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  Le raisonnement d'Aristote

03/09/2013 

La chaleur était soudainement arrivée. Elle avait écrasé par sa brusquerie, la petite ville de Gex qui aurait préféré opter pour une température plus clémente. C’était un samedi matin, vers onze heures trente. Sous un ormeau de la petite place de l'appétit fraîchement réhabilitée, quatre personnages, trois hommes et une femme, tous âgés d’une trentaine d’année papotaient avec un plaisir évident. Quelques moineaux virevoltaient autour d'eux, gazouillant à souhait, s’ébrouant dans une volupté communicative. Plus bas, un petit groupe de personnes attendaient sagement devant la salle des mariages l’arrivée incertaine de futurs conjoints. Deux employés municipaux, le visage couvert d’une sueur scintillante, munis chacun d’une lourde boîte à outils pénétraient dans la salle des fêtes. Au loin, la rumeur du marché hebdomadaire apportait un brouhaha bien sympathique, un léger zéphyr transbahutait quelques odeurs de poulets grillés, elles même joliment accompagnées de parfums campagnards. Longeant la rue du commerce, de jolies bâtisses anciennes offraient leurs façades au Dieu soleil qui les chamarrait de couleurs ocres et dorées.
Nos quatre acolytes bercés par l’écoulement de leur conversation laissaient traîner leurs regards sur le trottoir d’en face. Rien de bien passionnant à voir dans cette ruelle un peu trop tranquille. Essentiellement quelques personnes sur qui attarder leurs regards, suspendre leurs attentions. Pourtant à cet instant précis dont je vous parle, alors que tout semblait platement ordinaire, un événement tragique, une scène surréaliste allaient survenir
Une jeune femme, le bras accroché à un panier à roulettes escaladait avec facilité l’inclinaison abrupte de la rue du commerce. Elle croisa un austère quidam qui vêtu d’un costume sombre semblait cacher son visage sous un large couvre-chef d’une noirceur mortuaire. Suivant de près la donzelle, un deuxième homme à l’accoutrement tropical allongeait ses pas dans un rythme singulièrement rapide. Les yeux rivés sur le sol, celui-ci ne daigna même pas un regard au sévère individu qu’il rencontra à son tour.
Plus haut, au-dessus de leurs têtes, un magnifique pot de géranium venait d’amorcer sa chute.
Une voiture de grosse cylindrée, dans un vrombissement désagréable arriva soudainement, animée d’une vitesse déraisonnable. Puis, il y eut ce coup de frein brutal, ce crissement aigu de la gomme qui glisse sur l’asphalte, ce bruit sourd d’un corps éjecté, propulsé par un choc violent.  Ensuite ce fut des cris, des appels, des pas de gens qui accourent, qui commentent l’abomination…

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Scène 2

Edmond Dantisse enfila lentement sa veste.  Malgré la touffeur excessive qui régnait dehors, il avait tout de même décidé de porter son costume trop étroit à la facture terriblement triste.
Veuf depuis maintenant trois ans, l'âge de la retraite passé, il vivait seul dans un petit appartement qui côtoyait l’église.
Son minuscule logement était agencé de vieux meubles trop sombres, d’une tapisserie jaunie par la lumière et de cet horrible lampadaire en cristal, suspendu au beau milieu de la pièce, qui diffusait une lumière aigre et blafarde. Une vieille photo, posée sur la commode, reflet d’un lointain passé heureux, attendait patiemment que quelqu’un daigne bien, un jour, lui jeter un sourire. Dans un recoin, un fauteuil à l’ample volume, recouvert d’un drap couleur bleue terne faisait face à une petite télévision qui affichait des images pâles aux couleurs livides.
Edmond ne se souciait guère de son intérieur. Un seul élément, ajout récent, dénotait parmi cette fade décoration. C'était un poster bien singulier, une affiche de "Marine Lepen" qui ventait les bienfaits du Front National.
Il était depuis toujours un adhérent convaincu de ce parti aux idées extrêmes et radicales pour la cohérente raison qu’il détestait les étrangers. Surtout ceux d’une race différente de la sienne. "Ces envahisseurs! Se disait-il, qui viennent occuper notre pays et ne font que profiter de notre labeur."
Il était d’ailleurs à l’origine de nombreuses altercations racistes.  La dernière en date, particulièrement violente, avait pris place dans le bar de la rue des Terreaux. Il s’était presque battu avec un Brésilien au teint sombre qu’il avait traité de toutes sortes de noms d’oiseaux alors que le pauvre jeune homme n’avait, pour essentiel tort, que le hasard de sa présence. Le pire avait été évité in extremis grâce à l’intervention autoritaire d’un gendarme qui en s'interposant avait ainsi calmé les esprits échauffés.
 La vieille horloge sonna d’un coup son avance, pour signifier la demi-heure. Il était temps pour Edmond d’accomplir quelques emplettes au marché local. Il s'orna le crâne d'un large couvre-chef noir, verrouilla sa porte à double tours et entreprit la descente de la rue du commerce.
Sa démarche s'avérait militaire, rythmée en cadence par le balancement alterné et prononcé de ses deux bras. Sa main gauche tenait fermement un sac en plastique jaune, futur contenant de ses emplettes, tandis que la droite jouissait de son inutilité en restant les doigts largement écartés pour retenir le courant d’air que son ample mouvement provoquait.
Arrivé au niveau de la Place de l’appétit. Ses yeux cachés sous la pénombre de la bordure de son chapeau ne daignèrent qu’un rapide regard à la jolie demoiselle qu’il rencontra. Mais, au contraire fixèrent hargneusement l’acolyte qui la suivait et ses lèvres ne purent s'empêcher de marmonner une cohorte d'insultes  pendant les brèves secondes qui les virent se croiser.

Puis, tout s’enchaîna rapidement.

Il y eut ce bruit de terre cuite qui se fracasse, de freins qui essaient d’éviter l’inévitable et ce mal foudroyant qui mit un terme définitif à son existence…


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Scène 3

Madame Pichonneau habitait au troisième étage de cette vieille bâtisse plus que bicentenaire. Elle adorait cet endroit privilégié qui lui permettait armée de ses petites jumelles, d’avoir un œil attentif sur la salle des mariages. La restauration de la place de l'appétit était pour elle particulièrement bénéfique. Le fait que les trois énormes platanes aient été sacrifiés pour être remplacés par des congénères de petite taille lui permettait une vue beaucoup plus claire des abords de la mairie. 
Cette bonne dame se présentait comme la commère attitrée et incontestée du quartier. Elle adorait connaître et répéter les moindres potins locaux.
Son logis était spacieux et symbolisait l'entière continuité de sa vie. Ses parents avec qui elle avait toujours vécu l’avaient laissée seule dans cet immense endroit qui sentait les jours anciens, les souvenirs inaltérables, l'histoire de son enfance et de sa jeunesse depuis longtemps passée.
Elle n’avait rien changé à l'ornementation. Tous les objets restaient figés, ordonnés à leurs immuables places, briqués, rangés, alignés au millimètre. Aucune alternative pour la plus banale originalité, au moindre moderniste. Sur la table de la salle à manger elle entreposait l’ensemble des souvenirs de son existence. Une tour Eiffel en plastique lui rappelait son voyage à Paris, une petite statue de la vierge celui de son pèlerinage à Lourdes.
Madame Pichonneau revenait à l'instant de son incursion au marché. Deux heures trente de bonheur complet où elle avait rencontré ses copines et papoté à souhait sur tous les derniers évènements urbains.
Elle s'était appliquée à des commentaires sur chaque Gessien qui passait à la portée de sa vue et plus particulièrement sur une jolie demoiselle d’une vingtaine d’année. Elle ne savait pas vraiment grand-chose sur cette nouvelle venue, simplement de maigres informations qu'elle avait glanées de ci de là. Mais son venin l'égratigna de sa perfidie et de son abondance. Elle l’estimait simplement trop belle, trop coquette, trop aguicheuse.
 « Une jolie fille comme elle qui vit seule, moi je trouve ça pas normal ! Elle habite à quelques encablures de chez moi depuis au moins une année et je ne l’ai jamais vue avec un homme. J’crois qu’elle aime que les femmes ! Plusieurs fois, je l’ai aperçue avec deux blondasses de son genre qui pénétraient chez elles pour y passer la nuit.
Ces copines eurent toutes une expression de dégoût.  Elles ne purent s'empêcher de  ricaner quand la pin-up passa devant elles. Leurs rictus n’étaient pas dus simplement à sa qualité prétendue de lesbienne mais par le fait qu’à son passage, tous les hommes la suivaient de leurs regards d'une avidité lubrique.
-Messieurs ! Vous n’avez aucune chance ! Murmura madame Pichonneau en ricannant.
Il était temps pour elle de rentrer. Aujourd’hui à onze heures trente devait se dérouler le mariage de la petite Sophie avec son bien-aimé Claude Routin.
-Oui ! Vous savez, le fils du directeur de cette fabrique de bijouterie de luxe Genevoise. Celle-là, elle a su y faire ! Ses parents ne sont qu’employés de mairie. Paraît que la famille du jeune homme est furieuse, mais n’a rien pu faire pour casser le mariage avec cette  "roturière." J’ai entendu que la cérémonie se déroulerait en toute simplicité avec la seule présence de la famille de la Sophie. Je ne veux manquer ça pour rien au monde !
Elle était donc dans son appartement un peu plus tôt que prévu, s’affairant à quelques tâches ménagères en attendant de se poster à sa fenêtre pour observer l'évènement controversé.
Elle jeta un coup d’œil à son horloge, il lui restait encore un bon quart d’heure d’attente avant la cérémonie. Assise sur son canapé, elle ouvrit son journal à la page des faits divers et s'émergea dans sa lecture favorite, savourant avec délice l'intégralité de ces histoires insipides.
Le temps passa trop vite.
Deux bonnes minutes avaient déjà devancé le moment tant attendu. Elle se leva avec une prestance surprenante et entraîna sa carcasse jusqu’à la fenêtre. D'une main résolue, elle écarta un pot de géranium qui lui bouchait la vue.
Cette action trop brutale et mal calculée entraîna la chute de celui-ci…

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Scène 4 :

Madame Pichonneau habitait au troisième étage de cette vieille bâtisse plus que bicentenaire. Elle adorait cet endroit privilégié qui lui permettait armée de ses petites jumelles, d’avoir un œil attentif sur la salle des mariages. La restauration de la place de l'appétit était pour elle particulièrement bénéfique. Le fait que les trois énormes platanes aient été sacrifiés pour être remplacés par des congénères de petite taille lui permettait une vue beaucoup plus claire des abords de la mairie. 
Cette bonne dame se présentait comme la commère attitrée et incontestée du quartier. Elle adorait connaître et répéter les moindres potins locaux.
Son logis était spacieux et symbolisait l'entière continuité de sa vie. Ses parents avec qui elle avait toujours vécu l’avaient laissée seule dans cet immense endroit qui sentait les jours anciens, les souvenirs inaltérables, l'histoire de son enfance et de sa jeunesse depuis longtemps passée.
Elle n’avait rien changé à l'ornementation. Tous les objets restaient figés, ordonnés à leurs immuables places, briqués, rangés, alignés au millimètre. Aucune alternative pour la plus banale originalité, au moindre moderniste. Sur la table de la salle à manger elle entreposait l’ensemble des souvenirs de son existence. Une tour Eiffel en plastique lui rappelait son voyage à Paris, une petite statue de la vierge celui de son pèlerinage à Lourdes.
Madame Pichonneau revenait à l'instant de son incursion au marché. Deux heures trente de bonheur complet où elle avait rencontré ses copines et papoté à souhait sur tous les derniers évènements urbains.
Elle s'était appliquée à des commentaires sur chaque Gessien qui passait à la portée de sa vue et plus particulièrement sur une jolie demoiselle d’une vingtaine d’année. Elle ne savait pas vraiment grand-chose sur cette nouvelle venue, simplement de maigres informations qu'elle avait glanées de ci de là. Mais son venin l'égratigna de sa perfidie et de son abondance. Elle l’estimait simplement trop belle, trop coquette, trop aguicheuse.
 « Une jolie fille comme elle qui vit seule, moi je trouve ça pas normal ! Elle habite à quelques encablures de chez moi depuis au moins une année et je ne l’ai jamais vue avec un homme. J’crois qu’elle aime que les femmes ! Plusieurs fois, je l’ai aperçue avec deux blondasses de son genre qui pénétraient chez elles pour y passer la nuit.
Ces copines eurent toutes une expression de dégoût.  Elles ne purent s'empêcher de  ricaner quand la pin-up passa devant elles. Leurs rictus n’étaient pas dus simplement à sa qualité prétendue de lesbienne mais par le fait qu’à son passage, tous les hommes la suivaient de leurs regards d'une avidité lubrique.
-Messieurs ! Vous n’avez aucune chance ! Murmura madame Pichonneau en ricannant.
Il était temps pour elle de rentrer. Aujourd’hui à onze heures trente devait se dérouler le mariage de la petite Sophie avec son bien-aimé Claude Routin.
-Oui ! Vous savez, le fils du directeur de cette fabrique de bijouterie de luxe Genevoise. Celle-là, elle a su y faire ! Ses parents ne sont qu’employés de mairie. Paraît que la famille du jeune homme est furieuse, mais n’a rien pu faire pour casser le mariage avec cette  "roturière." J’ai entendu que la cérémonie se déroulerait en toute simplicité avec la seule présence de la famille de la Sophie. Je ne veux manquer ça pour rien au monde !
Elle était donc dans son appartement un peu plus tôt que prévu, s’affairant à quelques tâches ménagères en attendant de se poster à sa fenêtre pour observer l'évènement controversé.
Elle jeta un coup d’œil à son horloge, il lui restait encore un bon quart d’heure d’attente avant la cérémonie. Assise sur son canapé, elle ouvrit son journal à la page des faits divers et s'émergea dans sa lecture favorite, savourant avec délice l'intégralité de ces histoires insipides.
Le temps passa trop vite.
Deux bonnes minutes avaient déjà devancé le moment tant attendu. Elle se leva avec une prestance surprenante et entraîna sa carcasse jusqu’à la fenêtre. D'une main résolue, elle écarta un pot de géranium qui lui bouchait la vue.
Cette action trop brutale et mal calculée entraîna la chute de celui-ci…

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Scène 5 :

S'accommoder d’un pays que l’on ne connaît pas et qui déploie des coutumes à mille lieux des vôtres est une besogne extrêmement difficile.
Particulièrement lorsque l'on a atterri là, par hasard.
Enfin, pas vraiment par hasard !
Sylvio est un bel enfant, de dix-sept ans, au teint basané à l’intelligence intuitive, marqué par une vie aventureuse dans laquelle ses parents l’avaient depuis sa plus tendre enfance entraîné.
Son père, un Gessien de naissance et sa mère, une Guadeloupéenne, avaient depuis sa plus tendre enfance parcourus le monde visitant chaque recoin de la planète. Ses six dernières années, ils les avaient passées au Brésil, dans la forêt amazonienne,  vivant une vie simple bercée de rencontres avec des tribus endémiques et de l'étrangeté d'une vie peu coutumière.
Ses parents avaient pris la soudaine décision de revenir dans le pays de Gex..
Il fallait donner une éducation sérieuse au petit ! S’étaient-ils dits. Lui permettre de vivre une existence choisie et non imposée, et puis, ils étaient las de cette vie sans attache, loin d’une famille qu’ils affectionnaient et qui commençait à leur manquer.
Armés d'une solide éducation et d'une facilité évidente pour parler de nombreuses langues étrangères, ils avaient, sans le moindre problème obtenu un travail dans un organisme international de Genève.
Malheureusement, quelques mois à peine suivant leur arrivée, tous deux succombaient à un grave accident de la route.
Sylvio, orphelin, fut recueilli par sa tante et vivait depuis, seul avec elle.
Cet adolescent un peu farouche n'arrivait pas à s’intégrer à ce nouvel endroit, cette nouvelle vie. Les gens lui paraissaient si froids, si distants, bien loin de l’amitié sincère et sans équivoque de ses amis indigènes.
Sa nature solitaire ne l’inclinait d’ailleurs guère à se faire de nouveaux copains et Il préférait la solitude de ses promenades en forêt.
Récemment, il avait été victime d’une altercation raciste. Un sale bonhomme l’avait violemment agressé de propos hargneux, seule l’intervention inopinée d’un agent des forces de l'ordre l'avait extirpé d'un accrochage qui aurait pu devenir violent.
Depuis, il préférait passer de longues heures enfermé dans sa chambre, allongé, les yeux dans le vague à la recherche de son bonheur passé, poursuivant  inlassablement ses chimères idylliques, ignorant même son ordinateur, dernier cadeau de ses parents disparus.
La pièce était ornée de nombreux objets qu’il avait collectés durant son long séjour passé dans la jungle. Arcs, flèches, instruments aux allures primaires décoraient son antre, ravivaient ses souvenirs.
Sa tante avait récriminé ce bric-à-brac ramené chez elle.
Elle avait confié à madame Pichonneau que parmi ce fourbi il y avait même des flèches empoisonnées !
La nouvelle s’était immédiatement répandue, portée par la langue fourchue de la commère,  pour arriver, déformée, jusqu’aux oreilles des gendarmes entrainant ainsi une enquête de voisinage pour apprécier le danger que pouvait faire craindre ce nouveau venu.
Heureusement, tous les gens avaient été du même avis.
-Il est très gentil ce jeune homme, très discret, très polis, peu bavard certes, mais certainement sans danger!
Et c’était la vérité, jamais on ne lui avait prêté un mot plus haut que l’autre. Qualité qu’il tenait de l’exemplarité de ses parents.
Le samedi de l’accident, vers onze heures trente du matin, il s’était retrouvé derrière une charmante jeune femme, la suivant le long de cette rude montée de la rue du commerce. Il la trouvait vraiment superbe, d’une élégance provocante, habillée d’un tailleur couleur de printemps et d’une jupe fendue sur la cuisse droite. Lui, arborait une étrange cape aux couleurs chamarrées, un pantalon large et deux savates tressées.
La jolie personne ne représentait pourtant pas le centre de sa pensée, son visage demeurait livide, sa respiration rapide. Il faillit presque télescoper un homme qu’il évita de justesse.
Puis, en quelques enjambées, il rattrapa la jolie demoiselle pour la dépasser sans lui accorder le moindre regard.
Le vacarme et l'incident inattendu qui à cet instant déboula ne le fit même pas réagir.

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Scène 6 :

Munie d’une application intransigeante, sa main déposa sur ses lèvres pulpeuses une fine couche d’un rose à lèvre sophistiqué. Elle se savait très belle et prenait, chaque matin, un soin méticuleux pour parfaire  les courbes de son visage. Elle ajouta un bleuté sur ses paupières et augmenta ainsi la profondeur de ses yeux couleur de ciel. Un fond de teint harmonieusement distribué peaufina sa perfection en soulignant la parfaite symétrie de ses pommettes.
Seul un petit bouton incongru, apparu depuis peu à la naissance de ses cheveux lui donna du fil à retordre et l’agaça au plus haut point. Elle le badigeonna d'un excès de cosmétique, puis, le recouvrit d’une mèche de ses cheveux dorés. Une vapeur laquée aida à tenir l’édifice en place assurant l'aplomb de la cachette.
Elle admira une dernière fois le reflet que lui concédait son miroir et, satisfaite du résultat, décida qu’il était temps pour elle d’aller se montrer au marché. Avant de sortir, elle ne put s'empêcher d'envoyer un baiser à l'adresse d'une photo accrochée  à son mur. Celle de son fiancé qu’elle aimait tendrement et qui lui manquait terriblement.
Casque bleu à l’O.N.U. il était parti en mission depuis maintenant presque huit mois. Leurs seules relations ne tenaient qu’à ce paquet de lettres entouré d’un cordon de soie qu’elle tenait soigneusement rangé dans le tiroir de sa table de chevet et de ses coups de téléphone chaque samedi à midi précise.
Il lui restait donc une bonne heure  pour faire ses emplettes et revenir pour ce rendez-vous téléphonique tant attendu. Elle grimaça en pensant à sa solitude pesante. Travaillant sur Genève, elle ne connaissait guère les habitants de Gex et n’était pas encline à fréquenter les activités locales sans la présence de son homme. Seules, ses sœurs qui habitaient Lyon, venaient de temps en temps, passer quelques jours avec elle.
Le marché de Gex était un endroit qu’elle aimait particulièrement, elle s’y sentait heureuse. Peut-être parce qu’il représentait les quelques instants qui la séparait de la conversation avec son amoureux et qu’à cet horizon tout lui semblait enchanteur.
Son petit panier à roulette se traînait, couinant derrière elle.
Elle fît comme à l’habitude le tour des commerçants qu’elle appréciait le plus.
« Alors ma p’tite dame, j’vous ai réservé mes plus belles tomates ! »
Sa beauté étincelante lui  apportait la bienveillance de tous les hommes et le ressentiment aigri de toutes les marâtres qui la toisaient de leur jalousie.
Elle avait remarqué cette commère, une vieille chouette acariâtre qui ce jour, à son passage, susurra à ses copines quelques propos indélicats qui provoquèrent une l’hilarité malsaine.
Elle fît un petit signe de la main à un homme qu’elle connaissait un peu et qu’elle trouvait tout à fait sympathique. Elle aurait bien voulu échanger quelques mots avec lui, mais, pour l’instant, il discutait avec un couple d’une cinquantaine d’années habillé d’une façon très distinguée.
Il était onze heures trente, quand elle s’engagea dans la montée de la rue du commerce.
Elle eut cet étrange pressentiment que quelqu'un la suivait. Aidée par le reflet d’une vitrine elle aperçut un jeune homme habillé d'une façon bizarre avec un teint brunâtre qui lui fît peur.
Elle activa son pas.
Que lui voulait-il ?
Heureusement pour elle la rue n’était pas déserte et une centaine de mètres à peine la séparait de son immeuble placé non loin de la fontaine bicentenaire.
Elle croisa un homme à l’allure austère qui sembla ne pas la remarquer.
Soudain son poursuivant la rattrapa provoquant en elle un frisson de terreur...

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Scène 7 :

Impossible, de la trouver cette salle des mariages. Il était pourtant passé à côté de la mairie, s’était engagé dans la rue Charles Hareng, était passé devant la sous-préfecture pour arriver place Pertemps. Il n’était pas en avance, son téléphone portable était bien entendu à cours de batterie et dans sa situation de stress extrême, il n'arrivait pas à réfléchir correctement pour suivre avec application les instructions données. Il avait la sordide impression de s’enfoncer encore un peu plus dans son retard. Les deux cents cinquante chevaux de sa voiture de sport vrombissaient, inutile à résoudre son dilemme.
Aujourd’hui, il se retrouvait devant le plus prodigieux jour de sa vie. Celui où il dirait « Oui ! » à sa dulcinée, à cette femme qu’il adorait, chérissait, adulait de ses pensées. Seule, l’absence connue de ses proches à cet heureux évènement assombrissait ce tableau qu'il aurait tant aimé être parfait. Il en était conscient, sa future épouse ne provenait pas de la même condition sociale que lui. Elle n’était pas la plus belle ni la plus intelligente femme de la Terre, mais est ce que l’amour se discute, se décide ? Il l’avait rencontrée au cours d’une soirée théâtrale organisée par la comédie de Ferney en partenariat avec le théâtre de Carouge. Au cours du cocktail qui avait couronné la soirée, il avait maladroitement renversé son verre sur une charmante jeune fille. Il s'était perdu dans une succession d'excuses navrées. Lui avait proposé une coupe de champagne. Puis il y eut ces échanges de regards complices, ce sentiment d'attirance partagés qui les avait naturellement incités à se revoir.
Dans le déroulement du rapprochement de leurs rencontres, il ne lui dévoila pas sa condition de fils de riche, voulant être certain d’être aimé pour lui-même et non pour le confort qu’il représentait. Il venait la voir flanqué d'une voiture à la banalité populaire et fréquentaient des endroits tout à fait ordinaires. Ce n'est que beaucoup plus tard dans leur relation qu’il lui révéla la fortune que lui-même et sa famille possédaient. Elle en fut très gênée et mit un terme à leur relation.
Puis, après de longues semaines d’une cassure douloureuse, il avait réussi à la convaincre que seul leur amour comptait, qu’elle apprendrait à évoluer dans son monde, qu’elle n’était pas une passade sans importance.
La demande en mariage effaça tous doutes et indécisions.
Ses parents outrés avaient tout essayé pour l’en dissuader. Mais que pouvait-il faire contre cette passion aveuglante.
 »Fais ce que tu veux ! » Avait finalement affirmé son père. Mais ne nous impose jamais cette greluche. Puis il avait conclu méchamment :
« Ne compte pas sur notre présence à ton mariage ! »
Il jeta un bref coup d’œil sur sa montre.
« Onze heures vingt-cinq ! » Grommela-t-il.
Il fallait qu’il demande son chemin.
 « C’est très simple! Avait répondu un passant en montrant du doigt. Descendez la rue du commerce, vous apercevrez la salle des mariages, mais pour y accéder en voiture vous devez descendre jusqu'au carrefour, tourner à gauche, remonter devant la poste et prendre de nouveau à gauche aux feux rouges.
Après quelques manœuvres imprudentes, le jeune homme s’engagea à vive allure dans la rue étroite et en sens unique qui l’emmenait auprès de sa dulcinée. Il ralentit légèrement en passant devant la fontaine puis s’engagea dans un tournant étroit à une vitesse déraisonnable, passant devant la place de l'appétit il aperçut sa fiancée qui l'attendait devant la salle de mariage il bondit sur les freins pour stopper son véhicule et l'avertir de son arrivée. Un choc sourd lui fît prendre conscience de son irréflexion.


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Scène 8 :
« Votre nom s’il vous plaît !
-Lucien Lafillex.
-Vous avez été témoin de l’accident, n’est-ce pas ?
Un sympathique gendarme, tapotait quelques informations sur son ordinateur.
-Oui, répondit Lucien. Comme chaque samedi, je fais mon petit tour dans Gex. Pas au marché, j’ai horreur de ça. Je vais d’abord à la bibliothèque, puis à la poste pour récupérer mon courrier à ma boîte postale, ensuite un petit tour pour voir les programmes du cinéma et juste avant de rentrer, j’achète mon pain. Je suis remonté par la rue du commerce et au niveau de la place j’ai rencontré trois amis d’enfance.
C’est drôle on habite la même ville et on ne se voit pratiquement jamais !  Alors, je me suis arrêté pour bavarder un peu, question de raconter ce qu’on devenait. Moi, j’étais un peu pressé car il était presque midi, j’aime bien manger à l’heure. Mais bon, pour une fois je me suis décidé à déroger à la règle. Je suis célibataire et donc, c’est vrai, personne ne m’attend et je peux faire comme je veux.
Le gendarme arrêta sa retranscription et regarda Lucien droit dans les yeux.
-Hum ! Vous êtes certain qu’il était presque midi.
-Oui, je peux vous l’affirmer, j’ai regardé ma montre, je m’en souviens, il était exactement midi moins cinq.
-Etrange ! Répliqua le préposé.
-Je papotais avec Lucie, on était en primaire ensemble. Comme le temps passe vite ! On a discuté de choses et d’autres. En vérité, c’est elle qui discutait, elle a toujours été très bavarde, une vraie pipelette. Au bout d’un moment je ne l’écoutais même plus, il y avait une superbe jeune femme qui passait sur le trottoir d’en face avec une espèce d’hurluberlu qui la suivait de près. Puis ils ont croisé l’homme qui s’est fait écraser. Je ne sais pas exactement pourquoi mais il a traversé au moment même de l’arrivée de la Porsche. J’ai vu le conducteur freiné brutalement, mais trop tard, il a percuté le pauvre homme. Ils sont fous ces jeunes, vont trop vite, pas étonnant qu’il y ait tant d’accident ! »
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Scène 9 :

« Lucie Genttai ! Avec deux t et a, i, à la fin.
Le gendarme la regarda avec un petit sourire.
- Je me suis levée vers neuf heures, j’ai pris mon petit déjeuner, j’ai préparé celui des enfants, j’ai fait un peu de ménage, puis j’ai ordonné à mon homme de faire un peu de bricolage. Ça fait trois mois qu’on a la chasse d’eau qui fuit, mais celui-là ! Pour le décider à faire quoi que ce soit c’est synonyme d’exploit, alors ce matin il avait l’air de bonne humeur, je lui ai donc mis les outils dans…
-Venons-en aux faits, s’il vous plaît madame ?
-Ah oui, alors je suis allée faire les courses, y’avait un de ses mondes ce samedi, j’ai fait la queue au moins une heure devant le charcutier, vous savez celui qui se tient habituellement devant la place de la visitation ! C’est vraiment le meilleur du marché, c’est sûrement pour ça qu’il a tant de succès. Il me fallait un kilo de jambon et deux de ses saucissons. Sa spécialité, il les fait lui-même et c’est un délice, mon mari me dit toujours n’oublie pas les saucissons, il adore ça mon Janot. Puis ce fut le tour du marchand de légume, je vais toujours vers le même, c’est le beau gosse du coin, et puis si gentil, chaque fois, il me donne une botte de persil. Puis il me dit « Bonjour ma petite dame ! » Avec son air charmeur « qu’est ce qui peut vous faire plaisir aujourd’hui ! Je le lui dirai bien moi, ce que j’aimerai, mais dommage je suis mariée.
Le gendarme ne répondit pas au sourire coquin qu’elle lui envoya.
Un peu agacé de ses babillages il  réitéra sa demande d’en venir au moment de l’accident.
-L’accident ? Ah oui ! J’ai rencontré des copains d’enfance, trois garçons avec qui j’étais très liée, on se voit rarement, mais cette fois on s’était tous retrouvés vers la place de l'appétit, alors on a discuté un peu. Moi j’ai trouvé qu’ils avaient tous un peu grossi, dire que de nous quatre, seulement deux d’entre nous sommes mariés, c’est marrant de voir comme on change peu avec le temps. Bien entendu notre apparence physique s’effrite  légèrement mais on reste profondément les mêmes avec les mêmes manies, les mêmes défauts et qualités. En discutant je me suis rendu compte que j’avais oublié d’acheter des pommes. J’avais promis à mon Janot de lui faire une bonne tarte.
-Madame, s’il vous plaît, venez-en aux faits qui m’intéressent ! Ordonna le préposé excédé par ces babillages.
Lucie, surprise par cette injonction, sembla enfin comprendre le but réel de sa déposition.
Elle eut un petit raclement de gorge et s’engagea dans l’épisode qui lui était demandé.
-J’allais me lever quand j’ai vu un vieil homme qui passait sur le trottoir d’en face et qui m’a semblé prendre un malaise, il a titubé un instant avant de s’effondrer sur la route, pas de chance une voiture qui arrivait à cet instant lui est passée dessus.
-Est-ce que le véhicule vous semblait aller trop vite ?
-Non, pas vraiment, à mon avis il a dû également voir  l’homme prendre un malaise car il me semble avoir freiné avant que celui-ci tombe sur la chaussée. Je dois ajouter que c’est un beau jeune homme qui conduisait, il était habillé d’un costume impeccable et puis il avait une voiture superbe, je suis certaine que mon Janot aimerait bien avoir la même. Mon Janot me dit toujours que quand on deviendra… »
Le gendarme coupa brutalement court à son monologue.

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Scène 10 :

La future mariée semblait particulièrement embarrassée par le retard de son futur époux. Il n’avait même pas répondu aux messages qu’elle lui avait laissés sur son portable. Lui qui était toujours ponctuel, exigeant dans la tenue de ses rendez-vous. Puis elle imagina le pire. Non, pas celui auquel chacun d’entre nous aurait pensé. En fait, il s’agissait d’autre chose. De ce qui composait sa véritable nature, la seule raison pour laquelle elle allait l’épouser. Elle se souvint de leur première rencontre, pas aussi fortuite qu’elle était parue. Elle recherchait un homme riche pour lui assurer une vie facile. Par le plus heureux des hasards, au cours d’une représentation théâtrale elle fit connaissance avec un richissime jeune homme, fils de famille d’un célèbre joaillier. Son intuition féminine, son charme et son intelligence avaient fait le reste.
 "Les hommes sont si naïfs ! " Pensa-t-elle. Tellement certain de leurs séductions.
Pourtant, dès leur premier rendez-vous elle s’était aperçue qu'il éprouvait une certaine méfiance à son égard mais compris qu’il ressentait une véritable attirance pour elle.
Il était parfaitement clair, qu’un homme qui occulte ses origines bourgeoises à sa nouvelle conquête, le fait essentiellement pour tester la véracité de cette nouvelle relation.
Elle avait, dès le premier jour, avoué ses racines prolétariennes et avait fait mine de croire à son invention de jeune homme désargenté.
Elle avait donc patiemment joué le rôle de la femme amoureuse et soumise, acquiesçant chacun de ses choix, lui faisant croire à son approbation, à leur conformité idéale. Elle lui joua même la scène de la rupture, s'amusant de son empressement et de sa reconquête.
En vérité, elle aimait un autre homme. Louis, avec qui elle avait grandi et pour qui elle éprouvait un véritable sentiment amoureux.
Il travaillait au service de maintenance de la commune de Gex.
Malgré l'amour qu'elle lui portait, son choix ne fut que très banal.
Eh bien oui ! Pour elle il n’y avait par l’ombre d’un soupçon entre choisir une vie facile dans l’opulence et celle de la médiocrité d’une existence tranquille à côté de son Louis. Au bout de quelques semaines, pratiquement assurée par ce qu’elle considérait comme le triomphe de sa vie, elle rompait avec le pauvre garçon.

Puis il y eut la rencontre avec la famille de son riche amant.
Celle-ci fût difficile.
La modestie de sa condition ne leur convint nullement. Elle comprit par leurs regards condescendants et quelques-unes de leurs réflexions désagréables qu’il lui serait très difficile de se faire accepter.
Le doute se posa dans son esprit.
Comment allait réagir leur fils ?
Par chance tout se passa excellemment bien et d’une manière très rapide.
Un soir de début de printemps, tous deux étaient assis à une bonne table d'un  restaurant huppé de Genève. L'ambiance était agréable, le menu délicieux le cadre particulièrement poétique. C’est au moment du dessert qu’il sortit une petite boîte de sa poche. S’approchant d’elle, il mit un genou à terre et la voix comblée d’émotion, lui demanda sa main...

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Scène 11 :

« Tout c’est passé très vite. J’étais avec trois amis. On discutait au beau milieu de la petite place, Il faisait vraiment très chaud et les petits ormeaux nouvellement plantés n'arrivaient pas vraiment à nous rafraîchir. Sur le trottoir d’en face, j’ai remarqué l’homme qui fut victime de l’accident. En vérité ce n’était pas lui qui en premier m’intéressa, mais plutôt la jolie jeune fille qu’il venait de croiser. Je n’ai jamais vu une fille aussi splendide. Mieux que dans les magazines ! Ajouta-t-il d’un ton plus soutenu. Elle montait devant nous avec une grâce, une élégance féline. J’en suis encore tout retourné. Puis j’aperçus soudain un pot de fleurs qui chancelait sur le bord d’une fenêtre. Pourquoi ai-je regardé cet endroit à ce moment précis, je ne le sais pas vraiment peut-être parce que la jolie dame jeta de brefs regards en arrière… Je ne sais pas. Mais d’où j’étais, je pus remarquer le pot de fleur qui tombait et que sa trajectoire meurtrière allait...
Meurtrière ! Demanda le gendarme.
- Oui, l’homme « en noir » était malheureusement exactement au-dessous de sa chute. Je me souviens m’être soudainement levé, je voulais crier un « attention ! » Mais ce fut trop tard, l’homme eut un mouvement avec le bras pour se protéger mais l’impact ne fut pas évité, il tituba l’espace d’une seconde puis s’affala sur la chaussée au moment même où une voiture arrivait.
-Descendait-elle à vive allure ?
-Je ne pense pas, tout ce que je sais, c’est que le conducteur réagit rapidement. La voiture fît une embardée puis percuta le pauvre bougre. Sacré concours de circonstances !

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Scène 12 :

« Ernest Puppa ! Répondit-il en souriant.
Le gendarme connaissait parfaitement l’identité de ce dernier témoin. Le célèbre inspecteur Ernest Puppa, l’homme qui avait l’habilité de résoudre n’importe qu’elle énigme criminelle avec une facilité exaspérante. Celui qui tuait d’une simple remarque, toutes enquêtes annoncées difficiles.
-Alors inspecteur, vous étiez sur les lieux de l’accident ! Pourriez-vous me le décrire ?
 Ernest aimait bien son interlocuteur, les deux hommes s’appréciaient mutuellement, et, quand Puppa commença à parler, une lueur se mit à briller dans ses yeux.
Dans la voix de l’inspecteur il venait de reconnaître exactement le ton que celui-ci employait quand il allait dévoiler la parfaite évidence.
Juste avant de commencer sa déposition, Ernest sortit de sa poche une feuille de papier quadrillée où l’on pouvait apercevoir l’ébauche d’un plan à l’allure sommaire. Il pointa de son stylo chaque petit détail qui y apparaissait en commentant leurs attributions.
-Ce rectangle c’est la fenêtre de madame Pichonneau.
Puis en dessous un petit rond agrémenté d’une esquisse enfantine représentant une marguerite faisait office de pot de fleurs. Encore plus bas décalé sur la droite un personnage était symbolisé par deux ronds suspendus à quatre traits.
-C’est le défunt.
Puis deux autres protagonistes, dont l’un d’eux arborait ce que l’on pouvait deviner être une longue chevelure continuaient sur la même ligne.
-Et ça, c’est quoi ! Interrogea le gendarme.
Puppa sembla vexé.
-Et bien une voiture !
Il aurait dû s’en douter. Un long rectangle reposant sur deux petits cercles ne pouvait signifier qu’un véhicule, néanmoins il y avait ajouté des détails peu convaincants  qui n’ajoutaient rien à la ressemblance.
Maintenant le célèbre inspecteur était prêt à entamer ses explications.
 -C’était donc samedi vers onze heures trente du matin. Je passe en générale une heure trente à faire mon marché et j’étais justement en train de rentrer chez moi lorsque j’ai rencontré quelques connaissances de ma lointaine scolarité. Ce qui est particulièrement amusant c’est que l’on s’est tous retrouvés place de l'appétit. Alors on a décidé de papoter quelques instants. Même Lucien a accepté de rester quelques minutes avec nous. Sacré Lucien, toujours stressé par le temps. Il avance depuis toujours sa montre de vingt-cinq minutes, question de ne jamais être en retard. Il y avait également Lucie, la bavarde de la classe, un véritable moulin à paroles, qui nous a immédiatement rabattu les oreilles avec les histoires de son Janot. Janot par-ci ! Janot par là.
Il y avait pas mal de monde autour de nous. Un petit groupe de personnes attendait patiemment devant la salle des mariages, avec cette jeune fille vêtue d’une magnifique robe blanche et qui semblait particulièrement inquiète.
Deux hommes en bleus de travail pénétraient dans la salle des fêtes. Ce qui me fît les remarquer c’est que l’un deux s’arrêta quelques instants, se tourna en direction de la future marié et serra l’un de ses poings d’une façon peu sympathique. L’autre s’en aperçut et le tira par la manche en lui disant une chose comme « laisse tomber. »
Nous arrivons maintenant à l’accident. Pour vous dire la vérité, au bout de quelques secondes je n’écoutais déjà plus Lucie et mon attention se tourna sur le trottoir d’en face. Ce qui s’y passait, était nettement plus intéressant. Une jolie demoiselle qui suscite depuis quelques temps mon inclination montait justement la rue du commerce. Je l’avais précédemment aperçue au marché.
Il pointa son stylo sur l’une des figurines de son plan.
Nous nous connaissons un peu et aimons échanger quelques propos ordinaires lors de nos rencontres. Malheureusement ce ne fut pas le cas aujourd’hui, je l’avais bien aperçu, mais nous ne nous étions qu’adressé un joli sourire. Ce n’était pas parce que nous étions particulièrement pressés, mais au moment où nous nous sommes aperçus, j’étais en train de prodiguer quelques explications à des gens qui venaient assister au mariage. Tu sais celui auquel j’ai fait allusion tout à l’heure. Ils m’ont dit être les parents du futur marié, qu’ils ne pensaient pas pouvoir être là aujourd’hui. Mais, avaient pu se libérer au dernier moment et que pris de cours, ils recherchaient un fleuriste pour ne pas arriver les mains vides. Je fus d’ailleurs très amusé par leurs explications et ressentis leurs affirmations, un peu comme une excuse, pour se justifier d’une faute qu’ils voulaient absoudre.
Puppa s’arrêta quelques instants et regarda le gendarme en souriant. Celui-ci ne prenait plus vraiment de note mais écoutait avec application les propos d’Ernest. Il se rendit compte à cet instant, que les détails qu’il imposait à son collègue étaient sans  aucune importance. Il fît donc une petite pause, se racla la gorge et reprit.
-Hum, j’en reviens au moment qui nous importe !
Il traça une petite flèche partant sur la droite de sa première figurine.
-La jolie jeune fille montait la rue du commerce d’un pas alerte, derrière elle son caddy laissait échapper un sifflement à chaque tour de roue.
 Elle était habillée, maquillée impeccablement, elle semblait malgré tout être contrariée par un petit défaut qu’elle essayait de cacher avec une mèche de cheveux. Ce qui me fait dire cela c’est qu’à plusieurs reprises elle sembla s’inquiéter de ce problème et remit en place la mèche rebelle à l’endroit exact de son front où son doigt se posait pour révéler sur ses lèvres un imperceptible rictus de douleur. J’en conclus qu’elle devait à cette position précise avoir une petite bosse ou un bouton indélicat. C’est ce détail qui me fît remarquer l’état d’inquiétude dans laquelle elle se trouvait. Car pour éviter tous aléas dans le mouvement de ses cheveux, il lui aurait suffi de garder la tête immobile. Mais, au contraire elle la pivotait légèrement vers l’arrière dans un mouvement répété. Etait-il occasionné par le personnage qui la suivait. Je le pense car ce comportement s’accentua immédiatement après sa rencontre avec l’homme qui fût assassiné.
-Assassiné ! S’exclama le gendarme.
Puppa fit mine de ne pas avoir entendu l’exclamation et continua.
-Edmond Dantisse, je le connaissais bien pour ses écarts racistes. Je crois qu’il en était de même pour toi ! Ajouta t’il en regardant son interlocuteur qui amusé se remémora l’altercation qu’il avait sue si brillamment calmer.
-Ah oui, je m’en souviens particulièrement bien ! Acquiesça-t-il
-Il descendait la rue imperturbable quand il remarqua le personnage qui inquiétait la jolie blonde. Lors de leur croisement, J’ai bien failli manquer un détail d'une importance cruciale, car, mon copain brusquement montra du doigt la fenêtre de madame Pichonneau. D’un bref coup d’œil j’aperçus cette brave dame penchée à sa fenêtre qui, la main écrasée sur la bouche,  semblait vouloir ainsi cacher sa maladresse. Je ne réagis nullement à cet événement car estimant la trajectoire de l’impact, je compris sur-le-champ qu’elle était sans danger. Par contre mon attention se retourna sur monsieur Dantisse. Il titubait, les yeux révulsés, le souffle court, et dans ce qui me sembla être une dernière échappatoire, il s’écroula telle une masse sur la chaussée. La suite tu la connais, l’arrivée de la voiture au mauvais moment, le choc et l’arrestation du conducteur imprudent !
Puppa s’interrompit une seconde, regarda le gendarme droit dans les yeux.
-Et bien, cher ami, je peux te l'affirmer, il ne s'agit pas d'une banale tragédie mais d’un meurtre qui s'est déroulé sous nos yeux !
Dans un coin de la salle, Une chaise grinça Sa surprise. L'inspecteur Purbon chargé de cette enquête venait ainsi de marquer sa réaction. Pour lui l'affaire était déjà classée. Un chauffard à mettre en tôle, rien de plus.
Sa surprise le fit sortir de son mutisme :
-mais qu'est-ce que c’est encore que ces histoires ?
Puppa continua en souriant.
-Oui, j’ai vu quelque chose qui m’a semblé suspect ! Le jeune. Sylvio. C’est son nom je crois, je l'avais reconnu par le détail de ses espadrilles !
Le gendarme hocha de la tête.
-Ce jeune homme, avait quelque chose dans la main. Une minuscule petite aiguille qu’il laissa tomber sur le trottoir avant de dépasser la jolie jeune fille. Je la vis tomber car elle refléta un bref instant l’éclat du soleil.
Pendant l’émotion qui suivit l’impact entre l’homme et la voiture, au lieu de me précipiter comme tout le monde vers l’accidenté, je suis allé rechercher ce petit bout de métal qui traînait sur le sol.
Puppa glissa une main dans sa poche, et en sortit un petit sac en plastique qui contenait l’épingle en question. Purbon se rapprocha pour observer de plus près l’indice. Le balançant sous les deux paires d'yeux intrigués. Puppa commenta. Vous voyez la petite tache rouge sur la partie pointue, c’est le sang de Dantisse et si vous approchez votre nez de la pointe vous sentirez l’odeur caractéristique du curare.
Purbon, ne sembla pas réagir à l’explication.
-Le curare est un poison violent fabriqué à base de plantes d’Amérique du sud et les Indiens s’en servent pour chasser. Ils en enduisent leurs flèches et peuvent ainsi neutraliser immanquablement leurs proies à distance.
Puppa tendit la pièce à conviction au gendarme. En lui suggérant quelques vérifications.
-Fais analyser le sang de la victime et que l’on compare les résultats avec ceux qui seront détectés sur cette pointe. Puis allez faire un tour chez le jeune Sylvio, vous trouverez certainement les preuves de sa culpabilité.
-Mais pourquoi, ne l’as-tu pas arrêté sur les lieux.
-Tout d’abord, parce qu’il a rapidement disparu après son forfait et que je n’avais pas immédiatement compris le rapport entre de petit bout de métal et la mort de Dantisse piqué à la main lors de leur rapide croisement.

Deux jours plus tard l’affaire fut réglée. Toutes les affirmations de Puppa furent vérifiées et la perquisition surprise chez Sylvio, qui croyait avoir accompli le crime parfait, confirma sa culpabilité.

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Epilogues :

La chaleur était devenue beaucoup plus supportable. Madame Pichonneau assise sur un banc du parc des cèdres, laissait admirer à deux de ses copines, un magnifique pot en terre cuite qu'elle venait d'acheter.
-Au fait! J'vous ai pas raconté ce qui s'est passé avec la mariée. Oui, vous savez  la Sophie qui devait se marier avec ce riche Claude Routin!
Ces deux amies commencèrent à s'affrioler de ce futur racontar. Elles se rapprochèrent et l'une d'elle, la plus sourde, mis une main en éventail sur le lobe de son oreille pour être certaine de ne pas manquer une miette de la nouvelle et demanda impatiente :
-Alors raconte!
-quand il y a eu l'accident, tous les participants au mariage ont accouru. Y'avait même les parents du marié qui se sont précipités vers leurs fils qui restait debout à côté de sa voiture les bras ballants à regarder le mort. Puis y a eu le Louis en bleu de travail qui a demandé s'il pouvait faire quelque chose pour aider. Finalement la mariée est arrivée. En voyant le cadavre baigné dans une mare de sang, elle est devenue hystérique et s'est jetée en pleurs dans les bras du Louis. J'peux vous dire que le Louis il avait l'air content, il l'a même embrassée sur la nuque. La petite s'est bien laissée faire, j'avais bien déjà remarqué qu'il y avait quelque chose entre ces deux-là. Ils ont fini par s'embrasser. Vous vous rendez compte devant tout le monde!
Et ce pauvre Claude Routin qui regardait la scène. Si vous aviez vu sa tête.
Y'aura bien un mariage. Mais pas celui prévu conclu-t-elle en rigolant.
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Ernest assis à son bureau, restait pensif. Ce n'était pas le crime qui le turlupinait, mais la rencontre qu'il avait faite après coup, avec la jolie blonde demoiselle. Elle paraissait horrifiée par l’accident qui venait de survenir et semblait envahie d'une émotion bien compréhensible. Puppa, qui la connaissait un peu en avait profité pour lui proposer d'aller boire un remontant. A son plus grand bonheur, elle avait accepté et c'est ainsi qu'ils avaient fait plus ample connaissance.
Purbon apercevant la rêverie de son collègue en profita pour lui formuler une question bien singulière :
« Alors Monsieur qu’a pas l’œil dans sa poche. Tu ne m’as pas encore donné la morale de cette triste histoire de meurtre!
Ernest sortit de sa rêverie, le regarda un instant, sourit et enchaina sur une  réponse encore plus insolite :
- Ceci est une démonstration antithétique du Syllogisme ! »
Se complaisant de cette affirmation énigmatique notre génial inspecteur quitta le commissariat laissant Purbon interloqué, troublé par l'allégation qu'il n'avait une fois de plus pas comprise.
 Il Réfléchit quelques instants puis se précipita dans son bureau pour se mettre fébrilement à fouiller dans ses affaires.
Mais, où avait-il bien pu ranger son dictionnaire ?
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Il faisait une chaleur atroce. Un vent de sable avait une fois de plus envahit ce petit camp militaire planté dans un village reculé du Mali.
Il se tenait droit, devant son supérieur, les yeux baissé pour éviter son regard.
"Lieutenant! Lui dit-il. J'ai remarqué un complet laissé aller dans votre attitude. Que se passe-t-il?
Son béret bleu trembla entre ses mains jointes. Il leva son regard tristement. Le capitaine continua :
-Il nous reste encore dix mois à passer ici pour terminer la mission que l'Onu nous a confiée, j'ai besoin de votre attention et de votre courage pour la terminer en toute sérénité.
Puis voyant l'immense détresse de son subalterne, il changea son ton trop formel pour une intonation plus amicale. S'il y a quelque chose qui vous tracasse, il faut me le dire!
C'est alors que plusieurs larmes perlèrent de son triste regard. Ses mains tremblèrent d'une fébrile émotion et une longue minute passa avant qu'il réussisse à bredouiller ses mots d'une affliction évocatrice. "Elle ne répond plus à mes appels téléphoniques..."





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