L'extra terrestre avait des cornes |
L'amitié sincère entre les Martinon et les Embudin s'était bonifiée au cours du temps. Ils se connaissaient maintenant depuis une vingtaine d'années et adoraient se retrouver ensemble autour d'une bonne table. Leur première rencontre remontait à la naissance de leurs enfants. Edmond Martinon, était né à l'hôpital de Saint-julien en même temps que Jérome, le fils regretté des Embudin, qui n'avait vécu qu'une toute petite année et avait rendu l’âme, foudroyé par une terrible maladie. Les Martinon avaient apporté leur immuable soutien à ce couple de nouveaux amis et leurs liens s'étaient consolidés durant cette triste période. Ce soir les Embudin recevaient leurs intimes pour dîner. Edmond, devenu un magnifique jeune homme, accompagnait ses parents. Tous les cinq étaient attablés dans la petite salle à manger de cette jolie villa de Cessy. Les convives comme toujours respiraient la joie de se retrouver ensemble. Jean Embudin avait deux hobbies, la musique et le jardinage.
Tout chez lui montrait son amour pour ces passions. Dans un coin du salon, une
immense armoire était bondée de C.D. en tout genre et surtout il y avait cette
fantastique chaîne haute fidélité qui était affublée de deux énormes
haut-parleurs dignes d’une scène de concert de Rock. Il affirmait
d’ailleurs qu’elle était capable de transmettre n’importe quel son avec
une exactitude inégalée. Leurs amis Martinon, quant à eux, aimaient les voyages. Ils partaient fréquemment visiter les moindres recoins de la planète. À la suite de leur dernier périple au Mexique, ils avaient ramené une énorme géode qu'ils avaient offerte à leurs amis. Ce cristal de roche trônait bien en vue sur une étagère de la salle à manger et suscitait chez tous les visiteurs des commentaires admiratifs. Les Martinon éprouvaient une réelle jouissance à raconter en détail leurs longs et intéressants périples. Ces récits, ils aimaient les accompagner inévitablement d’une multitude de petits détails anodins ou croustillants qui enchantaient divinement leur auditoire. Edmond, les observait un petit sourire aux lèvres. Lui-même adorait écouter ces histoires et même si pour lui c’était une énième répétition de ce qu’il avait déjà entendu, il ne se lassait pas de les entendre. On pourrait trouver étrange la présence, au côté de ses parents, de ce beau jeune homme de vingt ans. Sa place n’était-elle pas avec des jeunes gens, des jeunes filles de son âge ? Ce fils tant aimé, adulé, que les Martinon choyaient de leur tendresse n’était pas vraiment un modèle d’intelligence et de courage. Jamais, au grand jamais, il n'avait été capable de suivre des études, et la présence de papa, maman, semblait amplement le combler. La fortune de ses parents lui permettrait, s’était-il dit, de jouir d’une vie oisive et sans souci. Ses parents s’inquiétaient quelque peu de ce fait. Ils avaient essayé de le soumettre à des occupations qui auraient pu lui donner l'idée d'exercer un jour un métier. Mais ceci sans succès. Pourtant, récemment, une proposition semblait l’avoir intéressé. Elle émanait des Embudin. Très gentiment, ils lui avaient proposé de venir s'occuper de l'entretien de leur propriété, et, à la surprise générale, le fiston avait accepté avec un contentement peu dissimulé… Le repas se déroulait comblé de sourires et d'une conversation très agréable. Le Chili était pour l’instant le centre de la conversation. Ce lointain pays serait sans nul doute la prochaine destination de nos voyageurs. Pourtant quelque chose clochait parmi cette entente si parfaite. Une rougeur à peine perceptible venait de colorer le charmant minois de la maîtresse de maison. L'anachronisme se déroulait sournoisement sous la table, où, un pied câlin caressait la jambe de la belle dame. « Qu'en penses-tu Chloé ? demanda monsieur Embudin à sa douce moitié. -Excuse-moi, je n'écoutais pas ! dit-elle l'air gêné. Puis elle se leva subitement. -Je vais chercher la suite. Est-ce que tout le monde aime le gigot d'agneau ? » L'approbation générale sembla la contenter. Rapidement elle disparut de la vue de ses invités. Son cœur battait la chamade, sa gorge nouée semblait entièrement desséchée, une moiteur inhabituelle tapissait la paume de ses mains. Ses joues étaient en feu. Elle s'activa autour du morceau de viande qu'elle venait de sortir du four essayant tant bien que mal de retrouver sa composition. Dans la salle à manger les convives continuaient leur ripaille sans vraiment réaliser l'étrange comportement de Chloé. La première bouteille de vin était à présent complètement éclusée, monsieur Embudin pria Edmond d'aller dans la cuisine demander à son épouse le Bordeaux grand cru qu'il avait préparé pour la suite des festivités. Sans mot dire le jeune homme emprunta la porte de la cuisine… « Il est bien élevé ce petit ! Ironisa monsieur Embudin et la discussion sur la chaîne andine reprit de plus belle. » -------------------------------------- Le corps de Chloé frémit sous la tendre caresse que des lèvres gourmandes lui dispensait sur la nuque. Les bras du jeune homme prirent possession de la belle qui laissa échapper un soupire de béatitude. Prit d’un désir fou qu’il ne pouvait plus contenir, il lui sollicita d’abord un baiser, puis ses mains s’engagèrent sous sa jupe, « Non, pas ici, pas maintenant ! articula-t-elle. On va nous surprendre. » Cette affirmation calma son entreprise. Se remémorant les
moments de félicité qui depuis un mois maintenant réunissaient leurs
anatomies consentantes, il lâcha lentement prise. Des rires parvinrent à leurs oreilles. Puis une voix forte s'éleva. « La suite, la suite, on a faim ! Les deux amants réintégrèrent la salle à manger, madame portant à pleines mains le met carné qui diffusait un fumet délicieux, et Edmond l'élixir tant attendu... ------------------------------------------- « Hello jeune homme, que fais-tu de beau ? C'est ainsi qu'Hector, en bon voisin, interpella monsieur Embudin. Un petit chemin caillouteux représentait la séparation de leurs propriétés. Cet homme de la campagne était un admirateur sans réserve des magnifiques compositions florales de notre jardinier « en herbe ». -Je remets ma serre en état ! répondit-il, afféré qu'il était au sommet d'un échafaudage à caler toutes les vitres qui composaient le toit. Et puis après quelques secondes de silence qui en fait n’étaient que la réalité de sa concentration, il ajouta : -Je stabilise chaque carreau à leurs quatre coins pour qu'en cas de grêle, ils encaissent mieux les chocs. -Et bien tu sembles faire ça avec minutie ! En effet, monsieur Embudin munit d'une règle millimétrée ajustait l'écartement de chacun des petits plots, ensuite, il frappait légèrement l’armature de l’encadrement, touchait la vitre avec son doigt et continuait son travail de précision jusqu’à obtenir l’effet escompté. Il venait justement de terminer l’un de ses assemblages et, l’air satisfait, se tourna en direction d’Hector en affirmant tout sourire : -J'aime que tout soit parfait ! Ce travail minutieux, l’occupa d’ailleurs la plus grande partie de la journée. Le soir venu, épuisé il retrouva le confort de ses pénates. Sa femme le rejoint plus tard qu'à l'habitude. La mine déconfite, elle lui expliqua un ennui mécanique à sa voiture qui l'avait laissé bêtement échouée sur le bord de la route, avant qu'une âme charitable veuille bien lui prêter main forte. -Ma pauvre chérie, tu n'as vraiment pas de chance ! J’ai préparé un petit buffet froid, ta part t’attend dans le frigo ! -Tu es un ange mon chéri ! répliqua-t-elle. Mais je me sens tellement fatiguée, je ne sais pas si j’aurai la force de manger ! Jean regarda sa femme tendrement ; elle avait l’air gênée, différente. Il se rendit compte que la quarantaine n’avait en rien déparé son physique. Au contraire, elle semblait encore plus belle, plus attirante, plus désirable qu’auparavant. Non seulement son visage resplendissait de beauté mais la ligne de son corps lui donnait une grâce féline, une évidence d’harmonie distinguée. --------------------------------------------------- « Pas possible ! s’offusqua Ernest Puppa. Pourquoi m'envoyer faire une enquête aussi débile ! Donnez ça à un bleuet, mais pas à moi ! Son chef le regarda avec sévérité. D’accord, Puppa était un inspecteur de génie, mais il ne fallait pas qu’il se prenne pour le roi. -On ne discute pas mes ordres, reprit-il. De plus, qui y'a-t-il de stupide dans un témoignage d'apparition extraterrestre ! -Ça n'existe pas, voilà tout ! Affirma Ernest. -Peu importe votre façon de penser, de nombreux témoins vivant à Cessy sont prêts à vous prouver le contraire ! Et puis pas de discussion, allez « Ouste » au boulot ! » Bon an mal an, notre ami bougonnant sous l’œil amusé d'un gendarme qui l’accompagnait, prit le chemin en direction du village qui avait reçu cette étrange visite. Les deux hommes arrivèrent rapidement sur les lieux. Muni d'un petit carnet noir et d'un appareil photo, le gendarme était paré à consigner les moindres indices. Hector, témoin principal du phénomène les attendait avec impatience. Quelques habitants du quartier se tenaient près de lui semblant décrire, aidés d'amples mouvements de bras, l'évènement extraordinaire qu'ils avaient tous observé. « Inspecteur, nous vous attendions ! » Puppa connaissait bien tous les protagonistes, c'est d'ailleurs ce qui le chiffonnait un peu. Ces gens n'étaient à ses yeux nullement des hurluberlus rêveurs, mais bien au contraire, des citoyens ayant parfaitement la tête sur les épaules. Quelque chose de particulier avait dû survenir aux alentours du village. -Tout compte fait ! se dit-il, je vais peut-être bien m’amuser avec cette enquête. -Suivez-nous, Ernest, vous verrez qu'on n'invente rien ! dit Hector, qui appréciait parfaitement l’esprit cartésien de l’inspecteur, et qui croyait deviner sa pensée critique envers son affirmation. Il ajouta. -Des habitants d'un autre monde nous ont visités la nuit dernière ! » Au milieu d'un champ, à quelques encablures du village, Puppa ne put que constater la présence de traces étranges. Sur un cercle d’une dizaine de mètres de diamètre, on apercevait six ronds régulièrement répartis où l'herbe semblait complètement carbonisée. L'œil exercé de notre fin limier remarqua immédiatement la multitude de minuscules cristaux brillants qui parsemait ces emplacements. Il demanda à son collègue d’en ramasser un échantillon. Le gendarme s’exécuta, armé de gants en plastique, il en collecta dans chaque endroit avec une extrême délicatesse et les logea dans de petits sacs qu'il libella soigneusement. « Oui, inspecteur ! Au beau milieu de la nuit, tous les chiens du coin se sont mis à hurler à la mort. Je suis sorti pour voir ce qui pouvait bien arriver. Et, soudainement une intense lueur s’est mise à briller par ici ! Tout ça n'a duré que quelques minutes. Puis, la lumière a disparu aussi soudainement qu'elle s'était montrée, quelques secondes après, les chiens ont arrêté de s'époumoner et un silence de mort a envahi l'endroit. Tout cela m'a glacé le dos. J’n’ai jamais rien vu de pareil. Pour sûr, il ne s’agissait pas d’une farce. Et puis mon chien, la pauvre bête, il tremblait de tout son corps. Puppa s'interrogea sur cette remarque, mais aucune solution logique ne se présentait à son esprit. Les chiens avaient donc détecté quelque chose d’étrange avant leurs maîtres ? Les autres quidams présents, confirmèrent le témoignage de leur voisin : « On a tous eu terriblement peur. Les chiens qui après avoir fait un raffut abominable se sont tous tus en même temps, nous laissant cette impression étrange, que la soucoupe volante s’était volatilisée. -Vous avez dit soucoupe volante ? interrogea le gendarme. -En fait, à part les lumières, on n’a pas vraiment détecté une forme, un objet, mais que voulez-vous que se soit d’autre ? » Puppa laissa les intervenants continuer leurs supputations extravagantes et suivi de son acolyte, reprit le chemin de sa voiture. « Tout cela me semble bien étrange ! » osa-t-il d’une voix basse. Le gendarme le fixa d’un regard interrogateur, espérant une explication qu’il ne reçut malheureusement pas. -------------------------------------------------- Samedi, cinq heures trente du matin. Puppa, les yeux largement ouverts réfléchissait à l'étrange affaire à laquelle il avait été confronté le jour précédent. Il se leva brusquement. Toute cette histoire s'apparentait pour lui à une farce grotesque. Il avala rapidement son petit-déjeuner. Malgré l’heure matinale, il avait la ferme intention de se rendre sur le lieu de l’apparition. Il en était certain, il y découvrirait sans coup férir la clef du mystère. Aussitôt dit aussitôt fait, une demi-heure plus tard il était déjà sur l’emplacement incriminé. Il se tenait au beau milieu de l'étrange figure venue soi-disant d’un autre monde et regardait le sol avec minutie. Le détail évident se trouvait bien là, sous ses pieds, démontrant sans peine la réalité du subterfuge. Il sourit, se baissa et enfila son index dans le petit trou qui se trouvait creusé à cet endroit. Un bâton avait dû être planté ici et la raison en était fort simple. Une corde attachée à ce pieu avait permis au moyen de son autre extrémité de positionner les empreintes dans un mouvement circulaire parfait. La suite était facile à imaginer. Sur chaque repère, le petit plaisantin avait versé un simple herbicide qui avait carbonisé la végétation. Quant aux étranges petits cailloux brillants, le labo d'analyse aurait vite fait de l'aviser de leur nature. Très content de sa découverte, il continua sa quête en direction des fourrés qui se trouvaient non loin de là. Il ne lui fallut que quelques minutes de patience pour découvrir sur la branche d'un des arbustes des blessures qui semblaient de nature très récente. Autour de ces escarres, toutes les feuilles étaient flétries, brunies, exactement comme il l’avait supposé. Ernest voyait parfaitement la scène. Le coupable avait accroché des lampes halogènes aux branchages, puis les avait allumées à l’instant propice. La chaleur dégagée avait provoqué les meurtrissures. « Tiens ! Voilà quelque chose d’intéressant. Sur le sol, un fil électrique restait oublié à la base du tronc. -C’est celui-ci qui a permis de relier le système d'éclairage à la batterie ! pensa-t-il tout haut. Ernest heureux de ses trouvailles retourna à sa voiture. Toute l’histoire était maintenant parfaitement éclaircie. -Des extra-terrestres ! pouffa-t-il. C’est trop drôle. Il imagina les petits plaisantins qui de leur côté devaient également se réjouir de cette bonne farce jouée aux autochtones. Malgré cette amusante découverte, une dernière broutille le chiffonnait encore. Les chiens. Pourquoi s'étaient-ils tous mis à hurler en même temps et par quel mystère étaient-ils retournés au silence à l'unisson ? -Cette question restera sans réponse ! se dit-il. La farce gardera au moins un secret. Ernest avait déjà décidé de ne rien dévoiler de ses conclusions. Son sens de l’humour lui avait suggéré l’excellence de la plaisanterie. Une énigme de cet acabit donnerait pour longtemps un sujet de conversation et de délire à ce petit village, à son goût trop tranquille. ---------------------------------------------------- La petite ville de Cessy avait retrouvé sa quiétude habituelle. Le mystère de la soucoupe volante était resté sans solution et l’endroit était devenu un lieu de pèlerinage obligé. « Même l’inspecteur Puppa a conclu à une visite de petits hommes verts ! » affirma Hector à quelques curieux qui passaient devant sa propriété. Edmond, qui travaillait maintenant comme jardinier des Embudin, s’amusait des badauds qui se rendaient sur le lieu d'atterrissage de l'engin extraterrestre. Le jeune homme n'était pas très prompt au travail, mais sa patronne semblait, pour une tout autre raison, tout à fait satisfaite de ses services. Cette après-midi, il devait s'occuper de la serre. Elle nécessitait
un bon nettoyage. Puis, ce devoir accompli il pénétra, un balai à la main, dans cette immense cage de verre maintenant complètement vide. C’était l’un de ces merveilleux jours de printemps, baigné d’un calme qu’il pensait propice à la méditation. Les fenêtres de la maison étaient restées grandes ouvertes. Sa douce patronne était partie faire des courses et monsieur semblait endormi devant sa chaîne haute fidélité qui diffusait en sourdine de la musique classique. Hector qui non loin de là, plantait quelques pousses, s'arrêta un moment dans son labeur pour regarder le jeune homme. « Quel fainéant celui-là ! » pensa-t-il. En effet Edmond traînait des pieds. Durant les vingt minutes qu’il l’observa, le jeune homme n'avait donné qu'un seul et unique coup de balai. Maintenant, la tête levée vers le ciel, il observait la toiture transparente située à quelque cinq mètres au-dessus de lui. Son nez pointant sur le bleu azur, il tournait lentement sur lui-même, perdu dans ses rêves, scrutant les quelques petits nuages qui défilaient dans le ciel. Hector, un petit sourire aux lèvres, dodelinant de la tête, se remit à bêcher avec minutie son jardinet. Soudain, ce qu’il avait toujours redouté se produisit. Son corps se figea brusquement. Une terreur indescriptible se dessina sur son visage. Une abondante sueur recouvrit son front. Près de lui, son chien jusque-là tellement calme s'était mis à hurler à la mort, accompagné bientôt par l'ensemble de la faune canine. Puis il y eut ce bruit de carreaux cassés. Tournant promptement la tête en direction de la maison des Embudin, Hector assista désemparé à l'effondrement du toit de la serre où Edmond travaillait. Chaque vitre éclatait projetant sous elles de terribles tessons de verre qui transpercèrent le pauvre jeune homme. Bientôt, le bougre s'effondra dans la mare de son propre sang… Le silence revint aussi vite que le raffut était venu. Monsieur Embudin, dérangé dans son sommeil, sortit en courant de sa demeure. Hector, enjambant la clôture, se retrouva bientôt à ses côtés. Tous deux regardaient l’intérieur de la serre avec effroi. Le corps d’Edmond n’était pas beau à voir. S’assurant que tout danger d’effondrement avait disparu, ils avancèrent avec précaution jusqu’à la victime. Il n’y avait plus rien faire pour le sauver. La gorge partiellement tranchée, il reposait sans vie, ses yeux largement ouverts semblant pour toujours refléter l’incompréhension de ce qui venait de lui arriver.
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