Le père Noël est en or dur |
14/01/2018 |
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Nous sommes en deux mille trois, le samedi de la troisième semaine d'août et il est très exactement dix-sept heure trente. Ernest verse l'intégralité du contenu du sac de charbon de bois dans ce large barbecue en fonte grise, puis, armé d'un décapeur thermique il transforme la masse inerte qui se tient à présent devant lui en un brasier rougeoyant. Comme chaque année, notre sympathique inspecteur de police, monsieur Ernest Puppa organise un grand barbecue qui réunit la totalité de ses amis. Comme il habite un petit appartement exigu dans le centre-ville, son ami Pierre, un copain de longue date, lui prête son jardin. Un endroit très sympathique lové à l'arrière de son entreprise de mécanique. Il a toujours pensé que c'était un véritable petit coin de paradis longeant un minuscule ruisseau à l'onde fraîche et limpide, animé de nombreux arbres fruitiers et d'une floraison abondante. Les invités étaient déjà presque tous là. Notre hôte, quittait sporadiquement le foyer pour saluer et plaisanter sa joie de les recevoir. Tous les convives représentaient un instant magique de son existence. Des jeux d'enfances, des promenades insolites, des blagues à n'en plus finir, des activités sportives qui l'avait fait suer sang et eau. Et bien entendu il y avait Albert et Siméon, deux frères inséparables qui dirigeaient la fonderie de Cessy et avec qui il s'étaient lié d'amitié. Trapus, Les deux gaillards portaient une large bedaine et leurs bobines rougeaudes éclataient leur bonheur de vivre. Leur ami, Julien un grand gaillard de deux mètres dix se trouvait bien évidemment en leurs compagnies et gesticulait sa conversation. Il était temps pour Ernest de commencer la cuisson, il étala avec soin les saucisses enduites d'herbes aromatiques, les poulets finement dépecés, les travers de porc au miel. La bonne odeur de victuailles en cours de préparation parcourut l'éden, attisant les appétits, provoquant le bruit des couverts que l'on prépare, du pain croustillant que l'on coupe et des bouteilles que l'on désobstrue. Il piqua d'une fourchette les merguez qui enflaient leur bonheur et fit gicler leur gras qui s'enflamma immédiatement en provoquant une épaisse fumée âcre et nauséeuse qui obligea notre cuisinier à reculer de trois pas. "Ernest! On commence sans toi? -Oui les amis, allez-y. Répondit-il en se frottant les yeux. La viande enfin prête, les bras lourdement chargé de ses mets tant attendus, il rejoignit ses invités et trouva une petite place lovée entre les deux frères et Julien. Comme toujours l'immense gaillard parlait de sa passion, le tennis de table qu'il pratiquait avec amour et engagement. Ce qui était franchement amusant c'est qu'il gardait toujours son fameux sac de sport avec lui, un grand cabas vert délavé qui était manifestement usé par le temps mais qui contenait ce qu'il appelait son trésor. Des bois de raquettes, des revêtements aux pouvoirs magiques qui permettaient d'infliger aux petites balles un effet pervers et incontrôlable. Julien se leva brusquement en grondant : -Eh, les enfants on ne touche pas. Les deux plus jeunes bambins de la soirée avaient justement mis la main sur quelques-unes de ces petits ronds de celluloses qui s'étaient échappés de ce fameux sac que Julien avait pendu à la branche d'un pommier. Il récupéra sans ménagement son bien et tenta avec difficulté de le faire rejoindre son contenant trop copieusement rempli et dont la fermeture éclair ne fonctionnait plus. A table, les deux frères avaient déjà éclusé chacun une bonne bouteille et s'étaient engagés dans cette histoire de famille mille fois entendue. Siméon racontait une fois de plus à son frère cet antique veuvage et la mauvaise nature de sa progéniture qui ne venait pas le voir. -J'te dis Albert, jamais ils auront mon or, ça c'est sûre. Tu me promets, si jamais je meure avant toi, tu le prends, t'en fais ce que tu veux, mais rien à mes enfants? Il acquiesça de la tête, puis, le prit dans ses bras boudinés, mélangeant un peu plus les volutes d'alcool qui déambulaient au plus profond de leurs anatomies. -t'es mon frère je t'aime... Ernest en avait un peu mare de ces jacassements d'hommes saouls et préféra s'éloigner prétextant devoir surveiller le feu. La fête continua son chemin jusque tard dans la nuit. Les derniers à partir étaient les deux frères suivis bientôt de leur acolyte, le sac en bandoulière, qui pestait sur son incapacité de contenir tous son matériel. Ernest éleva son regard en direction de la voute céleste. Il sourit, elle était là, présente, rougeoyante comme un bon présage, brillant de sa réverbération juste à côté de la lune. Pierre posa la main sur son épaule mirant également l'objet resplendissant : -Te rends-tu comptes, ça fait sept mille ans que Mars n'as pas été aussi proche de nous, on peut distinguer ses contours à l'œil nu. Puppa acquiesça cette juste remarque puis sans vraiment le vouloir, bailla sa fatigue. -Merci pour ton aide mon ami. Une dernière accolade, un dernier sourire qui en disait long sur leur amitié. La soirée venait de se terminer ------------ Au fond de cette grande cours de gravier, malgré l'heure tardive, la fonderie semblait toujours occupée. Une lumière blafarde filtrait des fenêtres à demie fermées. Albert poussait un chariot supportant un moule aux volumes impressionnants, il le plaça prêt du creuset fumant qui recevrait les lingots métalliques et les fusionnerait avec aisance. Un bruit de voiture se fit entendre, puis un claquement de portière, une ouverture de coffre et des pas lourds sur le gravier. Siméon entra dans l'atelier lourdement chargé d'une caisse en bois qu'il portait à l'aide de deux poignées en ferraille plantées sur les côtés. Il laissa tomber la charge aux pieds de son frère. "Tous les lingots sont là! Affirma-t-il. La boite fut ouverte découvrant les vingt kilos d'or alignés soigneusement dans cet écrin rudimentaire et rapidement ils rejoignirent la fournaise qui les transformerait en un fluide. Le temps entreprit son stratagème et le liquide précieux fut coulé chaud et limpide dans le moule. Les deux compères satisfaits de leur travail n'avaient plus qu'à attendre tranquillement que leur œuvre prenne forme. Leur copine favorite, une bouteille de rouge, bientôt accompagnée par plusieurs compagnes leur permis de passer le temps d'une façon agréable. Quelques heures plus tard, très éméchés les deux comparses réussirent à démouler l'objet de leur travail. Un père Noel apparut devant leurs yeux étincelants, brillant de ce reflet précieux qui réchauffa leurs âmes, activa leurs sourires, contenta leur orgueil. -Il n'y a plus qu'à le peindre et le tour sera joué. La suite 07/01/2017 -----------------------------
Ernest était assis sur le canapé du salon.« Je lui ai coupé la balle et puis hop un top-spin sur sa gauche et la partie était gagnée ! » Lucien en passionné de ping-pong expliquait à Ernest l’intégralité de sa dernière victoire. Siméon et Albert, anciens joueurs, l’écoutaient avec intérêt et précisèrent qu’ils se souvenaient avoir joué, il y a bien longtemps cet adversaire, et qu'il n’était pas un opposant facile. -Je n'ai jamais vraiment compris pourquoi vous avez arrêté la compétition ? Demanda Lucien aux maitres des lieux. Siméon se frotta le ventre, voulant ainsi souligner l'embonpoint qui l'avait rendu inapte à toutes activités physiques. Une succession d'apéritifs amenèrent les compères à l'heure du repas qu'Albert avait lui-même préparé. Le dîner servi fut particulièrement copieux et bien arrosé. Ernest aurait voulu rester sobre, mais avec ses trois lascars ce n’était pas une chose facile. « Allez, bois encore un coup, ça fait pas de mal ! Disait l’un. -Encore un peu de civet, tu verras ça passe tout seul ! Disait l’autre. Repus, à la limite d'une apoplexie culinaire, nos quatre amis se retrouvèrent assis ou du moins vautrés sur cet immense canapé qui marquait l'angle du salon. Les esprits n'exposaient plus vraiment une parfaite lucidité et la conversation se courbait sur des chemins confus et incohérents. Ernest qui commençait à ressentir une certaine fatigue, avait toutes les peines du monde à rester éveillé. Pour sustenter une certaine lucidité, il entreprit de faire naviguer son regard sur la décoration de la pièce. Un bric-à-brac hétéroclite s'imposa à son regard. Une tête de chien empaillée, un fauteuil de type rococo, un paravent Chinois, mais surtout comble du mauvais goût, il grimaça à la vue de ce gros père Noël qui trônait sur la cheminée. « Un père Noël en cette saison, drôle d’idée ! Affirma-t-il soudainement. -Ah celui-là, on ne risque pas de s’en séparer ! Affirma Siméon. -Pour sûre, c’est toute notre fortune ! Gaffa Albert sous l’emprise de l’alcool. -Il est en or ! Hoqueta son frère sottement du fond de son ébriété. C'est comme ça qu'on a décidé de cacher ma fortune ! Lucien sembla retrouver une certaine clairvoyance, se leva difficilement, pour aller voir de plus près l'objet insolite et le caresser d'une main curieuse. En le voyant faire, Siméon entreprit une fois de plus de s'épancher sur ces fameuses histoires concernant ses enfants qui ne venaient jamais le voir et cetera, et cetera. Que l’or, caché de cette façon, jamais ils ne pourraient le trouver s’il venait à mourir. Puppa bailla son ennui d’entendre cette sempiternelle histoire de progéniture détestable et au bout d’un moment coupa son interlocuteur : -Si j’étais vous, j’installerai un bon système d’alarme pour vous protéger du vol ! -Mais nous ne sommes que deux dans la confidence ! Répondit justement Siméon. Puis ce reprenant, enfin quatre maintenant... -Vous savez, on n'est jamais assez prudent ! Ironisa Puppa en regardant les deux frères qui la bouche empâtée, grommelaient une réponse d’acquiescement. Il continua : -Mais faites comme vous voulez ! Vous pouvez compter sur ma discrétion. Puis il jeta un coup d’œil sur la pendule et se leva en disant : -Bon, il est temps pour moi de me sauver, il ne me reste plus qu’à vous remercier pour votre hospitalité et vous dire à bientôt ! Lucien accompagna sa brusque décision, sans oublier, bien entendu d'emporter son fameux sac de sport rafistolé de fraîche date. Les deux frères marmonnèrent leur au revoir, mais aucun d'eux n'eurent ni la force, ni l’équilibre nécessaire pour se lever et les accompagner jusqu’à leur porte. -------------------------------------- On était vendredi autour de seize heures quarante-cinq. L'entreprise Claudius et Co. avait été choisie pour installer un système d'alarme au domicile de nos deux fameux compères. Le conseil d'Ernest n'était pas resté lettre morte et la décision de se protéger des voleurs s'était imposée comme une solution pleine de bon sens. L'artisan se mit à fouiller dans sa boite à outil : -Maintenant il me faut la mèche à bois de trente-huit ! Murmura-t-il. Après avoir trouvé l’imposant foret, il le plaça dans sa perceuse et entreprit de perforer le vieux plancher en chêne massif sur l'intégralité de sa profondeur. Ce travail terminé, il jeta un rapide coup d'œil à sa montre pour se rendre compte qu'il était temps pour lui de mettre un terme à sa journée. Il s’engagea dans un rapide nettoyage, emballa son matériel puis retrouva Les frères dans leur cuisine pour préciser : « C'est cinq heures, faut qu’j’y aille, je reviendrai terminer le boulot lundi ! » Un certain plaisir submergea nos deux compères quand ils constatèrent l'avancée des travaux. Ils semblaient avoir été réalisés avec soin et discrétion, seuls, quelques fils pendouillaient dans l’attente d’être connectés et le gros trou percé sur le sol ne demandait qu’à être rempli par son piège électronique. « On n’aura bientôt plus rien à craindre ! Dit-il, heureux de sa décision. -C’est bien vrai, faut qu’on fête ça ! Suggéra Albert la bouteille à la main. Et la beuverie commença. Un verre, puis deux, puis trois. Quand l’alcool vint à manquer, Siméon se leva et se dirigea en direction du bar. Soudain, il ressentit une énorme douleur dans son bras gauche, puis une forte pression écrasa sa poitrine, que se passait-il, il voulut crier, hurler sa souffrance. Un tourbillon inonda son esprit, engourdit ses méninges. Sa lourde masse déconnectée de tous contrôles s’effondra lourdement sur la table de salon en verre qui éclata sous le choc, déchira sa chemise et écorcha profondément son ventre d’une longue entaille. Albert réagit avec lenteur à cet incident, son esprit embrumé par l'alcool amenuisait la perception de son environnement, seul un effort surhumain, lui permit de se retrouver accroupi au côté son frère. Le pauvre homme reposait déjà sans vie, ses yeux restés ouverts semblaient exprimés l'horreur de la vue de son propre trépas. Albert comprit dans un instant de lucidité l'inexorable tragédie, lentement il posa ses doigts sur le visage cadavérique et doucement lui referma les paupières... Il devait être vingt heures quand il se réveilla à côté du cadavre. L’alcool ingurgité à l’excès lui avait fait perdre conscience et un mal de tête lancinant le faisait atrocement souffrir. Il examina le mort, cette enveloppe charnelle, cet être cher dont l'âme s’était envolée à jamais et il réalisa qu'il serait maintenant seul à affronter la suite de sa vie. Il reconsidéra le fil de son existence, se pencha sur tous ces bons moments de fraternelles amitiés, sur son enfance. Sourit aux instants de bonheur du mariage de son frère, s'épancha sur un rictus en pensant au divorce qui s'en suivit et grimaça aigrement à la pensée de ses indignes neveux. Son triste regard se posa sur le fameux père Noël. Etait-il vraiment une suffisante protection contre leurs ardeurs successorales. Réfléchissant longuement à cette question, une idée machiavélique et imparable lui vint à l’esprit. Il descendit dans son sous-sol, poussa sur le côté la vieille table de ping-pong qui reposait là, inutilisée depuis des années et retrouva lové sous elle, son vieux sac de sport qui contenait encore sa raquette et surtout ces quelques balles de cellulose. Il en prit une dans la main, la regarda en pensant que c'était-elle sa solution, la base de son machiavélique stratagème. La grande demeure reposait maintenant dans un calme livide avec comme seule animation le Tic-tac d'une vieille horloge qui égrène ses secondes. Soudain il y eut le son d’une petite balle qui rebondit en decrescendo sur le sol, puis ce bruit sec du déchirement d’une allumette qui s'embrase... ------------------------------ Puppa avait sa tête des mauvais jours. Accompagné de son collègue l’inspecteur Purbon, ils se rendaient chez les deux frères. Un gendarme les avait appelés dès leurs arrivés au bureau et Ernest se sentait terriblement choqué d’avoir ainsi appris la mort de quelqu’un qu’il connaissait si bien. Le gendarme avait ajouté dans son élocution funèbre qu’un événement extraordinaire s’était produit, qu’il n’avait jamais vu ça, que le cadavre avait entièrement brûlé. « Complètement carbonisé ! » S’exclama Purbon examinant fixement la dépouille. Et, regarde ! Tout ce qui l’entoure est resté intact ! S’il avait pris feu, ça aurait dû brûler autour de lui ! » Puppa resta silencieux, il était bien entendu horrifié par la scène mais il songeait surtout à ce copain avec qui il avait festoyé quelques jours auparavant. Purbon devant son mutisme enchaîna crânement : « J’ai lu que quelques cas similaires ont existé dans le passé. On appelle ça la combustion instantanée. Personne n’a jamais pu vraiment expliquer ce phénomène, il semblerait que c’est le corps qui s’échauffe et brûle de l’intérieur. C’est pour cela que l’environnement n’est pas touché ! » Ernest ne répondit toujours rien, perdu dans les souvenirs de cette vie perdue à jamais. Puis Albert arriva dans la pièce. En voyant Ernest, il se jeta dans ses bras en pleurant. Ernest tituba, déséquilibré par l’imposante masse qui s’accrochait à lui, il lui tapota l'épaule en signe de compassion et regardant Purbon du coin de l’œil et lui expliqua : « C'est un ami ! » Albert se détacha de lui, ses yeux étaient devenus minuscules à force de pleurer. Dans une voix chargée d'émotion, il expliqua : « Hier, on avait débuté des travaux dans la maison ! Tu sais, tu nous avais suggéré de protéger notre bien avec un système d’alarme, et c’est ce que nous avons fait ! Alors avec mon frère, on a décidé de fêter ça, et puis tu sais ! On a bu plus que de raison et je suis allé me coucher ! Ernest recula d’un pas voulant par ce geste échapper à l’haleine fétide de son pote. Siméon est resté dans le salon pour finir une bouteille. Puis il conclut entre deux sanglots. Je l’ai retrouvé là ce matin en me réveillant ! » Puis il s'effondra sur son large fauteuil et se mit à sangloter, laissant éclater sa détresse, la tête plongée entre ses deux bras croisés sur l’accoudoir. Ernest avait toutes les peines du monde à retenir ses larmes. Tristement, pour éviter cette vision de douleur, il décida de balayer la pièce de son regard. Les souvenirs de leur dernière rencontre réapparaissaient en saccades, accroissant son angoisse, rappelant que la vie était courte. Son visage sourit tendrement à un détail qui l'avait amusé, grimaça à une réminiscence de sa mémoire. Soudain il y eut se trait interrogatif, un détail l'avait interloqué : « Tu as enlevé ton père Noël ? Albert stoppa net ses sanglots, leva la tête et l’air inquiet répondit : -Non ! Il était là hier soir, mon frère l’a peut-être déplacé avant sa mort ! Sa tristesse, soudainement éclaircit par cette étrangeté, Albert entreprit de fouiller toutes les cachettes évidentes. Ernest lui intima de ne rien toucher, il ne fallait surtout pas effacer par mégarde quelques importantes preuves. -Qu'est ce qui a disparu ? Demanda Purbon. Un père Noël ? -Le père Noël est en or dur ! Répliqua Ernest machinalement, sans que son esprit ait voulu vraiment proférer cette plaisanterie d’une drôlerie douteuse en ces circonstances. Purbon pouffa de rire croyant en une de ces bonnes blagues de policier. Mais apercevant la froideur du visage de Puppa, il comprit l'importance de son affirmation. -On te l’a peut-être volé ? -Mais non! On était seul hier et ma porte était fermée à clef, je l’ai constaté tout à l’heure en venant ouvrir au gendarme ! -Quelqu’un d’autre possède ta clef ? -Oui, Lucien, mais tu sais j’ai… Il s’arrêta net, coupant abruptement l’aboutissant de son affirmation et regarda Ernest droit dans les yeux. Tu crois que… Balbutia-t-il. Ce « Tu crois que… » Fut le détonateur instantané de l’esprit inquisiteur de notre génial inspecteur : -Et si Siméon avait surpris Julien en train de voler son bien et que l'altercation se soit mal passée ! -Mais t’as vu l’état de mon frère ! Sanglota Albert comme seule réponse. Ernest s’agenouilla devant le corps consumé. Sa chemise était déchirée et l'on pouvait facilement apercevoir le ventre du mort marqué d'une profonde entaille qui hébergeait un éclat de verre. La peau à cet endroit semblait être un peu plus roussie plus brunâtre. Ernest se remémora l’épisode du barbecue où la graisse s’était enflammée en touchant les braises incandescentes. -Voilà la solution ! Dit-il devant Purbon qui le regardait, médusé. Puis il découvrit juste en dessous de la plaie quelques gouttes de cire qui l'informèrent précisément sur la façon du lugubre allumage. Il expliqua : -L’assassin, car il y a meurtre ! Affirma t’il gravement, est venu le voir après que tu te sois couché, il l’a tué, puis à l’aide de la flamme d’une bougie a allumé la graisse de ton pauvre frère qui s’est lentement consumé pendant la nuit faisant croire à un mystère troublant. La voix d’un gendarme arrêta net ses éclaircissements cabalistiques : - Il y a quelque chose dans ce trou ! Dit-il en pointant du doigt. Il semblerait que c’est une balle de ping-pong ! Ernest regarda l'objet avec attention puis demanda un morceau de scotch. Albert fouilla dans un tiroir pour en sortir de la bande adhésive. Aidé par cet hameçon bien particulier, Ernest réussit à extraire l’objet sans la moindre difficulté. -C’est toi qui l’a mise ici ? -Moi ! Répondit Albert. Bien sûre que non, ce trou a été percé hier soir et je peux te l'affirmer, il n’y avait rien dedans lors de mon inspection des travaux, Ce trou est destiné à recevoir ce petit engin ! Compléta-t-il en indiquant un appareil qui était resté posé sur la table. Ernest prit la balle dans sa main gantée et ne sembla pas tout de suite réagir à l’évidente preuve. -Mais alors cette balle d’où vient-elle ? -Du sac de Lucien, pardi ! Il les perd constamment ! Puis, livide il continua. Quelle ordure, il est venu tuer mon frère pour avoir l’or ! Ernest resta glacial devant cette affirmation et expliqua brièvement à son collègue la phobie de Lucien, le pongiste. L'évidence du voleur, de l'assassin semblait maintenant indiscutable. Le coupable fut arrêté dans l'heure... ------------------------------------- Dans le pays de Gex, il y a quelque chose ou du moins quelqu’un qui rend tous crimes impossibles. C’est notre bon inspecteur Puppa. Il sait tout, comprend tout et parvient à des conclusions évidentes dans un seul éclair de sa pensé révélatrice. Le lendemain du crime, la solution du forfait s'était totalement imposée à son esprit inquisiteur ! Il avait réalisé par une simple observation que Lucien n’était évidemment pas l’assassin, qu’il n’était pas là le soir du crime et qu’Albert, le frère, était l’unique instigateur de la carbonisation et du vol. Dans ce petit local trop étroit, Purbon était assis à son bureau le regard plongé dans un rapport concernant les nouvelles découvertes se rapportant à l’A.D.N. et les résultats étonnants qu’elles permettaient d’obtenir. Mais, en vérité, son esprit n’était pas vraiment à la lecture. L'horreur du corps calciné tournait dans ses méninges. Il songeait à l’arrestation de Julien, aux affirmations de l'assassin sur sa non culpabilité. Il était en certain, ce salopard serait bien obligé d’avouer l'évidence de son crime et de restituer son forfait. Ernest était également présent dans le bureau. Il se tenait assis devant l'écran éteint de son ordinateur et sa main jouait avec une balle de ping-pong qu’il s’amusait à faire rebondir sur le sol. La solution du crime il l’avait découverte hier soir en repensant aux bons souvenirs d’amitié qui le liait à Lucien. A plusieurs reprises, il l’avait accompagné comme spectateur à des compétitions de son sport favori. Il l’avait patiemment regardé jouer, encouragé dans ses moments de faiblesse, applaudit lors de ses multiples victoires. Chaque tournoi se terminait généralement, assis à une bonne table à écouter avec plaisir son copain commenter ses exploits et expliquer son sport. Puppa cessa subitement son jeu enfantin, regarda Purpon et calmement lui dit : - Julien n'est pas coupable ! Purbon réagit immédiatement : -Qu’est-ce que tu racontes, l’évidence est bien là, il n'y a aucun doute ! Effectivement, il avait également miré cette petite balle en cellulose, traître incontesté de l’acte meurtrier. -Tu n’as donc rien vu ? Questionna Ernest en le regardant d’un air tristement navré. Purbon fronça des sourcils. Que fallait-il qu’il voie ? Connaissant la perspicacité de son collègue, il se sentit une fois de plus ridicule, un peu bête. C’est alors qu’il se décida de mentir. -Bien sûre que j’ai tout compris ! Affirma-t-il. -Ah, bon ! Sourit Puppa. L’erreur du véritable coupable est tellement évidente ! Purbon pâlit, se racla le gosier : -Alors! On fait quoi, on va arrêter l'autre... Puppa armé d’un petit sourire en coin de bouche lui répondit : - En fait j’en ferai la démonstration cette après-midi lors de la reconstitution ! ------------------------------------ Ernest était devant la maison des deux frères, son acolyte détective planté à ses côtés. Il était persuadé que sa future démonstration technique serait d’une évidence convaincante pour le juge. Lucien était arrivé entre deux gendarmes, les menottes aux poignets, le regard montrant l’incompréhension de son arrestation. En voyant Ernest il s’écria : « Je ne suis pas coupable ! Ernest lui posa la main sur l’épaule et le réconforta de ce chuchotement : -Ne t’en fais pas tout va bien se passer ! Albert apercevant le présumé coupable, fit mine de se jeter sur lui. -Je vais te casser la gueule ! Hurla-t-il. Deux policiers qui s'attendaient à cette violente réaction l’empêchèrent heureusement de provoquer son attaque. Le calme revint rapidement et tous les protagonistes se retrouvèrent rassemblés dans le salon. Le magistrat présent, un large bloc note posé sur sa main gauche, remplissait un feuillet de notes descriptives, il regarda Albert et commença à lui poser quelques questions : -Donc... Vous avez trop bu et vous êtes allé vous coucher ? -Oui, Monsieur le juge ! Répondit-il. -Et vous n’avez rien vu, rien entendu ? -Non ! Enfin si avant de m’endormir, j’ai cru entendre qu’on frappait à la porte d’entrée. Mais vous savez, j’n’étais pas en état, alors je ne suis pas sûre ! -Quand vous vous êtes réveillé, vous avez trouvé votre frère à cet endroit ! Le juge pointa du doigt le tracé à la craie fait sur le sol. -Oui M’sieur le juge ! -Vous n’avez touché à rien ! -Non ! Puis il se tourna vers l’un des gendarmes et lui demanda : -Où est-il ce fameux trou ? Le gendarme s’agenouilla devant la porte et montra l’orifice : -C’est là où j’ai retrouvé la balle de ping-pong. Purbon lui tendit la petite balle qu’il détenait en tant que preuve matérielle et le juge la fit passer au préposé pour qu’il lui montre avec exactitude l'endroit où il l'avait découverte. Le préposé l’enfila dans l’excavation en ayant bien pris soin de l’accrochée à un morceau de scotch et ajouta : -Exactement là ! Purbon précisa : -Le présumé coupable est joueur de tennis de table, il traîne son sac partout avec lui, une balle a du s’en échapper pour s’enfiler là-dedans. Le trou avait été fait seulement quelques heures auparavant ! Lucien protesta : -Mais je n’étais pas là vendredi soir, j’étais malade et couché dans mon lit avec un sacré mal de ventre. -Et pas de témoin pour nous le confirmer ! Ironisa Purbon. Ernest Puppa décida qu’il était temps pour lui de faire sa démonstration. -Monsieur le juge, Lucien n’est pas le coupable ! -Et pourquoi donc ? L'inspecteur mit la main dans sa poche et commença sa brillante explication… ------------ Ernest était assis sur un banc du parc de cèdres. Il était tard et il profitait de la fraîcheur bienvenue de la nuit. Sur sa droite, cheminant sur le petit chemin gravillonné qui croisait sa tranquillité, on pouvait apercevoir une silhouette qui se dirigeait dans sa direction. Arrivée à sa hauteur, elle le salua : « Bonsoir Ernest ! C’était Pierre qui ne pouvant s’endormir, avait décidé, lui aussi, une petite promenade tardive. -Pierre, quelle bonne surprise ! Que fais-tu là à cette heure tardive? Il haussa les épaules : -Tu sais ! Ernest comprit que des problèmes liés à son entreprise devaient désagréablement le turlupiner. Levant la tête vers les cieux il commenta : -T’as vu, elle est toujours là ! Pierre s’installa à côté de lui et tout en l’imitant répondit : -Je la trouve de plus en plus rouge ! Puis, ils consentirent à un mutisme philanthropique. Au bout de quelques minutes Pierre demanda : -Alors, c'est Albert qui a tué son frère ! -Non, répondit Puppa. Il n’est qu’à moitié coupable. Il nous a tout avoué. Son frère est mort d’une crise cardiaque, il a voulu camoufler son décès en un crime utilisant un subterfuge que je connais. Il voulait faire croire au vol de son or, pour que les enfants de son frère ne mettent jamais la main sur celui-ci. Sa grosse erreur a été de vouloir faire passer son copain Lucien pour le coupable. Il n’avait malheureusement pas pensé à un petit détail de grande importance qui a révélé toute la supercherie. -Lequel ? ------------------------------- Epilogue Ernest était assis sur un banc du parc de cèdres. Il était tard et il profitait de la fraîcheur bienvenue de la nuit. Sur sa droite, cheminant sur le petit chemin gravillonné qui croisait sa tranquillité, on pouvait apercevoir une silhouette qui se dirigeait dans sa direction. Arrivée à sa hauteur, elle le salua : « Bonsoir Ernest ! C’était Pierre qui ne pouvant s’endormir, avait décidé, lui aussi, une petite promenade tardive. -Pierre, quelle bonne surprise ! Que fais-tu là à cette heure tardive? Il haussa les épaules : -Tu sais ! Ernest comprit que des problèmes liés à son entreprise devaient désagréablement le turlupiner. Levant la tête vers les cieux il commenta : -T’as vu, Mars, la planète, elle est toujours là ! Pierre s’installa à côté de lui et tout en l’imitant répondit : -Je la trouve de plus en plus rouge ! Puis, ils consentirent à un mutisme philanthropique. Au bout de quelques minutes Pierre demanda : -Alors, c'est Albert qui a tué son frère ! -Non, répondit Puppa. Il n’est qu’à moitié coupable. Il nous a tout avoué. Son frère est mort d’une crise cardiaque, il a voulu camoufler son décès en un crime utilisant un subterfuge peu sympathique. Il voulait faire croire au vol de son or, pour que les enfants de son frère ne mettent jamais la main sur celui-ci. Sa grosse erreur a été de vouloir faire passer son copain Lucien pour le coupable. Il n’avait malheureusement pas pensé à un petit détail de grande importance qui a révélé toute la supercherie. -Lequel ? -Eh bien, c’est très simple. La fédération de tennis de table a changé la taille des balles au cours de l’an deux mille. Ceci, pour une question de spectacle. Une balle plus grosse va moins vite et est donc sensée rester plus longtemps sur la table ! La balle est passée d’un diamètre de trente-sept millimètres et demi à celui de quarante millimètres. Ce détail sur la soi-disant preuve était totalement ignoré par le coupable ! Mais pas par moi ! Je me souviens d’une compétition de tennis de table où Lucien furieux d’avoir perdu était venu m’expliquer que cela était dû à ce changement de dimensions. Il m’avait montré les deux types de balles m’expliquant la différence et avait broyé la petite d’une main furieuse ! |