Pas
un zeste
Le
hasard
fait mal les choses !
Ils
se
trouvaient à la gare de Genève devant la porte
numéro sept, celle qui reçoit
les passagers en provenance de France.
Pierre
et
Lydie lelax attendaient patiemment la venue d’un couple, ami
de Lydie.
Pierre ne les connaissait pas.
Sa
femme les
avait rencontrés lors d’un long séjour
qu’elle avait fait en région parisienne.
Lydie était une physicienne qui travaillait au Cern et ses
occupations
scientifiques lui imposaient de se rendre pendant de longues
périodes au centre
de recherche de Saclay. C’est là-bas
qu’elle avait rencontré ce charmant
couple, Léon et Chloé. Ceux-ci
l’avaient amicalement entourée de leur
amitié.
Léon était également physicien et
aujourd’hui c’était à son
tour de venir avec
sa charmante épouse pour une année
entière de travail dans notre belle région.
Il
était
délégué par son centre de recherche
pour collaborer à une expérience
scientifique qui se déroulerait au Cern.
Lydie,
avec
son mari possédaient une immense maison sur les hauteurs de
Divonne et s’était
donc logiquement proposée de les accueillir dans leur
demeure.
«
Vous ne
nous dérangerez pas du tout ! Avait-elle
précisé au téléphone. Notre
maison possède un appartement indépendant et vous
serez donc totalement libres
d’y vivre à votre guise ! »
Lydie
et Pierre étaient l’exemple parfait d’un
couple fusionnel.
Ils étaient heureux d’être ensemble,
sans enfant et ne désirait pas pour
l’instant en avoir.
Tous deux dans la trentaine, vivaient une vie prospère,
presque parfaite, avec
comme point d’ombre, cette seule petite incartade
secrète que Pierre avait eu
dans le passé.
En fait, il y a déjà de nombreuses
années de cela, une magnifique créature
l’avait ensorcelée l’espace de quelques
mois, pour, soudainement disparaitre de
sa vie sans la moindre explication.
Il
l’avait
rencontrée à la piscine du Grand Lancy
où il aimait défouler son énergie
excessive. Régulièrement, Il y allait nager avec
acharnement pendant une bonne
heure et demi, allant et venant au long du bassin de cinquante
mètres.
Un jour, sur la même ligne d’eau qu’il
empruntait, se trouvait cette jolie
femme qu’il croisait inlassablement toutes les trois minutes.
Ils s’effleuraient légèrement et le
regard de Pierre à travers ces petites
lunettes de protection admirait la silhouette parfaitement
galbée de la belle
inconnue.
Il
avait
même accéléré la
fréquence de ses mouvements pour avoir le plaisir de la
frôler
un peu plus rapidement.
Puis, soudain, elle ne fut plus à ce rendez-vous
minuté.
Il arrêta, contrarié, ses battements de crawl.
Leva la tête hors de l’eau pour
s’apercevoir qu’elle était
arrêtée à vingt
mètres devant lui et se reposait, une main
appuyée sur le rebord de la piscine.
Il couvrit la courte distance qui le séparait
d’elle et à son tour arrêta sa
course folle.
Tous deux, l’un à côté de
l’autre regardaient dans le vague, respirant
profondément.
Puis, ce fut elle qui fit le premier pas.
«
Elle est
très agréable cette piscine !
N’est-ce pas ?
Ses
lèvres
pulpeuses laissaient filtrer une voix douce et mélodieuse.
Pierre remarqua ses grands yeux d’un bleu intense.
Il se racla la gorge puis soudain répondit.
-Oui, vraiment très agréable !
-Je
crois
que c’est assez pour moi aujourd’hui !
Dit-elle en se hissant au sec. »
Pierre
en
fit de même et, étrange coïncidence, ils
se dirigèrent dans la même direction
pour rejoindre leur serviette. Le banal début de
conversation se continua donc
tout naturellement. Elle hotta son bonnet de bain pour
découvrir ses cheveux
d’un blond éclatant, puis, d’un geste de
la tête, les rejeta en arrière.
Pierre suivit des yeux le gracieux mouvement de sa chevelure, puis son
regard
s’attarda sur ses contours.
De la pointe de ses orteils, par le galbe de ses seins, tout en elle
lui
semblait comparable à la perfection.
Elle remarqua bien évidemment l’avidité
de son regard et accentua donc
quelques-unes une de ses poses, des plus avenantes.
Puis, tous deux assis, entourés de leur drap de bain, firent
plus ample
connaissance.
«
Je
m’appelle Chloé !
-Moi
c’est
Pierre ! Enchanté de vous rencontrer !
Renchérit-il avant de lui
tendre la main. »
Son pouce profita de cette
poignée amicale
pour appliquer quelques lascives caresses à son index. Elle
parut ne pas
s’apercevoir de ce geste de tendresse. Elle le regardait
droit dans les yeux.
Des yeux d’une profondeur où pendant quelques
instants il crut bien s’évanouir.
Les détails de sa
vie furent rapidement
étalés. Elle travaillait à
l’U.B.S. était célibataire et heureuse
de l’être,
adorait la musique classique et l’art en
général. Elle vivait ici depuis peu et
ne connaissait pas grand monde.
Elle lui demanda s’il pouvait la conseiller sur les choses
qui devait être vu
dans la région.
Lui, résuma sa vie sans détour, passa sur le fait
qu’il était marié et lui
avoua rapidement l’attirance qu’elle lui suscitait.
Elle ne fut pas choquée le moins du monde.
Plus tard, elle accepta volontiers la proposition qu’il lui
fit d’une prochaine
rencontre et le quitta en lui abandonnant le goût de fraise
de son rouge à
lèvre sur sa bouche.
Les
trois mois qui suivirent furent une succession de rendez-vous amoureux,
où
leurs corps échangèrent leurs ardeurs
enfiévrées, où le temps
volé à leurs
occupations semblait s’enfuir devant eux, où la
symbiose d’une entente parfaite
enivrait chaque parcelle de leurs rencontres. Mille fois il crut que sa
femme
avait découvert cette relation coupable.
Pourtant, il n’en fut rien, elle n’eut jamais vent
de leur rivale.
Puis soudainement, la belle disparut.
Sans un mot, sans une explication, le laissant dans une
incompréhension des
plus totales, anéanti de ressentiments, de honte,
d’embarras…
Mais tout ceci
était bien loin
maintenant.
Sa
femme lui
donna un petit coup de coude.
«
Ils
arrivent ! Dit-elle, les apercevant au loin
mêlés dans la file des
voyageurs. »
Pierre
cherchait des yeux qui ils pouvaient bien être.
Aimerait-il
les personnes que sa femme tenait dans une si profonde
considération ?
Soudain, la porte coulissante s’ouvrit devant eux.
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Lydie
se
précipita à la rencontre du couple et
s’empressa de nombreuses embrassades
sincères.
Puis, elle prit ses deux amis par la main et les emmena vers son mari.
«
Je vous
présente Pierre. Mon mari ! »
Proclama
t’elle !
Puis elle continua. Mon amour voici mes très,
très chers amis dont je t’ai
souvent parlé, Léon et Chloé.
Pierre
avait
changé de mine, son visage avait pris la gravité
des mauvais jours. Sa gorge
s’était desséchée, une
pellicule de moiteur aigre avait entièrement recouvert
son corps, avec peine il balbutia quelques mots de bienvenue
à Léon et, sa main
tremblante toucha celle de Chloé.
Oui ! Cette fameuse
Chloé qui avait
depuis si longtemps disparue de sa vie et qui se retrouvait maintenant
en face
de lui. Toujours aussi belle, attirante, aguicheuse. Elle
l’observait avec
amusement, ses yeux semblant vouloir le pénétrer
dans plus profond de son être
avec, semblait-il, cette réelle intention de le troubler
encore un peu plus.
Lydie
et
Léon ne s’étaient aperçus de
rien, ils discutaient déjà physique, projet
d’expérience et s’éloignaient
en pleine discussion en direction de la sortie.
Pierre
ne
savait pas comment réagir devant la belle Chloé,
les jambes molles il emboîta
le pas de sa moitié qui venait de l’inviter
à s’occuper des valises. Chloé en
quelques pas rejoint son mari. Perchée sur de hauts talons,
elle se mouvait
avec une grâce féline balançant ses
hanches dans une volupté provocatrice. Elle
ressentait le regard de Pierre, l’imaginant oscillant sur ses
formes lascives,
retrouvant le reflet si longtemps évaporé de sa
silhouette.
Le
trajet
qui les conduisit à leur propriété ne
fut meublé que par la conversation
passionnée de sa femme et de son ami Léon.
Chloé
à côté
de lui restait silencieuse, croisant ses jambes découvertes
par une jupe
certainement un peu courte. Pierre se concentrait avec
difficulté sur la
conduite de son véhicule. Jetant discrètement de
nombreux coups d’œil à sa
voisine, à son ancienne amante, redécouvrant le
galbe de sa poitrine, de ses
gambettes d’ébènes, de sa posture
parfaitement verticale, de la rondeur effacée
de son ventre.
Son esprit chavirait dans le rêve de leurs
étreintes passées, dans cet amour
qui avait fini par s’égarer dans le plus profond
de son âme en abjurant même sa
réminiscence.
Mais maintenant c’était bien elle qui
était prêt de lui, mariée au meilleur
ami
de sa femme et qui allait passer au moins un an dans sa propre demeure.
Dans le cours de sa réflexion, ce qui lui avait tout
d’abord semblé une
catastrophe se transforma petit à petit en une
intéressante expérience. Une
perspective certaine de pimenter sa vie qu’il venait de
trouver, soudainement,
un peu trop monotone.
«
Il fait
très beau aujourd’hui ! »
Murmura
Chloé
en tournant la tête dans sa direction.
Pierre
la
regarda, se désintéressant imprudemment de la
route.
Elle était encore plus belle que dans ses souvenirs. Son
visage s’était
empreint d’une maturité délicieuse, ses
lèvres lui semblaient encore plus
désirables, ses pommettes d’une parfaite rondeur,
ses cils allongés, son
maquillage discret…
«Attention ! S’écria Lydie.
Une
brusque
embardée lui permit d’éviter
l’accident.
-Chérie, ne distrait pas le conducteur, s’il te
plaît ! Suggéra Léon
d’une
voix affolée.
Pierre
ralentit son véhicule, et s’engagea dans un petit
chemin privé.
Devant
eux
leur magnifique propriété s’offrait
maintenant à leurs yeux.
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Pointant de
son doigt une petite porte située sur le côté droit de la demeure, Lydie
demanda à ses amis de la suivre.
«Je vais vous montrer vos appartements ! »
L’endroit
était spacieux et charmant.
Au rez-de-chaussée il y avait un petit salon coquettement meublé, une cuisine
avec tout l’équipement indispensable et une véranda qui procurait une clarté
sympathique à toute la maisonnée.
Au premier étage, deux chambres l’une au ton bleuté attachée à une salle de
bain de coloris identique et l’autre plus petite, tapissée de papier aux motifs
printaniers.
Dans la chambre couleur de ciel, ils
regardèrent avec un air coquin l’immense lit qui trônait au beau milieu de la
pièce.
Lydie ouvrit une immense armoire :
« Voici de
quoi ranger toutes vos affaires ! »
Les deux invités émerveillés se confondaient en remerciements, insistant sur la
générosité et la gentillesse de leurs hôtes qui leur prêtaient un endroit aussi
agréable.
Pierre avait
posé les valises qu’il portait à l’entrée de la chambre et, sans le moindre
bruit, s’était éclipsé.
Par contre, Lydie, en hôtesse parfaite, continua la description des détails
indispensables.
-J’ai rangé deux jeux de draps dans
ce placard. Voici des linges et deux peignoirs. S’il vous manque quoi que ce
soit n’ayez aucune hésitation à me le demander.
Puis elle songea aux détails qu’elle aurait pu oublier, eut une mimique de
satisfaction et conclut.
-Je
vous
laisse vous installer. Nous vous attendons vers dix-neuf heures pour
dîner.
C’est la première porte à côté de chez
vous. Vingt mètres sur la gauche ! Précisa-t-elle
sur un ton de plaisanterie.
Elle fit
mine de partir, mais en descendant les escaliers, elle s’arrêta net, puis,
s’adressant une dernière fois à ses invités, elle ajouta.
-Je suis heureuse de votre présence sous notre toit !
Chloé et
Léon, s’allongèrent sur le lit. La main gauche de Chloé enserra celle de son
compagnon.
-Ils ne se
sont pas moqués de nous ! Dit-elle.
-Lydie est
vraiment parfaite ! Commenta Léon.
-Je crois
que nous allons nous plaire ici !
Puis Chloé se redressa, octroya un baisé à son mari et décida qu’il était temps
de ranger toutes leurs affaires.
Léon ne bougea pas d’un pouce, laissant sa douce moitié s’occuper d’un travail
qu’il pensait être réservé à la gente féminine.
Insatisfaite de son apathie, elle le rappela à l’ordre :
-Ne crois
pas que je vais m’occuper de ta valise, allez, fainéant au travail !
Chloé avait
cette qualité ou ce défaut d’aimer l’ordre parfait et elle ne pouvait supporter
aucun bazar.
Elle rangea
soigneusement ses vêtements, alloua une place spécifique pour ceux de Léon, qui
lui, aurait préféré un peu plus de laisser aller. Puis elle le Laissa prendre
son bain et descendit prendre possession de la cuisine.
Elle remarqua que la cuisinière était à gaz et fonctionnait à l’aide d’une
bombonne de Butane. Elle vérifia qu’elle était pleine.
Soudainement.
Une bien singulière pensée vint à son esprit. Son joli visage se targua d’un
rictus peu sympathique. Elle resta quelques instants pensives, la main posée
sur le détendeur de la bombonne, puis secouant légèrement la tête, se
désintéressa de l’objet pour continuer sa prospection.
Elle remarqua que la vaisselle était décorée d’arabesques artistiques.
Sur l’une des tablettes un ensemble de couteaux aux lames acérées n’attendaient
qu’un morceau de viande à débiter.
De nouveau son visage se figea et ses sourcilles se froncèrent d’une façon
interrogative.
Puis elle découvrit les produits de nettoyage, prit la bouteille de soude
caustique dans la main et la fit pivoter devant ses yeux, puis accompagnée d’un
profond soupire, la reposa à son exacte emplacement.
Lydie avait
pensé à tout. Du lait, des légumes frais et un morceau de bœuf dans le frigo,
des fruits dans une corbeille.
Chloé se mit
à penser à cette relation lointaine qu’elle avait eu avec Pierre.
Son corps trembla aux souvenirs de ses caresses, à ses mots si doux échangés…
«La salle de
bain est libre !
Léon
apparut, drapé d’un long peignoir d’un blanc irréel, se frictionnant les
cheveux à l’aide d’une serviette. Il prit une pomme dans sa main gauche la
frotta sur le drapé qui cachait son ventre et croqua jovialement dans le fruit.
Chloé lui
sourit.
-Tu as
raison, Lydie est vraiment une hôtesse admirable.
Tous deux se
tenaient devant la fenêtre. En face d’eux, le Jura s’élançait verticalement
vers le ciel. Le joli parc de la propriété avait depuis peu revêtu ses couleurs
de fin d’automne.
Ils aperçurent Pierre un râteau à la main qui nettoyait la pelouse des
nombreuses feuilles mortes qui s’y étaient déposées.
-Comment le
trouves-tu ? Demanda Léon.
-Je ne sais
pas, nous n’avons échangé que quelques mots sans importances. Il …
Elle arrêta
brusquement la remarque qu’elle avait l’attention d’ajouter, se détourna de la
clarté naturelle et d’un pas léger s’esquiva.
-Je vais
faire ma toilette ! »
Léon ne
s’interrogea nullement sur cette dérobade et les yeux posés sur son hôte,
imaginait sa personnalité. Le félicitant intérieurement de la chance d’être le
mari de la charmante Lydie.
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Ils
frappèrent à la porte.
« Entrez
vite, il fait un froid terrible ! » S’exclama Lydie en les recevant.
Léon et
Chloé pénétrèrent dans l’immense demeure.
Un grand hall pavé de marbre.
Deux escaliers aux montés symétriques, une statue grecque d’un goût délicat, un
énorme lustre dont les diamants de cristal rayonnaient de mille feux et une
multitude d’ornementations soulignaient l’évidence de la magnificence du lieu.
Lydie
débarrassa ses invités de leurs épais manteaux et eut un regard d’admiration
devant la robe de Chloé.
En effet, celle-ci accompagnait merveilleusement ses courbes parfaites et ne
laissait que peu de place à l’imagination. La réaction de son mari fut
totalement prévisible, il resta quelques instants immobiles, ses yeux avides se
promenant sans retenu sur ces formes qu’il connaissait si bien.
Léon fît mine de ne rien remarquer. Puis, Lydie semblant agacée pressa son mari
de faire visiter les lieux à ses hôtes.
Ils firent
donc le tour du propriétaire.
L’endroit
démontrait sans conteste les revenus confortables de leurs amis. Une chose
anodine les intéressa plus particulièrement. C’était la véranda qui était
agrémentée par la présence d’un magnifique citronnier orné d’une multitude de
fruits.
« Sont-ils
comestibles ? Demanda Léon.
-Bien
entendu, je vais d’ailleurs bientôt les ramasser et les stocker dans ma cave
avec les pommes, ceci leurs permettra de mûrir plus vite !
Puis ils
montèrent tous à l’étage supérieur pour admirer les chambres et la magnifique
vue qu’ils avaient sur les lumières de Genève.
Lydie pointa
d’un doigt une porte particulièrement massive.
-Celle-ci
mène à votre appartement, mais ne vous inquiétez pas, il y a un verrou de
chaque côté. Ne craignez donc rien pour l’intimité de votre foyer !
Dit-elle en rigolant.
Léon tapota
gentiment la porte.
-Je me sens
plus rassuré !
Bientôt ils
se retrouvèrent devant une table somptueusement garnie.
Pierre assis
en face de Chloé ne pouvait s’empêcher de s’absorber dans son image, profitant
du moindre aparté entre les deux esprits scientifiques de sa femme et de Léon,
pour lui décocher quelques regards sulfureux.
Pendant le repas, les deux compères de travail quittèrent ensemble la table en
s’excusant à peine pour aller vérifier dans un livre de la bibliothèque une
affirmation contestable concernant quelques équations mathématiques.
Chloé en
profita pour poser sa main sur celle de Pierre, son regard assaillit la
profondeur de ses yeux, puis elle murmura une simple question.
« M’aimes-tu
encore ?
Pierre ne
dit rien, extrêmement troublé par le simple contact charnel de leurs doigts
maintenant entremêlés. En fait, son esprit ne savait pas vraiment que répondre.
Sa
disparition !
Il se souvenait d’en avoir vraiment souffert. Il lui avait fallu des mois pour
l’éradiquer de son esprit. Pour enrayer ses longues nuits d’insomnie à la
recherche de sa présence. Pour effacer les rêves de sa peau, de son odeur, de
sa délicate affection.
Puis tout
aussi soudainement sa fortuite intrusion dans son environnement familiale,
alors que toute cette aventure n’était pour lui plus qu’un vague souvenir.
Elle était réapparue devant lui, apportant avec elle tout ce désir, toute cette
attirance qui resurgissait du plus profond de son âme, renouant avec un passé
qu’il avait été heureux d’oublier.
-Oui ! Répondit-il.
Elle lui
sourit, ses doigts habilement se séparèrent des siens, elle découpa un morceau
de viande qu’elle amena délicatement à sa bouche pendant que Lydie et son mari
les rejoignaient heureux d’avoir trouvé la solution de leur problème.
-Avez-vous
fait plus ample connaissance ? Demanda Léon.
Chloé le
confirma d’un mouvement de la tête puis ajouta s’adressant à Lydie.
- Ton mari
est un homme tout à fait charmant !
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Revenons à ma première affirmation concernant le
hasard !
Il avait au début de cette histoire bien mal fait les
choses, mais pourtant, vous le comprendrez plus tard, une nouvelle rencontre
allait bientôt attester du contraire.
Ernest Puppa, un livre à la main se délectait d’une
bouchée d’un Kebab assis à la table de « Chez Billy », petit bistroquet
qui se trouvait à une dizaine de mètres du
cinéma club de Gex .
Ce n’était pas vraiment son habitude de s’y installer
car il habitait non loin de là et s’accommodait facilement de sa propre
cuisine. Mais aujourd’hui il s’était présenté trop tôt à la séance
cinématographique du jour et avait une bonne demi-heure à passer avant
l’ouverture de la salle. Au lieu de rentrer chez lui il avait donc décidé de
tuer ces quelques instants d’attente à se délecter de cette nourriture
maghrébine.
Il en avait profité pour se plonger dans sa lecture du
moment. Un livre de poche « Ou bien…ou bien », œuvre majeure de Kierkegaard
parlant des choix de l’existence. Une lecture très austère en vérité, mais qui
s’apparentait fortement bien à la nature conceptuelle de son existence. C’est à
cet instant que la coïncidence dont je vous faisais part un peu plus tôt fît
son apparition.
Sur sa droite quelqu’un tapait sur la vitrine du
bistrot.
Ernest reconnu immédiatement l’un de ses copains. Il
lui fît un signe de la main pour qu’il vienne le rejoindre. Et, ce fût fait en
quelques instants. Sylvain Gompier, maintenant assis en face de lui, souriait
comme il en avait l’habitude.
« Alors toubib, quoi de neuf !
-Oh, la routine, huit angines, trois crises de foie,
quelques foulures et deux problèmes cardiaques !
Pour lui, la journée venait juste de se terminer et à
ses yeux fatigués on pouvait comprendre que son travail s’apparentait à du
dévouement.
-Il est temps pour toi de prendre des vacances. Fît
remarquer Puppa.
Le docteur hocha de la tête, mais son métier était
pour lui une réelle passion, un sacrifice de sa personne, qu’il déployait bien
volontiers. Les deux hommes parlèrent longuement. Ernest avait rapidement
compris que cet ami qu’il voyait peu souvent, ressentait la nécessité de se
confier à quelqu’un, de raconter ses propres peines et afflictions. La
conversation fût donc un simple monologue qui n’exigeait de Puppa que de
courtes réponses ou suggestions. Puis vint cet instant crucial qui, vous le
comprendrez plus tard, fut prépondérant dans la découverte d’un macabre
homicide.
-Quand tu te trouves dans l’obligation d’établir des
certificats de décès ! Demanda Puppa. As-tu déjà eu l’impression de te trouver
devant une mort, disons, pas si naturelle que ça ?
Sylvain réfléchit quelques instants.
-Et bien, maintenant que tu m’en parles, ça m’est
arrivé de douter de la nature légitime de la mort. Quelques rares fois, il est
vrai. Ce n’est pas vraiment une certitude, mais juste une réflexion, une
impression qui pendant quelques instants m’a interloquée.
-Et qu’as-tu fait ?
-Rien ! Répondit-il l’air penaud. Tu sais, à cause
de la tristesse des proches du défunt, le doute du bien-fondé de ta
considération ne te permet peut-être pas d’avoir le recul nécessaire pour
décider qu’une autopsie soit obligatoire.
Puppa l’écouta sans rien dire.
Le toubib se demanda ce qui lui était bien passé par
la tête pour poser une telle question. Peut-être, la déformation
professionnelle provenant de son métier d’inspecteur de police !
Le regard de Sylvain lui suggéra, à cet instant, une
réponse, une recommandation. Puppa ouvrit enfin la bouche.
-Ne n’inquiète pas pour ça ! Mais si un jour t’as
un doute, passe-moi un coup de fil.
Puis jetant un coup d’œil à sa montre, Ernest se
rendit compte que la séance du film qu’il voulait voir, venait de commencer
sans lui. Il s’excusa et lui expliqua que, pour rien au monde, il ne pouvait le
manquer.
Plus tard, en repassant avec sa voiture devant le
cinéma, Sylvain s’amusa à la vue de l’affiche. « Sept ans de
réflexion » avec Marilyn Monroe.
-Sacré Puppa se dit-il, toujours aussi amoureux de ta
Marilyn !
------------------------------------------------
Ils
restaient enlacés.
Leur désir assouvit, ils aimaient s’éterniser ainsi sans le moindre mouvement,
écoutant leurs battements de cœur, attentif aux moindres frémissements de
l’autre. Leurs retrouvailles avaient été si heureuses, si nécessaires. Ils
ressentaient à nouveau le bien-être de leurs rencontres quotidiennes.
Leurs yeux
se rencontrèrent dans la lumière blafarde de cette sombre après-midi d’hiver.
Il déposa un baiser sur sa bouche.
« Crois-tu
qu’il se doute de quelque chose ? Demanda t’il.
-Je ne le
crois pas. Tu sais, avec ses occupations. Et puis il est tellement égoïste.
Certain de son charme.
-Ressens-tu
encore quelque chose pour lui ?
Elle ferma
les yeux. Il comprit que son silence ne signifiait qu’un instant de réflexion.
Puis elle affirma.
-Non !
Puis, elle
se remit à égrener tous les défauts dont son mari était à son avis affublé.
Ce fut à cet
instant qu’une idée machiavélique germa dans leurs esprits.
L’évidence de la solution à leur amour sembla, soudain, ne plus avoir
d’obstacle !
Il fallait
le liquider…
Elle
connaissait ses habitudes ! Il suffisait simplement de réfléchir à la
façon de le supprimer de façon à rester impuni.
Allongés sur
le dos, sa main droite étreignant sa main gauche, ils méditaient.
Ils n’entendirent même pas le grincement de la porte qui séparait les deux
appartements, ni les bruits des talons qui s’enchaînèrent dans le couloir.
Le loquet de
la porte de leur chambre lentement pivota, puis sans le moindre bruit, elle
entra.
Ce fut Lydie
qui la vit en premier.
Chloé
restait là, immobile, les regardant dans un silence inconfortable.
-----------------------------------
Pierre
partiellement assoupi encaissait à intervalles réguliers
les soubresauts du
wagon qui l’emmenait en direction de Zurich. Il devait se rendre
au siège
social de son entreprise. Il n’était pas vraiment heureux
de cette obligation.
Pourtant ce n’était habituellement pas le cas, mais cette
fois il aurait
préféré un métier plus sédentaire.
La présence de Chloé en était la principale
raison. Il ne l’avait vu que quelques jours depuis son
arrivée et son image le
hantait, peuplait ses rêves du souvenir de leur liaison
passée. Il s’était mis en
tête de la reconquérir et de fuir avec elle loin de cette
vie qui lui semblait
soudainement si plate et dénuée de tout
intérêt. Il lui semblait que ce projet
n’émanait pour le moment que de sa simple intention et il
n’était pas certain
de pouvoir décider son ancienne maîtresse à le
suivre.
Il n’avait
pu la voir seul à seul que quelques brefs moments.
Il se
souvint de cette après-midi où, enfin seuls, il avait posé ses mains sur ses
hanches et avait voulu l’embrasser. Mais elle s’était esquissée.
« Non pas
ici, pas maintenant ! Avait-elle dit.
Il avait
compris que son regard sur lui, avait changé. Que ses yeux si doux qui le
troublaient et provoquaient en son cœur des battements intempestifs ne
brûlaient plus de la même sorcellerie !
Pourtant son égo refusait cette réalité.
Ce n’était certainement qu’une réaction passagère, résultat d’une si longue
absence.
Il la regarda.
Navigua à loisir sur son corps dont il se rappelait chaque détail.
Puis la question de sa brusque disparition arriva à ses lèvres.
-Pourquoi
es-tu si brutalement partie ?
Elle lui
tourna le dos, un peu comme si elle voulait lui cacher son émotion, fit trois, quatre pas, puis lui fit de nouveau face.
-Il fallait
que je te quitte, le croisement de notre chemin devait à mon avis ne rester
qu’un heureux souvenir. Ta vie se trouve ici avec ta femme, ton travail, tes
habitudes. Moi, j’avais besoin de la stabilité d’un homme qui n’aimerait que
moi et qui m’offrirait le confort d’un foyer sans vague. La rencontre que
j’avais inopinément faite avec Léon me proposait tout cela !
Puis,
Pierre se souvint de la venue de Léon dans le pays de Gex.
A l’époque, il ne l’avait pas lui-même rencontré, mais sa femme avait devisé de
sa présence. Lui avait indiqué qu’elle travaillerait en collaboration avec cet
homme qui lui semblait posséder des qualités scientifiques remarquables. Qu’il
n’était ici que pour quelques jours, qu’elle lui avait exposé son projet et
qu’ensuite elle devait elle-même se rendre sur Paris pour être présentée à son
équipe.
Mais, alors,
comment avait-elle pu en une si courte période de temps s’amouracher de cet
homme et décidé en quelques jours de le rejoindre ?
Il aurait
voulu prolonger cette conversation et trouver ainsi les réponses à ses
interrogations, mais Léon et Lydie étaient de retour et ne permirent pas aux
anciens amants d’éclairer les points obscurs de leur histoire.
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Ernest regardait par la fenêtre de sa chambre.
Le brouillard qui recouvrait Gex depuis maintenant plus d’un mois
venait de s’éclaircir avec la tombée de la nuit.
Des vagues de brumes ondulaient submergeant plus bas le petit village
de Cessy. Au loin le Mont-blanc rougeoyait sous la lumière du
soleil couchant.
Il avait posé sur sa table de chevet le petit bouquin de
Kierkegaard. Cette confrontation entre l’éthique et
l’esthétique l’avait laissé songeur.
Quelle voie privilégiait-il ?
Il ressentait une sorte de profonde ambivalence à ce sujet. Il
songea qu’il avait toujours su faire la part de ses deux aspects
de la vie, choisissant le juste milieu qui lui permettrait une
meilleure compréhension de l’existence.
Chaque année c’était pour lui la même chose.
La venue de l’hiver l’enfermait dans la lecture
d’œuvre à la complexité importune. Etait-ce
le temps maussade, le froid engourdissant, la diminution de la
clarté solaire, il se sentait brusquement l’âme
d’un grand penseur, devenait pur esprit, méprisant les
mesquineries de son entourage pour se pencher sur l’essentiel,
l’essence de sa matérialité.
Sonon regard se perdit sur les flancs de cette immense montagne aux
neiges éternelles qui lui offrait à cet instant sa
meilleure silhouette. Il songea aux cordées qui
péniblement cheminaient sur sa déclivité.
Puis, un personnage d’importance passa dans la rue.
C’était Sylvain, le bon médecin ami d’Ernest.
Ce moment marquant m’imposa la suite de l’histoire.
Puppa tapota sur la vitre de sa fenêtre. Il espérait ainsi
attirer l’attention de son copain et pouvoir lui faire un petit
salut amical. L’éloignement de celui-ci ne lui permit pas
d’entendre cet appel, il continua son chemin, emmitouflé
dans un grand manteau qui le protégeait de la température
glaciale.
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Chloé regarda le couple illégitime enlacé dans le
même lit. Qu’allait être sa réaction ?
Ce fut Léon qui brisa le silence.
« Ma chérie, tu viens nous rejoindre ! »
Chloé sourit, elle dénoua la ceinture qui gardait les
pans de son peignoir réunis. La plénitude de sa
nudité engagea quelques considérations admiratives de la
part de Lydie, puis, sur la pointe des pieds, dans une démarche
de gazelle, la belle rejoignit rapidement leur couche.
Leurs ébats illicites s’éternisèrent dans un
échange de jouissance qu’ils affectionnaient de plus en
plus… Le temps s’écoula doucement magnifiquement
comblé par la plénitude de leurs suaves étreintes.
Deux heures plus tard, profitant d’un rayon de soleil, ils
s’étaient retrouvés assis sur le banc planté
au milieu de l’immense véranda. De nombreuses plantes
donnaient une touche revigorante à la tristesse de
l’hiver. La forte odeur diffusée par le citronnier
stimulait leurs papilles.
Léon se retrouvait assis entre les deux femmes, ses deux bras
reposant sur le dossier les cernaient de leurs vigueurs masculines. Il
se sentait maître des lieux, possesseur exclusif de leurs
féminités. Pourtant ce ne fût pas lui qui
lança la conversation sur le sujet ou du moins sur
l’avenir compromis de son rival.
« Il faut qu’on liquide Pierre ! Lança soudainement Lydie.
Chloé acquiesça aussitôt.
-On serait si heureux ensemble, sans lui, sans sa présence dérangeante.
Le ton de la conversation qui s’en suivit montrait une
animosité à son égard que personne étranger
à l’affaire n’aurait pu soupçonner. Le pauvre
fût affublé de tous les défauts de la terre,
traité d’être ignoble, méprisable, ne
montrant aucune considération pour les autres et ne pensant
qu’à son propre contentement.
Léon, lui, ne dit pas un mot. Bien qu’il ressente une
totale acceptation envers ces propos haineux. Il
préférait écouter, se délectant de la haine
qu’éprouvaient ses amantes envers cet être qui se
campait comme seul et dernier écueil à leur parfaite
union.
Ce qui l ‘avait toujours étonné c’est que
Lydie ne laissait jamais transparaître sa haine devant son mari.
Celui-ci ne se doutait de rien. Il lui avait même confié
que son couple vivait dans une parfaite harmonie, qu’ils
s’adoraient et que leur union resterait éternelle.
Peut-être était-ce le fait de groupe qui entraînait une telle hostilité.
Prenant le pas de la conversation il se décida à
dénigrer lui-même son concurrent et d’ainsi enfoncer
un peu plus le clou qui était pourtant complètement
écrasé.
La conclusion de Lydie reçue rapidement la confirmation de ses amis.
-Il faut le supprimer ! Cracha-t-elle dans un dernier aboutissement.
Toutes les têtes approuvèrent d’un mouvement à l’unisson.
Un dernier frisson parcouru leurs échines. Frisson de bonheur,
bonheur de s’être accordé sur le remède de
leurs ressentiments. Il fallait maintenant réfléchir sur
le moyen de faire cela proprement, sans attirer l’attention de
leur entourage ou de la police. Il fallait l’occire en faisant
croire à un décès naturel.
-Une ballade en montagne qui se termine mal !
-Un accident de voiture !
Une kyrielle d’hypothèses ne les satisfirent pas, trop
complexes à réaliser, trop dangereuses, trop
évidentes.
C’est le regard vagabond de Lydie qui apporta le premier maillon
de la terrible solution. Chloé enchaîna sur la
façon de provoquer le drame sans attirer les soupçons qui
pourraient immanquablement entraîner une autopsie.
Léon grimaça devant l’horreur machiavélique des deux femmes.
Puis le téléphone sonna. C’était Pierre qui
annonçait son retour de voyage. Son train venait d’entrer
en gare. Dans moins d’une demi-heure il serait à la
maison.
Chloé alla fouiller dans un tiroir en tira un feuillet, le parcouru rapidement et affirma.
-Il faudra faire vite, le docteur Sylvain Gompier sera de garde dans quinze jours.
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Pierre ne se sentait pas bien. Depuis quelques jours, il
éprouvait des palpitations cardiaques et cela
l’inquiétait.
Il décida enfin d’aller voir son médecin et
c’est dans la salle d’attente qu’actuellement nous le
retrouvons.
Depuis son retour, il n’avait pas vraiment revu Chloé.
Elle l’évitait, n’était même pas venu
avec son mari pour boire l’apéritif, prétextant
qu’elle ne se sentait pas très bien.
Pierre s’en était fait une raison, il fallait faire une
croix sur cet ancien amour, oublier sa présence. Mais cela le
contrariait au plus haut point. D’ailleurs il pensait que
c’était ce stress qui le rendait malade.
Il pénétra dans le cabinet du docteur Gompier.
« Alors Pierre, qu’est ce qui t’amène !
Les deux hommes étaient amis depuis longtemps et s’appréciaient particulièrement.
-Je ne me sens pas très bien, mon cœur s’emballe à tous moments.
Il prit sa tension puis, muni de son stéthoscope jaugea les
pulsations cardiaques de son copain. Après quelques minutes
d’auscultation il ne put que constater
l’irrégularité de cet organe vital.
-Oui, tout cela ne me semble pas très bien, tu vas prendre
quelques jours de repos. Puis écrivant son ordonnance il ajouta.
Je t’envoie faire un électrocardiogramme puis tu
reviendras vite me voir pour que l’on puisse guérir tout
cela très vite.
-Penses-tu que c’est grave ?
-Fais d’abord cet examen, puis reviens me voir. Pour l’instant, je te conseille de prendre quelques jours de repos !
La mine triste, Pierre décida de ne pas rentrer directement chez
lui. Il avait décidé de ne parler à personne de ce
problème de santé qui l’inquiétait
désagréablement. Le trouble qu’il éprouvait
ne provenait pas essentiellement de son mal, mais également de
ce terrible sentiment de se sentir vieillir, d’inexorablement
cheminer vers des vieux jours qu’il ne connaîtrait
peut-être même pas.
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On était dimanche après-midi. Lydie en compagnie de
Pierre profitait de la chaleur apportée par les rayons blafards
du soleil d’automne.
Pierre ne disait mot, le regard perdu dans le vague il était
plongé dans une profonde méditation. Lydie quant à
elle parcourait son magazine féminin favori.
Il grimaça et porta la main sur son cœur, encore une de
ses palpitations qui l’inquiétait. Il n’en avait pas
parlé à sa femme, attendant le verdict de son
médecin pour l’en informer.
Lydie n’avait aucunement besoin de sa confidence, elle savait ce
qu’il avait, elle en était son origine. Tous les matins
depuis maintenant plus d’une semaine elle ajoutait au
déjeuner de son mari une petite pilule médicamenteuse
qu’elle avait récupérée chez son père
maintenant décédé et qui avait été
sujet à une maladie cardiaque.
Sans prêter attention au faciès pathologique de Pierre,
elle leva la tête, fixa de ses yeux le citronnier, compta
d’un rapide mouvement de tête les fruits qui s’y
trouvaient puis interpella son mari.
« Pierre, ne m’avais-tu pas dit que tu devais entreposer
les citrons dans notre cave pour leurs permettre de mûrir plus
vite.
Pierre leva la tête, il n’avait vraiment pas la tête
à jardiner. Mais, peut-être pour se dégager de sa
tristesse, il acquiesça à la suggestion en ajoutant.
-Tiens c’est une bonne idée !
Se levant avec peine, il se dirigea vers l’arbuste et
commença sa récolte. Comme il en avait l’habitude,
il prit soin d’entreposer chaque fruit dans d’un petit
panier d’osier qui se tenait prêt de lui.
Lydie le regardait en coin feignant de ne pas s’intéresser à ce qu’il faisait.
Un petit sourire se dessina sur le coin de ses lèvres.
Tout se déroulait comme elle l’avait prévu.
Bientôt elle serait libre !
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Pierre descendit au sous-sol, se présenta devant la cave
qu’il réservait à ses récoltes. Poussa la
lourde porte en bois.
Aussitôt les senteurs de campagne charmèrent ses narines lui tirant un frissonnement de plaisir.
Il entra lentement dans le grand local.
Devant lui, posés soigneusement sur de grandes planches en bois
se trouvaient alignés une quantité de pommes et poires,
alternées entre des piles de vieux journaux qui faisait office
d’éponge à humidité.
Il referma soigneusement la porte derrière lui.
La petite lucarne postée au niveau du plafond lui dispensait une lumière diffuse et blafarde
Il se décida donc d’allumer son ampoule électrique.
Il manipula le levier de l’interrupteur à maintes reprises sans obtenir le moindre résultat.
Il bougonna des jurons.
Elle est toujours claquée quand on a besoin d’elle !
Pour aujourd’hui il se débrouillerait sans son aide.
Il entreprit de ranger minutieusement ses citrons sur les rayonnages, prenant garde de les alterner avec les autres fruits.
Absorbé dans sa tâche, il n’entendit même pas
la clef qui tournait dans la serrure de la porte, ni même ces
bruits de pas feutrés qui naviguaient dans le couloir.
Pourtant au bout de quelques instants une odeur désagréable le fit réagir. Il toussota.
« Ça sent le gaz ! »
Il essaya immédiatement d’ouvrir la porte.
Elle était fermée à clef !
« Mais, je suis enfermé, c’est quoi cette plaisanterie ! »
L’odeur de gaz se fit de plus en plus pressante.
Il se sentait suffoqué.
Alors ses poings se mirent à tambouriner la porte.
« Aidez-moi ! Lydie ! je suis enfermé ! A l’aide !
C’est à ce moment qu’il aperçut le petit
tuyau qui passait sous le pas de la porte. C’était de lui
que venaient ces émanations. Il le saisit, mais certainement
trop tard, il commençait à tituber, quand, il entendit un
petit bruit au-dessus de sa tête.
Levant son regard, il aperçut Chloé, Léon et Lydie
qui le regardaient méchamment agoniser à travers la
lucarne. Pierre broya de rage le citron qu’il tenait dans la
main.
« Mais, pourquoi veulent-ils me tuer ! ».
Tout en regardant ses bourreaux il chancela une dernière fois
avant de s’effondrer, Entraînant dans sa chute la pile de
journaux ainsi que l’une des étagères. Son agonie
dura quelques minutes où il lutta tant qu’il le put avant
de sombrer dans l’antre de la mort.
Une bonne heure s’était maintenant écoulée
quand les meurtriers se décidèrent à ouvrir la
porte. Lydie enleva la clef de la serrure et la remis du
côté intérieur de la pièce, Chloé
ouvrit la lucarne et à l’aide d’une plaque de
carton, d’un mouvement répété de haut en bas
provoqua un courant d’air dans le but
d’éliminé l’odeur entêtante du gaz.
Léon enroula le tuyau, prit la bombonne de butane et la remonta chez lui.
Quelques minutes plus tard, calmement Lydie décrocha son téléphone.
Dès qu’une réponse lui arriva, elle se mit à jouer son rôle à la perfection.
« Docteur Sylvain Gompier, c’est Lydie Lelax. Venez vite, mon mari a pris un malaise ! »
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Il ne fallut que quelques minutes au docteur Gompier, pour arriver sur
les lieux. Lydie semblait effondrée, elle était assise
sur le canapé, en larme et c’est Chloé qui le
reçu.
« Je suis une amie de Lydie et voici mon mari Léon, nous
logeons dans l’appartement à côté.
-Où se trouve Pierre ?
-A la cave, où il était en train de ranger ses citrons.
Quand Lydie s’est aperçue de son absence un peu trop longue, elle est descendue pour le voir et… »
Tout en parlant, elle lui avait intimé de le suivre jusqu’à l’endroit du malaise.
Sylvain eut un frisson d’effroi quand il vit son copain
allongé de tout son long sur le sol. Le pauvre homme
était entouré des fruits et journaux qu’il avait
entraînés dans sa chute.
« Nous n’avons pas osé le retourner ! »
Le docteur, poussa du pied les citrons qui le gênaient puis
s’agenouilla prêt du corps de son ami. Il le retourna
délicatement. Porta la main à sa gorge.
Tenta vainement, pendant de longues minutes, un massage cardiaque.
La larme à l’œil, résigné, il referma
les yeux grands ouverts de son ami, puis se releva doucement.
Avec difficulté, la voix assourdie, il raconta leur dernière rencontre.
« Il est venu me voir. Il y a quelques jours. Il semblait avoir
des problèmes cardiaques, je pense qu’il vient de
succomber à son mal. »
Lydie qui venait de les rejoindre fut prise d’un malaise.
Le docteur réagit immédiatement.
Il se pencha vers Lydie dont la pâleur témoignait du choc qu’elle venait de subir.
« Aidez-moi à la remonter ! »
Tous se retrouvèrent dans le salon.
Lydie lentement reprit ses esprits.
Chloé assise à côté de Léon lui tenait la main cherchant ainsi du réconfort.
Leurs visages tendus et graves restaient fermés.
Le docteur assis à une table prenait des notes sur son calepin, notifiant la cause du décès.
Le silence était tel que l’on pouvait clairement entendre le crissement de son stylo.
Sur son rapport il écrivait :
« Crise cardiaque », puis il précisa
l’inquiétude que Pierre lui avait signalée au sujet
de son cœur et les examens qu’il venait de subir.
Pourtant, malgré l’évidence de cette mort naturelle.
Sylvain ressentit une incertitude.
Quelque chose ne semblait pas coller…
Non, le chagrin de ses proches ne lui permettait pas de penser
qu’il pouvait être en présence d’un meurtre.
Mais, la position du cadavre ne lui semblait pas celle de quelqu’un qui vient d’avoir une crise cardiaque.
Il n’y avait pas de rictus sur sa figure et ses mains se
trouvaient très loin de son thorax. Pourtant, à son avis,
la première réaction face à ce type de crise,
c’est de porter ses mains à l’endroit de son mal.
Relevant la tête de ses écrits, il réfléchit quelques secondes.
Fouilla dans sa sacoche d’où il sortit son téléphone portable et lança un coup de fil.
Tout en composant un numéro il demanda.
« Quel est votre adresse exacte ? »
Léon lui répondit.
Sylvain en ligne avec son correspondant, après quelques
brèves paroles de civilité et une explication sommaire
des faits, épela ces coordonnées puis ajouta.
« Si tu peux venir tout de suite, je t’attends ! »
Il se leva de sa chaise, se rendit au chevet de Lydie, lui prit la main.
« Allez-vous mieux ? »
Lydie eut un pâle sourire.
« J’ai demandé à un ami médecin de
venir vérifier quelque chose concernant la mort de Pierre.
C’est lui qui a, il y a quelques jours, pratiqué sur
Pierre les examens cardiaques que je lui avais demandés !
»
Lydie lui répondit d’un hochement de tête.
La main de Chloé enserra un peu plus fort celle de son mari.
Un petit quart d’heure plus tard, quelqu’un sonna à la porte.
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-C’est Ernest ! Je vais ouvrir ! Commenta le médecin.
-Alors, Sylvain quelque chose qui ne va pas ?
Sylvain, cligna des yeux, intimant ainsi la discrétion à
son interlocuteur. L’entraînant dans un coin de la
pièce, à voix basse et en quelques mots, il lui fît
part de ses doutes.
Il ajouta.
« Tu m’avais gentiment proposé l’autre jour de
m ‘assister dans le cas où j’éprouverais un
doute sur la nature d’un décès ! Te voici à
l’épreuve ! »
Les deux hommes descendirent à la cave, nos trois complices qui
avaient de loin observé la rencontre, ne bronchèrent pas
d’un pouce, acceptant sans aucune réaction la venue
d’Ernest qu’il pensait être un médecin.
Quand ils les entendirent atteindre les dernières marches au bas
des escaliers. Léon et Chloé murmurèrent ces
quelques mots à l’intention de Lydie.
« Prends ce cachet, tu iras mieux ! »
Effectivement Lydie avait absorbé une substance qui lui avait
provoqué une brutale chute de tension, lui permettant ainsi de
feindre à la perfection l’étourdissement dû
à une émotion trop forte.
Pendant ce temps, Ernest, à quatre pattes, observait le cadavre avec minutie.
Quelques détails flagrants l’informèrent
bientôt que quelque chose d’anormal s’était
déroulée.
Léon vint les rejoindre.
il demanda si son aide pouvait leur être d’une quelconque utilité.
Puppa se retourna vers lui et demanda.
« Vous n’auriez pas une bougie ? «
Léon fut étonné de sa question mais exécuta
sa requête sans oser s’informer de son but exact.
Le docteur regarda son ami avec interrogation, aspirant quelques explications de sa bouche.
Mais, comme à son habitude, Puppa ne dévoila rien, et,
c’est affublé d’une grosse bougie de Noël
allumée qu’il entra de nouveau dans la cave devant Sylvain
et Léon particulièrement intrigués.
Soigneusement, il prit la feuille de journal qui se trouvait sous la
main droite du mort, puis la passa lentement sur la bougie fumante en
prenant garde de ne pas y mettre le feu.
« Mais. Que faites-vous ? Vous voulez nous faire brûler ? ».
Puppa le regarda en souriant.
Il éteignit la bougie et demanda.
« Vous vous appelez, Léon ? »
-Oui !
- Et les deux dames qui se trouvent en haut. Lydie et Chloé !
- Oui !
Alors, Ernest Puppa sortit de sa poche son insigne de police et déclama.
« Vous êtes en état d’arrestation… »
L'épilogue :
Ernest
descendait la rue du commerce en compagnie de son côté de son collègue Purbon.
Il gardait les mains dans ses poches et son écharpe était entourée à triple
tour autour de sa gorge.
Il faisait froid !
Chacune de
ses paroles laissait d’ailleurs échapper un épais nuage de vapeur qui fluait
sur le côté de sa bouche.
Purbon ne
semblait pas vraiment affecté par la température polaire qui avait débarqué et
figé, depuis quelques jours, notre joli pays de Gex.
Sans tourner la tête il affirma :
« Et
bien Ernest ! T’as encore résolu une affaire peu commune. Trouvé le nom
des assassins, écrit par la victime, sur la feuille de journal en se servant
du jus de citron pour encre et de son doigt comme plume !
Il fallait le savoir !
Et, se servir de la chaleur et de la fumée d’une bougie pour faire apparaître
l’écriture invisible...
J’me demande bien où tu vas chercher toutes ces idées !
-Ben !
Quand j’étais petit, j’écrivais des mots à l’encre secrète en la faisant
réapparaître avec ce moyen que tu viens de décrire ! »
Purbon le
regarda d’un air circonspect et admiratif.
Puppa le laissa prendre deux pas d’avance et sortit une main de sa poche.
Celle-ci
tenait fermement entre ses doigts un gros citron qu’il avait gardé en souvenir
de cette enquête.
Il le pointa
touchant le dos de Purbon et s’exclama en rigolant :
« Pas un Zeste ! »