On n'est pas des chiens! Attablé
dans ce petit restaurant de la place Pertemps, l'inspecteur Ernest Puppa
ne semblait pas avoir beaucoup d'appétit et paraissait bien songeur. « A
quoi penses-tu ? Lui demande Jean avec qui il dînait. Ernest
repoussa de sa fourchette quelques petits pois qu'il trouvait un peu trop
verts, regarda son camarade droit dans les yeux et dit : -Tu
te souviens, j'avais commencé ma carrière de policier en Ardèche ! » Jean
acquiesça de la tête. « Ma
dernière enquête fut très étrange et souvent au moment des repas je
repense à cette triste affaire. -De
quoi s'agit-il ? Demanda Jean intrigué. L'inspecteur
heureux de pouvoir faire partager son angoisse commença. -Et
bien voilà... -------------------------------------- Alphonse
était assis devant sa table, droit comme un I, c'était ainsi qu'il
aimait manger. Il habitait un petit village de cinq cents habitants perdu
au beau milieu du département de l'Ardèche. Il était maire de cette
petite bourgade qui refusait l'arrivée du modernisme et de la pollution.
Le bourg était la tranquillité même avec par bonheur quelques jeunes
couples affublés de plusieurs marmots qui avaient récemment rejoint leur
petite communauté rurale. « Cinq
cents âmes et cent chiens ! » Comme disait si bien Firmin son
cousin ! Et
oui, la commune regorgeait de nos amis à quatre pattes, mais tous étaient
bien élevés, très civilisés, et se côtoyaient dans l'harmonie et la
bonne entente qui étaient de rigueur dans ce petit patelin du sud de Notre
ami mangeait avec appétit, il engloutissait un bon cassoulet qu'Orélie
sa voisine lui avait préparé avec amour. Elle aurait bien voulu venir
vivre avec lui, mais il était solitaire et ne supportait que la présence
de son bon vieux chien, un épagneul breton qu'il avait récupéré, il y
a une dizaine d'années de cela, errant sur le bord de la route. Alphonse
ne prêtait que peu d'attention à son ami le toutou, qui le regardait
immobile, les yeux gourmands, espérant une petite aumône de son
bienfaiteur. Le présent arriva brusquement. C'était un quignon de pain,
seul relief du dîner de son maître. Il l'avala d'une rapide lapé et
retourna tranquillement sur sa paillasse. Notre
personnage était un grand gaillard, bien bâti, le temps semblait s'être
arrêté brusquement sur sa quarantaine bien passée. Ses joues rougies
par le soleil, son nez d'une dimension qualifiée d'impressionnante,
donnaient à cet homme une stature de bon vivant. Le calme il l'aimait
bien, mais quelques fois il songeait qu'il préférerait qu'enfin quelque
chose se passe dans ce coin perdu de la campagne. Moustard,
c'était le nom du cabot, dressa soudain les oreilles. Dehors des
aboiements suivis de cris effaçaient la tranquillité de cette après
midi d'été. Alphonse intrigué par ces incongruités se dirigea vers sa
fenêtre. Son fidèle compagnon, perché sur ses deux pattes essayait
d'observer la scène horrible qui se déroulait au dehors. Notre héros
n'en croyait pas ses yeux, à l'extérieur, devant madame Michon qui
hurlait de rage. Deux chiens du village, des corniauds de mœurs pourtant
pacifiques, s'entretuaient. Ni les coups de bâtons qui pleuvaient sur
leurs dos, ni les cris n'arrivaient à séparer les deux combattants. « Mais
qu'est ce qui leur prend à ceux là ? » Pensa t-il. Il
alla donner main forte à son administrée, tout en prenant bien soin
d'enfermer son propre chien à double tours. Mais rien ne put séparer les
ennemis qui ensanglantés continuaient à se mordre violemment. Quelques
minutes plus tard, les bêtes se retrouvaient mortes, égorgées
mutuellement. La pâleur s'exhibait sur les visages des nombreuses
personnes qui se tenaient maintenant devant la sinistre scène. « Mais
que s'est-il passé ? Dit l'un. -Ils
se connaissaient pourtant bien ces deux là ! Répondit l'autre Les
propriétaires des animaux décédés se regardaient l'air ahuri. On ne
comprenait rien, pourquoi ces bêtes d'ordinaire si paisibles s'étaient-elles
battues jusqu'à la mort ? -Ils
ont la rage ! S’exclama quelqu'un. La
foule fit un pas en arrière. --------------------------------------------- On
ne parlait plus que de çà dans la bourgade. Ces deux chiens qui, comme
devenus fous, s'étaient trucidés, devant les yeux de tout le monde. « Paraît-il,
ajouta Léontine, que les Auréliens et les Brantons, nouveaux venus dans
la commune, avaient dû se séparer de leurs épagneuls qui devenaient
dangereux pour leurs enfants. -Le
vétérinaire doit venir demain ! Dit Alphonse. -Il
faudra qu'on fasse vacciner tous les animaux et nous-mêmes par-dessus le
marché ! Continua Firmin. Alphonse
ne comprenait rien à cette histoire et décida d'aller faire un petit
tour. Il appela d'un bref sifflet ! -Allez
viens
Moustard, on va voir ce qui se passe au moulin d'Hector! Hector,
c'était un vieil homme aimé de tous, il avait retapé le vieux moulin
qui, sans lui, ne serait plus qu'une ruine. L'endroit se trouvait à deux
kilomètres du bourg. Pour sa retraite ce sympathique personnage avait décidé
de fabriquer la farine qui servirait au boulanger du village. Son
compère Léon, le fermier, avait un champ de blé qui lui était tout spécialement
réservé. Les blés qui y poussaient, étaient incroyablement beaux et
fournis. Léon aimait expliquer que ce miracle provenait d'une terre
particulièrement riche qui se trouvait dans son champ. Le fait est que
son hectare de blés était plus que suffisant pour alimenter les meules
et nourrir tout le monde. La
porte du bâtiment était restée ouverte, notre ami entra en s'exclamant : « Bonjour
monsieur le meunier ! » Devant
lui, trois hommes tournèrent soudain la tête. Il y avait Hector, bien sûr
son copain Léon et une autre personne dont le visage et l'habillement
semblaient incongrus en ce lieu. Les personnages cessèrent soudainement
leur conversation. « Bonjour
messieurs ! Reprit notre maire. -Salut
mon gars, qu'est ce qui t'amène ! -Je
vous dérange peut-être ? -Oh,
non, on buvait un coup ! Puis il enchaîna. Je te présente Jean un cousin
de la ville. -Enchanté
! -Que
nous vaut l'honneur de ta visite ? -Avez
vous entendu l'histoire des chiens du village ? -Non
! Répliquèrent les trois compères en cœur. Alphonse
s'assit devant un grand verre de gnôle qu'il but rapidement et raconta la
triste histoire en ajoutant, comme il aimait le faire, moult détails pour
augmenter l'intérêt du récit. Son fidèle compagnon couché à ses
pieds se moquait bien de toute cette histoire et reniflait les quelques
miettes éparpillées sur le sol. -Le
vétérinaire doit venir demain ! C’est ainsi qu'il termina ses propos. Hector
et Léon le regardaient d'un air éberlué. -Jamais
entendu une chose pareille, répliqua le fermier. L'homme
en costume de ville, avait pâli. De grosses gouttes de sueur perlaient
sur son front. Il se leva prestement. Formula la nécessité de partir
sur-le-champ. Un rendez-vous des plus important. Il était en retard. Il
prit tout juste la peine de saluer les attablés et sortit, presque en
s'enfuyant. -Il
a quoi ton cousin ? -J'sais
pas il est un peu bizarre comme individu. Et
puis la conversation continua : -On
pense que c'est la rage, heureusement que mon bon toutou, reste toujours
avec moi. Il craint rien celui là ! » Précisa-t-il
tout en flattant la tête de son animal maintenant assoupi. Les
trois compères s'appréciaient cordialement, l'après midi passa donc très
rapidement devant plusieurs bonnes bouteilles. Toutes les bonnes blagues
et histoires du passé racontées déjà mille fois semblaient ne jamais
devenir désuètes pour ces trois anciens du pays. Le soir venu Alphonse
se décida à quitter les lieux. Léon qui devait aller traire ses vaches,
lui emboîta le pas. Après une dernière poignée de main, les deux
hommes se séparèrent pour filer chacun en direction de leur domicile. Arrivé
à quelques deux cents mètres du village, Alphonse fut abasourdi par la
scène qui se déroulait devant lui. Jeanne la femme du boulanger était
attaquée par son propre chien. Pas seulement une petite agression, mais
son cabot lui tenait méchamment le bras d'où du sang s'écoulait
maintenant à flot. La malheureuse hurlait de douleur. Moustard commença
à sortir les crocs. « Va
mon chien, aide cette pauvresse ! Dit-il tout en courant porter de l'aide
à l'agressée. Son
chien se rua à la rescousse de la femme. Mais à la grande surprise de
notre ami, non seulement il ne défendit pas la victime, mais lui-même se
jeta à l'assaut de sa gorge qu'il serra dans sa gueule jusqu'à la mort
de la malheureuse. Alphonse horrifié, empoigna un lourd bâton qui gisait
sur le bas côté de la route et en assena de grands coups sur les bêtes
qui continuaient à s'acharner sur le cadavre. Mustard eut le crâne
fracassé, quant à l'autre, le coup avait été donné si fortement qu'il
gisait sur le flanc incapable maintenant de bouger. Notre homme restait à
genoux devant ces trois corps sans vie, ce n'est que quelques dix minutes
plus tard que des passants alertés par le bruit vinrent le tirer de sa
torpeur. ------------------------------------------ Ce
matin un gros camion noir s'arrêta devant la mairie. Un homme habillé
d'une blouse blanche descendit du véhicule et pénétra dans l'édifice.
Alphonse, qui arborait une triste mine interrogea l'homme sur sa présence : « Bonjour
monsieur, que puis-je faire pour votre service ? -Bonjour
monsieur le maire, je suis le vétérinaire ! s'exclama t-il. -Oh!
D’accord ! Dit-il étonné. Je m'attendais à voir Germain Gonin... Je
présume que vous êtes son associé ? -Non,
je suis son remplaçant, il est souffrant!
Répliqua-t-il
d'un ton sec. Où sont les bêtes ? Notre
ami l'emmena directement dans les sous-sols de l'hôtel de ville. Dans la
cave gisaient les quatre carcasses. -Je
ne sais pas ce qui s'est passé docteur, balbutia t-il, ils sont tous
devenus fous ! Sans
un mot l'individu se pencha vers les cadavres, mit ses gants en plastique,
sortit de sa mallette une petite scie, puis il commença la découpe du crâne
des animaux. De petits bouts de leurs cervelles furent soigneusement rangés
et étiquetés dans un petit sac. -Je
vais analyser cela dans mon camion, laissez-moi deux heures pour
comprendre le problème ! » Alphonse
le suivit jusqu'à la porte de son poids lourd. A l'intérieur, on pouvait
apercevoir des multitudes d'appareils divers et variés. L'homme d'un pas
léger pénétra dans son laboratoire et lui fit comprendre qu'il voulait
rester seul... Un
petit attroupement qui rapidement prit de l'ampleur, se forma autour du véhicule.
On était dimanche et bientôt l'ensemble du village semblait réuni, là,
anxieux, dans l'attente des résultats. Deux bonnes heures passèrent.
Puis la portière s'ouvrit, un individu que personne n'avait encore
remarqué précéda le vétérinaire. D'un
air grave, il annonça : « Vos
chiens sont atteints d'une forme de rage virulente. Dès aujourd'hui il
faudra sortir vos bêtes, et les attacher dans votre jardin. Il est très
malsain et risqué de les garder à l'intérieur. Demain une équipe
viendra les vacciner. Monsieur le maire, il est très important que
l'ensemble de la population du village se plie à ces directives. Je vous
donne également ce médicament ! » Il
sortit du camion un carton sur lequel on pouvait lire "Institut Pasteur"
chargé de flacons remplis d'un liquide rougeâtre, il ajouta : « Ce
soir avant de dormir, il est impératif que chaque habitant en prenne
une ration. Nous avons eu plusieurs mauvaises expériences ces derniers
mois avec cette affection peu courante et ce remède est la meilleure
parade que nous connaissions. -Cette
maladie animale est donc transmissible à l'homme ! Demanda monsieur le
curé. -Oui
! Il y a des risques ! Puis
l'individu sortit de sa poche un téléphone portable. -Allô,
c'est Michel... Oui c'est bien ce que je craignais... Venez avec votre équipement
dès que possible... On reste là pour superviser nos directives !!!
Salut. Puis
il se tourna vers la foule qui s'empressait maintenant autour de lui. -Messieurs,
dames, pas d'affolement, si vous suivez nos conseils, il n'y aura pas de
problèmes. Monsieur le maire va distribuer à chacun une petite dose de
vaccin que vous avalerez ce soir avant de dormir. Il est très important
que tous vos chiens soient attachés à l'extérieur de votre habitation.
Nous resterons avec vous jusqu'à demain puis une équipe spécialisée
arrivera de Paris pour prendre la relève et soigner vos animaux ! » En
fin d'après-midi chaque maison se retrouvait avec un ou plusieurs cabots
attachés devant la porte. Les animaux furent tous auscultés en détails.
Puis le soir arriva, et le village s'endormit sous les gémissements des
animaux peu habitués à passer la nuit à la belle étoile... --------------------------------- Le
lendemain matin, c'est vers dix heures qu'Alphonse fut brutalement réveillé.
Le postier qui venait de la ville tambourinait à sa porte en s'écriant : « Vous
êtes tous morts ! Un
peu sonné notre ami sortit voir ce qui se passait. -Quelle
heure est-il ? -Dix
heures passées, mais que se passe t-il ici ? » La
bourgade était restée endormie, le camion du vétérinaire n'était plus
là. Les
deux hommes s'empressèrent de parcourir le petit patelin et s'efforcèrent
de réveiller tout le monde. Une chose était sûre, les vétérinaires étaient
partis et événement incroyable, les chiens avaient tous disparu... ------------------------------------------- « Au
feu, au feu ! Au
loin on apercevait deux épaisses colonnes de fumée noire qui s'élevaient
dans le ciel. -C'est
le moulin d'Hector et la ferme de Léon qui brûlent ! » Une
vingtaine de minutes plus tard, un camion de pompier était sur les lieux.
Mais plus rien ne restait à faire les deux bâtiments éloignés de
quelques neuf cents mètres l'un de l'autre avaient été réduits en
cendres. A l'intérieur dans chacune des bâtisses se trouvait le cadavre
calciné de leur propriétaire une balle logée au milieu du front. La
tristesse de la situation avait presque fait oublier l'énigme des chiens,
mais l'enquête de police qui fut rapidement menée put faire le
rapprochement évident entre la disparition des chiens et ces deux
assassinats. La
brigade criminelle s'installa dans le village. « Il
faut absolument trouver le nom de ce vétérinaire! Fit remarquer
l'inspecteur Puppa à son collègue. -Nous
n'avons pour le moment aucune piste à suivre. La personne qui devait
venir ausculter les chiens a été agressée par des inconnus et on l'a
retrouvée deux jours plus tard en piteux état, attachée pieds et poings
liés dans sa cave. Mais je ne comprends pas le lien entre ces animaux
enragés, le fermier et le meunier. Puppa
haussa des épaules. -Il
n'y a qu'un moyen pour le savoir, allons trouver un indice sur
l'emplacement des incendies! Menant
le geste à la parole, notre brillant compère détala à grandes enjambées. Arrivés
sur place, les deux hommes se demandaient bien quelles preuves pourraient-être
découvertes dans cet enchevêtrement de poutres calcinées. Que
faire ? L'inspecteur,
à qui l'on venait de confier cette dernière enquête avant sa mutation
dans le pays de Gex, se mit à réfléchir. Son collègue quelques pas
devant lui, envoyait quelques coups de pieds désinvoltes dans les cendres
qui recouvraient le sol. Un
large sourire éclaira soudain le visage de l'inspecteur. « Jacques,
je crois que j'ai découvert le lien entre ces deux tragiques événements! Son
collègue se retourna et le regarda d'un air interrogateur. -Il
y a un seul lien possible entre le fermier, le meunier et les chiens !
Mais ce qui m'effraie c'est que peut être, un grave danger court sur la
vie des habitants du coin ! Jacques
ne comprenait pas les propos de son ami. -Que
veux-tu dire par-là ? -Suis-moi,
on va trouver le nom des coupables chez le fermier ! -Des
coupables ? Chez le fermier ? Il
détestait cette manie qu'avait son collègue de ne pas dévoiler immédiatement
ses pensées
et de laisser durer le suspens jusqu'au dernier moment. -Alors
tu craches le morceau ou quoi ! Dit-il d'une voix excédée. Puppa,
fit mine de ne rien entendre et se dirigea d'un pas rapide en direction de
la ferme. Son
compagnon, fulminant grommela. -T'as
qu'à y aller tout seul trouver ton indice, moi je reste ici ! » Quelques
minutes plus tard, Puppa se tenait à l'intérieur des décombres de la
grange. Il ne savait pas exactement où trouver l'évidence qui lui
permettrait de découvrir rapidement les criminels. Sa recherche prit de
nombreuses heures. Mais non, ce qu'il voulait trouver n'existait plus,
tout était parti en fumée, envolé dans un tourbillon de flammes. Pourtant
il remarqua au dehors un petit local qui avait échappé au sinistre. En
se rapprochant, il aperçut sur la porte légèrement entrebaîllée un écriteau
affublé d'une tête de mort. Pénétrant dans le local il comprit qu'il
était en présence des produits chimiques utilisés pour le traitement
des cultures. Des noms scientifiques aux consonances rébarbatives étaient
placardés sur chaque bidon accompagnés de la mention DANGER. Puppa
venait de réaliser qu'il avait mis le doigt sur la clef du problème. En
retournant vers son collègue, il passa devant un tracteur affublé de son
étrange remorque. Il continua son chemin. Mais à vrai dire, son esprit
d'une logique implacable ne croyait déjà plus à sa découverte. Quelque
chose ne collait pas ! Il
s'arrêta brutalement, fît quelques pas en arrière et enfin compris que
l'évidence venait de passer, par hasard, devant ses yeux. « Non!
Incroyable ! Mais pourquoi n'y ai-je pas pensé plus tôt ! » Avec
l'appui de cette évidence, il fut facile de retrouver les incendiaires et
les voleurs de chiens... Pour la solution de cette énigme cliquez ici
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