La malédiction de la statue de Voltaire IL était seize heures quarante cinq dans ce grand amphi théâtre de l’université de Genève, une cinquantaine de personnes étaient dans la l’attente d’un cours magistral ayant pour thème la vie au temps de Voltaire. Dans un coin de la salle, six élèves semblaient écoutés avec attention les explications que leur prodiguait l’un de leur camarade : « Vous voyez cette petite fiole ! Dit-il. Je l’ai trouvé au marché aux puces, elle se trouvait classée dans une petite boîte avec d’autres produits. Il la prit entre deux de ses doigts et lut à haute voix le mot qui y était inscrit. ARSENIC ! Les quatre filles qui étaient présentes autour de lui, eurent toutes à l’unisson un mouvement de recule. -Fais attention de ne pas la casser ! » Dit Judith. Judith, était incontestablement l’une des plus jolies filles de l’université. Elancée, gracieuse, de longs cheveux d’un noir d’ébène, le genre de personne qui peut vous rendre amoureux au premier coup d’œil. Mais, pour le moment, elle ne se sentait pas disponible pour toute liaison amoureuse. Elle en avait vraiment marre de tous ces beaux parleurs qui ne voyaient en elle qu’une poupée magnifique, un simple jouet qui ne servirait qu’à assouvir leurs phantasmes masculins. Ces charmes, elle ne le savait pas encore, seraient bientôt d’une évidente nécessité. Mais, passons à la description des autres antagonistes avant l’arrivée du professeur. Commençons par la gauche. Le gros Joe, un bon garçon joufflu, à la peau rougie par un excès de nourriture carnée et qui trimballait sans le moindre complexe son excès pondéral. Il ne semblait pas avoir été impressionné par la présence du poison, car son esprit ou du moins son regard était ailleurs, vers le profil de Judith qu’il scrutait avec des yeux d’envies. Il aurait tant voulu la tenir dans ses bras, la câliner, être son petit copain. Mais, il le savait, un empâté comme lui n’avait aucune chance avec cette fille de rêve. En fait, il n’avait même jamais essayé de la courtiser, pensant que le refus évident qu’il recevrait serait pour lui dévastateur. Il se contentait de cette situation « de copain », au moins ainsi il pouvait la côtoyer, lui parler et peut-être un jour, elle sera celle qui fera le premier pas. Hormis la belle Judith, notre ventripotent ami avait une passion pour le radio amateurisme. Chaque soir, il passait de nombreuses heures à bricoler sa station d’émission et s’évertuait, avec succès, de réaliser des contacts avec le monde entier. A ses côtés se tenait Emilien. Ce charmant jeune homme possédait encore une bouille arborant les traits de la jeune enfance. Tout juste vingt deux ans mais paraissant en avoir à peine quinze, il était le joyeux drille de la classe. Toujours prêt à jouer un bon tour à son entourage, il ne pouvait s’empêcher d’aligner plaisanteries sur plaisanteries. Cela ne plaisait pas toujours à tout le monde, mais il n’y avait rien de telle que la contagion de sa bonne humeur pour vous sortir de vos moments de déprimes. Il toucha du doigt la fiole d’arsenic, enserra ses deux mains autour de son cou et feint l’évanouissement tout en laissant échapper un râle des plus convaincant. Sylvie le regarda avec une moue de dépit. Cette adorable rouquine aux grands yeux verts faisait également partie du petit groupe. Elle ne semblait pas vraiment se soucier de son apparence et un large chemisier recouvrait en permanence ses formes que l’on pouvait agréablement deviner très généreuses. Elle avait, semble t’il, écouté avec une attention toute particulière les explications qu’avait prodigué son camarade sur ses découvertes. Douée d’une imagination débordante, elle possédait ce don pour l’écriture qui lui avait permis d’écrire plusieurs romans qu’elle espérait un jour voir être publiés. L’étrange découverte de son ami lui donnait quelques bonnes idées pour la rédaction de l’un de ces prochains bouquins. Regardant le dangereux flacon, elle amorça le début d’une question : « Où… L’ordre donné par sa voisine la coupant abruptement. Sylvie lança un méchant regard à cette effrontée qui l’avait si impoliment interrompue, mais ne continua pas pour autant sa remarque. L’impertinente qui vocifère à ses côtés, s’appelle Trudy. Que dire de cette blonde aux yeux noisette ? Elle est américaine. A une très forte personnalité. Et, comme tous, elle n’apprécie guère que son camarade transporte sur lui un produit aussi dangereux. Pour
la petite histoire, cette exquise New-yorkaise était arrivée dans la région
il y a à peu prêt cinq ans de cela, venu tout d’abord dans la région
pour une courte durée et dans le but d’améliorer son Français, elle
avait par la suite décider de prolonger son séjour pour poursuivre des
études littéraires. Un léger accent teintait encore ses propos, mais
seuls quelques oreilles exercées pouvaient encore déceler son origine étrangère.
Sa famille qui possédait une entreprise travaillant pour l’armée américaine
était extrêmement fortunée et son père lui accordait sans compter des
largesses financières qui lui permettait un train de vie élevé. Cela se
voyait assurément dans sa façon de se comporter, à son habillement, à
sa voiture de sport et aux magnifiques cadeaux qu’elle offrait sans
raison à ses amis. La gentille et mignonne petite Clara, haute comme trois pommes, regardait Trudy avec des yeux approbateurs. Clara
était adorable, tout le monde l’appréciait pour sa gentillesse, sa
patience et sa façon d’écouter les autres. C’était certainement
cette dernière qualité qui lui avait permis de nouer une solide amitié
avec la remuante Trudy. Invariablement, elle l’écoutait en silence,
acquiesçant de la tête à certaines de ses confidences, s’interposant
adroitement au moment opportun, lui prodiguant quelques conseils apaisant.
Elle était la parfaite alliée de ses états d’âmes, de ses angoisses
que son éloignement familial lui provoquait. Elle renchérit mollement la remarque de Trudy : « Trudy à raison, tu ne devrais pas garder ce terrible poison avec toi ! » Sa remarque n’attira qu’un sourire sur la figure d’Edmond, notre septième larron. Celui même qui venait d’effrayer les demoiselles en agitant le flacon devant leurs nez. Premier
de classe, intéressé par tout ce qui l’entourait et surtout passionné
d’histoire, il adorait parcourir les brocantes et tous ces lieux
merveilleux où l’on pouvait se procurer des témoignages du passé pour
un prix tout à fait abordable. Mais, j’arrête là mes présentations. Le brouhaha submergeant le lieu venait subitement de disparaître, Monsieur Granger, éminent professeur venait d’arriver… ------------------------------ Le fait le plus marquant de l’auditoire était la disproportion entre les représentants du sexe masculin par rapport à celui du sexe féminin. Au bas mot soixante quinze pour cent des élèves étaient des filles. Ce fait était facilement explicable et tout à fait compréhensible. En fait le maître de séance du jour était plus communément surnommé « Le beau gosse. » Ce sobriquet lui allait d’ailleurs comme un gant. La trentaine, une taille supérieure à la moyenne, une gueule d’ange, des yeux de ce bleu qui vous fait fondre, vous charme, vous submerge au plus profond de votre être. Toutes les filles en étaient éperdument amoureuses et n’espéraient de lui qu’un regard, qu’un mot, qu’un simple intérêt à leur égard. Monsieur
Granger, marié avec Marion depuis déjà une dizaine d’années usait
parfaitement de ce pouvoir qu’il avait sur les femmes. Sa moitié, avisée
depuis toujours sur ce point délicat, fermait les yeux sur ses frasques
charnelles. Immanquablement, il revenait à elle, confus, lui jurant de
calmer à jamais ses ardeurs. Enfin passons sur cet étrange comportement et revenons à un fait troublant de sa personnalité qui consistait en un protocole très particulier qui précédait immanquablement le début de son cours. Imaginez tout d’abord ce lieu relativement ancien où il professait. Une grande estrade de bois, un immense tableau noir, un petit bureau et enfin une chaise dont le coffrage de bois supportait un coussin de cuire, celle ci sommairement assemblée était encadrée par deux montants métalliques d’une couleur verte qui séparément servaient de support pour le dossier et le siège. Il
arrivait donc au beau milieu de sa tribune. Sortait quelques papiers de
son sac ainsi qu’une petite bouteille du breuvage tonique que lui avait
préparé sa femme. Il le versait dans son petit gobelet en plastique et
immédiatement en avalait une gorgée. Il
déclenchait le chronomètre de sa montre, une magnifique Cartier qui lui
avait été offerte l’une de ses conquêtes. C’était au demeurant, seulement à cet instant, que son premier regard daignait se poser sur l’assistance. Sur les trois premiers rangs, on ne pouvait voir que des filles, leurs yeux brillants d’amour et d’admiration. Plus loin c’était un mélange des deux genres. Des garçons qui jalousaient bien entendu le succès qu’eux ne pouvaient avoir et quelques peu nombreuses donzelles désintéressées par notre esthète du genre masculin. Ah !
Oui ! J’allais presque oublier de vous le signaler. La ligne « Débats intellectuels au temps de Voltaire » que monsieur Granger venait d’écrire sur le tableau le fit frissonner de bonheur… « T’as vu Trudy, il porte ta montre ! » Chuchota Clara qui semblait offusquée par cette évidence. Et bien oui ! Comme vous avez certainement pu aisément le deviner, monsieur Granger avait été l’amant de Trudy et c’est à lui que la belle avait offert ce superbe cadeau qu’il portait sans le moindre repenti. « Cette montre n’est qu’un pâle reflet des sentiments que j’éprouve pour toi ! » Lui avait-elle précisé dans son élan donateur. Il l’avait accepté sans la moindre hésitation, estimant qu’une aventure avec lui valait amplement ce présent. Monsieur
Granger avait, comme à son habitude rapidement larguée sa jeune maîtresse.
Mais, sans la moindre gène avait gardé son cadeau qu’il trimbalait
attaché à son poignet. Mais revenons à la séance du jour qui venait enfin de commencer. Celui-ci
se déroula dans un silence religieux. La
leçon fut si talentueusement menée que les deux heures de sa durée
semblèrent s’écouler en un éclair. En voyant Judith passer près de lui monsieur Granger l’interpella : « Judith, s’il vous plaît, j’ai besoin de votre aide ! » Judith
sembla surprise et mal à l’aise devant cette interpellation. Dans le couloir, Ernest ne put s’empêcher d’entendre quelques bribes de leur conversation : « Je crois que Judith est la prochaine sur sa liste ! Ricana Emilien. -Il les lui faut toutes ! Enchaîna Joe qui semblait furieux. -Quel sal bonhomme, il a vite eu fait de t’oublier ! » Ajouta Clara en direction de l’Américaine… Seule devant monsieur Granger, Judith se demandait bien ce qu’il lui voulait. « Je crois savoir que vous habitez Ferney-Voltaire ? Ces yeux arboraient ce regard qu’il voulait être séducteur. -Oui, Monsieur Granger ! Répondit-elle surprise. -Je veux aller faire une petite visite du château de Voltaire la semaine prochaine. Question de me remettre quelques images en tête, et, je me demandais si vous accepteriez de m’y accompagner ? La
question était surprenante, directe, sans détour. Une façon peu
dissimuler de l’inviter à flirter avec lui et qui comprenait cette
certitude d’une réponse positive. -Le château Voltaire ? -Oui, si je me souviens bien vous avez servi de guide du château pendant vos vacances et j’en suis persuadé, vos explications pourraient m’apporter quelques réponses très utiles. C’était Emilien qui avait vendu la mèche lors du cours précédent, il avait blagué sur ce sujet en plein milieu de la séance lorsque le professeur avait parlé des vingt ans que Voltaire avait passés à Ferney et des activités intellectuelles qu’il avait menées au sein de son château. Le professeur n’avait pourtant pas semblé entendre la plaisanterie, mais pourtant… -Je suis assez prise pour l’instant ! Bredouilla Judith. Mais je vais y réfléchir ! Puis en entamant quelques pas en direction de la sortie, elle se justifia. Excusez-moi ! Je dois y aller, mes amis m’attendent ! » Offusquée ! Voilà le sentiment exact qui pour le moment empourprait son joli minois. Comment cet abject personnage osait-il lui faire cette proposition, ce début d’avance, alors qu’il savait pertinemment que Trudy était l’une de ses amies. Joe l’attendait à la sortie du bâtiment. Il espérait pouvoir la raccompagner jusqu’à son bus. Malheureusement, furieuse Judith passa devant lui sans même l’apercevoir. -------------------------------- Les six amis étaient assis autour d’une table d’un bistrot de Ferney voltaire. Seul manquait Joe, qui avait à cette heure un rendez-vous sur les ondes avec quelques O.M. de la région. Judith, à son habitude si joyeuse et jouissant d’un sourire qui ne faisait qu’accentuer la beauté de son visage ne semblait pas posséder son entrain habituel. « Vous savez ce que Granger m’a proposée ! Dit-elle, imitant de son mieux le ton du Beau gosse. Elle ajouta. « Pourriez-vous m’accompagner pour une visite du château Voltaire ! » Emilien éclata de rire. -T’es bonne pour la casserole ! S’empressa t’il de commenter. Trudy haussa des épaules. -You know ! Ma belle, moi, il m’avait demandé de venir lui traduire un texte anglais qu’il ne comprenait pas bien, deux jours après j’étais dans son lit, comme une idiote je me suis laissée faire et en plus j’étais amoureuse ! -C’est vrai qu’il est beau ce mec, mais moi, je le déteste ! Affirma Clara. De plus il paraît que sa femme s’accommode de ses frasques amoureuses. J’t’avais avertie, tu n’aurais jamais due sortir avec ce type. Trudy, lui envoya un regard complice. Elle lui avait confié les sentiments troubles qu’elle ressentait envers ce professeur et il est certain qu’elle lui avait conseillé d’éviter ce type. Elle avait d’abord cru en une certaine jalousie de sa part, mais rapidement avait pu constater la justesse de ses propos. Il n’était vraiment qu’un abject collectionneur de filles. Emilien tout en sirotant un verre de menthe à l‘eau avait le regard coquin de ses bons jours. Il se racla bruyamment la gorge, question d’attirer l’attention de ses compères puis il lança, en rigolant, cette singulière remarque. -Et si on lui jouait un mauvais tour ! Tous le regardèrent avec des yeux amusés. Connaissant ses habitudes espiègles, ils se demandaient quelle plaisanterie ce galopin était entrain de leur concocter. -Et bien oui, si on lui faisait la peur de sa vie ! -On le coince dans les toilettes des filles et on le met à poil et on se sauve! Dit Trudy en rigolant. -Sans oublier le goudron et les plumes ! Enchaîna méchamment Clara. Un petit sourire se dessina sur le visage de Judith, elle ne dit rien, mais il est facile d’imaginer le type de pensées qui à cet instant précis traversa son esprit. -Non ! Les filles, calmez vos ardeurs, moi je vois quelque chose de plus sournois, de plus ingénieux, quelque chose qui puisse parsemer le trouble dans son esprit. -De
quoi veux-tu parler ? Demanda Sylvie qui voyait de nouveau en ce type
de farce le sujet d’un bon livre à écrire. -Et bien, j’y ai pensé l’autre nuit, et ! » Il s’arrêta un instant, regarda ses amis et reprit… Non! Vous n’apprendrez pas encore de quelle moquerie ce jeune homme allait faire allusion. Car, assis non loin d’eux, une personne que vous connaissez tous bien, l’inspecteur Ernest Puppa sirotait un cocktail aux couleurs chamarrées. Il se trouvait devant une adorable créature qu’il avait rencontrée maintenant depuis quelques mois. La blonde de ses rêves, celle qui avait en quelques semaines changé la routine de son quotidien et qui comblait l’intégralité de ses inspirations. Ils avaient décidé de vivre ensemble et discutaient à présent de l’appartement qui matérialiserait suffisamment leur indicible amour. « Le mien est beaucoup plus grand ! » Fît remarquer Ernest. La belle semblait également acquiescer sur ce fait, elle le caressa de ses yeux d’un vert amande. Puis, chuchota son acceptation. Vous aimeriez certainement en savoir beaucoup plus sur cette splendide personne ? Comment ils se sont rencontrés ! Quel est son nom ! Ou, peut-être, quelques détails plus précis sur sa personne ? Et bien ! Une nouvelle fois, je vais encore une fois vous décevoir. Car en fait ce personnage n’a aucune importance dans cette histoire, mais me donne un seul et essentiel moyen de faire une habile divergence et de m’éviter ainsi, dès le début de cette histoire de vous dévoiler l’intégralité de l’intrigue. La seule chose qui peut être vous consolera, c’est que cette jolie demoiselle apparaîtra en héroïne dans l’une de mes prochaines annales… Emilien ayant maintenant terminé ses explications. Reprenons dès à présent le cours de l’histoire. Nos jeunes amis venaient d’éclater de rire aux propos de notre petit plaisantin : « Où vas-tu chercher tout ça ! » S’étonna Edmond devant l’inventivité de son copain. Nos jeunes protagonistes se connaissaient particulièrement bien. Ils avaient tous suivi à l’exception de Trudy leurs années secondaires au lycée international de Ferney et c’est d’ailleurs ainsi qu’ils avaient pris l’habitude de se donner rendez-vous dans ce bistrot P.M.U. bien sympathique. Ils se délectaient ainsi de leur boisson favorite avec, en point de mire, la statue de Monsieur Voltaire. Celle ci le représentait dans ses vieux jours, le dos légèrement courbé et pertinemment aidé d’une cane qui semblait l’assister au maintien de la pérennité de sa pose. Tous
les jeunes se levèrent d’un seul mouvement. Chacun d’eux venait
durant le monologue d’Emilien de recevoir une indication précise sur la
tâche qui permettrait dans une parfaite tromperie de ridiculiser le beau
professeur. Il
leur fallait pour cela de glaner quelques renseignements d’importances.
Pour cela, ils traversèrent en fanfare la petite place, s’arrêtèrent
au milieu du carrefour pour faire une large courbette à Monsieur
Voltaire, puis s’engouffrèrent dans le local du syndicat
d’initiative. L’hilarité de ces jeunes gens avait attiré l’attention d’Ernest qui délaissant l’image de sa compagne, les avait pendant quelques secondes escortés du regard. « Tu viens chéri ! » L’impérative douceur du ton de sa promise le soustrait à sa rêverie. Sans un mot, il s’empressa derrière elle, accompagnant avec un plaisir non dissimulé le balancement voluptueux de ses hanches. -------------------------------- La chambre n’était pourtant pas très grande, mais néanmoins elle renfermait tant de livres et de bibelots en tous genres qu’il devait être absolument impossible d’y circuler. Sur l’un des murs, une immense bibliothèque semblait résister avec peine au lourd fardeau qui lui était confié. Chacun de ses rayons pliait sous un poids déraisonnable provoqué par un assortiment de broutilles hétéroclites. Une armoire, les portes grandes ouvertes semblaient s’accommoder de cette même gageure. Les vêtements qui y étaient soigneusement disposés dénotaient parmi les livres, boites, objets étranges qui avaient, semble t’il, imposé leurs indésirables présences. Seul un petit lit, coincé entre deux piles de bouquins restait libre de tout désordre. Assis à son bureau, Edmond affectionnait au plus au point ce qu’il nommait au grand damne de ses parents, sa caverne d’Alibaba. Il semblait parcourir avec assiduité une feuille manuscrite qui, de temps en temps, lui procurait quelques gloussements de plaisirs. Cette nuit, il devait préparer la première phase de cette fameuse vengeance. La
missive qu’il parcourait, avait été adroitement rédigée par Sylvie. Au fait, où avait-il bien pu l’entreposer ? Il se dirigea directement vers sa fameuse bibliothèque et prudemment se mit à l’alléger de quelques babioles. Il connaissait bien la faiblesse de l’édifice et un mouvement brusque de sa part pourrait facilement le faire s’effondrer. Après quelques minutes de prospection infructueuse il dénicha enfin l’ouvrage en question. Il était de la taille d’un gros carnet d’adresse, possédait une couverture en cuire marron, et était encore recouvert d’une poussière qui, pensait-il, devait être d’époque. Il regarda avec attention les quelques feuillets qui le composaient. Sur chaque page, une écriture pattes de mouche s’entrecroisait avec quelques esquisses adroitement dessinées. Sur l’une d’elles on pouvait reconnaître la statue de Monsieur de Voltaire, puis sur une autre le visage du grand homme avec cette petite annotation gribouillée dans un coin, « accentuer l’expression de malice et d’irrespect. » Ce carnet, avait appartenu à monsieur Emile Lambert, le sculpteur qui avait créé et offert à la ville de Ferney cette incontournable statue qui décorait la place du centre ville. A la fin du manuscrit on y découvrait un dernier feuillet libre. C’est celui ci qui recevrait le petit texte que Sylvie avait concocté. Pour accomplir cette délicate besogne, il possédait une plume, ainsi qu’un petit encrier qui malgré leur état impeccable dataient du dix neuvième siècle. Il décacheta avec soin le petit récipient qui à son ouverture exhala un parfum qu’il savait d’une autre époque. « L’encre est-elle encore valable ? » Se demanda t’il. Il pinça la plume entre ses deux doigts, plongea son extrémité dans le liquide noirâtre et essaya quelques caractères sur une grande feuille de papier sur laquelle il allongea ses premières ébauches. La pointe crissa sur page encore vierge. Avec une application notariale il enchaîna quelques phrases anodines. « Parfait ! » Chuchota t’il en frissonnant. En effet, par une chance incroyable, la teinte était similaire à celle inscrite sur le pamphlet jauni. Pendant de longues heures il s’essaya à cette nouvelle écriture, recopiant des dizaines de fois le texte qui lui avait été préparé. Bientôt la conformité et l’aspect des caractères avaient atteint la perfection. Il était, maintenant, prêt à retranscrire sa mystification. Regardant avec respect le feuillet plus que centenaire, il commença sa contrefaction.
Emilien parcourut sa copie avec fierté. « Excellent travail ! » Se félicita t’il. Demain il
laisserait son texte sécher sous les rayons du soleil. ------------------------------------ Comme
à l’accoutumé, l’amphithéâtre se vida très rapidement, notre
petit groupe d’amis ne paya aucune attention à la jolie Judith qui postée
devant monsieur Granger, le regardait tout sourire. « Je suis
libre lundi après midi, si une petite visite du château Voltaire en ma
compagnie vous intéresse toujours ! Monsieur Granger
leva la tête, il semblait heureux mais non surpris par l’offre de la
ravissante jeune fille. Elle s’était donc décidée très rapidement. Mais malgré cette proposition gratifiante, il ressentait un certain malaise. Une gène qui ne concernait nullement Judith mais était due à une désagréable conversation qu’il avait eu le matin même avec sa femme. « Si tu me
trompes encore une fois, je te quitte ! » Lui avait-elle dit
hargneusement. Et bien entendu, comme à son habitude, il lui avait juré de ne plus jamais lui imposer d’écarts, que sa fidélité resterait à jamais absolue, qu’il n’y avait qu’elle qui comptait, qu’il ne pourrait pas survivre à son départ. L’amusant dans ces propos maints fois réitérés était contenus dans la sincérité du moment. Il pensait réellement que la seule compagnie de son épouse lui serait suffisante, et pourtant il savait pertinemment qu’il n’en était rien. Il regarda Judith droit dans les yeux, il allait l’éconduire, lui préciser que ce projet n’était plus de mise. Mais, la joliesse de notre demoiselle le fît subitement changer d’avis. Il acquiesça par quelques mots agréables et un rendez-vous fût pris pour quatorze heures du prochain lundi. « Un dernier écart ! » Se promit-il. Et puis après tout ce n’est qu’une visite pour le travail… Dès cette rencontre fixée, Judith se précipita retrouver ses copains. « Il a mordu à l’hameçon ! S’exclama t’elle. Edmond lui tendit le livre qu’il avait si habilement falsifié. -A toi de jouer ma belle ! » La deuxième phase de la farce pouvait enfin commencer. ---------------------------------------------
“Allo
dad ! -My
darling is that you ! Je continuerai en Français cette intéressante conversation que Trudy eut au téléphone avec son père. Ceci, bien entendu, pour permettre à mes lecteurs non bilingues de suivre le fil de cette passionnante histoire. -Oui papa ! J’ai besoin de ton aide pour jouer un mauvais tour à quelqu’un que je n’apprécie guère. Après un certain silence interrogateur son père répondit. -Quel genre de tour ? -Et bien voilà, j’ai offert une montre à un ami qui n’a par la suite pas été vraiment agréable avec moi. Par contre il a gardé la montre qu’il porte fièrement au poignet. -Ok ma chère, je comprends et quel est ton plan ? -J’aimerai pouvoir la casser à distance, crois-tu que c’est possible. -Pas de problème, Trudy, c’est très facile. Il suffit d’approcher un aimant suffisamment puissant de la montre pour qu’elle se magnétise et ainsi s’arrête à jamais. J’ai ce qu’il te faut dans mon usine, un aimant minuscule, mais particulièrement puissant. Je te le cacherai dans une bague que tu porteras. Il te suffira d’approcher ton doigt de son poignet pour que le tour soit joué. Je te fais apporter cela par Steve qui part ce soir pour Genève en voyage d’affaire. -Thanks
so much dad, you’re great ! -I
know, I know, anything for you darling !” Chers lecteurs excusez-moi pour ces deux dernières lignes en Anglais, mais mon traducteur est soudainement passé hors-service ! Je passerai donc sur la conversation privée qui prolongea cette conversation, ce genre d’indiscrétion étant d’ailleurs sans aucun intérêt pour la suite de ce qui nous intéresse. ------------------------------------------- Tranquillement
assise sur un banc qui toisait directement la statue de Voltaire, Judith
attendait monsieur Granger. Ce cher professeur était en retard d’au
moins une demi-heure. Ceci agaçait copieusement notre attrayante
demoiselle qui s’était pour l’occasion habillée d’une façon très
avenante. Voyant cette beauté ainsi seule à méditer. Plusieurs jeunes
hommes étaient venus gentiment l’importuner. « Non, j’attends quelqu’un leur avait-elle répondu sèchement ! » Et enfin, monsieur Granger arriva. Sa décapotable bleu foncé s’arrêta devant elle. D’un bras désinvolte il poussa la portière passager en s’excusant : « Il y avait un embouteillage monstre dans Genève ! Judith, sourit. Elle se sentait soulagée par son arrivée. Pendant quelques instants, elle avait bien cru qu’il lui collerait un lapin et qu’ainsi l’échafaudage de leur plan machiavélique tout d’un coup tomberait à l’eau. -En route pour le château ! » Dit-elle. Un
seul petit kilomètre les séparait de son entrée. « Pas de problème, j’ai mes entrées privées ! Dit-elle. Elle regarda la caméra de surveillance, lui fit un grand signe de la main et, quelques instants plus tard, accompagnée d’un subtil grincement, la petite grille de côté lentement s’ouvrit. -Salut, Judith, je t’attendais ! -Monsieur Granger ! Je vous présente Elodie. L’une de mes bonnes copines. S’est-elle qui habite la conciergerie. -Oh, la gardienne du lieu ! Bonjour Mademoiselle ! Attesta t’il d’une voix qu’il voulait admirative. Elodie
rougit légèrement à la vue de ce beau mâle. Elle bredouilla un
B’jour gêné. Puis se détourna de son regard pour tendre à son amie
les clefs du château. -Tu connais le chemin aussi bien que moi ! Monsieur Granger s’engagea donc à la suite de Judith, particulièrement heureux de cette visite très privée qu’il espérait agrémenter de quelques exercices qui n’avaient rien à voir avec le sujet historique de sa présence. Se rappelant du temps où elle servait de guide, Judith décida d’inverser le fil de la promenade. -Si
vous le voulez bien, nous visiterons les jardins en premier et ensuite le
château. Judith acquiesça du premier chef. « Quel baratineur celui là ! » Pensa t’elle amusée. Ils tournèrent sur leur gauche pour admirer la petite église qui faisait partie intégrante de la propriété. Elle lui fit observer les inscriptions marquées au-dessous de son horloge. DEO
EREXIT Voltaire fut obligé de reconstruire l’église qu’il avait détruite pour ériger une immense allée en ligne avec la porte de sa demeure. Cette inscription qu’il y fît mettre provoqua un tollé général car son nom apparaissait en caractères plus volumineux que ceux du mot DEO, Dieu ! Longeant l’édifice religieux, Judith ne manqua pas de lui faire remarquer le cercueil en forme de pyramide à moitié imbriquée dans la paroi du bâtiment qui aurait dû être sa dernière demeure. Et puis il y avait cette fameuse petite porte sur le côté qui permettait au grand homme d’assister et de quitter la célébration de la messe sans que personne ne soit en mesure de l’apercevoir. Monsieur
Granger écoutait avec attention sa jolie guide. Ses explications
foisonnaient de tous ces détails de la vie quotidienne du dix huitième
siècle et ceci rendaient son témoignage encore plus passionnant. -Sur cette bute, il avait fait construire un théâtre et y faisait jouer ses pièces. Les spectateurs genevois venaient assister à des représentations aux allures de fêtes. Un dîner gargantuesque accompagnait immanquablement l’événement ! Puis
elle s’attarda sur les nombreux employés qui entretenaient la demeure,
de l’immense propriété qui l’entourait. Celui ci permettait une splendide vue de la chaîne alpine. Pourtant,
Monsieur Granger ne l’écoutait déjà plus, il s’était dirigé vers
l’une des statues qui agrémentait si joliment l’endroit. Il
s’adonnait lui-même à l’art de la sculpture, à un bien modeste
niveau, il en convenait, mais chacun avait pu admirer et apprécier
certaines de ses œuvres qu’il avait fièrement exposé dans le hall de
l’université au cours d’une exposition artistique locale. « Monsieur Emile Lambert ! Il habitait ce château à la fin du dix neuvième, début du vingtième siècle. C’est lui qui a donné à la ville la statue de Voltaire que l’on peut admirer en centre ville. -Avez-vous plus d’information à son sujet ? Demanda t’il avec curiosité. Judith
faillit jeter un cri de victoire. Le poisson venait de mordre à l’hameçon sans qu’il lui fut même nécessaire de lui jeter le moindre appât. Elle feint de réfléchir quelques instants. Puis, un large sourire aux lèvres elle lui répondit. -Oui, j’ai quelque chose d’intéressant à vous montrer ! Un petit livre écrit de sa main qui décrit en détail la réalisation de ses travaux artistiques. Si je me souviens bien, il se trouve posé sur la cheminée de la chambre de Voltaire. -Excellent ! Vous êtes définitivement une admirable accompagnatrice ma chère et de plus si attrayante. » Elle fît mine de ne pas entendre sa flatteuse remarque et continua sa visite… A
l’aide du trousseau de clefs qu’elle tenait fermement depuis le début
de la visite, elle ouvrit la porte principale du château et invita
monsieur Granger à la suivre. Monsieur
Granger, profita de l’étroitesse des lieux pour se rapprocher de la
jeune fille un peu plus que la décence le permettait et malicieusement
entreprit de l’enlacer. « Ah,
justement, voici l’ouvrage qui vous intéresse ! Elle passa
par-dessus les cordes qui délimitaient le chemin visiteur, empoigna le
carnet et le tendit à son soupirant. Voici le livret dont je vous parlais
tout à l’heure. Il est écrit de la main même d’émile Lambert. -Je ne l’intéresse peut-être pas ! » Pensa t’il. La
dispute qu’il avait récemment eue avec sa femme s’imposa à sa pensée.
Serait-il temps pour lui de tenir sa promesse de fidélité. Il
resta un long moment immobile, feignant de s’intéresser aux écrits et
dessins qui parsemaient chaque feuillet. Mouillant son doigt de quelques
gouttes de salive, il égrenait avec un calme feint l’écrit centenaire. « Vous pouvez le garder quelques temps si vous le désirez ! Dit-elle malicieusement. Sortant de sa rêverie il balbutia. -Oui ! Est-ce possible ? -Tout à fait ! Enfin, si vous me promettez de ne pas l’abîmer ! Ajouta t’elle sur un ton de plaisanterie. Puis elle s’approcha de lui, le prit par la main. -Vous savez, monsieur Granger, je vous trouve très chouette ! Elle le regarda timidement. Mais ! Elle laissa traîner un court silence. Mais, j’aimerai mieux vous connaître avant… Elle arrêta pudiquement sa phrase. Monsieur Granger confus avalisa sa remarque. -Excusez ma muflerie chère Judith ! Je ne suis vraiment qu’un goujat ! Elle s’amusa de son affirmation. -Mais non, j’ai simplement besoin d’un peu de temps ! Puis complaisamment elle changea de sujet. -Venez avec moi vous asseoir sur un banc du parc. Vous m’expliquerez votre passion pour la sculpture… » Plus
tard, contemplant le Mont-blanc qui majestueusement apparaissait dans le
lointain, nos deux personnages assis l’un prêt de l’autre, semblaient
infiniment apprécier ce moment de quiétude contemplative. Judith écoutait
les confidences de monsieur Granger. Soudain
il s’arrêta sur cette dernière page étrangement rédigée. Il parut très perplexe, puis, continua son monologue dans un tutoiement qu’ils s’étaient mutuellement autorisé. -Judith, cet étrange. Je dois te lire ce passage qui me semble vraiment surprenant ! Puis il lut le feuillet sans s’apercevoir de la tromperie qu’Edmond avait si brillamment rédigé. A la fin de la lecture Judith s’étonna de l’invraisemblance de l’histoire : « Une malédiction liée à la statue de Voltaire, je n’ai jamais rien entendu de pareil ! -Cette histoire me semble vraiment incroyable, on croirait se retrouver dans le scénario d’un de ces films fantastiques ! Prenant un ton passionné, Judith compléta en frissonnant. -Il faudrait le vérifier ! -Si
tu veux ! Répondit-il sûre de lui, puis il ajouta reprenant un ton
professoral. Tu sais à cette époque de nombreuses épidémies
terrassaient subitement les gens. A savoir, tout ceci n’est que le fait
de conclusions hâtives et est simplement lié à un phénomène médical
qui serait à notre époque facilement explicable. -En tous cas, moi je ne m’y essayerais pas ! Suite à un rapide coup d’œil à sa montre, Granger fut dans l’obligation de couper court à la discussion. -Excuses-moi
Judith, mais il est temps pour moi de partir ! -A bientôt Pierre ! -C’est mon souhait le plus cher ! » Affirma t’il en refermant sa portière. --------------------------------------------- « Alors, il a mordu à l’hameçon ? -Je n’ai même pas eu besoin de le guider, il s’est jeté tout seul dans notre piège. -Maintenant il faut trouver le moyen de lui faire toucher la statue. -Toi qui écris des romans, tu ferais ça comment ? -Je ne sais pas. Utilise tes charmes ! -Tu sais qu’il est vraiment entreprenant le bougre. J’ai dû employer toute mon habilité pour ne pas passer à la casserole ! -Oh oui, raconte ! Judith décrivit à Sylvie les moindres détails de sa visite romantique avec Granger. -je pense avoir accompli ma tâche avec brio, il croit dur comme fer qu’il m’intéresse et que je veux absolument le revoir. -Super ! Comme il doit être comme tous les mecs, il fera tout pour arriver à ses fins. Moi ! Pour la suite de l’histoire je crois qu’il faudrait que tu lui donnes rendez-vous à Ferney un de ces soirs et que tu lui joues le jeu de celle qui est traumatisée par l’histoire de la malédiction. Je ne sais pas... Tu lui fais croire que cette histoire t’a traumatisé, que tu te demandes si cette statue est vraiment maudite, que tu es obsédée par l’envi de la toucher et de vérifier par toi-même l’écrit de Lambert, mais tu fais celle qui est terrorisée par cette intrigue. A mon avis, comme il a l’air prêt à tout pour te séduire, il ne manquera pas de te proposer de tenter l’expérience à ta place. -Tu crois ! -J’en suis certaine, qui peut résister à tes beaux yeux ! Ajouta Sylvie en éclatant de rires. Ah ! Oui, j’y pense, il faudrait également que tu utilises ton pouvoir de séduction pour entraîner Joe dans notre projet. -Ca sera difficile de le faire sortir de sa station de radio ! -Tu plaisantes, il meurt d’amour pour toi. Un seul mot et il sera à tes pieds. Judith rougit, elle avait bien remarqué les regards tendres de son volumineux copain, mais elle n’avait jamais pensé que ceux ci excédaient le stade de la camaraderie. -Que faut-il que je lui fasse faire ? -Je suis entrain d’en discuter avec Emilien, avec ses plaisanteries douteuses, il m’a préparé une liste de bonnes farces qui devrait jeter le trouble dans l’esprit de Granger. Plusieurs semblent vraiment intéressante, mais je préfère t’en parler un peu plus tard. Sylvie
s’était vraiment totalement investie dans cette histoire, elle voyait
en cette farce l’idée géniale du roman de sa vie, celui qui lancerait
une carrière qu’elle ambitionnait de toute ses forces. -J’y réfléchirais ! Lui avait-elle répondue. Soit patiente ! » J’arrête mon histoire quelques instants pour revenir à Ernest Puppa notre fameux inspecteur de police. Car au fait quel peut bien être le besoin de sa présence dans cette annale somme toute bien banale. Cette plaisanterie estudiantine pourrait-elle tourner au drame ? En
fait j’aimerai vous narrer un fait troublant qu’il advint à ce moment
précis de l’histoire. Ernest se trouvait par un fait étrange devant la
statue de Voltaire, la fixant de ses yeux inquisiteurs. Il est vrai que
pendant la dernière classe d’histoire qu’il avait suivie, le
professeur avait parlé des bienfaits que Voltaire avait dispensés à
Ferney, ajoutant que durant les vingt ans de sa présence, sa générosité
avait transformé ce minuscule village d’une population de quarante âmes
en une bourgade très prospère de plus de milles habitants. ------------------------------------- Il
était tard dans la nuit. Clara seule dans sa petite chambre ressassait
son envi de révolte. Pourquoi devait-elle toujours être considérée
comme la gentille, la douce, l’insignifiante petite Clara. Celle que
tout le monde aimait mais qui n’intéressait personne. Même son amie
Trudy l’énervait à présent. Trop écrasante, trop influente sur sa
personne. Clara éprouvait ce sentiment existentialiste que la plus part
de nous demandons. Ce besoin
d’être reconnue par les autres, de prouver notre indispensable présence,
de s’affirmer aux yeux de la société. Elle rejetait totalement ce rôle
de la mignonne petite Clara. Elle voulait crier au monde l’exception de
sa personnalité. Elle
prit un petit bout de papier chiffonné qui traînait sur son bureau, y
inscrivit quelques mots puis soulagée se coucha cherchant en vain le
sommeil. -----------------------------------------
Il faisait déjà nuit quand Judith passa
devant la petite salle d’exposition qui se trouvait accolée au syndicat
d’initiative. De nombreuses personnalités s’étaient réunies en ce
lieu pour l’inauguration d’une exposition des œuvres d’un sculpteur
local. Granger était parmi ces invités, il avait reçu une invitation
personnelle de l’artiste qu’il connaissait fort bien, celui ci lui
ayant prodigué quelques leçon de son art. « Il y a quelques choses qui ne va pas Judith ? -Oui, je ne me sens pas très bien. Depuis quelques temps, je suis nerveuse et angoissée ! -As-tu quelques soucis ? -C’est depuis que nous avons lu cette malédiction de la statue de Voltaire, j’ai peur ! Balbutia t’elle. Granger éclata de rire. -Tu ne crois tout de même pas à cette histoire idiote ! -Et bien si ! J’y pense jour et nuit. Dans mon sommeil je ressens l’image de ce vieil homme qui me regarde en souriant et qui d’une voix éraillée me parle. -Qu’est ce que peut bien te raconter Voltaire ? -Qu’il faut que je vienne le voir, le toucher, qu’il a besoin de ce contact pour que son esprit survive dans l’au-delà. Granger s’étonna beaucoup de ces propos absurdes. -Eh ! Ma belle, tu délires ! Puis une idée évidente germa dans son esprit. -Je vais te montrer que cet écrit n’est que fadaise. Je vais aller lui serrer la main à ta statue ! Judith
trembla à l’énoncé de cette hypothèse. -Et si je fais ça, tu dois me promettre d’enlever toutes ces idées bizarres de ta tête. -Mais ! Bredouilla t’elle. Tu vas être maudit ! » Il
l’a pris par le bras et faisant fi de la pluie qui maintenant tombait
drue, il l’emmena au centre de la place de Ferney. « Alors bonhomme, il paraît que tu parles aux jeunes filles pendant leur sommeille. Et bien ! Tu vois cette jolie fille ! Tu as intérêt à la laisser tranquille à présent ou tu auras à faire à moi ! » Son monologue terminé. D’une façon très alerte, il rejoint d’un saut Judith qui n’avait quant à elle pas perdu un seul moment de cette scène surréaliste. « Alors tu vois, il ne s’est rien passé, je vais bien, je suis toujours vivant ! Judith paraissait pétrifiée. Elle recula de quelques pas. -S’il te plaît ne me touche pas, tu es ! Elle bafouilla. Tu es… Tu dois… Non ! Pourquoi as-tu fais ça ! -Mais Judith, je n’ai rien ! Insista t’il. Elle laissa tomber son parapluie, se retourna et s’enfuit de toutes ses jambes. Granger ne bougea pas, stupéfait par la réaction de sa compagne. -Mais elle est vraiment folle celle là, faut vite laisser tomber mon gars ! » S’ordonna t’il à haute voix. Et Judith courrait, courrait. Mais ce que Granger n’entendit pas, se sont les éclats de rires qu’elle avait eu tant de mal à contenir. ----------------------------------- Granger était trempé jusqu’aux os. Stupéfait par la réaction de Judith, il avançait à pas rapides en direction de sa voiture. « Une malédiction, comment peut-on à notre époque croire à ces fadaises ? » Se demandait-il. Il
retrouva bientôt l’abri de sa voiture. Mit le chauffage au maximum, fit
ronfler quelques fois son moteur avant de prendre son essor. C’est au
moment où il entama un premier virage, heureusement à faible allure, que
l’un de ses pneus éclata. Granger ne réussit pas à redresser son véhicule,
qui heurta violemment le parapet du trottoir. Ce n’est que quelques instant plus tard que reprenant ses esprits, il poussa d’une main incertaine la portière de son véhicule. Dehors, sous une pluie battante, il ne put que constater l’étendu des dégâts. Son pneu éclaté lui offrait la vue de son piteux état. Il plongea sa main dans les profondeurs de sa poche. Celle ci, à tâtons, parcourue l’endroit avec une anxiété affolée. Mais qu’avait-il fait de son téléphone portable ? Il
se palpa intégralement, espérant reconnaître les contours de son
appareil. « Et si quelqu’un pouvait au moins m’aider ! » Hurla t’il dans un excès de rage. Bien
entendu personne ne lui répondit. ------------------------------------- Du haut de l’amphithéâtre, Ernest avait bien du mal à comprendre les propos du professeur. Effectivement, monsieur Granger, ce matin était affublé d’une voix rauque et enrouée. Plusieurs fois pendant le cours, il se détourna de l’assistance pour vider son nez de la façon la plus bruyante. Les yeux larmoyants, le front rougi par une fièvre que quelques cachets d’aspirine n’avaient pas réussi à faire baisser, notre pauvre professeur jeta de nombreux coups d’œil à sa montre espérant que son calvaire soit bientôt terminé. La fin de l’heure arrivée, Trudy accompagnée de sa copine Clara se joignirent à quelques élèves pour lui retourner leur compte rendu concernant la vie économique Genevoise du dix-huitième siècle. Le beau gosse, les oreilles bourdonnantes, ne prêta aucune attention à la main de Trudy qui subrepticement le frôla, ni de celle de Clara qui pendant quelques brefs instants pénétra dans l’une de ses poches. Pendant
ce temps les trois garçons en profitèrent pour commettre leur exaction.
A côté de la voiture de Granger, feignant une conversation passionnée,
l’un d’eux en profita pour enfiler une épingle dans la serrure du véhicule.
Même Ernest Puppa, qui à cet instant passait non loin d’eux, ne
remarqua pas ce vandalisme. -------------------------------------------- Tous
nos amis s’étaient retrouvés sur leur lieu de rencontre habituel.
Enfin, non, Joe ne faisait plus parti du groupe, il n’avait d’ailleurs
pas assisté aux derniers cours de Granger, il leur avait dit qu’il préférait
se concentrer pour quelques temps, sur des matières qui lui semblait plus
importantes. Il avait néanmoins répondu à la demande de Judith en lui
fabriquant un petit émetteur-récepteur qui pourrait leur permettre
d’accomplir une bonne blague à distance. Edmond
armé d’un bloc-notes inscrivait soigneusement les différentes idées
que lui proposaient Sylvie et Emilien. Il s’agissait de trouver une
quantité de petites contrariétés qu’ils pourraient provoquer pour Gâcher
la vie du beau gosse. -Et
si l’on sciait les barreaux de sa chaise ? -Non,
il faut que ça ressemble à une mauvaise coïncidence, pas à un
sabotage. -On
lui pique son cartable à la fin du cours ! -On
lui jette du poil à gratter quand il nous tourne le dos ! La
liste de plaisanteries de plus ou moins bons goûts s’enchaînèrent
dans la bouche de nos blagueurs, quelques-unes furent retenues comme étant
un bon moyen de lui donner la frousse et de lui faire croire à la réalité
de la malédiction. Tous avaient donné leur petite touche de méchanceté
à des fredaines qui ne devraient pourtant plus appartenir à des
personnes de leurs ages. ------------------------------------ Monsieur
Granger était rentré chez lui, furieux et également très contrarié
par ces désagréments qui semblaient vouloir le suivre depuis quelques
jours. Et si cette histoire de malédiction était bien réelle. Il y
avait eu cette crevaison sous une pluie battante, cet énorme rhume
qu’il avait contracté et puis aujourd’hui sa serrure qui ne
fonctionnait plus. « Va
vite au lit mon chéri, je te prépare un bouillon de poulet et
j’appelle le médecin ! » Granger
ne se fit pas prier pour obéir, il rejoignit péniblement sa chambre, se
glissa dans son pyjama et retrouva ses pénates espérant un sommeil réparateur. Sa
main se mit à trembler de rage pendant que son regard effleura ceux ci.
S’en était trop, elle se mit à pleurer doucement. Puis se jetant sur lui, elle hurla sa douleur le frappant de ses petits poings fragiles. Lui, réveillé de son sommeil analgésique, ne comprenait pas vraiment ce qu’il lui arrivait. « Que se passe t’il ! Balbutia t’il d’une tonalité enrouée. -Qui est cette Judith, tu m’avais pourtant promis ! -Mais, une élève, rien de plus qu’une élève ! Dit-il, ne comprenant pas comment ce prénom était si soudainement parvenu à sa bouche. -J’en ai marre de tes mensonges, de ton mépris. Je te hais, demain je ne serais plus là ! » Continua t’elle en claquant la porte. La tête lui tournait, il tituba pour la rejoindre, avant même qu’il eut le temps de sortir de sa chambre, le vrombissement rageur d’un moteur lui fit comprendre le départ brutal de sa compagne. Dans
le vague de son esprit, il s’était rendu compte que cette fois ci elle
ne plaisantait pas. Il n’y avait pas eu comme à l’habitude cette
longue discussion qui les réconciliait, cette écoute qu’elle lui
accordait avec un courage qu’il avait lui-même du mal à comprendre. « La malédiction ! » Souffla t’il dans une brèche de conscience léthargique… -------------------------------------------- Ernest Puppa du haut de l’amphithéâtre observait d’un air amusé nos six joyeux lurons. « Que peuvent-ils bien comploter ceux là ? » Se demanda t’il. Clara pour une fois venait de prendre la parole. Tous, concentrés sur ses mots, leurs bobines arboraient une expression d’étonnement. « Et bien, t’es plutôt méchante comme fille ! S’exclama émilien. -Faut pas toucher à mes potes ! Répondit-elle avec un petit sourire coquin. Sylvie intéressée prit quelques notes sur son calepin puis le remit dans son sac en disant. -Vous vous souvenez tous de ce que vous devez faire ? -Oui ! » Dirent-ils à l’unisson. Puis Judith allait ajouter quelque chose quand monsieur Granger pénétra dans la salle. Il
était très pâle et semblait particulièrement soucieux. Cette
impression de fatigue clairement affichée sur son visage devait également
provenir de cette mauvaise nuit qu’il venait de passer. Etait-ce la fièvre
qui le tenait toujours ou la solitude de sa couche. Le fait est qu’il était
resté allongé sur le dos, les yeux grands ouverts, observant la pâle
clarté du dehors qui, tel un fantôme
dansait à travers les persiennes. Il avait ressassé cette
histoire de malédiction. Et si Judith avait eu raison. Il repensa à tous
ces étranges évènements qui soudainement l’avaient poursuivis. La
panne, le mot dans sa poche, et en plus sa montre qui avait rendu l’âme. Puppa
observa quelques instants la triste mine de son professeur. Il pensa que
le pauvre homme aurait mieux fait de garder son lit. Puppa
se délectait de la routine traditionnelle de Granger et il n’aurait
manqué cela pour rien au monde. Devant l’assemblée ébahie, le beau gosse venait de rendre son dernier souffle…
« Un médecin, qu’on appelle un médecin ! Le malaise du professeur avait créé un vent de panique dans l’assistance. -Ca doit-être une crise cardiaque ! Un petit groupe s’était rassemblé autour du corps immobile. -Reculez ! Il faut lui laisser de l’air ! Puppa comme tout le monde avait assisté à la stupéfaction de cette scène surréaliste. Pourtant il avait observé quelque chose de différent des autres. Un unique petit détail, mais d’une importance cruciale, que seul, son esprit subtil avait pu détecter. -Monsieur Granger, réveillez-vous ! Nos
compères étaient restés à l’écart, ils se regardaient avec effroi.
Les filles avaient les larmes aux yeux, les garçons, le souffle court,
chuchotaient quelques interrogations. L’un d’eux avait-il provoqué
cet étourdissement ? Il fallait simplement lui faire peur ! L’homme
se mit à genoux à côté de Granger. Il lui tâta le pouls. Puis après
un froncement de sourcil, promena sa main assurée jusqu’à la gorge du
malade. Un gardien comprit immédiatement le problème et demanda à l’assistance de se retirer. -Il n’y a rien à voir, sortez tous ! Le
docteur avait entamé le massage cardiaque. Moins de trois minutes plus
tard, les ambulanciers arrivèrent. Sur place ils s’évertuèrent sans
succès à réanimer ce qui n’était maintenant plus qu’un cadavre. -Il est mort ! Par la porte restée entrebâillée, la nouvelle se propagea telle une traînée de poudre. -« Le beau gosse est décédé ! » On s’apprêtait à emmener la dépouille quand soudain, Ernest chuchota quelques mots à l’oreille de son voisin. -Que l’on ne touche à rien ! Ordonna le doyen. Appelé la police ! » L’expertise de Puppa ayant depuis longtemps traverser les frontières. Une simple remarque de sa part avait permis cette étrange décision. Sous le regard interrogateur des quelques personnes présentes, Puppa grimpa sur l’estrade, longea le tableau laissant traîner l’un de ses doigts sur sa surface rugueuse. S’approcha avec respect du cadavre. Se pencha et scruta l’ensemble de son anatomie. Il laissa s’éterniser son analyse de l’endroit en scrutant le mobilier qui l’entourait, puis, le visage fermé alla retrouver l’un des sièges du premier rang. --------------------------------- L’inspecteur Weber encadré de deux de ses hommes, ne tarda pas à arriver. Puppa le connaissait bien. Ils avaient tous deux dans le passé, collaboré à la résolution d’une affaire transfrontalière délicate. C’était d’ailleurs lui qui avait comme à son habitude, trouvé la solution de cette complexe énigme. Weber en avait été vexé, piqué dans son orgueil, lui qui se croyait un fin limier avait difficilement accepté d’être dépassé par ce petit Franchouillard. Weber,
en entrant, fit un petit geste de la tête en direction de Puppa. Sous
quelle forme ? « Brigadier !
Ordonna Weber. Prenez cet échantillon et portez-le immédiatement à
notre laboratoire d’analyse. -Une autopsie nous montrera bien si nous sommes en présence d’un crime ou d’une mort naturelle ! -Oui monsieur ! Répondit-il avec déférence. -Je sais, que monsieur Granger avait un faible pour les jolies demoiselles de sa classe et s’il y a meurtre je pencherais facilement pour un crime passionnel. Un petit interrogatoire de ses élèves et de son entourage nous indiquera certainement le nom du coupable. Puis
Weber se tourna vers Puppa, se souciant enfin de sa présence. -N’est ce pas inspecteur Puppa ! Vous étiez là pendant ce tragique événement. Il me semble ! Peut-être avez-vous remarqué la personne qui a fait le coup. Dans ce cas votre aide me serait très précieuse. » Puppa
hocha de la tête. Eut un petit raclement de gorge. « Ceci devrait vous donner une parfaite assise pour découvrir
le coupable ! Je ne l’ai pas vu et je n’ai aucune idée de son
nom, mais, la flagrante solution se trouve maintenant entre vos mains,
cher collègue ! » |