Meurtre en
spirale
Alphonse
Emilien était à la retraite depuis maintenant deux ans. Il s'était
retiré dans un petit chalet de montagne, perché au sommet de la chaîne
du Jura. Cet hiver, il avait décidé de le passer caché avec sa
solitude, au milieu des immenses pâturages que la neige avait
soudainement envahis. Le vent hurlait cette nuit-là. Dans la vallée, il
pouvait apercevoir les lumières de Genève et du pays de Gex. Petit
homme aux yeux pétillants
d'intelligence, il vouait une passion sans limites à la fabrication de
meubles en bois de sapin qu'il aimait lui-même peindre d'arabesques des
plus diverses. Il venait de s'attaquer à la fabrication d'une table. Un
tour à bois occupait une grande partie de la pièce. Notre ami se préparait
à peindre, avec l'aide de son engin mécanique, les quatre rondins de
bois qui se trouvaient devant lui. Il avait modifié sa machine qui était
maintenant affublée d'une avance automatique transportant un petit
appareillage de peinture. Ce système astucieux véhiculait un léger
pinceau qui se déplaçait suivant les mouvements de rotation de sa
machine. Un
rondin de bois d'un mètre de long attendait, serré dans les mords du
mandrin. Alphonse approcha la délicate plume rougie par de la peinture
jusqu'à ce qu'elle
touche ce qui allait devenir un magnifique pied de table. On pouvait
entendre, dans la salle adjacente, le ronronnement de l'alternateur qui
fournissait l'électricité du logis. L'idée de notre peintre-menuisier
était de dessiner une spirale tout autour de cette pièce de bois grâce
à son système des plus ingénieux. Il
mit le tour en marche qui, lentement, commença sa rotation tout en entraînant
avec elle la plume. La couleur rouge entamait comme prévu
son parcours en serpentin. Soudain la porte s'ouvrit ; notre ouvrier,
surpris, regarda quel intrus osait pénétrer dans son antre. Après un
moment d'effroi, sa figure déploya l'un de ses plus beaux sourires. «
Jean Pridon, mon ami, mais quelle bonne surprise ! » dit-il
d'une voix forte. Et
puis la peur s'inscrivit sur son visage. « Mais
que fais-tu ? Ne tire pas ! Non ! » Un
coup de feu retentit dans la solitude glacée. La porte se referma. Le
tour à bois termina son travail et s'arrêta. Sur
le sol reposait le corps sans vie d'Alphonse. Dehors
la neige s'était remise à tomber. ___________________________________________
La
sonnette retentit dans le petit appartement de la rue Léone de Joinville.
Il faisait déjà chaud ce matin-là, le mois de juillet avait apporté
cette chaleur qui réveillait les esprits. Jean Pridon, ouvrit la porte.
Deux gendarmes se trouvaient devant lui. « Monsieur,
vous êtes en état d'arrestation ! Jean
l'air éberlué ne réagit pas tout de suite, puis :
-Mais
pourquoi ? Qu'ai-je fait ? -Vous
êtes inculpé pour le meurtre de Monsieur Emilien. Suivez-nous. Quelques
minutes suffirent pour que notre suspect se retrouve, les menottes aux
poings, assis dans la voiture de la maréchaussée qui l'emmenait en
direction de la gendarmerie. Deux
ans s'étaient pourtant écoulés depuis ce meurtre, mais comment avait-il
pu être découvert ? Plongé dans ses pensées, l'assassin se remémora
cette sinistre période... ________________________
Je
suis un personnage très commun, j'ai quarante-cinq ans, je suis soudeur
de métier. Je suis un célibataire sans histoire. J'ai quelques copains
avec lesquels j'aime me retrouver. Mais ma vie me semble si triste et sans
intérêt. L'un de mes amis est parti à la retraite, c'est Alphonse
Emilien. Il a décidé de passer cet hiver en ermite, caché là-haut dans
un petit chalet de montagne. Je peux d'ailleurs, de ma fenêtre,
apercevoir sa cheminée fumante. En
partant il nous a dit. « Les
gars je vous laisse quelque temps, j'ai décidé de passer la
totalité de la mauvaise saison dans ma cache montagnarde, j'ai accumulé
des provisions pour au moins cinq mois. Ne vous faites pas de soucis, j'ai
besoin de tranquillité et de nombreux projets combleront ma solitude. »
Tout
le monde connaissait sa passion d'ébéniste. On lui souhaita donc bonne
chance et au printemps prochain ! Puis
on le regarda s'en aller tranquillement. Pierre, l'un des nôtres
l'attendait dans son quatre-quatre. Il y grimpa, encore leste pour son âge
et rapidement le véhicule disparut de notre vue. « Bientôt
le chemin ne sera plus praticable ! dis-je. Il faudra au moins quatre
bonnes heures d'une marche difficile si l'on veut le rejoindre. -De
toute façon, comme il veut rester seul, personne ne se donnera cette
peine ! » répliqua l'ami Ernest. Et
voilà ma morne vie qui continue. Chaque matin, je jette un petit coup d'œil
en direction de cette petite fumée, dernier lien entre mon camarade et
moi. La neige ne s'est pas fait attendre cette année, elle a été
abondante dès le début de décembre. Ce samedi, je n'ai rien à faire,
je m'ennuie, ressassant ces vieilles et mesquines petites histoires
familiales sans intérêt. Je me sens seul, inutile. Couché dans le noir,
mon esprit vagabonde. Puis soudain une terrible idée vint à moi :
et si je commettais un meurtre parfait, comme ça, tuer quelqu'un sans
raison et lire dans les journaux le résultat de mon acte ? Cette idée
lugubre s'imposa dans mon esprit. -Je
deviens fou ! C'est ça, demain tout sera oublié. Pourtant,
le lendemain, cette idée affreuse était toujours présente dans mon
esprit. -Tuer
qui ? Quand ? Comment ? -------------------------------------------
Et
cette petite fumerole qui s'élevait au loin, blottie au milieu des
sapins. Au
fil des jours qui passaient, tout me sembla plus clair. -Je
vais occire le gars à la petite fumée. Celui qui s'amuse tant avec sa
solitude... Le
lendemain de cette décision, j'allais, comme j'en avais l'habitude en fin
d'après-midi, rejoindre mes amis au café voisin. -Oh
les gars ! J'ai une de ces crèves ! Je m'exclamais ainsi,
feignant une toux rauque, suivie de quelques crachats disgracieux. Mes
compères s'écartèrent de moi et objectèrent : « Rentre
chez toi, tu vas nous les refiler tes microbes ! » Je
décidai
de rentrer rapidement à mon bercail, et prétextant un mal de tête
incroyable, je précisai :
quelques aspirines, une bonne nuit de sommeil et tout ira mieux ! La nuit
commençait à rappliquer, un épais couvert de nuages annonçait de
prochaines chutes de neige. Arrivé
chez moi, tout tournait dans ma tête. Dans ma chambre, cachée dans un
tiroir, se trouvait l'arme qui me permettrait de perpétrer mon crime. Mon
sac à dos fut rapidement rempli avec quelques barres chocolatées et le
pistolet se retrouva en leurs compagnies. Mon répondeur fut mis en
marche, j'étais prêt. -Neuf
heures, il est temps que j'y aille ! Un
vent glacial soufflait à présent. La rue était déserte. Chaudement
habillé, je ne pouvais être reconnu de personne. C'est ainsi que
j'entreprenais la longue marche qui allait m'emmener jusqu'au lieu de mon
crime. La promenade était harassante, au moins cinquante centimètres de
neige recouvraient le petit chemin forestier. J'avais
pensé à tout. Mon alibi était parfait : un homme malade ne sort
pas de chez lui un soir d'hiver. Et pourquoi me soupçonner, moi, de
vouloir assassiner un ami de toujours ? Pour quelles raisons ? Je ne
m'étais jamais disputé avec ma victime, il n'avait rien que l'on pouvait
envier. De plus le calme plat avait bercé nos vies respectives. Perdu
dans mes pensées, mon périple me sembla très court et je me retrouvais
devant cette fameuse petite masure. Un
ronronnement était le seul bruit qu'il m'était possible d'entendre. Je sortis
le flingue de mon sac, m'assurai
qu'il était armé correctement et brusquement poussai
la porte avec ma main gantée. Alphonse se trouvait là, étonné de ma présence ;
je n'entendis pas vraiment ses propos. Immobile sur le pas de sa porte, je
le regardais fixement. Le coup partit soudain et, sans un regard pour ma
victime, je m'enfuis en courant. La rentrée au bercail fut pénible et
difficile. C'est
vers 4 heures du matin que j'arrivai
fourbu chez moi. Les
jours suivants,
je repris ma vie comme si rien ne s'était passé. La seule petite différence
se situait en direction de la montagne où la petite fumée ne sévissait
plus. Personne ne s'était aperçu de ma petite escapade. Mon répondeur
était vierge d'appel et la petite vieille, ma seule voisine, était restée
absente ces trois derniers jours. Je
retournai tranquillement à mon train-train quotidien, mon esprit déprimé
avait maintenant repris goût à la vie. Je me débarrassai rapidement et
discrètement de mon arme en la fondant à l'aide de mon chalumeau. Puis
le printemps pointa son nez à l'horizon. Alphonse ne semblait pas vouloir
rentrer. Pierre, après notre petite réunion journalière, décida de
rendre une petite visite à notre ami le solitaire. Il retrouva son corps
étendu à terre, dans un état de décomposition avancée. L'enquête
qui s'en suivit ne donna rien. Monsieur Emilien était mort d'une balle
dans la tête, mais tirée par qui ? Un rôdeur ? L'assassinat
s'était déroulé durant le mois de décembre, aucune empreinte, aucun
indice ; et ce crime commis d'une si étrange façon. Le meurtrier
n'avait même pas pénétré dans les lieux. Bien entendu, notre groupe de
copains fut interrogé. Mais comment soupçonner ou accuser l'un de nous ?
Aucune raison n'aurait pu nous pousser à accomplir ce crime. Comme emploi
du temps, vu la date éloignée des faits, nous n'avions pu que confirmer
notre présence à Gex. Alors
pourquoi, suis-je inculpé maintenant, deux ans après cet homicide ?
Qu'ont-ils découvert de nouveau ? La voiture s'arrêta devant la
gendarmerie. Devant la porte se trouvait une camionnette sur laquelle se
trouvait inscrit "POLICE SCIENTIFIQUE". On
me fit entrer dans une pièce. Trois personnes me regardèrent fixement.
Au beau milieu de la pièce, je reconnus le tour à bois de la victime... Un
petit homme brun s'avança, vêtu d'une blouse blanche. « Je
me présente, Ernest Puppa, inspecteur ! -Je
ne comprends pas ma présence ici et le rapport avec la mort de mon
copain, s'empressa d'articuler notre coupable. -Vous
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