Le père Noël est en or dur

 

En voyant le titre de cette nouvelle, vous devez penser que l’action se passe en hiver.

Et bien, pas du tout !

Au contraire, nous sommes en deux mille trois, le samedi de la troisième semaine d’août il est à peu près 17h30 et c’est notre héros, Ernest Puppa, qui est devant le barbecue prêt à démarrer le brasier.

Ernest aime profiter de l’été pour réunir ses amis autour de quelques côtelettes et saucisses. Comme notre cher inspecteur ne possède pas lui-même de jardin, il demande à un couple de ses relations s’il peut emprunter leur jardin. C’est à son copain Pierre à qui il fait cette demande. Pierre possède une petite usine d’origine familiale au plus bas de la rue Léone de Joinville. Dans le prolongement de celle-ci, il a établi un jardin qui suit un petit ruisseau sur une cinquantaine de mètre. Le Journan ! L’endroit est calme, agréable et paisible. Il est abrité par une haie de noisetiers, décoré par une serre, agrémenté d’arbres fruitiers.
Tous les invités étaient déjà arrivés. Ecrasés par la chaleur soudaine, ils semblaient heureux de partager le plaisir de leur rencontre, un verre à la main devant une immense table de jardin qu’Ernest avait déjà achalandée d’une main de maître.

Il y a deux couples d’amis, Thierry et Maïté à l’accent venu tout droit du sud de la France, Bernard, un ami de toujours accompagné de Mireille, sa femme et de leurs deux enfants. Bien entendu Pierre, sa femme Danuta, comme à son habitude arriverait certainement avec une bonne heure de retard. Leurs deux filles, l’une de douze ans l’autre de seize, qui arborent toutes les deux une timidité récréative. La plus jeune, tel une ombre, accompagne en permanence la plus âgée, elles se font discrètes peut-être même un peu sauvage. Pour l’instant elles préparent leur endroit personnel de pic-nique, un peu à l’écart, où elles accepteront essentiellement les enfants des convives invités.

Je vais m’arrêter là, concernant la liste des nombreuses personnes qui devraient compléter ma description pour me polariser sur les trois personnages d’une importance cruciale pour cette histoire.

Je vais vous parler de ces deux imposants personnages ventripotents. Albert et Siméon. Deux frères dans la cinquantaine, rougeauds par un excès de soleil et de boissons vinicoles, à l’œil rigolard, à la voix forte, à la démarche débonnaire. Ils entouraient Ernest de leurs plaisanteries égrillardes en lui prodiguant leurs conseils sur la bonne façon  d’allumer un feu.

Albert était célibataire, Siméon divorcé et depuis dix ans ils avaient fait le choix de vivre ensemble dans une maison isolée de la campagne gessienne. Avec eux il y avait Julien, leur ami toujours. Un brave garçon ce Julien, aimable, serviable, discret malgré son mètre quatre vingt dix et ses cent dix kilogrammes. Il était un passionné de tennis de table. C’est d’ailleurs en pratiquant cette activité qu’il avait rencontré les deux frères.

« Alors quand revenez-vous taquiner la petite balle ? Leur demanda t’il.

-Tu sais, on a arrêté, il y a déjà six ans de cela et on n’a pas vraiment l’intention de nous y remettre ! Répondit Albert en posant la main sur son épaule.  

-Bien dommage, ça vous ferait perdre du ventre ! » Plaisanta t’il.

Ce qui est très amusant c’est que Julien était tellement amoureux de son sport qu’il ne se séparait jamais de son sac de sport. Sac en très mauvais état, avec la fermeture rafistolée par quelques attaches sommaires. Mais ce sac contenait un trésor. Au moins dix bois de raquettes, des mousses adhérentes, des boîtes de balles, des vêtements sportifs de marques. Il l’avait entreposé dans un coin du jardin et l’on pouvait l’apercevoir, débordant de son chargement trop important. Quelques balles avaient d’ailleurs roulé sur le sol et l’un des bambins présents s’apprêtait en s’en accaparer une. Siméon réagi instantanément :

« Et, p’tit, touche pas à ça ! »

Puis sous l’œil amusé d’Ernest et de ses deux comparses, il empoigna son sac qui perdit d’un même coup un peu plus de son chargement. Il remit le tout en place avec difficulté et l’accrocha par les poignées à une haute branche d’un arbre. La chose étant faite, il se frotta les mains et s’enorgueilli d’un :

« V’la le travail, plus rien à craindre ! »

Pendant ce temps Ernest s’occupait d’allumer le barbecue. Pour accomplir cette tâche il utilisait un décapeur thermique qu’il appliquait à quelques centimètres du charbon de bois. Celui-ci s’embrasa rapidement et fut prêt à l’emploie dans un temps record. Puis ce fut la pénible corvée de la cuisson.

D’ailleurs à cet instant, tout le monde avait quitté ses alentours. En vérité, personne ne voulait goûter à la chaleur additionnelle et à la fumée nauséabonde qui laissait sur vous une odeur peu ragoûtante.

« On commence sans toi ! »Avait crié l’un des convives.

En effet, comme tout le monde avait très faim, Pierre avait entrepris de servir la salade composée qui faisait office d’entrée.

Ernest acquiesça de la tête en ajoutant qu’il les rejoindrait bientôt.

Il se mit à entreposer parfaitement en ligne sur la grille, les cuisses de poulets, brochettes et merguez. Les grandes dimensions de celle-ci lui permettaient par bonheur de faire cuire une quantité de viande conséquente en même temps. Quand il enfonça sa fourchette dans les saucisses, elles laissèrent échappées quelques gouttes de graisse qui s’enflammèrent immédiatement, ravivant exagérément brasier. Ernest eut un mouvement de tête pour échapper au nuage adipeux qui s’en suivit et recula de quelques pas en toussotant.

« T’as pas besoin d’aide ! S’amusa Siméon qui n’avait aucun envi de venir lui donner un coup de main.

-C’a va aller ! » Rétorqua Ernest.

Tout le monde faisait déjà ripaille. Pierre remplissait copieusement le verre des convives féminines espérant ainsi leur tirer une bonne humeur additionnelle et moins guindée.
Ernest finit enfin par les rejoindre avec un large plateau entre les mains recouvert des victuailles tant attendues. La réaction ne se fit pas attendre ! Il y eut une exclamation de contentement qui raviva l’ambiance. Il servit avec distinction ses invités, octroyant à chacun une cordialité sincère. Puis, enfin il s’assit. A côté de lui se trouvait l’un des frères.
Siméon était déjà bien éméché et comme à son habitude se mit à se plaindre de ses enfants qui ne venait jamais le voir :

« Ils sont trop ingrats avec moi ! Juste une petite carte de vœux en fin d’année, c’est tout ! 

Albert posa une main sur son épaule :

-T’en fais pas ! Ils finiront bien par revenir, il ne réalise pas encore l’homme que tu es !

-J’n’aurai pas dû leur dire que j’avais des lingots d’or ! Il se tourna vers Albert et d’une voix susurrée dans des vapeurs d’alcool il le supplia qu’il s’arrange, dans le cas où il mourrait le premier, de ne jamais leur laisser mettre la main sur son magot.

Ernest avait entendu cette histoire au moins cent fois. A vrai dire, cette affaire de famille qui ne le concernait pas, l’ennuyait profondément. Il s’éloigna donc en douceur de nos deux comparses prétextant devoir contrôler le cours de la cuisson de quelques côtelettes.

La soirée se continua tard dans la nuit. Vers minuit trente, seul Ernest avait encore l’esprit limpide et rationnel. Il avait contrairement aux autres convives, soigneusement évité de boire immodérément.

On avait allumé de sympathiques torches à pétrole qui diffusaient une lumière douce et virevoltante dans la pénombre fantomatique.

Détaché de l’ambiance euphorique de certain et de la somnolente d’autres, Ernest dirigea son regard vers le ciel en signe de diversion. Il sourit car elle était là au rendez-vous, clairement dessinée dans le ciel étoilé, à peine masquée par la clarté lunaire et reflétant sa rougeoyante lumière dans notre direction.

« Pierre, peux-tu sortir ton télescope ? Dit-il sans le regarder.

Pierre était assis non loin de lui et dissertait avec certain de ses comparses de la difficulté que rencontrait son entreprise. Il s’arrêta brutalement de parler,  regarda Puppa, puis en silence suivit son regard vers les cieux.

-Ah oui, tu as raison ! » S’exclama t’il. Puis il disparut quelques minutes pour bientôt réapparaître les bras chargés de sa petite lunette astronomique :

« Elle ne grossit que cent cinquante fois ! Tu crois que ce sera suffisant ?

Ernest acquiesça d’un signe de tête et pointa l’engin en direction de la voûte étoilée.

-Magnifique ! S’exclama t’il.

Toute l’assemblée s’était tue, les yeux pointés vers le ciel elle se demandait quel phénomène extraordinaire se déroulait à son insu. Alors, chacun passa devant l’objectif, même les deux frères éméchés qui eurent bien du mal à se positionner correctement pour accomplir l’observation.

-C’est quoi ! Demanda t’on.

-Mars ! Mes amis, notre bonne vieille voisine qui se trouve depuis maintenant quelques semaines à une distance très proche de nous, seulement cinquante sept millions de kilomètres, rendez vous compte cela n’était pas arrivé depuis plus de sept mille ans ! »

En effet la planète rouge se dessinait parfaitement dans l’oculaire, on pouvait distinguer sa forme ronde, la tâche blanche de l’une de ses calottes glaciaires et des ombres qui composaient sa surface. La magie du spectacle combla le reste de la soirée d’une conversation astrale, on s’amusa à imaginer la découverte d’une vie extra terrestre, de la colonisation future de cette voisine. Puis, petit à petit, face à la fatigue, la fête se dépeupla de ses invités.
Seul Albert et Siméon, Julien et bien entendu Pierre restèrent pour s’activer au nettoyage du jardin. Puis Julien son sac à l’épaule, jurant après le matériel qui s’obstinait à vouloir le quitter, rentra en direction de son bercail. Ce fut bientôt le tour des deux frères et enfin de Pierre qui habitant Gex accompagna Ernest  jusqu’à sa porte.

-Merci mon ami ! Lui dit Puppa.

-Y’a pas de quoi, c’est moi qui te remercie !

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Siméon, Albert et Lucien s’étaient retrouvés devant la fonderie de Cessy. Lucien qui connaissait très bien le propriétaire, s’était fait prêter la clef de l’usine. Il avait travaillé de nombreuses années dans cette branche industrielle et  pour son empreint, il n’avait eu qu’à préciser son besoin d’un des creusets pour accomplir une tâche personnelle.

Le coffre de leur voiture était orienté côté de l’entrée et les trois hommes s’activaient à le vider de son contenu.
L’intérieur du bâtiment était chaud et sombre. Un mot posé sur une petite table indiquait à Lucien le four qui était disponible avec en conclusion une petite plaisanterie indiquant :

« Ne travail pas trop dur, c’est le week-end ! »

Lucien s’amusa de la boutade.

Puis ils amenèrent le moule qu’Albert et son frère mécanicien de métier avaient confectionné pendant leur temps libre.
Il s’agissait de la forme inversée d’un père Noël !
Quelle étrange idée me diriez-vous !
Et bien non pas si étrange que cela, puisque le but était de le remplir d’or et d’ainsi cacher, chez eux, ce magot que Siméon ne voulait pas voir tomber un jour dans les mains de ses enfants.
Tous les lingots furent entreposés dans un assemblage pyramidal à côté du four. Puis un à un, avec la délicate attention due aux objets de cette valeur, ils les déposèrent dans le creuset qui se retrouva plongé dans la fournaise. Après une préoccupante attente les vingt lingots d’un kilogramme atteignirent leur point de fusion. Puis la lourde mais délicate tâche de transvasement commença. L’or en fusion s’écoula dans le moule par l’orifice prévu à cet effet. Les deux frères qui se chargeaient de cette délicate opération, suaient à grosses gouttes. . Ils durent à plusieurs reprises s’arrêter pour reprendre leur souffle. Leurs bras dénudés laissaient apparaître leurs musculatures tendues par l’effort et enfin un soupir de soulagement couronna la fin du pénible labeur.
Ils laissèrent tranquillement refroidir leur œuvre, puis la démoulèrent avec soin et admirèrent le splendide résultat.

Le soir même, ce père Noël d’une valeur inégalée fut peint, habillé, décoré et entreposé dans leur maison.

Les deux frères demandèrent à Lucien de leur jurer de garder le secret, ce qu’il acquiesça sans difficulté. Ils éclusèrent de nombreuses bouteilles et notre confident rentra chez lui portant sur l’épaule son fameux sac de sport surchargé.

Siméon et Albert prirent place sur leur canapé, étendirent leurs jambes sur la petite table de salon et béatement admirèrent leur magnifique réalisation.

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Ernest était assis sur le canapé du salon.

« Je lui ai coupé la bague et puis hop un top-spin sur sa gauche et la partie était gagnée ! »

Lucien en passionné de ping-pong expliquait à Ernest qui n’en avait cure, l’intégralité de sa dernière victoire.

Siméon et Albert l’écoutaient distraitement et à la fin des commentaires, ils précisèrent qu’ils se souvenaient d’avoir joué cet adversaire il y a bien longtemps et que se n’était pas un opposant facile. 

Ernest avait été invité à dîner chez les frères en remerciement pour sa soirée saucisses.

Les deux congénères étaient assis dans un fauteuil qu’ils recouvraient totalement de leurs pesantes silhouettes.
Le dîner qu’ils avaient servi était particulièrement copieux et bien arrosé. Ernest avait essayé de rester sobre, mais avec ses trois lascars ce n’était pas une chose facile.

« Allez, bois encore un coup, ça fait pas de mal ! Disait l’un.

-Encore un peu de civet, tu verras ça passe tout seul ! Disait l’autre.

Ils étaient maintenant tous les quatre assis dans le salon, repus, à la limite d’une apoplexie culinaire. Même Ernest, malgré sa modération festive avait du mal à garder l’esprit clair.

Pourtant ces comparses continuaient allègrement à boire des digestifs et autres liquoreux qui, ajoutaient-ils, étaient d’une facture remarquable.

Puppa commençait à se sentir un peu fatigué et il faillit s’endormir. Pour garder les yeux ouverts il entreprit de les faire divaguer sur la décoration de la pièce.
Il y avait un bric-à-brac composé d’objets insolites qui variaient de la tête d’un chien empaillée en passant par un mobilier de type rococo pour aboutir à la copie d’une horloge Louis XVI.
Mais surtout, comble du mauvais goût, il y avait ce gros père Noël qui trônait sur la cheminée.

« Un père Noël en cette saison, quel drôle d’idée ! Affirma soudain Ernest émoustillé.

-Ah celui là, on ne risque pas de s’en séparer ! Affirma Siméon.

-Pour sûre, c’est toute notre fortune ! Gaffa Siméon sous l’emprise de l’alcool.

-Il est en or ! Hoqueta son frère sottement du fond de son ébriété.

Lucien encore lucide les réprimanda :

-Mais, vous m’aviez dit qu’il ne fallait le dire à personne !

Siméon souleva un œil et repartit encore une fois sur l’histoire de ses enfants qui ne venaient jamais le voir et cetera, et cetera. Que l’or caché de cette façon, jamais ils ne pourraient le trouver s’il venait à mourir.

Puppa bailla d’ennui d’entendre cette sempiternelle histoire de progéniture détestable et au bout d’un moment coupa son interlocuteur :

-Si j’étais vous, j’installerai un bon système d’alarme pour le protéger !
-Mais nous ne sommes que nous quatre dans la confidence ! Répondit justement Lucien.

-Vous savez, un secret ne le reste pas longtemps ! Ironisa Puppa en regardant les deux frères qui la bouche empâtée grommelaient une réponse d’acquiescement à la suite de Lucien.

Il continua :

-Mais faites comme vous le voulez ! Vous pouvez compter sur ma discrétion.
Puis il jeta un coup d’œil sur la pendule et se leva en disant :

-Bon, il est temps que je me sauve, il ne me reste plus qu’à vous remercier pour votre hospitalité et vous dire à bientôt !

Lucien accompagna sa brusque décision.
Les deux frères marmonnèrent une civilité mais n’eurent ni la force, ni l’équilibre nécessaire pour se lever et les accompagner jusqu’à leur porte.

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On était vendredi vers seize heures quarante cinq. Claudius, qui travaillait pour l’entreprise installant des systèmes d’alarme chez les particuliers était installé devant la porte du salon de nos deux imposants héros.
Ils avaient décidé comme leur avait si justement conseillé Puppa, de se
protéger des voleurs !

 

« Maintenant il me faut la mèche à bois de trente huit ! » Murmura l’ouvrier qui fouillait dans sa boîte à outil.

Après avoir trouvé l’imposant foret, il le plaça dans sa perceuse et  s’évertua à perforer le vieux plancher en chêne massif débouchant dans une poutre maîtresse sur une profondeur de dix centimètres. Ce travaille terminé, il ramassa soigneusement les copeaux et  regardant sa montre décida qu’il était temps de remballer son matériel et de rejoindre son bercail.

Avant de partir, il retrouva Siméon dans la cuisine et lui précisa :

« Bon c’est cinq heures, faut qu’j’y aille, je reviendrai terminer le boulot lundi ! »

C’est Albert qui alla constater l’avancé des travaux. Des boîtiers avaient été posés un peu partout dans la maison, quelques fils pendouillaient dans l’attente d’être connectés et de gros trous ne demandaient qu’à être remplis par leurs pièges électroniques.

« On n’aura bientôt plus rien à craindre ! Dit-il, heureux de sa décision.

-C’est bien vrai, faut qu’on fête ça ! Suggéra Siméon la bouteille à la main.

Et la beuverie commença. Un verre, puis deux, puis trois. Quand l’alcool vint à manquer, Siméon se leva et se dirigea en direction du bar. Soudain il porta la main sur son cœur et sa bouche largement ouverte exprima un râle de douleur. Sa lourde masse s’effondra sur la table de salon qui était en verre. Celle-ci éclata sous le choc, déchira sa chemise et écorcha son ventre d’une longue entaille.

Albert réagit lentement à l’accident, la tête lui tournait et il lui fallut un effort surhumain pour se lever et se retrouver accroupi au côté son frère. Il reposait déjà sans vie, ses yeux restés ouverts semblaient horrifiés à la vue de son propre trépas. D’une main tremblante, Albert posa une main sur son visage et doucement lui referma les paupières. Puis, doucement, il se mit à pleurer.
Il devait être vingt heures quand il se réveilla à côté du cadavre. L’alcool ingurgité à l’excès lui avait fait perdre conscience. Un mal de tête lancinant le faisait atrocement souffrir. Il toucha le corps de son frère. Il était glacé maintenant, la chaleur de cet être cher s’était envolée à jamais, le laissant seul devant toutes ces années qu’il lui restait à vivre.
Il se mit à reconsidérer toute sa vie. Il songea à tous ces bons moments de fraternelles amitiés, à leur enfance, au mariage de Siméon, à son divorce et puis à ces obsédants desseins qu’il avait à l’encontre de ses enfants indignes. Il regarda le père Noël et se demanda si ce subterfuge était une protection suffisante contre leur ardeur successorale. Réfléchissant longuement à cette question, une idée machiavélique lui vint à l’esprit.
Il descendit dans le sous-sol, poussa sur le côté la vieille table de ping-pong qui reposait là, inutilisée depuis des années et retrouva lové sous elle, son vieux sac de sport qui contenait encore sa raquette et surtout ces quelques balles de cellulose. Il en pris une et replaçant le tout dans l’état où il l’avait trouvé, il retourna tristement au chevet du défunt.

La maison était maintenant plongée dans un calme livide.
Le Tic-tac de l’horloge, le grincement du plancher expliquant son age canonique, le bruit d’une goutte d’eau frappant dans l’évier une casserole encore souillée d’une sauce adipeuse.
Puis, il y eut le son d’une petite balle qui rebondit en decrescendo sur le sol.

Soudain, on entendit le bruit sec du déchirement d’une allumette…

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Puppa avait sa tête des mauvais jours. Accompagné de son collègue l’inspecteur Purbon, ils se rendaient chez les deux frères.
Un gendarme les avait appelés dès leurs arrivés au bureau et Ernest se sentait terriblement choqué d’avoir ainsi appris la mort de quelqu’un qu’il connaissait si bien. Le gendarme avait ajouté dans son élocution funèbre qu’un événement extraordinaire s’était produit, qu’il n’avait jamais vu ça, que le cadavre avait entièrement brûlé.

 

« Complètement carbonisé ! » S’était exclamé Purbon examinant fixement le cadavre. Et, regarde ! Tout ce qui l’entoure est resté intact ! S’il avait pris feu, ça aurait du brûler autour de lui ! »

Puppa restait silencieux, il était bien entendu horrifié par la scène mais il songeait surtout à ce copain avec qui il avait festoyé quelques jours auparavant.

Purbon devant son mutisme enchaîna crânement :

« J’ai lu que quelques cas similaires ont existé dans le passé. On appelle ça la combustion instantanée. Personne n’a jamais pu vraiment expliquer ce phénomène, il semblerait que c’est le corps qui s’échauffe et brûle de l’intérieur. C’est pour cela que l’environnement n’est pas touché ! »

Ernest ne disait toujours rien, perdu dans les souvenirs de cette vie perdue à jamais. Puis Albert arriva dans la pièce.

En voyant Ernest, il se jeta dans ses bras en pleurant. Ernest faillit tomber, déstabilisé par l’imposante masse qui s’accrochait à lui, il lui tapota l’épaule en signe de compassion et regardant Purbon du coin de l’œil et lui expliqua :

« Ce sont des amis ! »

Albert se détacha de lui, ses yeux étaient devenus minuscules à force de pleurer. C’est lui qui avait appelé la gendarmerie ce matin :
 « On avait débuté hier des travaux dans la maison ! Tu sais, tu nous avais suggéré de protéger notre bien avec un système d’alarme, et c’est ce que nous avons fait ! Alors avec mon frère, on a décidé de fêter ça, alors tu sais ! On a bu plus que raison et puis, je suis allé me coucher ! Ernest recula d’un pas à son énoncé, l’haleine fétide de son pote était une preuve évidente de son comportement festif. Siméon est resté dans le salon pour finir une bouteille. Je l’ai retrouvé là ce matin en me réveillant ! »
Puis il se mit à sangloter, laissant éclater son angoisse assis sur un fauteuil, la tête plongée entre ses deux bras croisés sur l’accoudoir.

Ernest, au bord des larmes, regarda tristement la pièce dans laquelle il se trouvait. Il essayait ainsi de calmer son anxiété et de revivre les derniers instants du défunt.
Tout à coup, il remarqua :

« Tu as enlevé ton père Noël ? 

Albert stoppa net ses sanglots, leva la tête et l’air inquiet répondit :

-Non ! Il était là hier soir, peut-être que mon frère l’a déplacé avant sa mort !

Son esprit soudainement éclaircit par cette étrangeté. Il se mit à fouiller toutes les cachettes évidentes. Ernest donna quelques ordres aux gendarmes présents pour qu’il l’aide.

-Vous cherchez quoi en vérité ? Demanda Purbon. Un père Noël, mais pourquoi ?

-Le père Noël est en or dur ! Répliqua Ernest machinalement, sans que son esprit ait voulu vraiment proférer cette plaisanterie d’une drôlerie douteuse en ces circonstances.

Purbon pouffa de rire croyant en une de ces bonnes blagues de policier. Mais voyant le visage froid de Puppa, il donna lui-même un coup de main pour le découvrir.

-On te l’a peut-être volé.

-Mais non, on était seul hier et ma porte était fermée à clef, je l’ai constaté tout à l’heure en venant ouvrir au gendarme !

-Quelqu’un d’autre possède ta clef ?
-Oui, Lucien, mais tu sais j’ai… Il s’arrêta net avant l’aboutissant de son affirmation et regarda Ernest droit dans les yeux. Tu crois que… Balbutia t’il.

Ce : « Tu crois que… » Fut le détonateur de l’esprit inquisiteur de notre génial inspecteur :

« Et si Lucien avait assassiné Siméon dans le but de voler son or. Qu’il avait camouflé son crime ! 

-Mais t’as vu l’état de mon frère ! Sanglota Albert comme seule réponse.

Ernest s’agenouilla devant le corps consumé, On apercevait sa chemise déchirée avec en dessous d’elle, marquée sur le ventre du mort, une entaille causée certainement par un morceau de verre. La peau à cet endroit semblait être un peu plus roussie qu’ailleurs et c’est là qu’il se remémora l’épisode du barbecue où la graisse s’était enflammée en touchant les braises incandescentes.

-Voilà la solution ! Dit-il devant Purbon qui le regardait médusé.

Puis il découvrit juste en dessous de la plaie quelques gouttes de cire qui lui informèrent le comment du lugubre allumage.
Il expliqua devant le petit groupe composé de deux gendarmes de son collègue et d’Albert :

-L’assassin, car il y a meurtre ! Affirma t’il gravement, est venu le voir après que tu te sois couché, il l’a tué, puis à l’aide de la flamme d’une bougie a allumé la graisse de notre pauvre homme qui s’est lentement  consumé pendant la nuit faisant croire à un mystère troublant. La voix d’un gendarme arrêta net ses éclaircissements cabalistiques :

« J’ai trouvé quelque chose ! Dit le préposé qui avait préféré continuer les fouilles plutôt que d’écouter Puppa. Il y a quelque chose dans ce trou ! Dit-il en pointant du doigt. Puppa le rejoint et regarda l’objet.

-Il semblerait que c’est une balle de ping-pong ! Vous avez du scotch.

Albert sembla étonné de la découverte, il fouilla dans un tiroir pour en sortir de la bande adhésive. Ernest la colla à la balle et elle sortit facilement accrochée à cet hameçon bien particulier.

-C’est toi qui l’a mis ici ?

-Moi ! Répondit Albert. Bien sûre que non, ce trou a été percé hier soir et il n’y avait rien dedans. Il est destiné a recevoir ce petit engin ! Compléta t’il en indiquant un appareil qui était resté sur le côté de la porte.

 Ernest prit la balle dans la main et ne sembla pas tout de suite réagir à l’évidente preuve.

-Mais alors cette balle d’où vient-elle ?

-Du sac de Lucien, pardi ! Il les perd constamment ! Puis, livide il continua. Quelle ordure, il est venu tuer mon frère pour avoir l’or !

Ernest resta glacial devant les explications. Il donna quelques ordres aux gendarmes, expliqua à son collègue Purbon la phobie de Lucien.
Celui-ci comprit immédiatement l’évidence que lui amenait cette pièce à conviction. A l’aide de son téléphone portable il lança l’ordre d’arrestation du présumé coupable.

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Dans le pays de Gex, il y a quelque chose ou du moins quelqu’un qui rend tous crimes impossibles. C’est l’inspecteur Puppa. Il sait tout, comprend tout et arrive à des conclusions évidentes dans un éclair de sa pensé révélatrice.

Il était dans son bureau et au lendemain du meurtre, il avait déjà tout compris !

Il avait réalisé que Lucien n’était évidemment pas l’assassin, qu’il n’était pas là le soir du crime et qu’Albert était l’unique instigateur de la carbonisation et du vol.

Purbon était également assis à son bureau et semblait ne prêter aucune attention à Ernest. Il avait son regard plongé dans un rapport concernant les nouvelles découvertes se rapportant à l’A.D.N. et des résultats étonnant qu’elles permettaient d’obtenir. Mais, son esprit n’était pas vraiment dans la lecture. Il repensait à l’enquête du carbonisé.

Il songeait à l’arrestation de Julien et se disait que malgré ses affirmations de ne pas être coupable, il serait bien obligé d’avouer son crime lors de la reconstitution.

Ernest ne faisait pas grand chose, il tenait une balle de ping-pong dans la main et s’amusait à la faire rebondir sur son bureau. La solution du crime il l’avait découverte hier soir en repensant aux bons souvenirs d’amitié qui l’avaient lié à Lucien. A plusieurs reprises, il l’avait accompagné comme spectateur à des tournois de son sport favori et l’avait patiemment regardé joué, encouragé dans ses moments de faiblesse. Puis ensemble ils finissaient généralement la soirée assis à une bonne table.

Puppa cessa subitement son jeu enfantin, regarda Purpon et calmement lui dit :
« Ce n’est pas Julien le coupable !

Purbon réagit immédiatement :

-Qu’est ce que tu racontes, l’évidence est bien là, je l’ai tenu dans ma main !

Effectivement, il avait regardé cette petite balle de tennis de table traître incontesté de l’acte meurtrier.

-Tu n’as donc rien vu ? Questionna Ernest en le regardant d’un air tristement navré.

Purbon fronça des sourcils. Que fallait-il qu’il voie ! Une fois de plus, il se sentait un peu bête, ridicule. C’est alors qu’il décida de mentir.

-Bien sûre que j’ai tout compris ! Affirma t’il.

-Ah, bon ! Pendant quelques instants, j’ai eu peur. L’erreur du véritable coupable est tellement évidente !

Purbon pâlit, se racla le gosier.

-Alors ! On va l’arrêter.

-Tu as raison, ne faisons pas traîner les choses  !

Purbon se mit à tousser. Plus aucun son ne semblait vouloir sortir de sa bouche. Il prit le téléphone et d’une voie rauque et à peine audible demanda :

-J’ai un chat dans la gorge, peux-tu appeler la gendarmerie à ma place!

Puppa armé d’un petit sourire en coin de bouche lui répondit :

- En fait j’en ferai la démonstration cette après midi lors de la reconstitution !

 

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Ernest était devant la maison des deux frères, son acolyte détective planté à ses côtés. Il était persuadé que sa future démonstration technique serait d’une évidence convaincante pour le juge.

 

Lucien était arrivé entre deux gendarmes, les menottes aux poignets, le regard montrant l’incompréhension de son arrestation. En voyant Ernest il s’écria :

« Je ne suis pas coupable !

Ernest lui posa la main sur l’épaule et le réconforta de ce chuchotement :

-Ne t’en fais pas tout va bien se passer !

Albert en voyant le présumé coupable, fit mine de se jeter sur lui.

-Je vais te casser la gueule ! Hurla t’il.

Deux policiers s’étant attendus à cette violente réaction l’empêchèrent heureusement de provoquer son attaque.

Le calme revint rapidement et tous les protagonistes se retrouvèrent rassemblés dans le salon.

Monsieur le juge un large bloc note posé sur sa main gauche remplissait un feuillet de notes descriptives, il regarda Albert et commença à lui poser quelques questions :

-Donc vous avez trop bu et vous êtes allé vous coucher ?

-Oui, Monsieur le juge ! Répondit-il.

-Et vous n’avez rien vu, rien entendu ?

-Non ! Enfin si avant de m’endormir, j’ai cru entendre qu’on frappait à la porte d’entrée. Mais vous savez, j’n’étais pas en état, alors je ne suis pas sûre !

-Quand vous vous êtes réveillé, vous avez trouvé votre frère à cet endroit ! Le juge pointa du doigt le tracé à la craie fait sur le sol.

-Oui M’sieur le juge !

-Vous n’avez touché à rien !

-Non !

Puis il se tourna vers l’un des gendarmes et lui demanda :

-Où est-il ce fameux trou ?

Le gendarme s’agenouilla devant la porte et montra l’orifice en disant :

-C’est là où j’ai retrouvé la balle de ping-pong.

Purbon lui tendit la petite balle qu’il détenait en tant que preuve matérielle et le juge la fit passer au gendarme pour qu’il lui montre où il l’avait découverte. Le préposé l’enfila dans l’excavation en ayant bien prit soin de l’accrochée à un morceau de scotch et ajouta :

-C’est là où je l’ai trouvé !

Purbon précisa :

-Le présumé coupable est joueur de tennis de table, il traîne son sac partout avec lui, une balle a du s’en échapper pour s’enfiler là dedans. Le trou avait été fait seulement quelques heures auparavant !

Lucien protesta :

-Mais je n’étais pas là vendredi soir, j’étais malade et couché dans mon lit avec un sacré mal de ventre.

-Et pas de témoin pour nous le confirmer ! Ironisa Purbon.

Ernest Puppa décida qu’il était temps pour lui de faire sa démonstration.

-Monsieur le juge, Lucien n’est pas le coupable !

-Et pourquoi donc ?

Ernest mit la main dans sa poche et commença sa brillante explication…

 

 

la solution