarre dans un bar du port de Brest. Une bêtise, un gros costaud qui a voulu en découdre avec moi. Dans cette malencontreuse altercation, je lui ai porté un coup fatal qui lui cassa le dos. Dans une chaise roulante à vie! M'avait-on dit au poste de gendarmerie. J'ai dû passer un an en prison. Quand j'ai enfin pu sortir, je suis allé voir la compagnie maritime. J'ai expliqué mon cas, ce n'était de pas ma faute !

Le ton de ses propos commença à monter.

 -Et c'est Jean qui commandait le tanker à ma place. Fumier ! Cria-t-il, les poings serrés, son regard fixé au plafond. Je vais te tuer !

-Calmez-vous et reprenez ! Demanda calmement le psychiatre habitué à ces réactions intempestives.

-Oui... Des gouttes de sueur perlaient sur son front et sa gorge nouée éprouvait des difficultés à reprendre son histoire.

-Ce bateau me revenait de droit, j'étais le meilleur. De quel droit cet imbécile a-t-il pu me voler mon navire !

Son monologue continua durant près d'une heure. Ciblé uniquement sur cette angoisse qui le tiraillait depuis des années. Puis la séance terminée, il ajouta.

-Merci docteur, je me sens beaucoup mieux. Tout est de ma faute, je m'en rends compte maintenant. Pourquoi ai-je fait une fixation sur cet homme qui, en fin de compte, n'a rien à voir dans l'affaire.

Le médecin esquissa un petit sourire.

-Il faut vider ces émotions qui vous angoissent, ainsi vous pourrez faire la paix avec votre être intérieur.

Le cœur léger, notre malade, ne ressentait plus cette haine idiote.

-Le hasard a vraiment bien fait les choses, demain je pourrai prouver mon amitié à Jean. Une bonne partie de pêche ensemble. Rien de tel pour forger une camaraderie solide ! » Pensa-t-il.

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 Au petit matin, la sonnette de la petite maison de Jean carillonna.

« Toujours ponctuel mon ami ! Pensa-t-il.

Luc se tenait devant sa porte, souriant une canne à la pêche dans sa main gauche.

-Tiens ! Voilà ton équipement. Dépêche-toi, il est temps d'y aller. On prendra ma voiture. »

Les deux compères eurent vite fait d'arriver sur les lieux. L'endroit était magnifique. Devant eux un petit chemin disparaissait dans la futaie.

« Nous ne sommes qu'à 15 minutes de marche de l'étang ! »

 Tout joyeux, nos deux compères suivirent la piste caillouteuse qui serpentait sur le flanc de ce petit coin du Jura. La chaîne des Alpes se dessinait clairement dans le lointain, et la clarté du soleil pointait déjà son nez. Les deux hommes enchaînèrent boutades et plaisanteries, simplement heureux d'être ensemble. Jean, la jambe traînante, semblait n'avoir aucun mal à parcourir le sentier, derrière lui Luc fermait tranquillement la marche.

Le chemin les amena près d'une petite carrière sablonneuse, où l'on pouvait apercevoir une falaise présentant au moins quinze mètres d'apique.

« Arrête-toi Jean! »

C'est tel un aboiement que l'ordre arriva aux oreilles de l'intéressé.

Il s'arrêta, puis se retourna...

 Devant lui, Luc, un revolver à la main, le bras tendu en direction de sa tête affichait un rictus de méchanceté.

-« Il est temps pour toi de mourir ! Continua-t-il

-Mais pourquoi ! Bredouilla le menacé.

-Souviens-toi du "Baroudeur" ! Maintenant, dirige-toi vers le bord de la falaise. Tu vas faire le grand saut ! » Hurla-t-il.

Jean horrifié ne comprenait plus ce qui lui arrivait et sans résistance, sans comprendre, il suivit l'ordre de l'agresseur. Sa jambe traînante paraissait encore plus fatiguée qu'à l'habitude. Les quelques pas qui l'emmenèrent vers une mort certaine furent accomplis dans un silence nauséabond. Son regard rencontra une dernière fois celui de Luc. Il comprit qu'aucune pitié, aucun remord n’étaient à espérer.

« Mais je ne t'ai jamais pris ta place, je ne savais même pas que ce commandement t'était réservé, c'est la compagnie qui m'a donné ce poste, je n'avais rien demandé ! »

Puis soudainement il réagit, il fallait qu'il lutte, qu'il survive à ce cauchemar. Hélas sa réaction fut trop tardive. D'une simple poussée, Luc l'envoya rejoindre le monde des défunts.

Sans même un regard en direction de son crime, il retourna tranquillement à son véhicule. Ni vu, ni connu, il était vengé.

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 « Depuis quand est-il mort ?

 L'inspecteur Puppa de la brigade scientifique du pays de Gex, s'adressa ainsi au gendarme qui l'accompagnait au sommet de la petite carrière de sable témoin unique de l'incident.

-Une vingtaine de jours ! Il n'était pas seul, regardez les traces de pas ! »

Effectivement sur le sol sablonneux, deux traces très distinctes se dessinaient. Elles menaient toutes deux vers le bord de la falaise. L'inspecteur s'approcha du bord escarpé et lança un bref coup d'œil en direction de l'endroit rougit par le sang du défunt.

Son regard traîna ensuite sur les empreintes qui marquaient le sable. Il imaginait ce pauvre homme à la jambe évidemment handicapée, qui lentement, avançait vers son funeste destin. Cette question vint à son esprit. Se trouvait-il vraiment devant un crime ou bien un simple accident. Les Alpes semblaient magnifiques de cet endroit. La nature montrait toute sa splendeur. Les trembles bruissaient sous l'action du vent, une odeur sucrée flottait dans les airs. La campagne semblait si paisible ici, rien ne paraissait pouvoir lui donner un indice tangible.

«On n'a rien trouvé ! Continua  son accompagnateur. L'homme a dû le pousser dans le vide et est parti sans demander son reste. Notre dernière chance réside en un appel à témoin dans la gazette locale. Le mort venait de s'installer dans la région, c'était un retraité de la marine !

L'inspecteur se retourna brutalement. Une idée venait de germer dans son cerveau.

-Merci caporal ! Dit-il. Vous venez de me donner la réponse. Puis il marmonna un nom. Allons-y, le coupable est peut-être encore dans la région !

-Vous connaissez le meurtrier ?

-Non pas du tout !

-Mais alors, qu'avez-vous trouvé ?

-Écoutez avec votre esprit ! » S'exclama Puppa, qui sur le chemin du retour s'éloignait déjà de son compère.

Quelques jours plus tard, Luc Mino fut appréhendé et passa rapidement aux aveux.

L'épilogue

« Inspecteur, je vous félicite pour votre perspicacité !
Le chef de la police tendit une main ferme vers Puppa, qui un large sourire aux lèvres accepta la poignée de main.
-D'où sortez-vous cette idée géniale ! Continua-t-il.
-Bof ! Question d'expérience. Répondit l'inspecteur.

Le gendarme qui se tenait à ses côtés lors de la découverte était présent dans la pièce, il ouvrit grandes ses deux oreilles, espérant enfin comprendre la clef de l'énigme.
Mais, malheureusement pour lui, le grand chef sortit de la pièce sans avoir révélé le moindre soupçon d'indice. Puppa figé devant la fenêtre, savourait sa victoire.
Le curieux s'avança prudemment vers lui :

-Inspecteur ! Osa-t-il. Puis-je vous poser une question.

Puppa le regarda en souriant. Il connaissait clairement la demande que voulait formuler son acolyte.
- Vous avez découvert quoi au juste ?  
Comme à l'habitude Puppa s'ingénia à faire languir son interlocuteur.
-Et bien en fait...
Puppa s'arrêta net dans son discours et se mit à chanter. Tit tat tit tit, tit tit ta...
Le gendarme grimaça de surprise, pensant que l'inspecteur était devenu fou ?
-Et bien oui, le condamné s'aidant de sa jambe malade a laissé des traces sur le sol, et dès que vous m'avez précisé son appartenance à la marine marchande j'ai facilement fait le lien entre elle et la glorieuse solution.

Sur le sol, écrit en code morse se trouvait le nom de son bourreau. 

. -..   ..-  -.-.        --   ..   -.   ---   "LUC  MINO" .




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