Une nuit
« Ma chérie, comment vas-tu ?
-Tu me manques.
-Toi aussi.
-Quand rentres-tu ?
-Dans trois jours !
-Les enfants venez, papa est au téléphone !
-Papa, papa, on a appris une nouvelle chanson à l’école, écoute… »
Et puis j’ai raccroché.
Après de longs adieux, de nombreux je t’aime, je vous aime, vous me manquez.
Tu me manques, toi, mon seul Amour.
Ma femme, mes enfants, seuls êtres qui comptent vraiment
dans ma vie.
C’est pour eux que je fais ça, ce travail que je n’aime pas vraiment et qui
m’envoie aux quatre coins de la planète.
Qui me sépare de leurs présences, du bien être que j’éprouve avec eux, de cette
femme unique que j’aime, que j’adore de toutes mes forces, de tout mon être.
Le nez collé à la fenêtre de cette chambre d’hôtel sans âme,
je regarde la pluie tombée sur ces rues vides d’une banlieue triste.
Je devais passer trois jours ici, trois jours de colloques interminables, de
réunions rébarbatives ou mon opinion devait comptée où celle des autres
devaient être comprises.
Je ne pouvais pas dormir, il se faisait pourtant tard et ma
journée avait été harassante, épuisante.
Peut-être qu’un dernier verre pourrait m’être salutaire.
Le bar était vide, le barman nettoyait le comptoir et mon
arrivée sembla le surprendre.
-Bonsoir qu’est ce que je vous sers ?
-Téquila, bien tassée…
L’endroit était sombre, quelques luminaires à la forme
arrondie diffusaient une lumière tamisée sur de petites tables hautes et rondes
entourées de tabourets aux coussinets de cuire brun. Un long canapé en forme ovale
entourait une petite table basse.
Et c’est là.
C’est là que je la vis.
Cette femme aux cheveux d’or.
Elle y était assise, regardant avec attention son petit ordinateur portable
qu’elle tapotait de temps en temps avec frénésie, semblant marquer un intérêt
particulier à des messages qui lui arrivaient par saccades.
Je pense que je la connais !
Il me fallut plonger dans ma mémoire, dans ma mémoire proche, pour me remémorer
son visage.
Oui !
Elle avait participé à notre conférence matinale et son intervention avait été
remarquée, par sa justesse, par son à-propos étonnant.
-Votre remarque a fait mouche ce matin !
J’avais franchi la dizaine de mètres qui me séparait d’elle.
Elle me regarda, l’air étonné, presque contrarié.
Je compris rapidement que ce n’était pas mon intrusion qui la dérangeait, mais
le message qu’elle venait de recevoir.
-Abruti ! Marmonna-t-elle entre ses dents avant de
fermer sa messagerie.
Son regard changea, elle me sourit :
-Merci ! Me dit-elle.
Je m’assis à ses côtés, par évidence sans lui demander la
moindre permission.
Elle est belle !
Je la regarde parler, sans rien dire, acceptant ses mots avec une volonté
d’insouciance, ne m’attachant pas à ses propos, mais uniquement à sa personne.
A ses lèvres pulpeuses, colorées d’un liseré rosé, à ses dents d’une blancheur
immaculée, à ses yeux, perles de douceur à la profondeur bleutée d’un océan
d’écume. Ses pommettes saillantes, son menton parfaitement aligné.
-N’est-ce pas ?
Sa question me sortit de ma rêverie admirative.
-Oui, bien entendu, vous avez tout à fait raison…
Elle me regarda, pencha légèrement la tête sur sa gauche.
-Pour qu’elle compagnie travaillez-vous ?
Alors je me mis à parler, parler de mon travail, puis de ma
famille, de ma région, du toutes ces choses importantes qui remplissent ma vie.
Cette fois-ci, c’est elle qui m’écouta, sans rien dire, me dévisageant
peut-être.
Elle semblait vouloir comprendre qui j’étais, non pas par mes propos, mais par
ma posture, mes expressions, la façon dont je m’exprimai.
-Et vous madame !
J’avais arrêté ma
litanie pour lui poser cette question :
-Parlez-moi de vous.
C’est bizarre, elle ne réagit pas à ce mot
« madame ». Son nom, son prénom semblaient ne pas avoir la moindre
importance. Et j’avais cette même envie, une certaine volonté de vouloir garder
nos identités secrètes, anonymes.
Elle était mariée également, sans enfant, malheureuse dans
son couple qui partait à la dérive.
Et la soirée continua ainsi, opposant nos vies, parfois
semblables, parfois différentes.
-Je vous laisse !
Me dit-elle soudainement en se levant. J’ai une rude journée demain, il
faut que je dorme !
-A bientôt peut-être !
Je la suivis des yeux, admirant sa démarche, désirant ses
formes. Elle disparut dans l’ascenseur, avec un dernier regard qu’elle pointa
dans ma direction.
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Quelle journée !
J’avais dû faire la présentation de notre nouveau produit.
Je pense que j’ai été convainquant. A mon avis un juteux contrat pointait son
nez avec cette excellente perspective de vente à long terme.
J’avais oublié cette femme, cette presque inconnue de la
nuit dernière.
Seul, accoudé au bar, je sirotai un alcool fort, plutôt content de moi,
satisfait de ma performance professionnelle. Au téléphone, mon patron semblait
enchanté et ma femme m’avait félicité en me disant qu’elle était fière de moi,
qu’elle m’attendait avec impatience, que nous partirions quelques jours en bord
de mer, tout les deux, seuls, en amoureux.
-Comment c’est passée votre journée ?
Je me retournai.
Elle était là.
Elle avait coiffé ses cheveux en arrière, et les avait attachés à l’aide d’un
nœud de couleur bleu ciel.
Elle avait fait un effort supplémentaire sur son maquillage qui était plus
aguichant qu’hier. Sa touche de parfum était plus évidente, son visage plus
lumineux.
J’eus cette impression qu’elle avait eu cette attention pour moi, pour me
séduire.
-Très bien et la vôtre ?
Elle s’était assise à mes côtés.
-Que voulez-vous boire ?
Elle était habillée d’un petit tailleur noir, légèrement
échancré sur sa poitrine généreuse.
Sur chacun de ses poignets, un bracelet en or marquait d’un trait leurs
féminités.
Elle restait là, sans le moindre mouvement, me regardant en silence, semblant
attendre le commencement de ma conversation.
Je me devais de briser le silence, vaincre la gêne provoquée par son regard
trop persistant, étrangement troublant.
Alors bêtement, peut-être, je me suis mis à parler de ce fameux contrat que
j’allais obtenir.
Elle baissa ses paupières.
-Je vous trouve divinement belle !
Comment avais-je pu lui dire ça.
A cet instant.
Coupant le fil de mon bavardage inintéressant.
Un léger rosé apparu sur ses joues, mais elle ne sembla pas étonnée de mon
affirmation.
-Merci.
L’intonation de ce remerciement était sincère, dénué de
gêne, me démontrant l’évidence de mon propos.
Sa main se posa sur la mienne.
Nos regards se fondèrent l’un dans l’autre, remplaçant la banalité des mots,
acceptant ce désir, cette évidence.
Sa chambre ressemblait à la mienne.
Nos ébats furent sulfureux, sans la moindre retenue, marquant l’envi soudain
que nous avions eu l’un pour l’autre, déchirant le mystère de nos deux
personnalités étrangères, démystifiant la ligne de conduite que j’avais eu
jusqu’alors.
Au revoir ravissante inconnue.
Chimère de mes souvenirs.
Empreinte marquée dans les méandres cachées de mon esprit.
Voile caché de mon existence.
Le yeux fermés, bercé par le ronronnement des moteurs de
l’avion qui me ramenait à mon bercail, je pensais ces derniers instants passés
ensemble.
Allongés, l’un près de l’autre, nos bras s’effleurant à peine.
Nous étions silencieux.
Elle rompit soudain notre mutisme :
-Vous sentez-vous coupable ?
Je ne connaissais pas vraiment la réponse.
-Je ne sais pas, peut-être un peu. J’ai un sentiment très différent de celui dont
je m’attendais.
-Mais vous êtes amoureux de votre femme, c’est ce que vous
m’avez dit hier !
On avait gardé ce vouvoiement entre nous, une sorte de
distance que nous voulions garder, le rapprochement provoqué par le tutoiement
ne nous semblant pas nécessaire.
-Oui c’est vrai, j’ai fauté, mais je ne me sens pas
coupable, j’ai ressenti nos ébats comme tout à fait naturel. Je vous trouve
belle, intelligente, avec cette…
Il hésita sur le mot.
Puis continua.
Avec cette vibration si proche de la mienne, elle a comme effacé l’angoisse de
l’interdit. De l’interdit d’aimer parce qu’on est lié à vie avec un autre être
de chair…
Et vous ?
-Pour moi c’est différent, mon couple est à la dérive, sans
cette envie d’arrêter le chavirage.
-Une vengeance ?
-Non pas du tout, j’ai ressenti ce même besoin, au même
instant que vous. Ce soir Je suis venue près de vous avec la réelle idée de
vous séduire et nos rapprochements furent immédiats.
A l’instant où nos regards se sont croisés, j’ai su, compris que notre acte charnel
était une évidence, un besoin irrésistible qui nous a submergé l’un et l’autre
au même instant.
-Allez-vous tout lui avouer ?
-Je ne sais pas, le mal entre nous est déjà bien avancé,
faut-il ajouter cette faute pour entrainer une rupture plus rapide.
-Moi, Je ne lui dirai rien. Mais j’ai peur qu’elle
comprenne, qu’elle s’aperçoit de ma faute, à cause d’une lueur étrange dans mon
regard ou d’une différence infime dans mon comportement. Je suis un homme sans
surprise et elle sait tout de moi, tout depuis l’éternité de notre adolescence,
depuis notre « oui » mutuel, heureux.
L’amour à des méandres perverses
L’avion était arrivé.
J’étais devant elle, tremblant intérieurement de mon angoisse.
Elle me prit dans ses bras, nos lèvres se rejoignirent d’un baiser pudique,
mais sublime de douceur, de confidence.
Et je compris à cet instant que je ne lui avouerai jamais ma faute, qu’elle
resterait comme un souvenir caché de mon existence, édulcorée à jamais de mes
véritables souvenirs. Une sorte de rêve chimérique qui s’effacerait peut-être.
Peut-être…
Car, cet acte de chair n’avait pas été du tout désagréable et l’homme étant ce
qu’il est,
l’affaire pourrait devenir habituelle…
L’avion était arrivé.
Elle était devant lui, prête à déballer cette ultime faute qui briserait à jamais son couple.
Il lui tendit un bouquet de fleurs qu’il avait caché derrière son dos.
Il avait réfléchi, il l’aimait, l’aimait de
tout son être de toutes ses forces, il ferait tout pour la
reconquérir, il l’a pris dans ses bras et se mit à
pleurer.
Elle se sentit malheureuse, terriblement angoissée d’avoir
fauté avec cette rencontre furtive, sans importance, il ne
méritait pas ça, il avait de nombreux travers, certes,
mais personne n’est vraiment parfait.
Puis, soudain, elle comprit.
Elle comprit qu’en fait elle était la cause, la raison de leur malheur.
Elle le serra fort dans ses bras.
-Tout ira bien ! Dit-elle.
Je t’aime !
Recommençons cette vie de complicité à deux.
Et ceci pour toujours. ..
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