C'est
la faute au canari Face à sa fenêtre grande ouverte. Le Mont Blanc lui soumettait toute sa splendeur. L'inspecteur Ernest Puppa, éprouvait de la tristesse ce soir là, sa solitude lui pesait un peu plus que d'habitude. La chaleur de cette soirée d'été emplissait ses poumons et le faisait réfléchir sur ses longues années passées en solitaire. Il jeta un coup d’œil au Tétra, ce grand immeuble qui avait été construit depuis peu à proximité de son appartement. Ce bâtiment avait bien du mal à remplir sa galerie marchande. Néanmoins un petit restaurant japonais venait de s'y installer. Son nom et la grande enseigne qui animait sa devanture restitua un soupçon de sourire à notre célibataire. « Le Sumo rigolard ! Epela Ernest. Il était déjà vingt et une heures trente et il n'avait rien dans le ventre. L'idée lui vint donc d'aller éprouver ce lieu au nom cocasse. Il ne lui fallut que quelques poignées de minutes pour se retrouver assis à une petite table. Des odeurs à la saveur inconnue lui enchantaient les papilles. Un gros monsieur vêtu d'un kimono aux couleurs chamarrées, arborant un large sourire, s'activa dans sa direction. Deux yeux bridés à l'excès égayaient sa jolie bobine. « Bonjour honorable client ! Dit-il d'une petite voix fluette qui semblait bien incongrue sortant de ce personnage à la carrure si imposante. -Bonjour monsieur ! Répondit Puppa amusé. -Puis-je vous offrir un verre de saké en apéritif ? » Notre ami acquiesça de la tête, attrapa d'une main le
menu que lui tendait le japonais. Il se mit à le consulter avec la plus
grande attention, puis, commanda rapidement quelques mets dont les noms résonnaient
agréablement à ses oreilles. A sa grande surprise il fut servi aussi
prestement que ses ordres avaient été donnés. Assis dans un coin de son restaurant, le gros nippon le regardait en coin semblant attendre de pouvoir réagir au moindre de ses souhaits. De l'endroit où il était placé, Puppa jouissait d'une
jolie vue sur la rue des terreaux et pouvait observer aisément le va et
vient des quelques personnes qui s'adonnaient à une petite ballade
nocturne. Des crissements de pneus attirèrent brusquement son attention. Une magnifique Mercedes arriva à une allure peu prudente avant de s'arrêter en face de lui utilisant l'une des places réservées aux handicapés. Au volant de celle ci se tenait Albert Oubéna, un haut fonctionnaire sénégalais travaillant à l'O.N.U., il était bien connu de notre inspecteur qui avait dans le passé eu à résoudre l'un de ses nombreux problèmes de voisinage. L'attitude hautaine et les manières grossières de cet individu avaient toujours provoqué chez notre intègre quidam un profond sentiment de dégoût. L'homme descendit prestement de son carrosse et s'empressa d'ouvrir la porte arrière du véhicule. Deux splendides créatures en descendirent et s'attachèrent aux bras de l'arrogant personnage. L'homme était de grande taille, un large sourire exhibait une denture parfaite. De plus sa carrure d'athlète amplifiait l'aversion que l'on pouvait ressentir pour ce citoyen trop gâté par la vie. Il pénétra à grand bruit dans le restaurant, affichant, tel un trophée les deux donzelles qui étaient toutes deux moulées dans de petites robes laissaint aisément deviner leurs formes avantageuses. « Alors face de rat tu nous places ! » Lança t'il au restaurateur dont l'impérissable joie sembla soudainement s'effacer. Sans son mot de bienvenue habituelle, il installa les
trois convives dans un coin reculé de la salle. Les deux filles
gloussaient de plaisir à chaque plaisanterie insultante que jetait leur
compagnon en direction de l'Asiatique… La soirée se poursuivit dans une ambiance que l'on pourrait qualifier de nauséabonde. Les frasques des nouveaux venus ne convenaient aucunement aux quelques clients qui restaient en ce lieu et ceux ci s'empressèrent de déguerpir. Seul Puppa décida de prolonger son séjour, question de
voir jusqu'où la goujaterie de ce malotru pourrait aller. Des blagues
grivoises s'enchaînaient avec des boutades de mauvais goût mettant en scène
nos amis du pays du soleil levant. Puis, soudain. « Mais qu'est ce que c'est cette saloperie ! Albert venait d'expulser d'une façon véhémente, la totalité du contenu de sa bouche. Le Japonais se précipita pour comprendre quel était le problème. -C'est dégueulasse ta bouffe, tête de jaune d’œuf ! S'exclama t'il. Allez les filles ont se tire de ce bouge! Le patron du petit restaurant s'empressa de lui amener l'addition. -Quoi ! Tu crois que je vais te payer pour cette pitance immonde ! Il éclata de rire, envoya un grand coup dans l'épaule du pauvre homme, qui déséquilibré, se retrouva brutalement au contact du parquet qui craqua sinistrement en signe de protestation. Avant qu'il ait eu le temps de se relever, le malfaisant personnage escorté par ses deux compagnes avait déjà disparu, seul le vrombissement lointain de sa grosse voiture faisait acte de son passage. Puppa s'excusa auprès du malheureux. -Je n'ai rien pu faire car ce triste personnage est un diplomate influent dans la sphère mondiale. J'ai eu auparavant à faire à ses frasques répétées. Mon intervention à son encontre m'avait valu de sévères réprimandes venant de mes supérieurs. Depuis, je me suis juré de ne plus intervenir si nos chemins de nouveau se croisaient. Le japonais hocha de la tête. Quelque peu honteux Puppa prit congé de l'endroit... ---------------------------------------------- D'habitude, quand en France on parle de racisme, on suggère celle des Français blancs à l'égard des personnes d'une couleur différente. Mais dans le cas d'Albert Oubéna, on avait un exemple de ségrégation d'un noir envers ses congénères blancs. Ce Sénégalais détestait copieusement les linges pâles, comme il aimait lui-même nous appeler. Il avait pourtant suivi toute sa scolarité dans notre beau pays et avait terminé l'E.N.A. premier de sa promotion. Tous les gens qui le fréquentaient ou travaillaient avec lui devaient être de sa propre couleur. Mais, je peux vous assurer que les pauvres étaient à plaindre. La suffisance de l'individu et le sentiment de supériorité qu'il aimait à tout moment étaler, rendait l'existence de son entourage très difficile. Ce matin, il amenait sa mine défraîchie dans son magnifique bureau. Sa secrétaire, une jolie jeune femme lui préparait sa revue de presse du jour en découpant dans les journaux locaux les articles qui lui semblaient importants. « Salut ma poule! Lui lança t'il. Celle ci n'osa qu'un. -Bonjour monsieur l'ambassadeur! Elle avait de nombreuses fois pâti de ses avances, mais
ce job terriblement bien payé et une nombreuse famille à nourrir était
l'unique motivation qui la maintenait au service de cet immonde individu. Oubéna s’était immédiatement affalé dans son immense fauteuil en cuir. -Quelle nuit ! Ces deux cocottes étaient vraiment extraordinaires. Viens ici ma poulette apportes-moi le courrier ! » Janine, c'est ainsi qu'elle s'appelait, approcha timidement, les mains chargées de quelques volumineux dossiers. « Mais viens plus près, n'aies pas peur! La pauvresse fit un pas de trop. Les bras d'Albert, pareils à des tentacules, eurent vite fait d’entourer la pauvre femme qui protestait en essayant de ne surtout pas heurter son patron. -S'il vous plaît Monsieur, je suis une femme mariée ! Risqua t'elle. -Ne soit pas si farouche, moi aussi je suis un fidèle époux ! Blagua t'il. » La dame fut sauvée par la venue intempestive de Jacques
Gaudoit, un collaborateur de notre énergumène. Albert repoussa vivement sa proie. « Merci, Janine, vous pouvez disposer ! » Puis il regarda d'un œil méchant l'intrus qui avait contrarié son agréable occupation. « Alors, vous ne pouvez pas frapper avant d'entrer ! gronda t'il. Jacques, confus, bredouilla une excuse. C'était un jeunot, Sénégalais bien entendu, qui s'occupait des relations publiques de l'ambassadeur. Homme brillant et vertueux, il dénotait face à son infâme employeur. D'ailleurs Albert ne l'aimait guère, il n'appréciait pas que ce subalterne lui fasse de l'ombre. Il n'avait pas digéré l'attention particulière que lui donnaient les grandes huiles de l'O.N.U., le directeur générale lui avait même confié qu'il voyait un avenir brillant pour ce jeune homme. Depuis, son idée était de le licencier. On verrait bien serait aussi remarquable. -Monsieur, nous avons reçu hier soir, un important et urgent message pour vous de la part de notre président ! Albert Oubena, prit le fax dans sa main, le parcourut rapidement puis il pâlit. -Pourquoi ne m'avez vous pas contacté sur-le-champ ! Demanda t'il au jeune homme. -Mais monsieur, j'ai essayé toute la soirée, votre portable était débranché et chez vous, votre femme m'a dit que vous assistiez à une importante réunion qui durerait toute la nuit et qu'elle ne vous verrait que demain ! Albert, discerna un ton ironique dans ses explications. -Non, ce n'est pas une excuse, il fallait insister ! Gronda t'il. Et puis j'en ai marre de vous, vous êtes incompétent et inefficace. Estimez qu'à partir d'aujourd'hui, vous ne faites plus parti de mon personnel! -Mais monsieur ! -Foutez le camp ! Hurla t'il. Le jeune homme comprenant l'inutilité d'argumenter devant une telle haine, partit la tête basse. ---------------------------------------------- La magnifique Mercedes pénétra lentement dans la splendide propriété qui surplombait Divonne. Albert descendit de sa voiture, immédiatement un majordome sortit de sa demeure, courbant l'échine à l'approche de son maître. « -Tu ne pouvais pas de dépêcher pour m'ouvrir la porte, abruti ! L'ambassadeur envoya un méchant coup de pied dans l'arrière train de son serviteur. » Se frottant la croupe, le pauvre homme n'articula pas un son. Il travaillait très dur dans cette maison. D'une famille africaine très pauvre, l'ambassadeur l'avait acheté, il y a dix ans de cela pour une bouchée de pain. Depuis il était considéré comme l'esclave de la maison, s'activant du matin au soir à des tâches ingrates et exténuantes. Il ne lui était autorisé aucun loisir et aucune sortie. Seule la cuisinière, une grosse dame à l'air jovial lui apportait un certain réconfort, écrivant et postant son courrier quand il le désirait et lui transmettant régulièrement des nouvelles de son pays. Son seul loisir était, vous trouverez ça enfantin, de découper des lettres dans de vieux magazines et de les agencer pour obtenir des figures qu'il aimait appeler ses œuvres d'art... Albert pénétra bruyamment dans son logis. Sa femme lascivement allongée sur un canapé le regarda d'un air suspect. « Elle s'est bien passée ta réunion d'hier soir ? -Oui, mais j'ai bien cru quelle ne se terminerait jamais. -Arrête de mentir ! On t'a vu avec tes poules, on m'a tout raconté. Rouge de colère Geneviève, s'empara d'un vase qui se tenait à la portée de sa main et l'envoya violemment en direction de son mari. L'agressé l'esquiva de justesse et gronda : -Non mais t'es folle, qui t'a raconté cette ânerie . » Comme seule réponse, un énergique claquement de porte succéda la sortie de sa douce moitié. Cette femme était la seule personne qu'Albert
respectait ou du moins craignait. Elle était la petite fille d'un
dignitaire très influent du Sénégal et le poste honorifique qu'il
occupait ne tenait qu'au bon vouloir de cette parenté. La police n'avait fait aucun rapprochement entre ce meurtre et sa mie. Mais lui, connaissait cette manie qu'elle avait de placarder des notes qui faisait acte de ses intentions ou de ses rouspétances. Il la savait également sans pitié. Son garde du corps qui la suivait tel un chien était prêt à accomplir toutes sortes de sales besognes sans sourciller. Il était certain d'ailleurs que ce gorille l'espionnait constamment et relatait à sa femme ses moindres écarts. C'est donc dans cet état d'insécurité qu'il retrouva
seul son lit douillet. Enfermé à quatre tours dans sa chambre du premier étage. Il passa une mauvaise nuit, emplie de cauchemar où sa femme armée d'un marteau et d'un énorme burin, essayait d'inculquer dans son crane la façon de lui rester fidèle. ------------------------------------------------------- Le lendemain, devant son bureau, l'air déconfit et dépité, il ressassa ce rêve horrible et se jura de calmer ses fredaines au moins pour quelques temps. Il en oublia même sa secrétaire qui toute heureuse de ce désintéressement avait déposé devant lui, l'ensemble de son courrier sans qu'il ne prête aucune attention en sa présence. Albert fut intrigué par une lettre qui dénotait parmi les correspondances habituelles. Il l'ouvrit avec précaution, en sortit une petite feuille quadrillée où une succession de caractères imprimés avaient été collés l'un à la suite de l'autre précisant le message suivant.
Le regard d'Albert, d'habitude si confiant, se mit à exprimer une indicible terreur. Sa gorge sèche semblait ne plus pouvoir articuler une seule parole. Une sueur abondante se mit à suinter de ses tempes. Il se leva prestement et, la page de menace à la main s'enfuit les yeux exorbités. Son employée ne put s'empêcher un sourire de contentement devant l'angoisse qui animait le visage de son patron... Ces intimidations continuèrent à se préciser chaque jours. Il reçut même une lettre sous la forme d'une bande dessinée. Quatre petits croquis qui montrait, sur le premier une tombe sur laquelle était clairement écrit son nom, sur le second, il était distinctement représenté en sang, un couteau planté dans le ventre, dans le troisième une main portait un poignard d'une façon menaçante et le dernier montrait ce même poignard reposant sur une étagère qu'il pensa reconnaître comme celle de sa chambre. Il n'en pouvait plus, il soupçonnait tout le monde d'en vouloir à sa vie. Il empoigna son téléphone. « Allô, j'aimerai parler à l'inspecteur Ernest Puppa! Après quelques longues secondes d'attente, la voie de notre sympathique ami vibra dans l'écouteur. -Ernest Puppa à votre écoute ! -Ici Albert Oubéna, on se connaît ! » Ernest interloqué par cet appel, s'enquit du but de ce coup de fil inattendu : « Que puis-je faire pour votre service ? » L'ambassadeur, le pria de rejoindre au plus vite son bureau de l'O.N.U. en lui expliquant brièvement ce qui lui arrivait. Une heure plus tard, Puppa compulsait avec attention les terribles missives tout en posant quelques questions sur l'entourage de l'intéressé. Albert déballa en moins d'une heure toute sa vie et accusa tous les gens qu'il connaissait d'être les corbeaux. Puppa comme à son habitude ne dit pas un mot, écoutant avec attention la description que l'ambassadeur faisait de son entourage. Les jours suivants, l'inspecteur les occupa à
interroger tous les protagonistes incriminés... -------------------------------- Une semaine plus tard. Puppa se complaisait dans une journée d’inactivité, paisiblement assis dans le commissariat quand son chef, un homme antipathique qu'il supportait par habitude, vint le tirer de sa rêverie. « Alors cette affaire de l'ambassadeur, ça n'a pas l'air d'avancer. -Malheureusement, je n’ai aucun indice tangible. Mais à mon avis le coupable est au courant qu’une enquête est en cours. Car l’envoi de menaces a subitement cessé. Je pense que le responsable a déjà quitté le pays et qu’il sera difficile et peut-être même impossible de le retrouver. L’ambassadeur, n’a d’ailleurs pas porté plainte officiellement car il soupçonne principalement sa femme d’être à l’origine de cette mauvaise farce ! Son supérieur quitta le bureau quelque peu étonné par les propos de son inspecteur, ceci ne ressemblait pas du tout à sa ténacité et perspicacité habituelle. Puppa
afficha un petit sourire au coin de ses lèvres. Bien entendu qu’il
le connaissait le coupable. Les évidences qui lui avaient été présentées
ne lui avaient permis aucune hésitation concernant l’identité du
coupable. Mais comme il abhorrait copieusement son détestable ‘‘client’’, il avait trouvé la solution idéale pour démêler sans frasques inutiles cette évidente énigme. |